T-1679-75
«B» (Requérant)
c.
La Commission d'enquête relevant du ministère de
la Main-d'oeuvre et de l'Immigration et l'honora-
ble juge Claire L'Heureux-Dubé (Intimées)
et
Le procureur général du Canada (Intervenant)
Division de première instance, le juge Addy—
Montréal, le 2 juin et Ottawa, le 24 juin 1975.
Pratique—Redressements extraordinaires — Enquête — Le
requérant sollicite une ordonnance déclaratoire précisant que
les intimées n'ont pas compétence pour faire état de son
inconduite, et une ordonnance de prohibition—Exceptions pré-
liminaires—Le bref de prohibition peut-il être accordé, compte
tenu de la nature et des conséquences de la mission du
commissaire? La procédure aux fins de jugement déclara-
toire peut-elle être introduite par avis de requête?—Loi sur les
enquêtes, S.R.C. 1970, c. I-13, Partie II, art. 6—Loi sur la
Cour fédérale, art. 18, 28 et Règle 603.
Au cours d'une enquête, des témoignages ont fait état de la
prétendue inconduite du requérant. L'avocat de la commission
a demandé de recommander qu'une accusation d'inconduite soit
portée. Le requérant, par voie d'avis de requête introductif,
sollicite une ordonnance déclaratoire précisant que les intimées
n'ont pas compétence pour faire état de l'inconduite, et une
ordonnance de prohibition. Les intimées et l'intervenant sou-
tiennent que le bref de prohibition ne peut être accordé en
raison de la nature et des conséquences de la mission du
commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes et que la
procédure aux fins de jugement déclaratoire ne peut être
entamée par voie d'avis de requête.
Arrêt: la requête est rejetée sur les exceptions préliminaires.
Le bref de prohibition ne peut être accordé que s'il y a eu
exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires. C'est
l'étendue des fonctions, et non le fait que les droits d'une
personne pourraient être affectés, qui confère à la procédure un
caractère judiciaire ou quasi judiciaire. Puisqu'il ne s'agit pas
d'établir un droit et que le devoir de la commission consiste
seulement à faire un rapport, elle n'exerce pas une fonction
judiciaire ou quasi judiciaire et l'on ne peut émettre un bref de
prohibition. Quand une commission n'exerce pas une telle
fonction, la procédure appropriée est une action aux fins de
jugement déclaratoire et la partie à citer est le procureur
général à moins que la Loi n'autorise d'assigner directement la
commission, auquel cas on pourrait également obtenir d'autres
redressements. Lorsque aucun autre redressement ne peut être
octroyé, la Cour ne doit pas hésiter à accorder un redressement
déclaratoire en raison de la simple absence de précédent. En ce
qui concerne l'article 18a) de la Loi sur la Cour fédérale, le
législateur n'a pas voulu que tous les types de redressements
mentionnés soient applicables à tout tribunal fédéral sans tenir
compte de la nature de ses fonctions. Puisqu'une commission
exerçant des pouvoirs judiciaires ou quasi judiciaires ne pouvait
jamais faire l'objet d'une action en justice ou de redressements
en equity, et puisqu'on peut obtenir un redressement en vertu
de l'article 28, l'article 18 ne crée pas un nouveau redressement
par voie d'ordonnance déclaratoire dans un tel cas. L'article
18a) doit être interprété comme accordant la compétence lors-
qu'il s'agit d'une commission exerçant des fonctions non judi-
ciaires. Cet article accorde simplement une compétence qui
peut s'exercer si, et dans la mesure où, la commission est
soumise au contrôle judiciaire. Tout jugement déclaratoire
contre le procureur général aurait le même effet que s'il avait
été rendu contre la commission et l'article 18a) ne doit pas être
interprété comme élargissant la compétence de la Division de
première instance pour lui permettre de rendre une ordonnance
déclaratoire dans une action où un tribunal, qui normalement
n'est pas susceptible d'être assigné, serait le défendeur à la
place du procureur général. La Règle 603, en permettant
d'introduire, par voie d'action, la procédure aux fins de prohibi
tion et de certiorari, s'écarte d'un précédent; mais cette disposi
tion est une simple question de procédure et ne modifie pas le
principe général que ces tribunaux ne peuvent normalement
être traduits en justice.
Arrêts examinés: Driver Salesmen, Plant Warehouse and
Cannery Employees c. Board of Industrial Relations
(1967) 61 W.W.R. 484; Gruen Watch Company of
Canada Limited c. Le procureur général du Canada
[1950] O.R. 429; Radio -CHUM 1050 Ltd. c. Toronto
Board of Education [1964] 1 O.R. 599 et Dundurn Foods
Ltd. c. Allen [1964] 2 O.R. 75. Arrêts appliqués: Howarth
c. La Commission nationale des libérations conditionnel-
les (1975) 18 C.C.C. 385; Calgary Power Ltd. c. Copi-
thorne [1959] R.C.S. 24; Rex c. Legislative Committee of
the Church Assembly [1928] 1 K.B. 411; Guay c. Lafleur
[1965] R.C.S. 12; St. John c. The Vancouver Stock and
Bond Company Limited [1935] R.C.S. 441; Godson c. The
City of Toronto (1891) 18 R.C.S. 36; Dyson c. Le procu-
reur général [1911] 1 K.B. 410; Samuels c. Le procureur
général du Canada (1956) 1 D.L.R. (2=) 110; Simmonds c.
Newport Abercarn Black Vein Steam Coal Company
Limited [1921] 1 K.B. 616; La succession Grauer c. La
Reine [1973] C.F. 355; Hanson c. Radcliffe Urban Dis
trict Council [1922] 2 Ch. 490. Distinction établie avec
l'arrêt: Saulnier c. La Commission de police du Québec
(non publié, C.S.C. le 13 février 1975). Arrêt suivi: Lan-
dreville c. La Reine [1973] C.F. 1223.
REQUÊTE.
AVOCATS:
D. Boudreau et J. Grey pour le requérant.
J. Ahern pour l'intimée.
J. Ouellet et G. Côté pour l'intervenant.
PROCUREURS:
Lapointe, Rosenstein & Konigsbert, Mont-
réal, pour le requérant.
Ahern, de Brahant, Nuss & Drymer, pour les
intimées.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intervenant.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE ADDY: Il s'agit d'une des trois requêtes
présentées séparément par trois fonctionnaires du
ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration
à Montréal, aux fins d'obtenir un bref de prohibi
tion interdisant madame le commissaire intimée
d'enquêter sur eux, conformément aux termes du
décret en conseil qui l'a nommée.
