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T-2805-74
La Reine (Créancier saisissant)
c.
Crawford Dudgeon Varnes (Débiteur saisi)
Division de première instance, le juge Collier— Winnipeg, les 12, 13 et 15 mai 1975.
La Couronne—Le ministre du Revenu national a établi un certificat attestant le montant dont le débiteur est redevable au titre de prestations d'assurance-chômage payées en trop— Mesures d'exécution—La Commission d'assurance-chômage a-t-elle respecté la Loi?—Le débiteur devait-il être avisé?— Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, c. 48, art. 57(1) et 79(2)—Règles 2100, 2200 et 2300(6) de la Cour fédérale.
Le ministre du Revenu national a établi un certificat attes- tant que le débiteur est redevable de $72,646 au titre de prestations d'assurance-chômage payées en trop. Le certificat a été enregistré et des procédures d'exécution immédiatement entamées, dont la saisie et la vente de biens meubles du débiteur et une saisie-arrêt. Le défendeur demanda la suspen sion des procédures d'exécution et le créancier fit citer le tiers saisi pour qu'il fasse sa déclaration. Au cours des débats, le débiteur fit savoir que c'est par la procédure de fieri facias qu'il a été pour la première fois avisé de son obligation.
Arrêt: la suspension des poursuites est ordonnée et l'ordon- nance de saisie-arrêt annulée. La Commission d'assurance-chô- mage n'a jamais formellement avisé le débiteur de la décision prise en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, le privant ainsi de la possibilité de se prévaloir des procédures d'appel prévues par la Loi. Comme en matière de cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, le Ministre doit d'abord respecter la loi avant de poursuivre le paiement. La Couronne n'a pas respecté les premières mesures essentielles requises par l'article 57(1). La Commission ou le Ministre ne peut arbitrairement et secrètement déclarer qu'un citoyen est débiteur, faire enregistrer un certificat, procéder à l'exécution et ensuite prétendre que le citoyen a encore des droits d'appel, alors qu'il n'a jamais été légalement ou effectivement avisé de l'existence de la prétendue dette.
Distinction faite avec l'arrêt: Lambert c. La Reine 75 DTC 5065.
REQUÊTE. AVOCATS:
R. Fainstein pour le créancier saisissant.
M. Phelps pour le débiteur saisi.
W. Stovel pour le tiers saisi.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le créancier saisissant.
Christie, Turner, De Graves, MacKay, Settle & Kennedy, Winnipeg, pour le débiteur saisi.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: Deux demandes ont été por- tées à l'audience du 12 et du 13 mai 1975 à Winnipeg. L'une au nom du défendeur pour l'ob- tention d'une ordonnance suspendant l'exécution d'un jugement; l'autre au nom de la demanderesse, enjoignant le tiers saisi, la ville de Winnipeg, d'exposer les raisons qu'elle pourrait avoir de ne pas payer à la demanderesse, créancier saisissant, une dette (des salaires) qu'elle a envers le débiteur saisi pour l'exécution du jugement. Il est nécessaire d'exposer les données de l'affaire: la plupart des faits se trouvent dans les pièces déposées à l'appui des demandes au greffe de la Cour, et dans l'inter- rogatoire en vue d'exécution; d'autres, dans les déclarations faites par les avocats.
Le 17 juillet 1974, un certain Wakeman, au nom du ministre du Revenu national a établi un certificat attestant, conformément aux articles 79 et 112 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, que le défendeur était redevable de la somme de $72,646. D'après les raisons données, il s'agissait du:
[TRADUCTION] Solde des prestations d'assurance-chômage payées en trop: $72,646.
Le certificat a été enregistré à la Cour fédérale le 18 juillet 1974. Le paragraphe 79(2) prévoit que, dès son enregistrement, le certificat a la même force et le même effet qu'un jugement
... il permet d'intenter les mêmes procédures ....
Un bref de fieri facias a été émis le même jour. Par la suite, le shérif avait procédé à la saisie et à la vente de deux véhicules automobiles et d'une caravane. Le solde actuel restant sur le montant du «jugement» est de $61,966.81. Le débiteur saisi a été interrogé conformément à la Règle 2200. Une ordonnance de saisie-arrêt avait été obtenue contre son actuel employeur, la ville de Winnipeg. Cette dernière, sur requête l'invitant à exposer ses moyens, a déclaré qu'elle était disposée à payer le montant maximum autorisé par la Règle 2300(6), sur les salaires du défendeur.
Le défendeur demanda alors la suspension de toutes procédures d'exécution. Me Phelps déclara que la requête était faite en vertu de la Règle 2100. Il a avancé comme motifs l'adversité, des circonstances spéciales et l'incapacité de payer.
