A-244-74
L'Association canadienne des amputés de guerre
(Requérante)
c.
Le Conseil de révision des pensions et la Commis
sion canadienne des pensions (Intimés)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges
Pratte et Urie—Ottawa, les 26 février et 14 mars
1975.
Examen judiciaire Le Conseil de révision des pensions
a-t-il interprété incorrectement l'art. 26(2) de la Loi sur les
pensions? Une interprétation en vertu de l'art. 81(3) de la loi
est-elle une décision au sens de l'art. 28 de la Loi sur la Cour
fédérale?—S'agit-il d'aune décision ... de nature administra
tive qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire
ou quasi judiciairea?—Loi sur les pensions, S.R.C. 1970, c.
P-7, art. 26(1) et (2) et 81(3)—Loi sur la Cour fédérale, art.
28.
En réponse à une demande en vertu de l'article 81(3) de la
Loi sur les pensions, le Conseil de révision des pensions a
interprété l'article 26(1) et (2) comme n'autorisant pas la
Commission canadienne des pensions à élargir la catégorie des
pensionnés à laquelle avaient été consentis des avantages spé-
ciaux en 1938.
Arrét: la décision est annulée et la question renvoyée au
Conseil; on devrait enjoindre ce dernier d'interpréter l'article
26(2) comme autorisant la Commission à établir la règle en
question, assortie d'une clause d'application générale, à condi
tion qu'elle le fasse de bonne foi dans le but de donner des
directives à ceux auxquels elle s'adresse sur la manière d'éva-
luer le degré d'invalidité. (1) L'«interprétation» du Conseil
constitue une décision au sens de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale. (2) En vertu de l'article 26(2), la Commission
légifère par délégation, réglementant ainsi le montant des
pensions; l'article 26(2) autorise l'établissement de la règle
proposée aussi longtemps qu'elle se fonde sur des appréciations
du taux d'invalidité résultant d'une blessure attribuable au
service militaire. Les paragraphes (1) et (2) de l'article 26
autorisent la Commission à adopter un principe du genre de
celui qui est soumis à notre examen et le Conseil a commis une
erreur en déclarant qu'elle aurait dû avoir une autorisation du
Parlement et que tout élargissement de ce principe est soumis à
une telle sanction.
Arrêt suivi: In re Danmor Shoe Company Ltd. [1974] 1
C.F. 22.
EXAMEN judiciaire.
AVOCATS:
B. N. Forbes et J. D. Adam pour la
requérante.
D. F. Friesen pour les intimés.
PROCUREURS:
Adam, Forbes, Singer, Ottawa, pour la
requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Je souscris à la
solution proposée en l'espèce par mon collègue le
juge Urie et à ses motifs de jugement pour autant
qu'ils traitent du pouvoir de la Commission de
préparer, en vertu de l'article 26(2), des instruc
tions pour l'avenir. Compte tenu de la complexité
de cette affaire, j'ai décidé d'énoncer aussi briève-
ment que possible mon raisonnement pour parvenir
à ce résultat.
Est présentée en vertu de l'article 28 une
demande d'annulation d'une «interprétation»
donnée le 23 juillet 1974 par le Conseil de révision
des pensions, en vertu de l'article 81(3) de la Loi
sur les pensions', qui avait en effet décidé que
l'article 26(2) de ladite loi 2 n'autorisait pas la
Commission canadienne des pensions à ajouter aux
«instructions et . à la table des invalidités» éta-
blies en vertu de cette disposition une clause libel-
lée comme suit:
Quand un pensionné, titulaire d'une pension stabilisée à un
taux d'au moins 50 p. 100 versée à l'égard d'une ou plusieurs
invalidités résultant d'une amputation ou d'une blessure ou
d'un traumatisme atteint l'âge de 55 ans, puis de 57 ans, puis
de 59 ans, l'évaluation de son invalidité devrait être majorée
chaque fois de 10%, sous réserve qu'il ne saurait y avoir plus de
trois augmentations dont aucune ne doit dépasser 10 p. 100 et
que l'évaluation totale ne doit pas excéder 100 p. 100.
' L'article 81(3) se lit comme suit:
(3) Le Conseil de révision des pensions doit recevoir toute
demande d'interprétation d'une disposition des Parties III à
VII de la présente loi présentée par la Commission, le chef
avocat-conseil du Bureau ou tout organisme d'anciens com-
battants constitué en corporation en vertu d'une loi du Parle-
ment du Canada.
2 L'article 26 est rédigé en partie comme suit:
26. (1) Sous réserve des dispositions de l'article 12, les
pensions pour invalidité doivent, sauf les prescriptions du
paragraphe (3), être accordées ou maintenues selon le degré
d'invalidité résultant de blessure ou de maladie ou de leur
aggravation, selon le cas, du requérant ou du pensionné.
(2) L'estimation du degré d'invalidité doit être basée sur
les instructions et sur une table des invalidités, que doit
préparer la Commission pour la gouverne des médecins et des
chirurgiens qui font les examens médicaux aux fins de
pension.
Avant d'examiner le fond de la demande, on doit
décider si cette cour est compétente en la matière.
En d'autres termes, il faut déterminer si une
«interprétation» donnée par le Conseil de révision
des pensions, en vertu de l'article 81(3) de la Loi
sur les pensions, constitue une «décision» dont
cette cour peut prononcer l'annulation en vertu de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale'.
Une interprétation donnée aux termes de l'arti-
cle 81(3) découle de la disposition législative sui-
vante: «le Conseil de révision des pensions doit
recevoir toute demande d'interprétation d'une dis
position des Parties III à VII ... présentée par la
Commission, le chef avocat-conseil du Bureau ou
tout organisme d'anciens combattants». Par consé-
quent, pour que cette cour soit compétente, il faut
en premier lieu que l'«interprétation» donnée par le
Conseil conformément à cette demande soit une
«décision» au sens de ce mot à l'article 28(1) de la
Loi sur la Cour fédérale. En second lieu, en
supposant que cette «interprétation» s'assimile à ce
type de décision, cette cour sera compétente s'il
s'agit d'une décision «autre qu'une décision ... de
nature administrative qui n'est pas légalement sou-
mise à un processus judiciaire ou quasi
judiciaire» 4 .