L'avocat du requérant dans chaque affaire aussi
bien que celui des intimées sont convenus, aux fins
des trois requêtes, que les points de fait et de droit
en cause étaient identiques et que toutes trois
devaient être plaidées ensemble. L'avocat du pro-
cureur général du Canada a demandé que son
client soit autorisé à se joindre à la procédure en
qualité d'intervenant et non comme intimé. Les
parties étant d'accord, cette requête a été
accueillie.
A la demande de l'avocat du requérant dans
chaque affaire et avec l'accord de ceux des inti-
mées et de l'intervenant, compte tenu du fait que
l'affaire comporte de prétendus actes d'inconduite
sexuelle avec certains immigrants de sexe féminin,
j'ai rendu une ordonnance prescrivant que ni le
nom du requérant ni celui des autres personnes
concernées ne soient révélés au public et que, sauf
décision contraire, l'intitulé de la cause soit modi-
fié comme ci-dessus.
Par décret du conseil en date du 30 octobre
1973, annulant un décret antérieur pris aux mêmes
fins le 10 août 1973, l'honorable juge Claire
L'Heureux-Dubé, juge à la Cour supérieure du
district de Québec, a été nommée commissaire en
vertu de la partie 2 de la Loi sur les enquêtes',
pour faire enquête et rapport sur certaines affaires
relevant du ministère de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration. Voici les dispositions essentielles
pertinentes du décret du conseil:
... pour faire enquête et rapport sur l'état et la gestion de la
partie des affaires du ministère de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration (désigné ci-après comme «le Ministère») se
rattachant
S.R.C. 1970, c. I-13.
a) au sujet des dossiers du Ministère à Montréal, dont les
références figurent ci-après, aux questions associées à ces
dossiers et à leur traitement, à savoir: (plus de cent dossiers
sont visés ici par leurs numéros);
b) ... (ne concerne pas le point en question)
c) ... (ne concerne pas le point en question)
d) à la conduite de toute personne qui est ou qui a été au
service du Ministère dans la mesure où cette conduite a trait
à ses fonctions officielles à l'égard de l'une ou l'autre des
questions mentionnées aux alinéas a), b), c) et e); et
e) à toute question accessoire ou relative à l'une ou l'autre
des questions mentionnées aux alinéas a) à d);
A la première audition devant la commission, le
requérant, qui était représenté par un avocat, et
d'autres témoins ont déposé au sujet des rapports
intimes que celui-là avait prétendument eus avec
deux personnes du sexe féminin qui demandaient
le statut d'immigrant reçu. A la suite de ces
témoignages, l'avocat de la Commission, en pré-
sence du requérant et de son avocat, a passé en
revue la preuve relative à ce sujet et a fait des
observations à la Commission et demandé au com-
missaire d'envisager de recommander qu'une accu
sation d'inconduite soit portée contre le requérant.
Dans le but évident de se conformer aux exigen-
ces de l'article 13 de la Loi sur les enquêtes,
l'avocat de la Commission, avant de faire ces
observations, a notifié au requérant par écrit son
intention de ce faire; une fois ces observations
faites, madame le commissaire a ajourné l'audition
et avisé le requérant par écrit de la date fixée pour
sa reprise, c'est-à-dire le 22 mai 1975, et lui a fait
savoir par la même lettre qu'à cette date elle
examinerait la preuve en vue de statuer sur les
observations relatives aux allégations d'inconduite
proférées contre lui par l'avocat de la Commission
et l'a invité en même temps à s'y présenter avec ou
sans l'assistance d'un avocat pour se faire entendre
sur la question, s'il le désirait.
La veille de la date prévue pour la reprise de
l'audition, le requérant, par voie d'avis de requête
introductif, a demandé les redressements suivants:
1. une ordonnance déclaratoire, précisant que
les intimées n'avaient pas compétence pour faire
un rapport contre lui, faisant état de son incon-
duite; et
2. un bref ou une ordonnance de prohibition
contre les intimées les enjoignant de renoncer à
toutes autres procédures pouvant conduire à une
telle accusation d'inconduite.
Dès que la requête sollicitant un bref de prohibi
tion lui a été signifiée, la Commission ajourna
l'audition prévue pour le 22 mai, pour permettre
qu'il soit statué sur la présente requête.
La requête dont je suis saisi a été plaidée pour la
première fois le 26 mai 1975. La plaidoirie a alors
porté uniquement sur le bref de prohibition et
aucun des avocats n'a débattu, en aucune manière,
la question de savoir si on pouvait ou devait accor-
der une ordonnance déclaratoire.
Sur demande présentée par l'avocat des intimées
le lendemain des débats, une nouvelle date a été
fixée pour entendre une requête visant la réouver-
ture des débats. Enfin de compte, on a longuement
plaidé au fond devant moi le 5 juin 1975 et j'ai
alors attiré l'attention des avocats sur le fait qu'ils
n'avaient ni débattu ni apparemment envisagé la
question de savoir si un jugement déclaratoire
devait être rendu, et aussi sur le fait qu'au cas où
on solliciterait un tel redressement, la procédure
permettant de l'obtenir, si l'on devait respecter la
Règle 603, ne pouvait être introduite par voie de
demande par avis de requête, mais seulement par
voie d'action introduite par déclaration conformé-
ment à la Règle 400.
L'avocat du requérant, informé de la façon dont
la Cour envisageait la situation, a clarifié sa posi
tion en déclarant que la demande devait nettement
être considérée comme une demande d'ordonnance
ou de jugement déclaratoire, à titre de redresse-
ment sollicité concurremment ou subsidiairement.
Quand j'ai demandé aux avocats de l'interve-
nant et des intimées s'ils acceptaient que la Cour
considère aussi la présente demande comme une
action à laquelle ils seraient défendeurs, ils ont
tous deux refusé et affirmé carrément qu'on devait
poursuivre l'examen de la requête en tant que telle
et dans sa teneur actuelle. L'un et l'autre ont
soutenu que, sans tenir compte du fond de l'af-
faire, la demande doit être rejetée parce que le
bref de prohibition ne peut être accordé contre les
intimées en raison de la nature et des conséquences
de la mission d'un commissaire en vertu de la Loi
sur les enquêtes, et ont mis l'accent sur le fait que
la procédure aux fins de jugement déclaratoire ne
peut être entamée par voie d'avis de requête.
Pour bien répondre à ces deux exceptions préli-
minaires, il faut analyser la théorie moderne sur la
question à la lumière de l'histoire et de la nature
intrinsèque de ces redressements.