Le défendeur est marié et père de trois enfants. Il gagne $585 net par mois dans son actuel emploi. Son épouse travaille à temps partiel. La famille vit dans une maison estimée à $40,000 dont, à toutes fins pratiques, l'épouse du défendeur est proprié- taire. Le défendeur estime ses dépenses mensuelles à environ $425. Il ne fait pas d'économies, ce que je comprends bien. Je pense que le montant des dépenses est probablement sous-évalué. On pré- tend que le défendeur a perçu $72,646 de presta- tions de chômage en trop, par des moyens fraudu- leux, en utilisant divers faux noms et en faisant un certain nombre de fausses réclamations. Une plainte a été déposée au pénal. L'interrogatoire préalable doit avoir lieu en juin. Au cours des débats, Me Phelps a déclaré que le défendeur avait été informé pour la première fois de ses obligations envers la demanderesse lors des mesures prises par le shérif dans la procédure de fieri facias. J'ai alors fait une objection et renvoyé l'avocat au paragraphe 57(1) de la Loi sur l'assurance-chô- mage. Je reproduis cet article:
57. (1) La Commission peut, à tout moment, dans les trente-six mois qui suivent le versement de prestations en vertu de la présente ou de l'ancienne loi, examiner de nouveau les demandes formulées antérieurement et si elle constate qu'une personne a reçu de l'argent, soit au titre de prestations en vertu de l'une ou l'autre loi pour une période pour laquelle elle ne remplissait pas les conditions requises, soit au titre de presta- tions au bénéfice desquelles elle n'était pas admissible, la Commission doit calculer la somme ainsi reçue et, sous réserve d'appel interjeté en vertu de l'article 94, cette somme est la somme remboursable en vertu de l'article 49.
Me Fainstein a fait des enquêtes. Il m'a informé très franchement que la Commission n'avait jamais formellement avisé le défendeur de la déci- sion prise conformément au paragraphe 57(1). Le défendeur n'a donc pas eu la possibilité de se prévaloir des procédures d'appel prévues par la Loi, pour s'opposer à l'obligation de rembourser les prestations auxquelles on prétend qu'il n'avait pas droit ou obtenir une décision à ce sujet. Cette procédure d'appel prévoit une audition devant un conseil arbitral et, dans certains cas, un autre recours à un juge-arbitre. On peut, dans un cas qui le justifie, exercer un recours contre la décision d'un juge-arbitre en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
L'avocat de la demanderesse a cité l'arrêt Lam-
bert c. La Reine'. Il soutient que les procédures d'exécution menées jusqu'ici sont valables et auto- risées par la Loi, même si le défendeur peut encore exercer certains recours par voie d'appel, comme indiqué plus haut. Je ne peux pas accepter cette prétention. Je pense qu'il faut faire une distinction avec l'arrêt Lambert. Il s'agissait d'une affaire relevant de la Loi de l'impôt sur le revenu, le ministre du Revenu national avait cotisé le contri- buable qui avait reçu l'avis requis en vertu de l'article 46 de la Loi. Le contribuable s'était alors prévalu de la procédure d'appel prévue. La Loi cependant prévoyait que le contribuable devait payer immédiatement l'impôt fixé, nonobstant tout appel. Le Ministre peut, même lorsque les cotisa- tions sont contestées et avant le résultat final des appels, recouvrer le paiement par tous les moyens autorisés par la Loi de l'impôt sur le revenu. La principale distinction qu'il y a lieu de faire au sujet de l'affaire Lambert est que le Ministre avait effectivement respecté rigoureusement les disposi tions de la Loi. Il a établi une cotisation et en a avisé le contribuable. Le contribuable avait alors reçu l'avis légal, qui lui permettait de faire valoir ses droits d'appel et qui, en même temps, l'obli- geait à payer conformément à la cotisation. En l'espèce, la Commission n'a pas respecté les pre- mières mesures essentielles requises par le para- graphe 57(1), pour mettre en oeuvre:
a) l'obligation de remboursement du défendeur;
b) les droits du défendeur d'interjeter appel de ses obligations;
c) le droit du demandeur d'obtenir l'équivalent d'un jugement et les droits à l'exécution forcée qui en découlent.
La Commission ou le Ministre, ne peut arbitrai- rement et secrètement déclarer qu'un citoyen est tenu de rembourser certaines sommes, faire enre- gistrer un certificat contenant cette déclaration, procéder à l'exécution en vertu de ce certificat et ensuite prétendre que le citoyen a encore des droits d'appel, alors que ce dernier n'avait jamais été légalement ou en fait avisé de l'existence de la prétendue dette invoquée par la Commission. Une ordonnance sera donc rendue, suspendant toutes procédures d'exécution jusqu'à ce que cette cour en décide autrement. Le défendeur aura un délai de 30 jours pour entamer les procédures qu'il
1 75 DTC 5065.
jugera nécessaires en vue d'annuler le «jugement» et les précédentes mesures d'exécution. L'ordon- nance provisoire de saisie-arrêt à l'encontre de la ville de Winnipeg, est annulée. Les frais des deux requêtes visées au premier paragraphe de ces motifs suivront l'issue de la cause.
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