Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-1679-75
«B» (Requérant) c.
La Commission d'enquête relevant du ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration et l'honora- ble juge Claire L'Heureux-Dubé (Intimées)
et
Le procureur général du Canada (Intervenant)
Division de première instance, le juge Addy— Montréal, le 2 juin et Ottawa, le 24 juin 1975.
Pratique—Redressements extraordinaires Enquête Le requérant sollicite une ordonnance déclaratoire précisant que les intimées n'ont pas compétence pour faire état de son inconduite, et une ordonnance de prohibition—Exceptions pré- liminaires—Le bref de prohibition peut-il être accordé, compte tenu de la nature et des conséquences de la mission du commissaire? La procédure aux fins de jugement déclara- toire peut-elle être introduite par avis de requête?—Loi sur les enquêtes, S.R.C. 1970, c. I-13, Partie II, art. 6—Loi sur la Cour fédérale, art. 18, 28 et Règle 603.
Au cours d'une enquête, des témoignages ont fait état de la prétendue inconduite du requérant. L'avocat de la commission a demandé de recommander qu'une accusation d'inconduite soit portée. Le requérant, par voie d'avis de requête introductif, sollicite une ordonnance déclaratoire précisant que les intimées n'ont pas compétence pour faire état de l'inconduite, et une ordonnance de prohibition. Les intimées et l'intervenant sou- tiennent que le bref de prohibition ne peut être accordé en raison de la nature et des conséquences de la mission du commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes et que la procédure aux fins de jugement déclaratoire ne peut être entamée par voie d'avis de requête.
Arrêt: la requête est rejetée sur les exceptions préliminaires. Le bref de prohibition ne peut être accordé que s'il y a eu exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires. C'est l'étendue des fonctions, et non le fait que les droits d'une personne pourraient être affectés, qui confère à la procédure un caractère judiciaire ou quasi judiciaire. Puisqu'il ne s'agit pas d'établir un droit et que le devoir de la commission consiste seulement à faire un rapport, elle n'exerce pas une fonction judiciaire ou quasi judiciaire et l'on ne peut émettre un bref de prohibition. Quand une commission n'exerce pas une telle fonction, la procédure appropriée est une action aux fins de jugement déclaratoire et la partie à citer est le procureur général à moins que la Loi n'autorise d'assigner directement la commission, auquel cas on pourrait également obtenir d'autres redressements. Lorsque aucun autre redressement ne peut être octroyé, la Cour ne doit pas hésiter à accorder un redressement déclaratoire en raison de la simple absence de précédent. En ce qui concerne l'article 18a) de la Loi sur la Cour fédérale, le législateur n'a pas voulu que tous les types de redressements mentionnés soient applicables à tout tribunal fédéral sans tenir compte de la nature de ses fonctions. Puisqu'une commission
exerçant des pouvoirs judiciaires ou quasi judiciaires ne pouvait jamais faire l'objet d'une action en justice ou de redressements en equity, et puisqu'on peut obtenir un redressement en vertu de l'article 28, l'article 18 ne crée pas un nouveau redressement par voie d'ordonnance déclaratoire dans un tel cas. L'article 18a) doit être interprété comme accordant la compétence lors- qu'il s'agit d'une commission exerçant des fonctions non judi- ciaires. Cet article accorde simplement une compétence qui peut s'exercer si, et dans la mesure où, la commission est soumise au contrôle judiciaire. Tout jugement déclaratoire contre le procureur général aurait le même effet que s'il avait été rendu contre la commission et l'article 18a) ne doit pas être interprété comme élargissant la compétence de la Division de première instance pour lui permettre de rendre une ordonnance déclaratoire dans une action un tribunal, qui normalement n'est pas susceptible d'être assigné, serait le défendeur à la place du procureur général. La Règle 603, en permettant d'introduire, par voie d'action, la procédure aux fins de prohibi tion et de certiorari, s'écarte d'un précédent; mais cette disposi tion est une simple question de procédure et ne modifie pas le principe général que ces tribunaux ne peuvent normalement être traduits en justice.
Arrêts examinés: Driver Salesmen, Plant Warehouse and Cannery Employees c. Board of Industrial Relations (1967) 61 W.W.R. 484; Gruen Watch Company of Canada Limited c. Le procureur général du Canada [1950] O.R. 429; Radio -CHUM 1050 Ltd. c. Toronto Board of Education [1964] 1 O.R. 599 et Dundurn Foods Ltd. c. Allen [1964] 2 O.R. 75. Arrêts appliqués: Howarth c. La Commission nationale des libérations conditionnel- les (1975) 18 C.C.C. 385; Calgary Power Ltd. c. Copi- thorne [1959] R.C.S. 24; Rex c. Legislative Committee of the Church Assembly [1928] 1 K.B. 411; Guay c. Lafleur [1965] R.C.S. 12; St. John c. The Vancouver Stock and Bond Company Limited [1935] R.C.S. 441; Godson c. The City of Toronto (1891) 18 R.C.S. 36; Dyson c. Le procu- reur général [1911] 1 K.B. 410; Samuels c. Le procureur général du Canada (1956) 1 D.L.R. (2=) 110; Simmonds c. Newport Abercarn Black Vein Steam Coal Company Limited [1921] 1 K.B. 616; La succession Grauer c. La Reine [1973] C.F. 355; Hanson c. Radcliffe Urban Dis trict Council [1922] 2 Ch. 490. Distinction établie avec l'arrêt: Saulnier c. La Commission de police du Québec (non publié, C.S.C. le 13 février 1975). Arrêt suivi: Lan- dreville c. La Reine [1973] C.F. 1223.
REQUÊTE. AVOCATS:
D. Boudreau et J. Grey pour le requérant.
J. Ahern pour l'intimée.
J. Ouellet et G. Côté pour l'intervenant.
PROCUREURS:
Lapointe, Rosenstein & Konigsbert, Mont- réal, pour le requérant.
Ahern, de Brahant, Nuss & Drymer, pour les intimées.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intervenant.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE ADDY: Il s'agit d'une des trois requêtes présentées séparément par trois fonctionnaires du ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration à Montréal, aux fins d'obtenir un bref de prohibi tion interdisant madame le commissaire intimée d'enquêter sur eux, conformément aux termes du décret en conseil qui l'a nommée.