En common law, les brefs de prohibition, de
certiorari et de mandamus relevant de la préroga-
tive (c.-à-d. l'ancien bref de prérogative de man-
damus par opposition au mandamus de l'equity,
destiné à faire respecter un droit conféré par la law
ou par opposition au mandement ou injonction de
l'equity) étaient accordés exclusivement par les
cours de common law: banc du Roi ou de la Reine,
et constituaient un mécanisme par lequel les corps
inférieurs, y compris ceux qui sont institués par la
Couronne étaient soumis au contrôle juridictionnel
des cours supérieures. Il n'était pas possible d'in-
troduire par voie d'action ordinaire la procédure
entraînant l'émission de ces brefs de prérogative
pour la simple raison que les cours et organes
judiciaires, susceptibles d'être soumis à une telle
procédure, ne pouvaient être poursuivis en justice;
seules pouvaient l'être les personnes physiques et
les corporations. La procédure aux fins de bref de
prérogative devait être entamée par demande spé-
ciale à la cour, par voie de requête. (Voir Rich c.
Melancthon Board of Health 2 et Hollinger Bus
Lines Limited c. Ontario Labour Relations
Board 3 . )
Par contre, l'injonction, le jugement déclara-
toire, l'injonction péremptoire ou le mandement
d'equity étaient des sanctions propres à l'equity et
la procédure pouvait être introduite à la Cour du
chancelier par voie d'une plainte en equity. A
l'origine, la Cour de l'Échiquier d'Angleterre pos-
sédait aussi la compétence en equity pour émettre
des jugements déclaratoires contre la Couronne.
La différence réelle entre ces redressements s'est
estompée dans une certaine mesure à la fusion des
cours d'equity et de common law et, au cours des
récentes années, elle a eu tendance à disparaître
parce que, devant la plupart des tribunaux, tous
ces redressements, quelle qu'ait pu être leur ori-
2 (1912) 26 O.L.R. 48.
3 [1952] O.R. 366, à la page 379.
gine, s'obtiennent de la même façon, c'est-à-dire
par voie d'ordonnance directe de la cour. En outre,
alors que la procédure visant les redressements de
prérogative de common law, pour les raisons men-
tionnées ci-dessus, pouvait s'introduire uniquement
par requête spéciale à la cour, actuellement,
devant certaines cours comme la Cour fédérale du
Canada (voir Règle 603), la procédure peut main-
tenant être introduite par voie de déclaration.
Mais ni le fait que la même juridiction peut
accorder toutes les sanctions ci-dessus mention-
nées, ni le fait que la demande de redressement
peut être introduite au moyen d'un même genre de
procédure, ni le fait que la façon d'obtenir tous ces
redressements est identique (par ordonnance de la
cour), ne modifient ni ne changent en rien leur
nature intrinsèque ou leur but, et la règle demeure
que, si l'on peut obtenir un bref de prohibition ou
de certiorari, on ne pourra obtenir ni injonction ni
aucun autre redressement d'equity comme l'exécu-
tion en nature, l'injonction péremptoire ou le man-
damus d'equity; la réciproque est également vraie.
(Voir Hollinger Bus (précité) et Howe Sound
Company c. International Union of Mine, Mill
and Smelter Workers (Canada), Local 663 4 .)
Il a été fermement établi dès le début, et c'est
encore le cas aujourd'hui, que, pour être soumis au
contrôle par voie de prohibition, une personne ou
un organisme doit exercer des fonctions judiciaires
ou quasi judiciaires.
L'étendue des fonctions de la personne, de l'or-
ganisme ou de la commission qui exerce un pou-
voir constitue le facteur essentiel pour déterminer
s'il s'agit de fonctions judiciaires ou quasi judiciai-
res et le simple fait que les conclusions d'un tribu
nal pourraient affecter—et non pas déterminer—
les droits d'une personne ne rend pas la procédure
judiciaire ou quasi judiciaire.
Les décisions suivantes de la Cour suprême du
Canada corroborent ces théories, savoir:
1. Howarth c. La Commission nationale des libé-
rations conditionnelles'
[1962] R.C.S. 318.
5 (1975) 18 C.C.C. 385.
Pour déterminer si un organisme ou une personne exerce des
fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, il est nécessaire d'exa-
miner l'objet précis de ses fonctions et ensuite déterminer si on
lui fait un devoir d'agir de façon judiciaire.
Le juge Pigeon, rendant le jugement majoritaire de
la Cour suprême du Canada dans l'affaire
Howarth (précitée), a approuvé, à la page 389, la
citation susmentionnée, extraite de jugement du
juge Martland dans l'arrêt Calgary Power Ltd. c.
Copithorne 6 .
2. Dans l'arrêt Calgary Power Ltd. (précité), où il
était question d'une expropriation effectuée par
dépôt d'un avis au bureau d'enregistrement des
titres immobiliers, il a été décidé qu'il ne s'agissait
pas d'une procédure judiciaire. Le juge Martland,
à la page 30, après avoir énoncé le principe cité par
le juge Pigeon dans l'arrêt Howarth (précité), a
approuvé la déclaration du lord juge en chef
Hewart, dans l'arrêt Rex c. Legislative Committee
of the Church Assembly', à la page 415 où ce
dernier déclarait:
[TRADUCTION] ... il ne suffit pas qu'un organisme soit habilité
par la loi à trancher des questions touchant les droits de
citoyens; il faut en plus qu'il soit tenu d'agir de façon judiciaire.
3. L'arrêt Guay c. Laf leur 8 a décidé qu'une
enquête faite en vertu de la Loi de l'impôt sur le
revenu est purement administrative, puisque les
droits du contribuable n'en étaient pas affectés. Ils
pourront l'être seulement après la cotisation, qui
lui confère alors le plein droit d'être entendu et de
se prévaloir des divers appels prévus par la Loi.
4. Dans l'affaire St. John c. The Vancouver Stock
and Bond Company Limited 9 , une enquête a été
tenue en vertu de la Securities Fraud Prevention
Act de la Colombie-Britannique pour déterminer si
un acte frauduleux ou une violation de la Loi avait
été commis et il a été décidé qu'une telle enquête
ne constituait, en aucune façon, une procédure
judiciaire ou quasi judiciaire et que le simple fait
qu'une procédure puisse affecter—et non pas
déterminer—les droits d'une personne ne suffit pas
à lui conférer le caractère judiciaire ou quasi
6 [1959] R.C.S. 24.
' [1928] 1 K.B. 411.
s [1965] R.C.S. 12.