L'article 28(1) se lit comme suit:
28. (1) Nonobstant Particle 18 ou les dispositions de toute
autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et
juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision
ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de
nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office,
une commission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion
de procédures devant un office, une commission ou un autre
tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le
tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a
autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une
erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du
dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclu
sion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou
sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
4 On n'a soulevé aucune question quant à savoir si le Conseil
est tenu en droit, aux termes de l'article 81(3), de donner une
«interprétation». Selon moi, il incombe manifestement au Con-
seil de se prononcer sur toute «demande d'interprétation» ainsi
que l'autorise cette disposition.
Pour déterminer si une «interprétation» donnée
conformément à l'article 81(3) constitue une «déci-
sion» au sens de ce mot à l'article 28(1), je pense
qu'il faut tenir compte du fait que ce terme à
l'article en question n'englobe pas tout ce que peut
évoquer le mot «décision» dans son acception la
plus large. Par exemple, aux termes de l'article
11.1(1) de la Loi sur les pensions, le Bureau de
services juridiques des pensions a pour fonctions de
donner des conseils juridiques aux requérants cher-
chant à obtenir une pension et un avocat-conseil du
Bureau des pensions rend une décision, au sens
large de ce mot (portant sur ce que sont, selon lui,
les droits du requérant), lorsqu'il le conseille,
comme la Loi l'exige; et pourtant, il ne fait aucun
doute, selon moi, que l'avis juridique ainsi donné
ne constitue pas une «décision», au sens de ce mot à
l'article 28(1). En revanche, l'article 23 de la Loi
sur les relations de travail dans la Fonction publi-
que impose bien à la Commission des relations de
travail dans la Fonction publique de trancher cer-
taines questions de droit ou de compétence et,
d'après moi, dans ce cas, la Commission rend une
«décision», au sens de ce mot à l'article 28(1). Je
n'ai pas l'intention d'essayer d'énoncer maintenant
une règle permettant de tracer la ligne de démar-
cation entre ces deux catégories de décisions. Il
sera toujours temps d'essayer de le faire lorsqu'on
se sera familiarisé plus à fond avec les mécanismes
de l'article 28(1). Il suffit en l'espèce de décider de
quel côté de la ligne se situe une «interprétation»
en vertu de l'article 81(3).
Il n'existe aucun doute dans mon esprit qu'une
«interprétation», au sens de l'article 81(3), consti-
tue une «décision» relativement à la signification de
la disposition en cause. La difficulté de la ranger
dans une catégorie, au regard de l'article 28(1),
résulte de la difficulté à décider de l'effet juridique
d'une telle «interprétation». Si l'article 81(3)
n'avait d'autre effet que de faire du Conseil un
bureau de consultations juridiques pour les orga-
nismes énumérés audit article, de toute évidence,
les interprétations en vertu de l'article 81(3) ne
constitueraient pas des décisions au sens de l'arti-
cle 28(1). Toutefois, ce n'est pas, à mon avis, le
but ou l'effet de l'article 81(3). Cet article crée
plutôt un moyen rapide de résoudre les problèmes
d'interprétation de la Loi sur les pensions et je suis
convaincu que les interprétations données confor-
mément à cette loi ont un effet juridique contrai-
gnant, dont la portée n'a pas besoin, aux fins
actuelles, d'être précisées. Comme l'«interpréta-
tion» en vertu de l'article 81(3) a un effet juridique
contraignant et est l'objet même de cet article, j'en
conclus donc qu'il s'agit d'une «décision», au sens
de ce mot à l'article 28(1) de la Loi sur la Cour
fédérale.
Examinons maintenant si une interprétation en
vertu de l'article 81(3) est une décision autre
qu'une «décision ... de nature administrative qui
n'est pas légalement soumise à un processus judi-
ciaire ou quasi judiciaire». Une telle interprétation
ne relève pas, selon moi, de cette expression si elle
est
a) de nature législative, ou
b) de nature administrative et est légalement
soumise à un processus judiciaire ou quasi
judiciaire.
Selon moi, la meilleure approche consiste à
affirmer qu'une interprétation donnée en vertu de
l'article 81(3) constitue une décision de nature
législative (c'est-à-dire qu'elle équivaut à un règle-
ment qui est assimilable à une loi et a la même
force exécutoire) et, pour ce motif, relève de l'arti-
cle 28(1). Toutefois, il n'y a pas lieu d'exprimer
une opinion tranchée sur la question car, si une
telle interprétation n'est pas de nature législative,
elle est de nature administrative, de sorte qu'elle
relève, selon moi, de l'articlé 28(1) pour le motif
énoncé au paragraphe suivant.
Si une telle interprétation est de nature adminis
trative, elle est, selon moi, légalement soumise à un
5 Tout au moins, elles lient la Commission et les organismes
payeurs et peut-être même le Conseil lui-même et les tribu-
naux, sous réserve toujours de leur annulation sous le régime de
dispositions telles que l'article 28. Si une telle «interprétation»
lie le Conseil tant qu'elle n'a pas fait l'objet d'une annulation, il
se peut que l'«interprétation» mise en cause en l'espèce ait été,
après examen, jugée valide en vertu d'une première interpréta-
tion donnée par le Conseil, le 15 mai 1973, sous le régime de
l'article 81(3). Toutefois, ce point n'ayant pas été porté à notre
attention, nous n'avons donc pas à l'examiner. Dans le cas
contraire, tout laisse à penser que l'enquête aurait révélé que la
question restait en suspens et qu'aucune «interprétation» défini-
tive de ce point n'avait été donnée à cette époque. (Voir la lettre
de M. Jutras le 15 mai 1974, page 168: « ... cette question n'a
pas été débattue le 3 avril 1973».)
processus judiciaire ou quasi judiciaire. L'article
81(4) 6 de la Loi sur les pensions prévoit l'établis-
sement de règlements concernant la procédure que
devra suivre le Conseil pour l'«audition» et l'étude
de ces demandes d'interprétation. De toute évi-
dence, le législateur exige que les intéressés aient
eu l'occasion d'être entendus avant que le Conseil
ne donne une interprétation et que lesdites inter-
prétations soient soumises à un processus quasi
judiciaire.