L'avocat du requérant dans chaque affaire aussi bien que celui des intimées sont convenus, aux fins des trois requêtes, que les points de fait et de droit en cause étaient identiques et que toutes trois devaient être plaidées ensemble. L'avocat du pro- cureur général du Canada a demandé que son client soit autorisé à se joindre à la procédure en qualité d'intervenant et non comme intimé. Les parties étant d'accord, cette requête a été accueillie.
A la demande de l'avocat du requérant dans chaque affaire et avec l'accord de ceux des inti- mées et de l'intervenant, compte tenu du fait que l'affaire comporte de prétendus actes d'inconduite sexuelle avec certains immigrants de sexe féminin, j'ai rendu une ordonnance prescrivant que ni le nom du requérant ni celui des autres personnes concernées ne soient révélés au public et que, sauf décision contraire, l'intitulé de la cause soit modi- fié comme ci-dessus.
Par décret du conseil en date du 30 octobre 1973, annulant un décret antérieur pris aux mêmes fins le 10 août 1973, l'honorable juge Claire L'Heureux-Dubé, juge à la Cour supérieure du district de Québec, a été nommée commissaire en vertu de la partie 2 de la Loi sur les enquêtes', pour faire enquête et rapport sur certaines affaires relevant du ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration. Voici les dispositions essentielles pertinentes du décret du conseil:
... pour faire enquête et rapport sur l'état et la gestion de la partie des affaires du ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration (désigné ci-après comme «le Ministère») se rattachant
S.R.C. 1970, c. I-13.
a) au sujet des dossiers du Ministère à Montréal, dont les références figurent ci-après, aux questions associées à ces dossiers et à leur traitement, à savoir: (plus de cent dossiers sont visés ici par leurs numéros);
b) ... (ne concerne pas le point en question)
c) ... (ne concerne pas le point en question)
d) à la conduite de toute personne qui est ou qui a été au service du Ministère dans la mesure cette conduite a trait à ses fonctions officielles à l'égard de l'une ou l'autre des questions mentionnées aux alinéas a), b), c) et e); et
e) à toute question accessoire ou relative à l'une ou l'autre des questions mentionnées aux alinéas a) à d);
A la première audition devant la commission, le requérant, qui était représenté par un avocat, et d'autres témoins ont déposé au sujet des rapports intimes que celui-là avait prétendument eus avec deux personnes du sexe féminin qui demandaient le statut d'immigrant reçu. A la suite de ces témoignages, l'avocat de la Commission, en pré- sence du requérant et de son avocat, a passé en revue la preuve relative à ce sujet et a fait des observations à la Commission et demandé au com- missaire d'envisager de recommander qu'une accu sation d'inconduite soit portée contre le requérant.
Dans le but évident de se conformer aux exigen- ces de l'article 13 de la Loi sur les enquêtes, l'avocat de la Commission, avant de faire ces observations, a notifié au requérant par écrit son intention de ce faire; une fois ces observations faites, madame le commissaire a ajourné l'audition et avisé le requérant par écrit de la date fixée pour sa reprise, c'est-à-dire le 22 mai 1975, et lui a fait savoir par la même lettre qu'à cette date elle examinerait la preuve en vue de statuer sur les observations relatives aux allégations d'inconduite proférées contre lui par l'avocat de la Commission et l'a invité en même temps à s'y présenter avec ou sans l'assistance d'un avocat pour se faire entendre sur la question, s'il le désirait.
La veille de la date prévue pour la reprise de l'audition, le requérant, par voie d'avis de requête introductif, a demandé les redressements suivants:
1. une ordonnance déclaratoire, précisant que les intimées n'avaient pas compétence pour faire un rapport contre lui, faisant état de son incon- duite; et
2. un bref ou une ordonnance de prohibition contre les intimées les enjoignant de renoncer à
toutes autres procédures pouvant conduire à une telle accusation d'inconduite.
Dès que la requête sollicitant un bref de prohibi tion lui a été signifiée, la Commission ajourna l'audition prévue pour le 22 mai, pour permettre qu'il soit statué sur la présente requête.
La requête dont je suis saisi a été plaidée pour la première fois le 26 mai 1975. La plaidoirie a alors porté uniquement sur le bref de prohibition et aucun des avocats n'a débattu, en aucune manière, la question de savoir si on pouvait ou devait accor- der une ordonnance déclaratoire.
Sur demande présentée par l'avocat des intimées le lendemain des débats, une nouvelle date a été fixée pour entendre une requête visant la réouver- ture des débats. Enfin de compte, on a longuement plaidé au fond devant moi le 5 juin 1975 et j'ai alors attiré l'attention des avocats sur le fait qu'ils n'avaient ni débattu ni apparemment envisagé la question de savoir si un jugement déclaratoire devait être rendu, et aussi sur le fait qu'au cas on solliciterait un tel redressement, la procédure permettant de l'obtenir, si l'on devait respecter la Règle 603, ne pouvait être introduite par voie de demande par avis de requête, mais seulement par voie d'action introduite par déclaration conformé- ment à la Règle 400.
L'avocat du requérant, informé de la façon dont la Cour envisageait la situation, a clarifié sa posi tion en déclarant que la demande devait nettement être considérée comme une demande d'ordonnance ou de jugement déclaratoire, à titre de redresse- ment sollicité concurremment ou subsidiairement.
Quand j'ai demandé aux avocats de l'interve- nant et des intimées s'ils acceptaient que la Cour considère aussi la présente demande comme une action à laquelle ils seraient défendeurs, ils ont tous deux refusé et affirmé carrément qu'on devait poursuivre l'examen de la requête en tant que telle et dans sa teneur actuelle. L'un et l'autre ont soutenu que, sans tenir compte du fond de l'af- faire, la demande doit être rejetée parce que le bref de prohibition ne peut être accordé contre les intimées en raison de la nature et des conséquences de la mission d'un commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes, et ont mis l'accent sur le fait que
la procédure aux fins de jugement déclaratoire ne peut être entamée par voie d'avis de requête.
Pour bien répondre à ces deux exceptions préli- minaires, il faut analyser la théorie moderne sur la question à la lumière de l'histoire et de la nature intrinsèque de ces redressements.