[1935] R.C.S. 441.
judiciaire.
5. L'arrêt Godson c. City of Toronto 10 porte sur
une enquête effectuée par un juge en qualité de
persona designata en vertu d'une résolution d'un
conseil municipal, prise conformément aux disposi
tions de la Municipal Act; l'enquête avait été faite
pour déterminer s'il y avait eu fraude, mauvaise
conduite, infraction ou abus de confiance de la
part des personnes ayant contracté avec la munici-
palité. La Loi prévoyait que le juge aurait les
pouvoirs conférés à un commissaire en vertu d'une
Loi sur les enquêtes publiques et avait pour mis
sion de présenter un rapport. L'arrêt de la Cour
d'appel de l'Ontario a été confirmé par la Cour
suprême du Canada et il a été décidé que cette
enquête ne constituait, en aucune façon, une pro-
cédure judiciaire, puisqu'elle avait pour objet d'ob-
tenir des renseignements pour le conseil en ce qui
concerne la conduite de ses membres, fonctionnai-
res et entrepreneurs et qu'à partir de ce rapport, le
conseil pourrait, à sa discrétion, prendre des
mesures.
Sur la question de savoir si l'enquête en question
dans la présente requête revêtait un caractère judi-
ciaire ou quasi judiciaire, l'avocat du requérant
s'est fondé presque entièrement sur l'arrêt récent,
unanime et non encore publié de la Cour suprême
du Canada dans l'affaire Saulnier c. La Commis
sion de police du Québec". Dans cette affaire,
l'appelant sollicitait un bref d'évocation, en vertu
du Code civil du Québec, contre la Commission
intimée, qui avait été instituée par le ministre de la
Justice et procureur général du Québec, conformé-
ment aux dispositions de l'article 20 de la Loi de
police de cette province, et qui avait pour mission
d'enquêter sur sa conduite en tant que directeur du
service de police de la ville de Montréal et de faire
rapport au Ministre. La Commission conclut que
Jacques Saulnier n'avait pas les aptitudes et la
compétence pour occuper le poste et recommanda
au Ministre, conformément à un article de la loi
provinciale créant le service de police, de prendre
des mesures contre lui. Par la suite, le Ministre
écrivit à la Commission pour lui faire savoir qu'il
avait l'intention de donner suite à la recommanda-
10 (1891) 18 R.C.S. 36.
" Arrêt rendu le 13 février 1975.
tion d'évaluer les aptitudes de l'appelant, dans le
but évident de déterminer à quel grade inférieur il
serait réduit.
A ce stade de la procédure, l'appelant demanda
l'émission d'un bref d'évocation. Le juge de pre-
mière instance fit droit à la demande; sa décision a
été infirmée par la Cour d'appel de la province de
Québec et rétablie par une décision unanime de la
Cour suprême du Canada. Il est possible que, en
violation d'une disposition spéciale de la Loi de
police lui accordant le droit d'être entendu, l'appe-
lant se soit vu refuser ce droit à l'audition; mais ce
point n'a certainement pas été soulevé devant la
Cour suprême du Canada, car le juge Pigeon, qui a
rendu la décision unanime de cette cour, a catégo-
riquement déclaré que la Cour ne statuait pas sur
le fond de l'affaire et que sa décision portait
uniquement sur la question de savoir s'il s'agissait
d'une affaire où l'on pouvait émettre un bref si les
circonstances le justifiaient. La question a été
tranchée en faveur de l'appelant au seul motif que
la Commission exerçait une fonction judiciaire ou
quasi judiciaire parce qu'elle était chargée de faire
un rapport d'enquête qui «peut avoir des consé-
quences importantes sur les droits des personnes
qui en font l'objet» et parce qu'elle «portait
atteinte» aux droits de l'appelant.
Cette décision m'a beaucoup préoccupé, car elle
a été rendue quatre mois après l'arrêt Howarth
(précité), par la même cour et semble porter sur la
ratio decidendi de l'arrêt Howarth lequel avait
suivi l'arrêt Calgary Power (précité), et les autres
arrêts que j'ai mentionnés, qui avaient été rendus
par cette même cour. A l'audience, j'ai demandé
aux avocats si l'un d'entre eux pouvait concilier la
ratio decidendi de l'arrêt Saulnier et celle de
l'arrêt Howarth et des autres arrêts suivis par
l'arrêt Howarth; ils ne m'ont proposé aucune solu
tion satisfaisante.
Comme l'a déclaré le juge Pigeon dans l'arrêt
Saulnier, la Commission faisait rapport au Minis-
tre qui, strictement parlant, avait encore juridique-
ment le pouvoir de mettre à exécution les recom-
mandations ou de ne pas le faire, et, d'un point de
vue pratique, on doit presque tenir pour acquis
qu'il suivrait la recommandation de la Commission
qu'il avait créée, mais il faut néanmoins se rappe-
ler que, dans l'affaire Howarth, il n'y avait aucune
autre autorité compétente pour régler la question
de révocation de la libération conditionnelle et que
la décision était définitive à tout point de vue et ne
représentait pas un simple rapport adressé à une
autorité supérieure. En outre dans l'affaire
Howarth la Commission avait à décider de la
liberté d'un sujet alors que dans l'affaire Saulnier
elle s'occupait des conditions de l'emploi de
celui-ci et de son éventuelle rétrogradation.
L'arrêt Saulnier n'a cité aucune décision anté-
rieure, à l'exception de l'arrêt Guay c. Lafleur
(précité), qui se distingue du fait qu'il a établi que
les droits d'un contribuable n'étaient pas affectés
par la cotisation. Puisque l'arrêt Saulnier n'a fait
aucune mention de l'arrêt Howarth qui, comme je
l'ai déjà dit, avait suivi plusieurs décisions anté-
rieures de la Cour suprême du Canada, je ne peux
pas conclure que, dans l'arrêt Saulnier, la Cour
entendait modifier le droit ou reviser l'interpréta-
tion qu'elle en avait faite dans ce dernier arrêt
majoritaire. Je ne peux non plus souscrire à l'opi-
nion de l'avocat du requérant, selon laquelle l'arrêt
Saulnier peut être considéré comme un précédent
établissant le principe que la procédure est judi-
ciaire ou quasi judiciaire, par le simple fait qu'une
loi accorde à une personne le droit d'être entendue
par un conseil ou une commission. L'arrêt Saul -
nier n'est pas censé établir ce principe. A ce sujet,
je trouve un appui considérable dans la décision de
mon collègue le juge Collier dans l'affaire La
succession Grauer c. La Reine" où il a décidé que,
dans les auditions tenues en vertu de l'article 18 de
la Loi sur l'expropriation 13 en ce qui concerne la
nécessité de l'expropriation, lorsqu'une disposition
spéciale prévoit que les parties seront entendues,
ces auditions revêtent un caractère purement
administratif puisqu'elles ne peuvent donner lieu
qu'à un simple rapport et que le fonctionnaire qui
en est chargé n'a pas le pouvoir de rendre une
décision.