Ma conclusion sur cette première question est
donc que la Cour est compétente pour trancher
cette demande présentée en vertu de l'article 28.
J'en viens maintenant à la question de fond
soulevée par cette demande introduite en vertu de
l'article 28.
Tout d'abord, avant d'examiner cette question, il
faudrait rappeler qu'en 1938, une première version
de la règle proposée, énoncée au second paragra-
phe des présentes, avait été ajoutée aux «instruc-
tions et ... à la table des invalidités» qui, avant
cette date, avaient été établies en vertu de la Loi
sur les pensions (maintenant article 26(2)). Toute-
fois, elle était libellée de manière à se limiter aux
invalidités «résultant d'amputations, de blessures
ou de traumatismes attribuables ou consécutifs à
un engagement direct avec l'ennemi». Lorsque ce
point a été soumis au Conseil et à cette cour, il a
été débattu comme si le problème était de savoir si
la Commission pouvait supprimer l'expression
«attribuables ou consécutifs à un engagement
direct avec l'ennemi» de la règle qu'elle avait éta-
blie initialement 7 . La question qu'il faut trancher
et que le Conseil aurait dû trancher, est posée,
selon moi, plus précisément, comme je l'ai indiqué,
au second paragraphe des présentes, à savoir:
e L'article 81(4) est ainsi rédigé:
(4) Le gouverneur en conseil peut établir des règlements
concernant la procédure que devra suivre le Conseil de
révision des pensions pour l'audition et l'étude des demandes
d'interprétation présentées en vertu du paragraphe (3).
Tout au long du dossier, on trouve des références aux
approbations «ministérielles» obtenues par la Commission avant
d'établir les différentes versions de la règle à diverses époques.
Toutefois, comme il ne paraît pas y avoir d'exigence dans la Loi
imposant à la Commission d'obtenir cette approbation, je ne
vois pas comment celle-ci a un effet sur les pouvoirs de la
Commission à l'avenir. Il n'est pas nécessaire, aux fins de la
présente demande, d'examiner si la consultation avec le Minis-
tre avait d'une quelconque façon influé sur la validité des
actions passées de cette commission indépendante.
La Commission canadienne des pensions peut-
elle, en vertu de l'article 26(2) de la Loi sur les
pensions, ajouter aux «instructions et ... à la
table des invalidités» établies en vertu de cette
disposition une clause libellée comme suit?:
Quand un pensionné, titulaire d'une pension stabilisée à
un taux d'au moins 50 p. 100 versée à l'égard d'une ou de
plusieurs invalidités résultant d'une amputation, d'une
blessure ou d'un traumatisme, atteint l'âge de 55 ans, puis
de 57 ans, puis de 59 ans, l'évaluation de son invalidité
devrait être majorée chaque fois de 10 p. 100 sous réserve
qu'il ne saurait y avoir plus de trois augmentations, dont
aucune ne doit dépasser 10 p. 100 et que l'évaluation totale
ne doit pas excéder 100 p. 100. 8
Il semblerait évident que, si la Commission peut,
dans le cadre des pouvoirs que lui confère l'article
26, adopter une règle en la forme de celle de 1938,
elle peut le faire en supprimant la restriction, de
sorte que la règle s'applique non seulement dans le
cas d'une pension d'invalidité relative à une bles-
sure résultant d'un «engagement direct avec l'en-
nemi», mais aussi dans le cas où cette invalidité
était par ailleurs «attribuable ou a été contractée
au cours du ... service militaire». Toutefois, si je
comprends bien la décision du Conseil, la Commis
sion n'avait pas le pouvoir, en vertu de l'article 26,
d'adopter la règle actuelle et, par conséquent, n'a
pas le pouvoir de la reprendre en en supprimant la
restriction 9 . Si le point de vue du Conseil s'avère
exact, il semblerait en découler que la règle
actuelle est nulle et de nul effet, à moins qu'il
n'existe une loi, dont il n'a pas été fait mention,
conférant un effet juridique à cette règle ultra
vires qui a été appliquée en fait pendant une
longue période.
8 En effet, la partie pertinente de la demande présentée en
vertu de l'article 81(3) se lisait comme suit:
Le Conseil de révision des pensions interprète les disposi
tions des paragraphes 26(1) et 26(2) de la Loi sur les
pensions, de telle sorte que la Commission ait le pouvoir
d'accorder les augmentations automatiques en fonction de
l'âge aux anciens membres des forces qui touchent une
pension à l'égard d'une amputation ou d'une blessure par
arme à feu résultant d'un accident; ...
9 Selon le Conseil, on devrait néanmoins admettre la règle
actuelle comme assortie d'un effet juridique car on l'applique
en fait depuis 1938, mais on ne peut l'élargir, sauf sur décision
du Parlement.
Avant de décider que la règle, telle qu'elle se
présente actuellement, excède totalement les pou-
voirs de la Commission en vertu de l'article 26,
conclusion qui, semble-t-il, aurait des effets pro-
fondément perturbateurs, il faut examiner ce que
la Commission fait au juste sous le régime de
l'article 26(2). A cette fin, il est tout d'abord
nécessaire d'exposer très brièvement la partie per-
tinente de la Loi sur les pensions.