En common law, les brefs de prohibition, de certiorari et de mandamus relevant de la préroga- tive (c.-à-d. l'ancien bref de prérogative de man- damus par opposition au mandamus de l'equity, destiné à faire respecter un droit conféré par la law ou par opposition au mandement ou injonction de l'equity) étaient accordés exclusivement par les cours de common law: banc du Roi ou de la Reine, et constituaient un mécanisme par lequel les corps inférieurs, y compris ceux qui sont institués par la Couronne étaient soumis au contrôle juridictionnel des cours supérieures. Il n'était pas possible d'in- troduire par voie d'action ordinaire la procédure entraînant l'émission de ces brefs de prérogative pour la simple raison que les cours et organes judiciaires, susceptibles d'être soumis à une telle procédure, ne pouvaient être poursuivis en justice; seules pouvaient l'être les personnes physiques et les corporations. La procédure aux fins de bref de prérogative devait être entamée par demande spé- ciale à la cour, par voie de requête. (Voir Rich c. Melancthon Board of Health 2 et Hollinger Bus Lines Limited c. Ontario Labour Relations Board 3 . )
Par contre, l'injonction, le jugement déclara- toire, l'injonction péremptoire ou le mandement d'equity étaient des sanctions propres à l'equity et la procédure pouvait être introduite à la Cour du chancelier par voie d'une plainte en equity. A l'origine, la Cour de l'Échiquier d'Angleterre pos- sédait aussi la compétence en equity pour émettre des jugements déclaratoires contre la Couronne.
La différence réelle entre ces redressements s'est estompée dans une certaine mesure à la fusion des cours d'equity et de common law et, au cours des récentes années, elle a eu tendance à disparaître parce que, devant la plupart des tribunaux, tous ces redressements, quelle qu'ait pu être leur ori-
2 (1912) 26 O.L.R. 48.
3 [1952] O.R. 366, à la page 379.
gine, s'obtiennent de la même façon, c'est-à-dire par voie d'ordonnance directe de la cour. En outre, alors que la procédure visant les redressements de prérogative de common law, pour les raisons men- tionnées ci-dessus, pouvait s'introduire uniquement par requête spéciale à la cour, actuellement, devant certaines cours comme la Cour fédérale du Canada (voir Règle 603), la procédure peut main- tenant être introduite par voie de déclaration.
Mais ni le fait que la même juridiction peut accorder toutes les sanctions ci-dessus mention- nées, ni le fait que la demande de redressement peut être introduite au moyen d'un même genre de procédure, ni le fait que la façon d'obtenir tous ces redressements est identique (par ordonnance de la cour), ne modifient ni ne changent en rien leur nature intrinsèque ou leur but, et la règle demeure que, si l'on peut obtenir un bref de prohibition ou de certiorari, on ne pourra obtenir ni injonction ni aucun autre redressement d'equity comme l'exécu- tion en nature, l'injonction péremptoire ou le man- damus d'equity; la réciproque est également vraie. (Voir Hollinger Bus (précité) et Howe Sound Company c. International Union of Mine, Mill and Smelter Workers (Canada), Local 663 4 .)
Il a été fermement établi dès le début, et c'est encore le cas aujourd'hui, que, pour être soumis au contrôle par voie de prohibition, une personne ou un organisme doit exercer des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires.
L'étendue des fonctions de la personne, de l'or- ganisme ou de la commission qui exerce un pou- voir constitue le facteur essentiel pour déterminer s'il s'agit de fonctions judiciaires ou quasi judiciai- res et le simple fait que les conclusions d'un tribu nal pourraient affecter—et non pas déterminer— les droits d'une personne ne rend pas la procédure judiciaire ou quasi judiciaire.
Les décisions suivantes de la Cour suprême du Canada corroborent ces théories, savoir:
1. Howarth c. La Commission nationale des libé- rations conditionnelles'
[1962] R.C.S. 318.
5 (1975) 18 C.C.C. 385.
Pour déterminer si un organisme ou une personne exerce des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, il est nécessaire d'exa- miner l'objet précis de ses fonctions et ensuite déterminer si on lui fait un devoir d'agir de façon judiciaire.
Le juge Pigeon, rendant le jugement majoritaire de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Howarth (précitée), a approuvé, à la page 389, la citation susmentionnée, extraite de jugement du juge Martland dans l'arrêt Calgary Power Ltd. c. Copithorne 6 .
2. Dans l'arrêt Calgary Power Ltd. (précité), il était question d'une expropriation effectuée par dépôt d'un avis au bureau d'enregistrement des titres immobiliers, il a été décidé qu'il ne s'agissait pas d'une procédure judiciaire. Le juge Martland, à la page 30, après avoir énoncé le principe cité par le juge Pigeon dans l'arrêt Howarth (précité), a approuvé la déclaration du lord juge en chef Hewart, dans l'arrêt Rex c. Legislative Committee of the Church Assembly', à la page 415 ce dernier déclarait:
[TRADUCTION] ... il ne suffit pas qu'un organisme soit habilité
par la loi à trancher des questions touchant les droits de citoyens; il faut en plus qu'il soit tenu d'agir de façon judiciaire.
3. L'arrêt Guay c. Laf leur 8 a décidé qu'une enquête faite en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu est purement administrative, puisque les droits du contribuable n'en étaient pas affectés. Ils pourront l'être seulement après la cotisation, qui lui confère alors le plein droit d'être entendu et de se prévaloir des divers appels prévus par la Loi.
4. Dans l'affaire St. John c. The Vancouver Stock and Bond Company Limited 9 , une enquête a été tenue en vertu de la Securities Fraud Prevention Act de la Colombie-Britannique pour déterminer si un acte frauduleux ou une violation de la Loi avait été commis et il a été décidé qu'une telle enquête ne constituait, en aucune façon, une procédure judiciaire ou quasi judiciaire et que le simple fait qu'une procédure puisse affecter—et non pas déterminer—les droits d'une personne ne suffit pas à lui conférer le caractère judiciaire ou quasi
6 [1959] R.C.S. 24. ' [1928] 1 K.B. 411. s [1965] R.C.S. 12. [1935] R.C.S. 441.
judiciaire.