Le principe selon lequel le droit, prévu par une
loi, d'être entendu ne confère pas à la commission
ou à la personne qui s'occupe de l'affaire le carac-
12 [1973] C.F. 355.
13 S.R.C. 1970, (1 Supp.) c. 16.
tère d'un tribunal quasi judiciaire, a été aussi
reconnu d'une manière implicite par le juge
Cartwright, tel était alors son titre, dans l'arrêt
Guay c. Lafleur (précité), où à la page 18 du
recueil il déclarait:
[TRADUCTION] D'une manière générale, sauf disposition
légale la rendant applicable, la maxime «audi alteram partent»
ne s'applique pas à un agent d'administration dont la fonction
consiste à recueillir des renseignements et à faire un rapport
Mon collègue le juge Pratte, siégeant à la Divi
sion de première instance dans l'affaire Landre-
ville c. La Reine", a décidé que la procédure
appropriée lorsqu'il s'agit d'un commissaire
nommé en vertu de la Partie I de la Loi sur les
enquêtes, est d'introduire une demande de juge-
ment déclaratoire et qu'un bref de certiorari ou
une ordonnance d'annulation ne peut être accordé
au motif que seule une décision peut être cassée.
Suivant cet arrêt et m'appuyant sur l'arrêt
Howarth et plus spécialement sur l'arrêt Godson
(précité), et sur les autres décisions de la Cour
suprême du Canada sur le sujet, je n'ai aucune
difficulté à conclure qu'en l'espèce, puisqu'il ne
s'agit, en aucune façon, d'établir un droit et puis-
que le devoir et les fonctions de la Commission se
bornent à faire un rapport, elle n'exerce pas une
fonction judiciaire ou quasi judiciaire et que l'on
ne peut donc émettre un bref de prohibition contre
elle, en dépit du fait que le droit du requérant à sa
réputation pourrait être sérieusement affecté et du
fait que la Partie II de la Loi sur les enquêtes
prévoit le droit statutaire de se faire entendre. La
seule mission de la Commission, en vertu de la
Partie II, consiste à «faire enquête et rapport».
(Voir l'article 6.)
Ayant décidé que le requérant n'a pas droit au
bref de prohibition, je dois maintenant examiner
s'il a droit à un jugement ou ordonnance déclara-
toire contre la Commission elle-même et s'il y a
droit dans la présente procédure telle qu'elle est
engagée.
Sauf dispositions légales spéciales, un conseil,
commission ou tribunal, qui ne remplit pas une
fonction judiciaire ou quasi judiciaire, n'est pas
soumis, en aucune façon, au contrôle direct des
cours; il n'est pas soumis au bref de prohibition ou
de certiorari parce qu'il n'est pas un conseil ou
14 [1973] C.F. 1223.
tribunal inférieur sur lequel les cours supérieures
de common law peuvent exercer leurs pouvoirs de
contrôle et il n'est soumis à aucune des procédures
d'equity susmentionnées, parce qu'il ne peut être
assigné en tant que partie et n'est donc pas justi-
ciable des cours.
Quoique certains jugements isolés aient décidé
le contraire, l'ensemble de la jurisprudence cana-
dienne suit le principe établi de longue date, selon
lequel les brefs de certiorari et de prohibition ne
sont pas des redressements subsidiaires à une
action aux fins d'injonction ou à une déclaration.
En tout cas, puisqu'un tribunal ou conseil judi-
ciaire n'est pas susceptible d'être assigné, on doit
recourir au bref de prohibition ou de certiorari et
non à une action déclaratoire (voir Hollinger Bus
(précité), et Crédit Foncier Franco-Canadien c.
Board of Review 15 ) sauf, bien entendu, disposition
légale prévoyant le contraire.
Dans un cas de prétendu abus de pouvoir où une
commission ou conseil public, comme un conseil
des relations du travail, s'apprête à exercer ou a
exercé des fonctions quasi judiciaires, on pourra
accorder un bref de prohibition ou de certiorari,
mais dans le cas contraire, le redressement, si tant
est qu'il y en ait un, s'obtient par voie d'action.
Naturellement alors le problème se pose immédia-
tement de savoir si le conseil est un organisme qui
peut être traduit devant les tribunaux dans une
action. En dehors des personnes physiques et des
corporations qui peuvent toujours être assignées en
common law, la législation permet maintenant
d'assigner de plein droit la Couronne soit directe-
ment soit par l'intermédiaire du procureur général.
Elle permet aussi d'assigner les sociétés, certains
conseils, commissions ou fonctionnaires lorsqu'une
loi spéciale les rend justiciables des cours en tant
que défendeurs. Il y a donc cinq catégories d'orga-
nismes susceptibles d'être assignés.
Dans plusieurs affaires, on a réussi à soumettre
aux procédures d'injonction un conseil dépourvu de
personnalité morale. Dans beaucoup de ces affai-
res, il semble qu'on n'ait pas soulevé la question de
savoir si le conseil lui-même était justiciable de la
cour en tant que défendeur, mais dans l'affaire
Driver Salesmen, Plant Warehouse and Cannery
Employees, Local Union No. 987 of Alberta c.
5 [1940] 1 D.L.R. 182.
Board of Industrial Relations 16 , il a été décidé
que, dans une action, le conseil dépourvu de per-
sonnalité morale était soumis aux procédures
d'injonction.
Dans d'autres espèces analogues, où on avait
soulevé la question de savoir si le conseil pouvait
être assigné en tant que partie à une action, il a été
décidé que, quoique la loi ne l'ait pas spécialement
prévu, aux fins d'une Loi sur les relations du
travail en vertu de laquelle le conseil avait été
établi, celui-ci était en fait une entité juridique
susceptible d'être traduite en justice à cet effet.