L'article 12(1)a) de la Loi sur les pensions
prescrit qu'en ce qui concerne un certain type de
service militaire, des pensions sont accordées «con-
formément aux taux énoncés dans l'annexe A»,
lorsque la blessure ayant occasionné l'invalidité, au
sujet de laquelle la demande de pension est faite,
s'est produite au cours de ce service militaire ou y
est attribuable. A l'annexe A figure une échelle
des taux de pensions qui varient notamment avec
le «taux d'invalidité». Les demandes de pension
doivent être présentées à la Commission 10 qui doit
recueillir la documentation pertinente et mener les
enquêtes ", et enfin, si elle est convaincue que le
requérant a droit à une compensation, elle doit
«fixer le montant de la compensation à payer> 12 ;
celle-ci doit être accordée «selon le degré d'invali-
dité résultant de la blessure». 13
Nulle part dans la Loi, pour autant que j'ai pu
m'en assurer, il n'est stipulé expressément qu'un
rapport d'un médecin ou d'un chirurgien doit être
soumis à la Commission lorsque celle-ci accorde
une compensation en vertu de l'article 63. (La
production de ces rapports semblait sans doute
aller de soi sans qu'il y ait lieu de la mentionner
expressément dans la Loi.) Néanmoins, la seule
disposition de la Loi concernant les méthodes à
suivre pour déterminer le montant de la compensa
tion par rapport au «degré d'invalidité» résultant
de la «blessure» se trouve à l'article 26(2). Il s'agit
des pouvoirs de la Commission d'émettre «des ins
1° Article 61.
" Article 62.
12 Article 63(1)a).
13 Article 26(1).
trustions et une table des invalidités» pour la gou-
verne des médecins et des chirurgiens qui font les
examens médicaux aux fins de pension. L'article
26(2) prévoit par ailleurs que «d'estimation du
degré d'invalidité doit être basée» sur ces instruc
tions et sur cette table. Bien que je trouve quelque
peu curieux que l'article 26(2) stipule que la Com
mission doive préparer ces instructions et cette
table «pour la gouverne des médecins et des chirur-
giens qui font les examens médicaux aux fins de
pension», j'estime néanmoins que, considéré dans
son ensemble, l'article 26(2) autorise effectivement
la Commission à préparer des instructions et une
table des invalidités. Cette dernière devra elle-
même en tenir compte, aussi longtemps qu'elles
sont en vigueur, pour établir une compensation en
vertu de l'article 63(1), tout comme devront le
faire les médecins qui préparent les rapports sur
lesquels la Commission se fonde pour prendre ses
décisions. 14 En d'autres termes, en vertu de l'arti-
cle 26(2), la Commission légifère par délégation,
réglementant ainsi le montant des pensions, même
s'il s'agit d'un type de législation un peu différent
de celui auquel nous sommes habitués d'ordinaire.
Par conséquent, il faut en fait examiner si, une
fois établies les tables fixant les taux applicables
comme base de départ pour l'évaluation des invali-
dités dans le cas de diverses catégories de
blessures 15 , la Commission peut ajouter une ins
truction selon laquelle, lorsqu'un pensionné atteint
des âges déterminés dans le cas de certaines caté-
gories de blessures, ces taux seront majorés de
certains montants précis. 16
Le Conseil a estimé en fait dans ses motifs que
la règle, telle qu'énoncée en 1938, était ultra vires
14 De toute évidence, le seul but de ces instructions et de cette
table des invalidités est de constituer un point de départ pour le
cas normal et non de faire enfiler aux médecins ou à la
Commission une «camisole de force». Voir l'article 2.03 du
chapitre 2, qui est ainsi libellé:
La table des invalidités n'existe qu'aux fins d'aider la
Commission canadienne des pensions et les médecins à s'ac-
quitter de leurs obligations. Elle ne constitue aucunement des
normes définitives ou absolues.
I3 La partie restante du document émise en vertu de l'article
26(2).
16 Le principe proposé faisant l'objet d'un examen par suite
de la demande d'«interprétation».
des pouvoirs conférés à la Commission par l'article
26(2), car elle a été établie en vue d'accorder un
avantage supplémentaire à ceux qui avaient subi
une blessure en face de l'ennemi.
L'avocat du gouvernement a en fait déclaré à
cette cour que la règle proposée maintenant est
ultra vires des pouvoirs conférés à la Commission
en vertu de l'article 26, car elle accorde un avan-
tage en raison d'une invalidité résultant du vieillis-
sement et ne constitue pas une règle pour évaluer
l'invalidité résultant d'une blessure attribuable au
service militaire.
La requérante conteste devant cette cour la
proposition selon laquelle la règle est ultra vires
des pouvoirs de la Commission en vertu de l'article
26(2).
Selon moi, le Conseil a commis une erreur dans
son approche de la question en examinant en pre
mier lieu si la règle actuelle est valide, compte tenu
de la restriction limitant son application aux bles-
sures subies en face de l'ennemi. La seule question
à trancher était de savoir si l'on pouvait adopter
une règle d'application générale. De toute façon, il
n'existe, selon moi, aucune preuve dans le docu
ment émis par la Commission en vertu de l'article
26(2) de nature à étayer la conclusion du Conseil
selon laquelle l'intention de la Commission, en
1938, au moment de l'adoption de la règle pour la
première fois, était d'accorder un avantage pécu-
niaire supplémentaire aux personnes ayant subi
une blessure en face de l'ennemi." Manifestement,
la règle rajuste le taux d'invalidité résultant d'une
blessure à cause du vieillissement et constitue, par
conséquent, une règle d'évaluation. Il existe certai-
nes preuves indirectes indiquant que la règle en
question se fondait sur des avis médicaux selon
lesquels on savait par expérience que le taux d'in-
validité à cause de blessures graves augmentait en
fonction de l'âge. D'autre part, il existe certaines
preuves indirectes selon lesquelles cette règle a été
posée pour conférer un avantage aux personnes
i7 II n'y a pas lieu de mentionner le paragraphe 5 du chapitre
2 de ce document car il s'agit simplement de l'exposé de la
décision que cette demande présente en vertu de l'article 28
attaque.
ayant subi une blessure en face de l'ennemi. Je ne
suis pas certain que, même si l'on devait se pronon-
cer sur la validité de la règle établie au départ en
1938, il conviendrait d'examiner ces preuves indi-
rectes comme révélatrices de l'intention de la
Commission. 18
Quel que soit le statut juridique de la règle
actuelle, selon moi, l'article 26(2) autorise l'éta-
blissement de la règle proposée aussi longtemps
qu'elle se fonde sur des appréciations du taux
d'invalidité résultant d'une blessure attribuable au
service militaire.