5. L'arrêt Godson c. City of Toronto 10 porte sur une enquête effectuée par un juge en qualité de persona designata en vertu d'une résolution d'un conseil municipal, prise conformément aux disposi tions de la Municipal Act; l'enquête avait été faite pour déterminer s'il y avait eu fraude, mauvaise conduite, infraction ou abus de confiance de la part des personnes ayant contracté avec la munici- palité. La Loi prévoyait que le juge aurait les pouvoirs conférés à un commissaire en vertu d'une Loi sur les enquêtes publiques et avait pour mis sion de présenter un rapport. L'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario a été confirmé par la Cour suprême du Canada et il a été décidé que cette enquête ne constituait, en aucune façon, une pro- cédure judiciaire, puisqu'elle avait pour objet d'ob- tenir des renseignements pour le conseil en ce qui concerne la conduite de ses membres, fonctionnai- res et entrepreneurs et qu'à partir de ce rapport, le conseil pourrait, à sa discrétion, prendre des mesures.
Sur la question de savoir si l'enquête en question dans la présente requête revêtait un caractère judi- ciaire ou quasi judiciaire, l'avocat du requérant s'est fondé presque entièrement sur l'arrêt récent, unanime et non encore publié de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Saulnier c. La Commis sion de police du Québec". Dans cette affaire, l'appelant sollicitait un bref d'évocation, en vertu du Code civil du Québec, contre la Commission intimée, qui avait été instituée par le ministre de la Justice et procureur général du Québec, conformé- ment aux dispositions de l'article 20 de la Loi de police de cette province, et qui avait pour mission d'enquêter sur sa conduite en tant que directeur du service de police de la ville de Montréal et de faire rapport au Ministre. La Commission conclut que Jacques Saulnier n'avait pas les aptitudes et la compétence pour occuper le poste et recommanda au Ministre, conformément à un article de la loi provinciale créant le service de police, de prendre des mesures contre lui. Par la suite, le Ministre écrivit à la Commission pour lui faire savoir qu'il avait l'intention de donner suite à la recommanda-
10 (1891) 18 R.C.S. 36.
" Arrêt rendu le 13 février 1975.
tion d'évaluer les aptitudes de l'appelant, dans le but évident de déterminer à quel grade inférieur il serait réduit.
A ce stade de la procédure, l'appelant demanda l'émission d'un bref d'évocation. Le juge de pre- mière instance fit droit à la demande; sa décision a été infirmée par la Cour d'appel de la province de Québec et rétablie par une décision unanime de la Cour suprême du Canada. Il est possible que, en violation d'une disposition spéciale de la Loi de police lui accordant le droit d'être entendu, l'appe- lant se soit vu refuser ce droit à l'audition; mais ce point n'a certainement pas été soulevé devant la Cour suprême du Canada, car le juge Pigeon, qui a rendu la décision unanime de cette cour, a catégo- riquement déclaré que la Cour ne statuait pas sur le fond de l'affaire et que sa décision portait uniquement sur la question de savoir s'il s'agissait d'une affaire l'on pouvait émettre un bref si les circonstances le justifiaient. La question a été tranchée en faveur de l'appelant au seul motif que la Commission exerçait une fonction judiciaire ou quasi judiciaire parce qu'elle était chargée de faire un rapport d'enquête qui «peut avoir des consé- quences importantes sur les droits des personnes qui en font l'objet» et parce qu'elle «portait atteinte» aux droits de l'appelant.
Cette décision m'a beaucoup préoccupé, car elle a été rendue quatre mois après l'arrêt Howarth (précité), par la même cour et semble porter sur la ratio decidendi de l'arrêt Howarth lequel avait suivi l'arrêt Calgary Power (précité), et les autres arrêts que j'ai mentionnés, qui avaient été rendus par cette même cour. A l'audience, j'ai demandé aux avocats si l'un d'entre eux pouvait concilier la ratio decidendi de l'arrêt Saulnier et celle de l'arrêt Howarth et des autres arrêts suivis par l'arrêt Howarth; ils ne m'ont proposé aucune solu tion satisfaisante.
Comme l'a déclaré le juge Pigeon dans l'arrêt Saulnier, la Commission faisait rapport au Minis- tre qui, strictement parlant, avait encore juridique- ment le pouvoir de mettre à exécution les recom- mandations ou de ne pas le faire, et, d'un point de vue pratique, on doit presque tenir pour acquis
qu'il suivrait la recommandation de la Commission qu'il avait créée, mais il faut néanmoins se rappe- ler que, dans l'affaire Howarth, il n'y avait aucune autre autorité compétente pour régler la question de révocation de la libération conditionnelle et que la décision était définitive à tout point de vue et ne représentait pas un simple rapport adressé à une autorité supérieure. En outre dans l'affaire Howarth la Commission avait à décider de la liberté d'un sujet alors que dans l'affaire Saulnier elle s'occupait des conditions de l'emploi de celui-ci et de son éventuelle rétrogradation.
L'arrêt Saulnier n'a cité aucune décision anté- rieure, à l'exception de l'arrêt Guay c. Lafleur (précité), qui se distingue du fait qu'il a établi que les droits d'un contribuable n'étaient pas affectés par la cotisation. Puisque l'arrêt Saulnier n'a fait aucune mention de l'arrêt Howarth qui, comme je l'ai déjà dit, avait suivi plusieurs décisions anté- rieures de la Cour suprême du Canada, je ne peux pas conclure que, dans l'arrêt Saulnier, la Cour entendait modifier le droit ou reviser l'interpréta- tion qu'elle en avait faite dans ce dernier arrêt majoritaire. Je ne peux non plus souscrire à l'opi- nion de l'avocat du requérant, selon laquelle l'arrêt Saulnier peut être considéré comme un précédent établissant le principe que la procédure est judi- ciaire ou quasi judiciaire, par le simple fait qu'une loi accorde à une personne le droit d'être entendue par un conseil ou une commission. L'arrêt Saul - nier n'est pas censé établir ce principe. A ce sujet, je trouve un appui considérable dans la décision de mon collègue le juge Collier dans l'affaire La succession Grauer c. La Reine" il a décidé que, dans les auditions tenues en vertu de l'article 18 de la Loi sur l'expropriation 13 en ce qui concerne la nécessité de l'expropriation, lorsqu'une disposition spéciale prévoit que les parties seront entendues, ces auditions revêtent un caractère purement administratif puisqu'elles ne peuvent donner lieu qu'à un simple rapport et que le fonctionnaire qui en est chargé n'a pas le pouvoir de rendre une décision.