Cependant, il semble que ces quelques décisions
spéciales soient propres aux conseils des relations
du travail et s'expliquent, du moins dans une cer-
taine mesure, par la confusion entre la nature
d'une injonction et la nature des redressements que
l'on ne pouvait obtenir à l'origine que par des brefs
de prérogative. La règle, de loin la meilleure, est
que l'on doit utiliser la procédure de requête aux
fins de certiorari ou de prohibition lorsque le
conseil exerce une fonction quasi judiciaire. Par
contre, si le conseil n'exerce pas une fonction
judiciaire ou quasi judiciaire, la procédure appro-
priée serait alors une action aux fins de jugement
déclaratoire en equity et la partie à citer serait
normalement le procureur général à moins que la
loi n'autorise d'assigner directement le conseil,
auquel cas on pourrait également obtenir d'autres
redressements, tel que l'injonction, le mandement,
etc. Voir Joyce and Smith Company Limited c. Le
procureur général de l'Ontario"; Re Brown and
Brock and the Rentals Administrator' 8 et le juge-
ment d'appel à la page 565; Hodge c. Le procureur
général 19 ; et Dyson c. Le procureur général 20 où le
lord juge Farwell déclarait à la page 421 du
recueil:
[TRADUCTION] 1. Dans un cas comme celui-ci, on peut, à bon
droit traduire le procureur général en justice, en tant que
défendeur. Selon une règle bien établie depuis des siècles,
lorsque les biens de la Couronne sont directement affectés la
seule façon de procéder est par voie de pétition de droit, parce
que la Cour ne peut donner à la Couronne l'ordre de transférer
ses biens sans l'autorisation de celle-ci; mais quand les intérêts
de la Couronne ne sont qu'indirectement affectés, les cours
d'equity, soit la Cour du chancelier soit la Cour de l'Échiquier
dans ses attributions d'equity, (voir Deare c. Le procureur
16 (1967) 61 W.W.R. 484.
17 [1957] O.W.N. 146.
18 [1945] O.R. 554.
'9 (1839) 3 Y. & C. Ex. 342.
20 [1911] 1 K.B. 410.
général, 1 Y. & C. Ex. 197 la p. 208) pouvaient rendre et
rendaient des jugements déclaratoires et des ordonnances affec-
tant les droits de la Couronne. Les deux arrêts Pawlett c. Le
procureur général, Hardres' Rep. 465, et Hodge c. Le procu-
reur général, 3 Y. & C. Ex. 342, d'une part, et l'arrêt Reeve c.
Le procureur général, 2 Atk. 223, d'autre part, illustrent très
bien cette distinction. [C'est moi qui souligne.]
Dans l'arrêt Samuels c. Le procureur général du
Canada'', le juge d'appel Johnson, déclarait à la
page 114:
[TRADUCTION] Abordant en premier lieu l'appel de la Com
mission des transports aériens, on soutient que cette commis
sion n'est pas une entité juridique et ne peut être constituée
partie à cette action. L'avocat reconnaît que, dans les procédu-
res de certiorari ou de prohibition, de tels organismes créés par
des lois peuvent être constitués parties pour leur permettre de
se faire entendre, mais que ce droit n'existe pas dans des actions
comme celle-ci. On n'a cité aucune jurisprudence à l'appui de
ce principe et, théoriquement, il ne semble pas y avoir de
distinction valable entre les cas où, par exemple, on décline la
compétence d'un tribunal par la procédure de certiorari et ceux
où on le fait par demande de jugement déclaratoire. Ce droit
n'est pas non plus limité aux cas où une telle commission désire
comparaître. A tout droit correspond une obligation. Si ces
organismes ont le droit de comparaître en justice, on a le droit
de les assigner, au moins en vue d'obtenir un jugement déclara-
toire de la même nature que celui sollicité en l'espèce. L'arrêt
Barnard c. Nat'l Dock Labour Board [1953] 1 All E.R. 1113,
nous fournit un exemple récent où une commission créée par
une loi a été assignée en jugement déclaratoire sur une question
de compétence. [C'est moi qui souligne.]
En toute déférence, je n'approuve pas cette décla-
ration selon laquelle il n'y a pas de distinction
valable entre les cas où on décline la compétence
d'un tribunal par la procédure de certiorari et ceux
où on le fait par demande de jugement déclara-
toire, pour la simple raison qu'un tribunal judi-
ciaire ne pouvant pas être partie à une action ou
faire l'objet d'un procès régulier, il ne peut donc
pas être soumis à un jugement déclaratoire à
défaut de disposition spéciale autorisant une telle
procédure; et vice versa, une personne ou entité
que l'on peut assigner dans une action ne peut
faire l'objet d'une demande de certiorari. Quoique,
devant le juge auquel le cas était soumis, on n'ait
cité aucune jurisprudence à l'appui de ce principe,
il existe une pléthore de décisions qui l'établissent,
je les ai citées plus haut.
Même en l'absence d'autorisation légale, les per-
sonnes occupant une fonction relevant de la Cou-
ronne du chef du Canada peuvent faire l'objet de
jugements déclaratoires, quand elles exercent un
21 (1956) 1 D.L.R. (2e) 110.
pouvoir non autorisé par la loi. (Voir Gruen Watch
Company of Canada Limited c. Le procureur
général du Canada 22 et Landreville c. La Reine
(précité).)
Quand aucun redressement accessoire n'est solli-
cité, un jugement déclaratoire ne sera pas accordé
de plein droit dans tous les cas où les circonstances
le justifient. Le jugement déclaratoire relève de
l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire et ce pou-
voir doit être exercé avec la plus grande circons-
pection. (Voir Gruen Watch (précité); Markwald
c. Le procureur général 23 ; et aussi Russian Com
mercial and Industrial Bank c. British Bank for
Foreign Trade Limited24.)
D'autre part, le terme «redressement» doit être
interprété d'une manière large et libérale, comme
le déclarait le lord juge Bankes, dans l'arrêt Sim-
monds c. Newport Abercarn Black Vein Steam
Coal Company Limited 25 à la page 626:
[TRADUCTION] Il y a aussi un passage de mon jugement qui
semble à propos, je vais donc le citer. Après avoir déclaré qu'à
mon avis, la Cour peut accorder un jugement déclaratoire
chaque fois que l'on peut dire de la personne qui le sollicite,
qu'elle cherche un redressement, j'ai ajouté: «Quelle est la
signification du mot «redressement»? Une fois établi—c'est le
cas à mon avis,—que le mot redressement ne s'applique pas
uniquement à une cause d'action, il s'ensuit, semble-t-il, que le
mot lui-même doit être pris dans son acception la plus large.