Par conséquent, selon moi, la décision du Con-
seil mise en cause devrait être annulée et la ques
tion renvoyée à ce dernier en lui enjoignant d'inter-
préter l'article 26(2) comme autorisant la
Commission à établir la règle en question, assortie
d'une clause d'application générale, à condition
qu'elle le fasse de bonne foi dans le but de donner
des directives sur la manière d'évaluer le degré
d'invalidité «résultant d'un traumatisme ... ou de
son aggravation».
* * *
LE JUGE PRATTE: J'y souscris.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: En vertu de l'article 28, sont
demandés l'examen et l'annulation d'une décision
du Conseil de révision des pensions (ci-après
appelé le Conseil), tribunal constitué en vertu des
dispositions de la Loi sur les pensions, S.R.C.
1970, c. P-7, (ci-après appelé la Loi). En réponse à
une demande de la requérante présentée conformé-
ment à l'article 81(3) de la Loi, le Conseil a
interprété l'article 26(1) et (2) de la Loi comme
n'autorisant pas la Commission canadienne des
pensions (ci-après appelée la Commission) à élar-
gir la catégorie de pensionnés à laquelle avaient été
consentis des avantages spéciaux en 1938.
'$ Je dois indiquer que j'ai peine à concevoir comment on
aurait pu instruire des commissaires du fait que le taux d'invali-
dité augmenterait en fonction de l'âge si la blessure avait été
par suite d'un engagement direct avec l'ennemi et non autre-
ment. Toutefois la question de la validité de la règle actuelle ou
de cette restriction n'a pas été soulevée par la demande présen-
tée en vertu de l'article 28 et je n'exprime aucune opinion à cet
égard.
Pour comprendre la nature du problème posé, il
serait utile d'examiner brièvement l'économie de la
Loi.
La Loi a créé la Commission canadienne des
pensions pour succéder à la Commission de pen
sion du Canada. Aux fins de cette demande, l'arti-
cle 5(1) énonce de façon assez claire la compé-
tence et les attributions de la Commission:
5. (1) Sous réserve des dispositions de la présente loi et de
tout règlement, la Commission possède un pouvoir illimité, une
pleine autorité et une exclusive juridiction pour étudier et juger
toutes matières et questions concernant l'attribution, l'augmen-
tation, la diminution, la suspension ou l'annulation de toute
pension prévue par la présente loi et le recouvrement de tout
paiement en trop qui a pu être effectué; et le ministère et le
receveur général doivent assurer l'exécution des jugements de la
Commission.
L'article 12 figurant dans la Partie III de la Loi
confère le droit aux pensions aux différentes caté-
gories de personnes, conformément aux taux figu-
rant en annexe en cas de décès, de blessures ou de
maladies, attribuables au service militaire accom-
pli pendant la première guerre mondiale ou pen
dant la seconde guerre mondiale.
Les alinéas a),b),c) et g) de l'article 12(1) se
lisent comme suit:
12. (1) En ce qui concerne le service militaire accompli
pendant la première guerre mondiale ou pendant la seconde
guerre mondiale, et sous réserve de l'exception contenue au
paragraphe (2),
a) des pensions sont accordées aux membres des forces ou à
leur égard, conformément aux taux énoncés dans l'annexe A,
lorsque la blessure ou maladie ou son aggravation ayant
occasionné l'invalidité au sujet de laquelle la demande de
pension est faite, s'est produite au cours de ce service mili-
taire ou y est attribuable;
b) des pensions sont accordées relativement aux membres
des forces qui sont décédés, conformément aux taux énoncés
dans l'annexe B, lorsque la blessure ou maladie ou son
aggravation ayant occasionné le décès au sujet duquel la
demande de pension est faite, s'est produite au cours de ce
service militaire ou y est attribuable;
c) nulle déduction ne doit être effectuée sur le degré d'invali-
dité véritable d'un membre quelconque des forces qui a servi
sur un théâtre réel de guerre pendant la première ou la
seconde guerre mondiale, à cause d'une invalidité ou d'une
affection entraînant incapacité qui existait en lui antérieure-
ment à sa période de service dans l'une ou l'autre des guerres
susdites, mais le service accompli par un membre des forces
sur un théâtre réel de guerre ne peut être compté, pour les
fins du présent alinéa, que s'il a été fait dans la guerre
particulière à l'égard de laquelle la pension a été accordée
pour du service y accompli, et aucune pension ne doit être
payée pour une invalidité ou une affection entraînant incapa-
cité qui, à l'époque où il est devenu membre des forces, était
évidente ou a été consignée lors d'un examen médical avant
l'enrôlement;
g) sous réserve de l'exception prévue à l'alinéa c), lorsqu'une
pension a été accordée à un membre des forces qui a servi sur
un théâtre réel de guerre, soit pendant la première guerre
mondiale, soit pendant la seconde guerre mondiale, cette
pension doit être continuée, augmentée, diminuée ou discon
tinuée comme si l'invalidité complète avait été contractée
pendant le service, mais le service accompli sur un théâtre
réel de guerre ne peut être compté, pour les fins du présent
paragraphe, que s'il a été accompli pendant la guerre parti-
culière à l'égard de laquelle la pension a été accordée.
L'annexe A dont il est fait mention à l'alinéa a)
du paragraphe (1), fixe les différentes catégories
de pensions en les numérotant de 1 à 20. Chaque
catégorie comprend une échelle des taux d'invali-
dité qui semble être déterminée par référence à la
table des invalidités établie par la Commission
conformément à l'article 26(2) de la Loi, quoique
rien dans la Loi ne vienne confirmer cette impres
sion. Pour chaque catégorie, un pourcentage en
chiffres ronds constitue le taux annuel de pension.