Le principe selon lequel le droit, prévu par une loi, d'être entendu ne confère pas à la commission ou à la personne qui s'occupe de l'affaire le carac-
12 [1973] C.F. 355.
13 S.R.C. 1970, (1 Supp.) c. 16.
tère d'un tribunal quasi judiciaire, a été aussi reconnu d'une manière implicite par le juge Cartwright, tel était alors son titre, dans l'arrêt Guay c. Lafleur (précité), à la page 18 du recueil il déclarait:
[TRADUCTION] D'une manière générale, sauf disposition légale la rendant applicable, la maxime «audi alteram partent» ne s'applique pas à un agent d'administration dont la fonction consiste à recueillir des renseignements et à faire un rapport
Mon collègue le juge Pratte, siégeant à la Divi sion de première instance dans l'affaire Landre- ville c. La Reine", a décidé que la procédure appropriée lorsqu'il s'agit d'un commissaire nommé en vertu de la Partie I de la Loi sur les enquêtes, est d'introduire une demande de juge- ment déclaratoire et qu'un bref de certiorari ou une ordonnance d'annulation ne peut être accordé au motif que seule une décision peut être cassée. Suivant cet arrêt et m'appuyant sur l'arrêt Howarth et plus spécialement sur l'arrêt Godson (précité), et sur les autres décisions de la Cour suprême du Canada sur le sujet, je n'ai aucune difficulté à conclure qu'en l'espèce, puisqu'il ne s'agit, en aucune façon, d'établir un droit et puis- que le devoir et les fonctions de la Commission se bornent à faire un rapport, elle n'exerce pas une fonction judiciaire ou quasi judiciaire et que l'on ne peut donc émettre un bref de prohibition contre elle, en dépit du fait que le droit du requérant à sa réputation pourrait être sérieusement affecté et du fait que la Partie II de la Loi sur les enquêtes prévoit le droit statutaire de se faire entendre. La seule mission de la Commission, en vertu de la Partie II, consiste à «faire enquête et rapport». (Voir l'article 6.)
Ayant décidé que le requérant n'a pas droit au bref de prohibition, je dois maintenant examiner s'il a droit à un jugement ou ordonnance déclara- toire contre la Commission elle-même et s'il y a droit dans la présente procédure telle qu'elle est engagée.
Sauf dispositions légales spéciales, un conseil, commission ou tribunal, qui ne remplit pas une fonction judiciaire ou quasi judiciaire, n'est pas soumis, en aucune façon, au contrôle direct des cours; il n'est pas soumis au bref de prohibition ou de certiorari parce qu'il n'est pas un conseil ou
14 [1973] C.F. 1223.
tribunal inférieur sur lequel les cours supérieures de common law peuvent exercer leurs pouvoirs de contrôle et il n'est soumis à aucune des procédures d'equity susmentionnées, parce qu'il ne peut être assigné en tant que partie et n'est donc pas justi- ciable des cours.
Quoique certains jugements isolés aient décidé le contraire, l'ensemble de la jurisprudence cana- dienne suit le principe établi de longue date, selon lequel les brefs de certiorari et de prohibition ne sont pas des redressements subsidiaires à une action aux fins d'injonction ou à une déclaration. En tout cas, puisqu'un tribunal ou conseil judi- ciaire n'est pas susceptible d'être assigné, on doit recourir au bref de prohibition ou de certiorari et non à une action déclaratoire (voir Hollinger Bus (précité), et Crédit Foncier Franco-Canadien c. Board of Review 15 ) sauf, bien entendu, disposition légale prévoyant le contraire.
Dans un cas de prétendu abus de pouvoir une commission ou conseil public, comme un conseil des relations du travail, s'apprête à exercer ou a exercé des fonctions quasi judiciaires, on pourra accorder un bref de prohibition ou de certiorari, mais dans le cas contraire, le redressement, si tant est qu'il y en ait un, s'obtient par voie d'action. Naturellement alors le problème se pose immédia- tement de savoir si le conseil est un organisme qui peut être traduit devant les tribunaux dans une action. En dehors des personnes physiques et des corporations qui peuvent toujours être assignées en common law, la législation permet maintenant d'assigner de plein droit la Couronne soit directe- ment soit par l'intermédiaire du procureur général. Elle permet aussi d'assigner les sociétés, certains conseils, commissions ou fonctionnaires lorsqu'une loi spéciale les rend justiciables des cours en tant que défendeurs. Il y a donc cinq catégories d'orga- nismes susceptibles d'être assignés.
Dans plusieurs affaires, on a réussi à soumettre aux procédures d'injonction un conseil dépourvu de personnalité morale. Dans beaucoup de ces affai- res, il semble qu'on n'ait pas soulevé la question de savoir si le conseil lui-même était justiciable de la cour en tant que défendeur, mais dans l'affaire Driver Salesmen, Plant Warehouse and Cannery Employees, Local Union No. 987 of Alberta c.
5 [1940] 1 D.L.R. 182.
Board of Industrial Relations 16 , il a été décidé que, dans une action, le conseil dépourvu de per- sonnalité morale était soumis aux procédures d'injonction.