Cependant, à cela il y a une limitation nécessaire, c'est-à-dire
que le redressement réclamé doit être quelque chose que la
Cour peut accorder sans agir d'une manière illégale, inconstitu-
tionnelle ou inéquitable, et qui n'est pas contraire aux principes
reconnus en vertu desquels elle exerce sa compétence. Sous
réserve de cette limitation, je ne vois rien qui puisse restreindre
le pouvoir discrétionnaire de la Cour dans l'exercice de sa
compétence que lui confère la règle d'accorder redressement, et
compte tenu de l'intérêt général et de la nécessité d'adapter
l'appareil judiciaire au besoin des plaideurs, je pense que la
règle doit recevoir l'interprétation la plus libérale possible.
[Mis en italiques par mes soins.]
En ce qui concerne le droit d'intervention de
cette cour, j'approuve le lord juge Warrington qui,
dans l'arrêt Hanson c. Radcliffe Urban District
Council 26 déclarait à la page 508:
[TRADUCTION] Voici un organisme public, susceptible dans
certaines circonstances d'empiéter sur les droits d'autres per-
sonnes. Il le fait sans aucun pouvoir. Il me semble que ce serait
tout simplement désastreux si la Cour n'avait pas le pouvoir de
22 [1950] O.R. 429.
23 [1920] 1 Ch. 348 la page 357.
24 [1921] 2 A.C. 438 la page 445.
25 [1921] I K.B. 616.
26 [1922] 2 Ch. 490.
rendre un jugement déclaratoire confirmant les droits de ces
personnes et empêchant cet empiétement injustifié.
Il semble que, dans le passé, la théorie générale
du droit reconnaissait clairement que, lorsque
aucun autre redressement ne pouvait être octroyé,
la Cour ne devait pas hésiter à accorder un redres-
sement déclaratoire dans les cas qui le justifiaient
réellement, en raison de la simple absence de
précédent et le droit semble postuler clairement
que le pouvoir d'accorder un tel redressement est
assez étendu, quoiqu'il s'agisse d'un pouvoir discré-
tionnaire qui doit s'exercer avec beaucoup de pré-
caution et de prudence.
A la lumière de ce qui précède, on peut mainte-
nant examiner l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale dans la mesure où il s'applique à une
demande de jugement déclaratoire. Cet article est
ainsi libellé:
18. La Division de première instance a compétence exclusive
en première instance
a) pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un bref
de mandamus, un bref de prohibition ou un bref de quo
warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire, contre
tout office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral;
et
b) pour entendre et juger toute demande de redressement de
la nature de celui qu'envisage l'alinéa a), et notamment toute
procédure engagée contre le procureur général du Canada
aux fins d'obtenir le redressement contre un office, une
commission ou à un autre tribunal fédéral.
Il faut maintenant examiner si, dans l'alinéa a),
le membre de phrase «rendre un jugement déclara-
toire, contre tout office, toute commission ou tout
autre tribunal fédéral» signifie qu'une ordonnance
ou jugement déclaratoire peut être accordé contre
tout office, commission ou tribunal fédéral, exer-
çant ou non des fonctions judiciaires, ou s'il signi-
fie qu'une ordonnance ou jugement déclaratoire ne
peut être accordé que contre les organismes qui
exercent des fonctions non judiciaires. La réponse,
dans une large mesure, dépend de la signification
que l'on doit donner aux mots «tout office, toute
commission ou tout autre tribunal», car ils pour-
raient s'appliquer aux autres types de redresse-
ments mentionnés dans l'alinéa. Puisque les redres-
sements sont très différents par leur nature et leur
but, je ne peux pas souscrire à la thèse selon
laquelle, en utilisant les mots «tout office, etc.»
dans une loi comme celle-ci qui définit la compé-
tence d'une cour, le législateur voulait aussi appor-
ter des modifications substantielles et profondes au
droit de telle manière que tous les types de redres-
sements mentionnés soient applicables, en tant que
tels, à tout office fédéral, etc., sans tenir compte de
leurs fonctions respectives. La Cour fédérale est
compétente en ce qui concerne tout office ou tribu
nal fédéral et peut accorder le redressement men-
tionné contre lesdits offices, etc., dans la mesure
où ils sont soumis au contrôle, compte tenu de la
nature fondamentale du redressement demandé et
du caractère et de la fonction de l'office contre
lequel on le demande. La Cour fédérale, tribunal
établi par la loi, ne possède pas le pouvoir inhérent
de contrôle qu'ont les cours supérieures des provin
ces et toute compétence qu'elle peut exercer doit
lui avoir été accordée par une loi. Je ne peux
certainement pas considérer que l'article 18 a insti-
tué les juges de la Division de première instance
comme des ombudsmen fédéraux en quelque sorte
ni qu'il crée de nouveaux droits d'action contre
tous les offices et tribunaux fédéraux, ce qui serait
le cas si, par exemple, on pouvait obtenir au choix
l'injonction ou le bref de mandamus contre de tels
offices ou tribunaux, sans tenir compte de leurs
fonctions.
En ce qui concerne l'ordonnance déclaratoire,
puisqu'un office ou une commission, exerçant des
pouvoirs judiciaires ou quasi judiciaires, ne pouvait
jamais faire l'objet d'une action en justice ou de
redressements ou procédures en equity, et puisque
le redressement approprié contre un tel organisme
s'obtient par voie de bref de prohibition ou d'exa-
men judiciaire par la Cour d'appel en vertu de
l'article 28, je ne peux pas considérer que l'article
18 a ainsi créé un nouveau redressement par voie
d'ordonnance déclaratoire. En ce qui concerne les
décisions ou actions d'un tel organisme, on ne peut
obtenir de jugements déclaratoires. Cependant,
puisqu'il faut donner un sens aux mots, ils doivent
donc être entendus comme accordant la compé-
tence sur un office fédéral, etc., exerçant des fonc-
tions non judiciaires.
L'autre question à résoudre est celle de savoir
qui de l'office, etc. ou du procureur général doit
être assigné comme partie au procès. Les lois
conférant une compétence doivent être interprétées
de façon restrictive et quand une interprétation
restrictive donne son plein effet à une loi, il n'y a
aucunement lieu d'interpréter celle-ci d'une
manière plus libérale, en matière de compétence.
Depuis plusieurs années déjà, on peut citer le
procureur général comme défendeur dans les
actions déclaratoires relatives à l'abus de pouvoir
de la part des fonctionnaires de la Couronne ou
d'organismes exerçant des pouvoirs au nom de la
Couronne. On ne doit pas non plus perdre de vue
que les jugements déclaratoires, contrairement aux
jugements exécutoires, ne peuvent être exécutés
contre la partie qui succombe par les voies norma-
les d'exécution ou par d'autres mesures coercitives
telles que l'amende ou l'emprisonnement pour
outrage au tribunal; mais comme le nom l'indique,
ils se bornent à déclarer ou proclamer l'existence
d'un rapport, d'une obligation juridique ou d'un
état de choses dans les circonstances de l'espèce.