Par exemple, la catégorie 5 s'applique à une
échelle d'invalidité comprise entre 78% et 82%. Le
taux annuel pour cette catégorie est fixé à 80%. Y
figure également le montant annuel payable, dans
chaque catégorie, au pensionné, son épouse et ses
enfants à charge.
Le Conseil de révision des pensions a interprété
les paragraphes (1) et (2) de l'article 26 qui
figurent également à la Partie III de la Loi. Cette
interprétation fait l'objet de la demande présentée
en vertu de l'article 28. Ces paragraphes sont ainsi
rédigés:
26. (1) Sous réserve des dispositions de l'article 12, les
pensions pour invalidité doivent, sauf les prescriptions du para-
graphe (3), être accordées ou maintenues selon le degré d'inva-
lidité résultant de blessure ou de maladie ou de leur aggrava
tion, selon le cas, du requérant ou du pensionné.
(2) L'estimation du degré d'invalidité doit être basée sur les
instructions et sur une table des invalidités, que doit préparer la
Commission pour la gouverne des médecins et des chirurgiens
qui font les examens médicaux aux fins de pension.
La procédure à suivre pour faire une demande
de compensation, pour déterminer l'admissibilité à
une compensation et le montant de celle-ci est
prévue à la Partie VI de la Loi. En premier lieu,
toute demande de compensation doit être présentée
à la Commission, comme le prescrit l'article 62.
Une fois la demande tranchée par la Commis
sion, si le requérant n'est pas satisfait, il peut de
plein droit présenter une autre demande à la Com
mission et, après la seconde décision, si le requé-
rant n'est toujours pas satisfait, la Commission
peut, à sa discrétion, étudier une demande
ultérieure.
Aux termes de l'article 67, un requérant qui
n'est pas satisfait quant au montant d'une compen
sation qui lui est accordée, peut demander une
audition par deux membres de la Commission et, si
sa demande est accueillie, les deux commissaires
désignés pour présider l'audition peuvent confir-
mer ou modifier la décision de la Commission
quant au montant de la compensation.
Les articles 68 72 inclusivement traitent du
cas d'un requérant qui n'est pas satisfait quant à
son admissibilité à une compensation ou dont la
compensation a été annulée ou réduite par la
Commission. Ces articles prévoient que le prési-
dent désigne trois membres de la Commission qui
sont constitués en comité d'examen pour entendre
le cas du requérant, la procédure relative à la
conduite de l'appel et la décision du comité
d'examen.
Un requérant qui n'est pas satisfait de la déci-
sion du comité d'examen ou de la décision des
deux membres de la Commission, désignés en
vertu de l'article 67, peut interjeter appel de la
décision devant le Conseil de révision des pensions.
Ce Conseil est indépendant de la Commission et se
compose d'un président et de quatre autres mem-
bres nommés par le gouverneur en conseil pour un
mandat fixe.
L'obligation pour le Conseil de recevoir toute
demande d'interprétation de toute disposition des
Parties III à VII de la Loi est prévue à l'article
81(3). C'était une requête introduite en vertu de
cet article qui menait à l'interprétation en cause.
Cet article est ainsi rédigé:
81. (3) Le Conseil de révision des pensions doit recevoir
toute demande d'interprétation d'une disposition des Parties III
à VII de la présente loi présentée par la Commission, le chef
avocat-conseil du Bureau ou tout organisme d'anciens combat-
tants constitué en corporation en vertu d'une loi du Parlement
du Canada.
Comme on l'a indiqué précédemment, la requé-
rante, en l'espèce, a adressé au Conseil une
demande d'interprétation des paragraphes (1) et
(2) de l'article 26 de la Loi. La décision du Conseil
du 23 juillet 1974, suite à l'audition consécutive à
cette demande d'interprétation, constitue l'objet de
la présente demande.
La demande d'interprétation, présentée le 10
avril 1974, découlait d'un «énoncé de principe» 19 de
la Commission relativement aux augmentations
automatiques de la pension en fonction de l'âge
pour certaines catégories de pensionnés; il était
inséré dans la table des invalidités et des instruc
tions de la Commission préparées sous le régime de
l'article 26(2) de la Loi.
Il ressort du dossier que l'énoncé de principe a
tout d'abord fait partie de la table avec l'approba-
tion du ministre des Pensions et de la Santé natio-
nale en 1938. Depuis, il a été modifié à plusieurs
reprises, chaque fois, semble-t-il, avec l'approba-
tion du Ministre. La version actuelle du principe
aurait été adoptée le 28 juin 1973, après son
approbation par le ministre des Anciens
combattants; 20 elle est ainsi libellée:
Quand un pensionné, titulaire d'une pension stabilisée à un taux
d'au moins 50 p. 100, versée à l'égard d'une ou de plusieurs
invalidités résultant d'une amputation ou affection attribuables
ou consécutives à un engagement direct avec l'ennemi, atteint
l'âge de 55 ans, puis de 57 ans, puis de 59 ans, il faut hausser
chaque fois de 10 p. 100 l'évaluation de son invalidité, sous
réserve qu'il ne saurait y avoir plus de trois augmentations,
dont aucune ne doit dépasser 10 p. 100, et que l'évaluation
totale ne doit pas excéder 100 p. 100.
Avant d'aborder le fond de la demande, il est
nécessaire d'examiner la prétention des intimés
selon laquelle l'interprétation en cause n'est pas
une décision ou une ordonnance, au sens de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. A cet
égard, il est manifeste, selon moi, que la Commis
sion d'appel des pensions est un office, une com
mission ou autre tribunal fédéral, au sens de ces
mots dans la Loi sur la Cour fédérale. Voici le
19 Comme on le verra, l'énoncé de principe s'assimile plus,
dans son contexte, à un règlement, une règle ou à une directive,
fait admis par les avocats. C'est pourquoi j'ai placé l'expression
«énoncé de principe» entre guillemets à ce stade de mes motifs;
l'expression sera toutefois utilisée toute seule par la suite, le
caractère véritable de l'utilisation de ce mot étant entendu.