Dans d'autres espèces analogues, on avait soulevé la question de savoir si le conseil pouvait être assigné en tant que partie à une action, il a été décidé que, quoique la loi ne l'ait pas spécialement prévu, aux fins d'une Loi sur les relations du travail en vertu de laquelle le conseil avait été établi, celui-ci était en fait une entité juridique susceptible d'être traduite en justice à cet effet. Cependant, il semble que ces quelques décisions spéciales soient propres aux conseils des relations du travail et s'expliquent, du moins dans une cer- taine mesure, par la confusion entre la nature d'une injonction et la nature des redressements que l'on ne pouvait obtenir à l'origine que par des brefs de prérogative. La règle, de loin la meilleure, est que l'on doit utiliser la procédure de requête aux fins de certiorari ou de prohibition lorsque le conseil exerce une fonction quasi judiciaire. Par contre, si le conseil n'exerce pas une fonction judiciaire ou quasi judiciaire, la procédure appro- priée serait alors une action aux fins de jugement déclaratoire en equity et la partie à citer serait normalement le procureur général à moins que la loi n'autorise d'assigner directement le conseil, auquel cas on pourrait également obtenir d'autres redressements, tel que l'injonction, le mandement, etc. Voir Joyce and Smith Company Limited c. Le procureur général de l'Ontario"; Re Brown and Brock and the Rentals Administrator' 8 et le juge- ment d'appel à la page 565; Hodge c. Le procureur général 19 ; et Dyson c. Le procureur général 20 le lord juge Farwell déclarait à la page 421 du recueil:
[TRADUCTION] 1. Dans un cas comme celui-ci, on peut, à bon droit traduire le procureur général en justice, en tant que défendeur. Selon une règle bien établie depuis des siècles, lorsque les biens de la Couronne sont directement affectés la seule façon de procéder est par voie de pétition de droit, parce que la Cour ne peut donner à la Couronne l'ordre de transférer ses biens sans l'autorisation de celle-ci; mais quand les intérêts de la Couronne ne sont qu'indirectement affectés, les cours d'equity, soit la Cour du chancelier soit la Cour de l'Échiquier dans ses attributions d'equity, (voir Deare c. Le procureur
16 (1967) 61 W.W.R. 484.
17 [1957] O.W.N. 146.
18 [1945] O.R. 554.
'9 (1839) 3 Y. & C. Ex. 342.
20 [1911] 1 K.B. 410.
général, 1 Y. & C. Ex. 197 la p. 208) pouvaient rendre et rendaient des jugements déclaratoires et des ordonnances affec- tant les droits de la Couronne. Les deux arrêts Pawlett c. Le procureur général, Hardres' Rep. 465, et Hodge c. Le procu- reur général, 3 Y. & C. Ex. 342, d'une part, et l'arrêt Reeve c. Le procureur général, 2 Atk. 223, d'autre part, illustrent très bien cette distinction. [C'est moi qui souligne.]
Dans l'arrêt Samuels c. Le procureur général du Canada'', le juge d'appel Johnson, déclarait à la page 114:
[TRADUCTION] Abordant en premier lieu l'appel de la Com mission des transports aériens, on soutient que cette commis sion n'est pas une entité juridique et ne peut être constituée partie à cette action. L'avocat reconnaît que, dans les procédu- res de certiorari ou de prohibition, de tels organismes créés par des lois peuvent être constitués parties pour leur permettre de se faire entendre, mais que ce droit n'existe pas dans des actions comme celle-ci. On n'a cité aucune jurisprudence à l'appui de ce principe et, théoriquement, il ne semble pas y avoir de distinction valable entre les cas où, par exemple, on décline la compétence d'un tribunal par la procédure de certiorari et ceux on le fait par demande de jugement déclaratoire. Ce droit n'est pas non plus limité aux cas une telle commission désire comparaître. A tout droit correspond une obligation. Si ces organismes ont le droit de comparaître en justice, on a le droit de les assigner, au moins en vue d'obtenir un jugement déclara- toire de la même nature que celui sollicité en l'espèce. L'arrêt Barnard c. Nat'l Dock Labour Board [1953] 1 All E.R. 1113, nous fournit un exemple récent une commission créée par une loi a été assignée en jugement déclaratoire sur une question de compétence. [C'est moi qui souligne.]
En toute déférence, je n'approuve pas cette décla- ration selon laquelle il n'y a pas de distinction valable entre les cas on décline la compétence d'un tribunal par la procédure de certiorari et ceux on le fait par demande de jugement déclara- toire, pour la simple raison qu'un tribunal judi- ciaire ne pouvant pas être partie à une action ou faire l'objet d'un procès régulier, il ne peut donc pas être soumis à un jugement déclaratoire à défaut de disposition spéciale autorisant une telle procédure; et vice versa, une personne ou entité que l'on peut assigner dans une action ne peut faire l'objet d'une demande de certiorari. Quoique, devant le juge auquel le cas était soumis, on n'ait cité aucune jurisprudence à l'appui de ce principe, il existe une pléthore de décisions qui l'établissent, je les ai citées plus haut.
Même en l'absence d'autorisation légale, les per- sonnes occupant une fonction relevant de la Cou- ronne du chef du Canada peuvent faire l'objet de jugements déclaratoires, quand elles exercent un
21 (1956) 1 D.L.R. (2e) 110.
pouvoir non autorisé par la loi. (Voir Gruen Watch Company of Canada Limited c. Le procureur général du Canada 22 et Landreville c. La Reine (précité).)
Quand aucun redressement accessoire n'est solli- cité, un jugement déclaratoire ne sera pas accordé de plein droit dans tous les cas les circonstances le justifient. Le jugement déclaratoire relève de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire et ce pou- voir doit être exercé avec la plus grande circons- pection. (Voir Gruen Watch (précité); Markwald c. Le procureur général 23 ; et aussi Russian Com mercial and Industrial Bank c. British Bank for Foreign Trade Limited24.)
D'autre part, le terme «redressement» doit être interprété d'une manière large et libérale, comme le déclarait le lord juge Bankes, dans l'arrêt Sim- monds c. Newport Abercarn Black Vein Steam Coal Company Limited 25 à la page 626:
[TRADUCTION] Il y a aussi un passage de mon jugement qui semble à propos, je vais donc le citer. Après avoir déclaré qu'à mon avis, la Cour peut accorder un jugement déclaratoire chaque fois que l'on peut dire de la personne qui le sollicite, qu'elle cherche un redressement, j'ai ajouté: «Quelle est la signification du mot «redressement»? Une fois établi—c'est le cas à mon avis,—que le mot redressement ne s'applique pas uniquement à une cause d'action, il s'ensuit, semble-t-il, que le mot lui-même doit être pris dans son acception la plus large. Cependant, à cela il y a une limitation nécessaire, c'est-à-dire que le redressement réclamé doit être quelque chose que la Cour peut accorder sans agir d'une manière illégale, inconstitu- tionnelle ou inéquitable, et qui n'est pas contraire aux principes reconnus en vertu desquels elle exerce sa compétence. Sous réserve de cette limitation, je ne vois rien qui puisse restreindre le pouvoir discrétionnaire de la Cour dans l'exercice de sa compétence que lui confère la règle d'accorder redressement, et compte tenu de l'intérêt général et de la nécessité d'adapter l'appareil judiciaire au besoin des plaideurs, je pense que la règle doit recevoir l'interprétation la plus libérale possible. [Mis en italiques par mes soins.]