Quoique le jugement lui-même ne soit pas exécu-
toire, en cas de violation de la déclaration qu'il
comporte, les actes qui en découlent deviennent
illicites et pourront bien conférer à la partie qui en
est victime le droit de réclamer ultérieurement des
dommages ou un autre redressement. Il s'ensuit
donc que tout jugement déclaratoire contre le pro-
cureur général aurait le même effet juridique que
s'il avait été rendu contre l'office lui-même et je ne
vois aucune raison valable d'interpréter l'article
18a) comme élargissant la compétence de la Divi
sion de première instance pour lui permettre de
rendre une ordonnance déclaratoire dans une
action où un office, qui normalement n'est pas
susceptible d'être assigné, serait le défendeur à la
place du procureur général.
En l'espèce, l'article 18b) n'offre aucun secours
au requérant puisqu'il vise spécialement un
«redressement de la nature de celui qu'envisage
l'alinéa a)». Le redressement doit être de la même
nature et, par exemple, engloberait les recours tels
que le mandement ou le redressement péremptoire
en equity, qui, étant de la même nature que l'in-
jonction, sont, malgré des similitudes sur certains
points, différents du mandamus de la law.
On a souvent dit que le législateur est censé
connaître le droit existant quand il adopte une loi
et, pour cette raison aussi, j'estime que l'on doit
considérer le jugement déclaratoire dont il est
question à l'article 18a) de la Loi sur la Cour
fédérale comme visant les cas où les organismes
n'exercent pas de fonctions judiciaires ou quasi
judiciaires mais sont simplement des personnes ou
organismes exerçant des pouvoirs revêtant un
caractère non judiciaire. De tels organismes appar-
tiennent indubitablement à l'une des catégories
d'entités définies comme constituant un office, une
commission ou un autre tribunal fédéral conformé-
ment à l'article 2 de la Loi. Cela est d'autant plus
évident si l'on considère que le recours par voie
d'injonction, mentionné à l'article 18a), ne peut
s'appliquer qu'à la personne ou organisme qui
n'exerce pas de fonctions judiciaires ou quasi judi-
ciaires alors que les brefs de certiorari et de prohi
bition ne s'appliquent qu'à l'organisme qui exerce
de telles fonctions.
Plusieurs questions intéressantes, qu'il n'est pas
nécessaire d'examiner pour statuer en l'espèce, se
posent à propos de l'article 18, en matière d'injonc-
tion et de mandamus: qui doit-on assigner, dans
quelle mesure et contre qui peut-on obtenir les
redressements? Ces redressements ne s'appliquent
pas à un office, etc., exerçant des fonctions judi-
ciaires, et la Couronne n'est pas soumise à l'injonc-
tion ou au mandamus. Il semblerait donc, dans un
tel cas, que c'est l'office ou la commission mêmes
s'ils étaient soumis à une telle action, qu'on devrait
citer comme partie défenderesse et non le procu-
reur général. Il y a également la question de savoir
si cette compétence ne peut s'exercer que si une loi
spéciale permet de citer l'organisme en justice ou
si l'article 18 lui-même soumet tous les offices
fédéraux exerçant des fonctions non judiciaires au
contrôle des tribunaux pour ces redressements.
Comme je l'ai déjà dit, j'estime que cet article
accorde simplement à la Cour une compétence
qu'elle peut exercer si et dans la mesure où un
office, une commission, etc. est soumis au contrôle
judiciaire.
La Règle 603 de la Cour fédérale, en disposant
qu'une procédure aux fins de jugement déclara-
toire doit s'introduire par voie d'action, ne fait que
se conformer au droit et à la procédure tels qu'ils
ont toujours existé. Cependant, on pourrait dire
qu'en permettant d'introduire par voie d'action les
procédures aux fins de prohibition et de certiorari,
la Règle 603 s'écarte d'un précédent établi depuis
longtemps puisque, pour les raisons que j'ai déjà
exposées en détail, les tribunaux les cours et les
organismes exerçant des fonctions quasi judiciaires
qui sont soumis aux brefs de prohibition et de
certiorari ne peuvent pas être traduits en justice
par voie d'action. Mais on doit considérer cette
disposition de la Règle 603 comme une simple
matière de procédure accordant à la personne qui
réclame le redressement, le droit de se prévaloir,
dans des circonstances normales, de la procédure
des plaidoiries, de communication de pièces, etc.,
avant l'audition de sa demande de redressement et
n'essaye nullement à mon avis, de modifier le
principe général que ces tribunaux ne peuvent être
traduits en justice, car, si tel était le cas, cette
disposition constituerait certainement un abus de
pouvoir puisque c'est la loi, et non les règles d'une
cour, qui crée l'action en justice.
En raison du refus des intimées, le requérant ne
peut pas bénéficier de la procédure adoptée dans
les arrêts Radio -CHUM 1050 Ltd. c. Toronto
Board of Education 27 et Dundurn Foods Ltd. c.
Allen 28 , qui permettrait de considérer la présente
requête comme une action.
On n'a pas demandé à la Cour d'écarter les
dispositions de la Règle 603 mais, si une telle
demande avait été faite, elle serait rejetée, car
lorsque la règle d'une cour se contente de reformu-
ler un principe important de procédure—spéciale-
ment un principe relatif à l'introduction des procé-
dures—qui a été en vigueur pendant des siècles et
dont, sauf avec l'accord des parties, on ne s'est
jamais écarté, la Cour doit se conformer à la
procédure établie.
Puisque aucune action n'a été introduite et que
le procureur général n'a été constitué défendeur
dans aucune action, la requête aux fins de juge-
ment déclaratoire est donc rejetée.
Comme je rejette la requête sur les exceptions
préliminaires soulevées par les intimées, je m'abs-
tiens intentionnellement d'exprimer une opinion
sur le fond de l'affaire quoique les parties aient
longuement plaidé au fond. Toute expression d'opi-
nion sur le fond, favorable ou défavorable au
requérant, pourrait bien avoir le même effet
qu'une déclaration effective de la Cour, et j'ai déjà
décidé que je ne dois faire aucune déclaration en
l'espèce.
27 [1964] 1 O.R. 598.
28 [1964] 2 O.R. 75.
La requête est rejetée. Les intimées, et non
l'intervenant, auront droit à leurs frais.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.