20 Bien qu'on ait dit que le premier énoncé de principe et
chaque modification avaient reçu l'approbation ministérielle
avant leur adoption par la Commission et leur insertion dans la
table des invalidités et des instructions, rien dans la Loi n'im-
pose cette approbation préalable et le fait que ces approbations
ont été obtenues n'est pas déterminant.
raisonnement suivi par le juge en chef Jackett dans
l'affaire In re Danmor Shoe Company Ltd. [1974]
1 C.F. 22, aux pages 28 et 29, pour établir la
distinction entre une décision d'un office, une com
mission ou autre tribunal relativement à une
affaire pour laquelle il est compétent, et une décla-
ration d'un tel organisme dans le cadre d'une
question préliminaire ou interlocutoire qui ne tran-
che pas de façon définitive le litige qui lui est
soumis:
Une décision susceptible d'annulation en vertu de l'article 28(1)
doit donc être une décision prise dans l'exercice ou le prétendu
exercice d'«une compétence ou des pouvoirs» conférés par une
loi du Parlement. Il va de soi qu'une décision du tribunal, prise
en vertu d'«une compétence ou des pouvoirs» expressément
conférés par la loi, est une «décision» relevant de cette catégo-
rie. Une décision prise dans le prétendu exercice d'«une compé-
tence ou des pouvoirs» conférés par la loi relève aussi manifeste-
ment de l'article 28(1). Une décision de ce genre a pour effet
juridique de régler l'affaire, ou elle prétend avoir cet effet. Une
fois que, dans une affaire donnée, le tribunal a exercé sa
«compétence ou ses pouvoirs» en rendant une «décision», la
question est tranchée et même le tribunal ne peut y revenir. (A
moins, bien sûr, qu'il ait les pouvoirs exprès ou implicites de
défaire, ce qu'il a fait, ce qui est une compétence
supplémentaire.)
Il existe une différence manifeste entre une «décision» de la
Commission dont l'objet relève de sa «compétence et de ses
pouvoirs» et une déclaration de ladite Commission sur la nature
des pouvoirs qu'elle va exercer pour rendre une décision rele
vant de sa «compétence ou de ses pouvoirs». Une fois que la
Commission, dans une affaire donnée, a rendu une décision
relevant de sa «compétence ou de ses pouvoirs», cette décision a
un effet juridique et la Commission a épuisé ses pouvoirs à
l'égard de cette affaire. Cependant, lorsque la Commission
prend position sur la nature des pouvoirs qu'elle a l'intention
d'utiliser, cette «décision» n'a aucun effet juridique. Dans un tel
cas, il n'y a pas eu décision en droit.
L'article 81(3) prescrit au Conseil de recevoir
toute demande d'interprétation d'une disposition
des Parties III à VII de la Loi présentée, comme
en l'espèce, par tout organisme d'anciens combat-
tants. Pour autant que je sache, aucune disposition
expresse de la Loi n'indique qu'une interprétation
ainsi préparée est définitive et engage toutes les
parties pour toutes les affaires à venir; la décision
du Conseil n'est cependant pas une simple déclara-
tion, c'est une décision dans le cadre de ses pou-
voirs exprès qui, en tant que telle, est susceptible
d'examen sur demande présentée en vertu de l'arti-
cle 28. Décider que ce n'est pas une décision de ce
genre rendrait inutile toute interprétation faite en
vertu de ce paragraphe. 21
L'avocat de l'intimé a prétendu que le critère
pour déterminer la nature de la décision en cause
consiste, en premier lieu, à savoir si la décision est
définitive ou si le tribunal a le droit de changer
d'opinion et, en second lieu, à savoir si la décision
a un quelconque effet juridique. D'après lui, la
réponse à ces deux questions, en ce qui concerne
une décision du Conseil sur une demande d'inter-
prétation en vertu de l'article 81(3), doit être
négative.
Une fois que le Conseil a donné son interpréta-
tion, elle doit avoir un effet juridique permanent,
lier la Commission qui doit l'appliquer en mettant
en oeuvre la Loi. Cet effet juridique se poursuivra
et, me semble-t-il, liera aussi bien le Conseil que la
Commission jusqu'à ce qu'un tribunal, dans le
cadre d'une demande de ce genre, décide que
l'interprétation donnée était erronée. Les argu
ments des intimés fondés sur les deux critères
énoncés par leur avocat doivent donc, selon moi,
être jugés irrecevables.
En supposant que la décision exigée est «une
décision ou ordonnance ... de nature administra
tive», au sens de ces mots à l'article 28(1) de la Loi
sur la Cour fédérale, il est alors nécessaire de
déterminer si elle est légalement soumise à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire. L'article
81(4) autorise le gouverneur en conseil à établir
des règlements «concernant la procédure que devra
suivre le Conseil de révision des pensions pour
l'audition et l'étude des demandes d'interprétation
présentées en vertu du paragraphe (3)». (C'est moi
qui souligne.) Aucune règle de procédure n'a été
ainsi fixée, bien que la Cour ait été avisée que le
Conseil suivait des règles de procédure non offi-
cielles. Ce point n'est pas déterminant car ce para-
graphe stipule très clairement que tout examen de
la demande se fera à l'audition. Il s'agit donc d'une
21 L'emploi du terme «interprétation» à l'article 81(1) con-
traste avec son emploi à l'article 81(3). Dans le premier cas, la
«décision» à laquelle la Commission doit parvenir vise à tran-
cher un appel interjeté d'une compensation ou d'une admissibi-
lité. L'«interprétation» que le Conseil est tenu de faire dans le
cadre de l'appel n'est pas, à mon avis, une «décision» définitive
ou une ordonnance, au sens de ces mots à l'article 28, alors que
l'interprétation prescrite au paragraphe (3) l'est. Toutefois, il
n'est pas nécessaire dans la présente demande de décider si
cette distinction apparente est justifiée.
décision soumise à un processus judiciaire ou quasi
judiciaire.