En ce qui concerne le droit d'intervention de cette cour, j'approuve le lord juge Warrington qui, dans l'arrêt Hanson c. Radcliffe Urban District Council 26 déclarait à la page 508:
[TRADUCTION] Voici un organisme public, susceptible dans certaines circonstances d'empiéter sur les droits d'autres per- sonnes. Il le fait sans aucun pouvoir. Il me semble que ce serait tout simplement désastreux si la Cour n'avait pas le pouvoir de
22 [1950] O.R. 429.
23 [1920] 1 Ch. 348 la page 357.
24 [1921] 2 A.C. 438 la page 445.
25 [1921] I K.B. 616.
26 [1922] 2 Ch. 490.
rendre un jugement déclaratoire confirmant les droits de ces personnes et empêchant cet empiétement injustifié.
Il semble que, dans le passé, la théorie générale du droit reconnaissait clairement que, lorsque aucun autre redressement ne pouvait être octroyé, la Cour ne devait pas hésiter à accorder un redres- sement déclaratoire dans les cas qui le justifiaient réellement, en raison de la simple absence de précédent et le droit semble postuler clairement que le pouvoir d'accorder un tel redressement est assez étendu, quoiqu'il s'agisse d'un pouvoir discré- tionnaire qui doit s'exercer avec beaucoup de pré- caution et de prudence.
A la lumière de ce qui précède, on peut mainte- nant examiner l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale dans la mesure il s'applique à une demande de jugement déclaratoire. Cet article est ainsi libellé:
18. La Division de première instance a compétence exclusive en première instance
a) pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un bref de mandamus, un bref de prohibition ou un bref de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire, contre tout office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral; et
b) pour entendre et juger toute demande de redressement de la nature de celui qu'envisage l'alinéa a), et notamment toute procédure engagée contre le procureur général du Canada aux fins d'obtenir le redressement contre un office, une commission ou à un autre tribunal fédéral.
Il faut maintenant examiner si, dans l'alinéa a), le membre de phrase «rendre un jugement déclara- toire, contre tout office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral» signifie qu'une ordonnance ou jugement déclaratoire peut être accordé contre tout office, commission ou tribunal fédéral, exer- çant ou non des fonctions judiciaires, ou s'il signi- fie qu'une ordonnance ou jugement déclaratoire ne peut être accordé que contre les organismes qui exercent des fonctions non judiciaires. La réponse, dans une large mesure, dépend de la signification que l'on doit donner aux mots «tout office, toute commission ou tout autre tribunal», car ils pour- raient s'appliquer aux autres types de redresse- ments mentionnés dans l'alinéa. Puisque les redres- sements sont très différents par leur nature et leur but, je ne peux pas souscrire à la thèse selon laquelle, en utilisant les mots «tout office, etc.» dans une loi comme celle-ci qui définit la compé- tence d'une cour, le législateur voulait aussi appor- ter des modifications substantielles et profondes au
droit de telle manière que tous les types de redres- sements mentionnés soient applicables, en tant que tels, à tout office fédéral, etc., sans tenir compte de leurs fonctions respectives. La Cour fédérale est compétente en ce qui concerne tout office ou tribu nal fédéral et peut accorder le redressement men- tionné contre lesdits offices, etc., dans la mesure ils sont soumis au contrôle, compte tenu de la nature fondamentale du redressement demandé et du caractère et de la fonction de l'office contre lequel on le demande. La Cour fédérale, tribunal établi par la loi, ne possède pas le pouvoir inhérent de contrôle qu'ont les cours supérieures des provin ces et toute compétence qu'elle peut exercer doit lui avoir été accordée par une loi. Je ne peux certainement pas considérer que l'article 18 a insti- tué les juges de la Division de première instance comme des ombudsmen fédéraux en quelque sorte ni qu'il crée de nouveaux droits d'action contre tous les offices et tribunaux fédéraux, ce qui serait le cas si, par exemple, on pouvait obtenir au choix l'injonction ou le bref de mandamus contre de tels offices ou tribunaux, sans tenir compte de leurs fonctions.
En ce qui concerne l'ordonnance déclaratoire, puisqu'un office ou une commission, exerçant des pouvoirs judiciaires ou quasi judiciaires, ne pouvait jamais faire l'objet d'une action en justice ou de redressements ou procédures en equity, et puisque le redressement approprié contre un tel organisme s'obtient par voie de bref de prohibition ou d'exa- men judiciaire par la Cour d'appel en vertu de l'article 28, je ne peux pas considérer que l'article 18 a ainsi créé un nouveau redressement par voie d'ordonnance déclaratoire. En ce qui concerne les décisions ou actions d'un tel organisme, on ne peut obtenir de jugements déclaratoires. Cependant, puisqu'il faut donner un sens aux mots, ils doivent donc être entendus comme accordant la compé- tence sur un office fédéral, etc., exerçant des fonc- tions non judiciaires.
L'autre question à résoudre est celle de savoir qui de l'office, etc. ou du procureur général doit être assigné comme partie au procès. Les lois conférant une compétence doivent être interprétées de façon restrictive et quand une interprétation restrictive donne son plein effet à une loi, il n'y a aucunement lieu d'interpréter celle-ci d'une
manière plus libérale, en matière de compétence.
Depuis plusieurs années déjà, on peut citer le procureur général comme défendeur dans les actions déclaratoires relatives à l'abus de pouvoir de la part des fonctionnaires de la Couronne ou d'organismes exerçant des pouvoirs au nom de la Couronne. On ne doit pas non plus perdre de vue que les jugements déclaratoires, contrairement aux jugements exécutoires, ne peuvent être exécutés contre la partie qui succombe par les voies norma- les d'exécution ou par d'autres mesures coercitives telles que l'amende ou l'emprisonnement pour outrage au tribunal; mais comme le nom l'indique, ils se bornent à déclarer ou proclamer l'existence d'un rapport, d'une obligation juridique ou d'un état de choses dans les circonstances de l'espèce. Quoique le jugement lui-même ne soit pas exécu- toire, en cas de violation de la déclaration qu'il comporte, les actes qui en découlent deviennent illicites et pourront bien conférer à la partie qui en est victime le droit de réclamer ultérieurement des dommages ou un autre redressement. Il s'ensuit donc que tout jugement déclaratoire contre le pro- cureur général aurait le même effet juridique que s'il avait été rendu contre l'office lui-même et je ne vois aucune raison valable d'interpréter l'article 18a) comme élargissant la compétence de la Divi sion de première instance pour lui permettre de rendre une ordonnance déclaratoire dans une action un office, qui normalement n'est pas susceptible d'être assigné, serait le défendeur à la place du procureur général.
En l'espèce, l'article 18b) n'offre aucun secours au requérant puisqu'il vise spécialement un «redressement de la nature de celui qu'envisage l'alinéa a)». Le redressement doit être de la même nature et, par exemple, engloberait les recours tels que le mandement ou le redressement péremptoire en equity, qui, étant de la même nature que l'in- jonction, sont, malgré des similitudes sur certains points, différents du mandamus de la law.
On a souvent dit que le législateur est censé connaître le droit existant quand il adopte une loi et, pour cette raison aussi, j'estime que l'on doit considérer le jugement déclaratoire dont il est question à l'article 18a) de la Loi sur la Cour fédérale comme visant les cas les organismes n'exercent pas de fonctions judiciaires ou quasi
judiciaires mais sont simplement des personnes ou organismes exerçant des pouvoirs revêtant un caractère non judiciaire. De tels organismes appar- tiennent indubitablement à l'une des catégories d'entités définies comme constituant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral conformé- ment à l'article 2 de la Loi. Cela est d'autant plus évident si l'on considère que le recours par voie d'injonction, mentionné à l'article 18a), ne peut s'appliquer qu'à la personne ou organisme qui n'exerce pas de fonctions judiciaires ou quasi judi- ciaires alors que les brefs de certiorari et de prohi bition ne s'appliquent qu'à l'organisme qui exerce de telles fonctions.
Plusieurs questions intéressantes, qu'il n'est pas nécessaire d'examiner pour statuer en l'espèce, se posent à propos de l'article 18, en matière d'injonc- tion et de mandamus: qui doit-on assigner, dans quelle mesure et contre qui peut-on obtenir les redressements? Ces redressements ne s'appliquent pas à un office, etc., exerçant des fonctions judi- ciaires, et la Couronne n'est pas soumise à l'injonc- tion ou au mandamus. Il semblerait donc, dans un tel cas, que c'est l'office ou la commission mêmes s'ils étaient soumis à une telle action, qu'on devrait citer comme partie défenderesse et non le procu- reur général. Il y a également la question de savoir si cette compétence ne peut s'exercer que si une loi spéciale permet de citer l'organisme en justice ou si l'article 18 lui-même soumet tous les offices fédéraux exerçant des fonctions non judiciaires au contrôle des tribunaux pour ces redressements. Comme je l'ai déjà dit, j'estime que cet article accorde simplement à la Cour une compétence qu'elle peut exercer si et dans la mesure un office, une commission, etc. est soumis au contrôle judiciaire.
La Règle 603 de la Cour fédérale, en disposant qu'une procédure aux fins de jugement déclara- toire doit s'introduire par voie d'action, ne fait que se conformer au droit et à la procédure tels qu'ils ont toujours existé. Cependant, on pourrait dire qu'en permettant d'introduire par voie d'action les procédures aux fins de prohibition et de certiorari, la Règle 603 s'écarte d'un précédent établi depuis longtemps puisque, pour les raisons que j'ai déjà exposées en détail, les tribunaux les cours et les organismes exerçant des fonctions quasi judiciaires qui sont soumis aux brefs de prohibition et de
certiorari ne peuvent pas être traduits en justice par voie d'action. Mais on doit considérer cette disposition de la Règle 603 comme une simple matière de procédure accordant à la personne qui réclame le redressement, le droit de se prévaloir, dans des circonstances normales, de la procédure des plaidoiries, de communication de pièces, etc., avant l'audition de sa demande de redressement et n'essaye nullement à mon avis, de modifier le principe général que ces tribunaux ne peuvent être traduits en justice, car, si tel était le cas, cette disposition constituerait certainement un abus de pouvoir puisque c'est la loi, et non les règles d'une cour, qui crée l'action en justice.
En raison du refus des intimées, le requérant ne peut pas bénéficier de la procédure adoptée dans les arrêts Radio -CHUM 1050 Ltd. c. Toronto Board of Education 27 et Dundurn Foods Ltd. c. Allen 28 , qui permettrait de considérer la présente requête comme une action.
On n'a pas demandé à la Cour d'écarter les dispositions de la Règle 603 mais, si une telle demande avait été faite, elle serait rejetée, car lorsque la règle d'une cour se contente de reformu- ler un principe important de procédure—spéciale- ment un principe relatif à l'introduction des procé- dures—qui a été en vigueur pendant des siècles et dont, sauf avec l'accord des parties, on ne s'est jamais écarté, la Cour doit se conformer à la procédure établie.
Puisque aucune action n'a été introduite et que le procureur général n'a été constitué défendeur dans aucune action, la requête aux fins de juge- ment déclaratoire est donc rejetée.
Comme je rejette la requête sur les exceptions préliminaires soulevées par les intimées, je m'abs- tiens intentionnellement d'exprimer une opinion sur le fond de l'affaire quoique les parties aient longuement plaidé au fond. Toute expression d'opi- nion sur le fond, favorable ou défavorable au requérant, pourrait bien avoir le même effet qu'une déclaration effective de la Cour, et j'ai déjà décidé que je ne dois faire aucune déclaration en l'espèce.
27 [1964] 1 O.R. 598.
28 [1964] 2 O.R. 75.
La requête est rejetée. Les intimées, et non l'intervenant, auront droit à leurs frais.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.