Venons-en maintenant au fond du litige; voici
l'extrait pertinent de la demande d'interprétation
soumise au Conseil de révision des pensions:
[TRADUCTION] SACHEZ QUE le Secrétaire national de l'Associa-
tion canadienne des amputés de guerre, conformément à l'arti-
cle 81(3) de la Loi sur les pensions, demande
(1) Que le Conseil de révision des pensions accueille une
demande d'interprétation, présentée en vertu des paragraphes
(1) et (2) de l'article 26 de la Loi sur les pensions, portant
que la Commission est autorisée à prévoir une augmentation
automatique selon l'âge aux anciens membres des forces
titulaires d'une pension résultant d'une amputation ou d'une
blessure par arme à feu due à un accident; et
(2) Que le Conseil s'est mépris en décidant, le 15 mai 1973,
que toute politique d'augmentation automatique selon l'âge
nécessiterait une mesure législative; et ....
En rendant sa décision, le Conseil a décidé en
fait que la Commission, aux termes de l'article 26,
n'était pas habilitée à adopter l'énoncé de principe
actuel, mais qu'il conviendrait néanmoins de lui
accorder un effet juridique car il était en fait
appliqué depuis 1938, mais qu'il ne pouvait être
élargi, si ce n'est par le législateur.
La requérante a soutenu devant cette cour que
le Conseil de révision des pensions avait commis
une erreur de droit, faute de déclarer ultra vires la
restriction insérée dans la disposition de la table
des invalidités relative à l'augmentation automati-
que selon l'âge et limitant son application aux
pensionnés dont l'amputation ou la blessure étaient
attribuables ou résultaient d'un engagement direct
avec l'ennemi, du fait que cette restriction allait à
l'encontre des pouvoirs conférés à la Commission
par l'article 26(2) de la Loi.
Selon moi, il faudrait en premier lieu souligner
que les instructions et la table des invalidités auto-
risées par l'article 26(2) s'inscrivent «pour la gou-
verne des médecins et des chirurgiens qui font les
examens médicaux aux fins de pension», lorsqu'il
s'agit d'évaluer le taux d'invalidité du requérant. Il
est donc utile de s'arrêter à l'économie de la table
des invalidités. Le chapitre 1 comporte une intro
duction et des définitions; le chapitre 2 donne des
directives générales à l'usager; et dans les 18 cha-
pitres suivants, on donne des directives générales
aux médecins qui examinent des types particuliers
d'amputation, de blessures et de maladies, en four-
nissant pour chaque cas les tables d'évaluation,
exprimées en pourcentages, pour l'invalidité du
requérant en cause. C'est sur le chapitre 2 que se
fonde la présente mesure.
Il est surprenant que l'avocat des intimés ait
prétendu que tout énoncé de principe était ultra
vires, et non simplement la clause limitant son
application aux pensionnés dont les invalidités
résultaient ou étaient attribuables à un engage
ment direct avec l'ennemi. Il fonde sa plaidoirie
sur le fait que nulle part dans la Loi il n'est prévu
que, lorsqu'un intéressé atteint un âge donné, il
devient automatiquement admissible à la pension
et que la compensation doit être établie, comme le
prescrit l'article 26, selon le degré d'invalidité.
Pour étayer son point de vue, l'avocat se réfère à la
Partie VI de la Loi dans laquelle est exposée la
procédure pour demander et recevoir une pension
et interjeter éventuellement appel. Selon sa plai-
doirie, il ressort clairement de la lecture des arti
cles de cette partie concurremment avec l'article
26(1) que la Commission doit fixer une première
compensation et que tout changement à celle-ci
doit intervenir sur une base individuelle «selon le
degré d'invalidité» et non pas automatiquement en
fonction de l'âge, indépendamment de tout chan-
gement réel dans l'invalidité du pensionné qui a
atteint l'âge donné.
Je ne crois pas que l'énoncé de principe, lors-
qu'on le lit conjointement avec les directives consé-
cutives au chapitre 2 de la table des invalidités,
étaye l'argumentation des intimés selon laquelle la
compensation est automatique dans le sens pro-
posé. Le paragraphe 4 du chapitre 2 est ainsi
rédigé:
[TRADUCTION] 4. Les directives suivantes concernant l'ap-
plication du principe de l'augmentation automatique en fonc-
tion de l'âge continuent à s'appliquer:
a) le seul fait qu'une invalidité restera vraisemblablement
supérieure à 50% ne constitue pas en soi une exigence
suffisante pour qu'on accorde une augmentation automatique
selon l'âge.
b) la Commission doit être convaincue que l'invalidité ne va
vraisemblablement pas augmenter.
c) lorsque l'évaluation d'une invalidité a été maintenue au
même niveau pendant 10 ans et plus, on peut estimer que
l'invalidité ne va vraisemblablement pas augmenter.
d) un pensionné victime d'une ou plusieurs invalidités avec
une évaluation fixe dans une échelle comprise entre 48% et
52% et dont la pension est, par conséquent, payable au taux
de 50%, est admissible au bénéfice d'une compensation en
vertu du principe énoncé précédemment. [C'est moi qui
souligne.]
L'avocat a par ailleurs admis que, tandis que les
dossiers des pensionnés, titulaires de pension excé-
dant 50%, sont soumis automatiquement à un
examen, lorsque ceux-ci atteignent 55 ans, 57 ans
et 59 ans, les augmentations ne sont pas accordées
automatiquement. A ce moment-là, le pensionné
est examiné par les médecins, l'histoire détaillée de
son cas fait l'objet d'un examen complet. Si la
Commission est alors convaincue que les directives
énoncées à l'article 4 du chapitre 2 de la table des
invalidités de même que les critères énoncés ail-
leurs dans la table ont été satisfaits, il y aura une
augmentation de 10% de ses prestations de pen
sion. La Cour a été informée que l'octroi d'une
pension a toujours été fondé sur le degré d'invali-
dité exprimé en pourcentage. Des pensionnés
atteints d'incapacité semblable devraient, aux
termes de ce système, recevoir, autant que possi
ble, des pensions analogues. Bien évidemment, ces
pourcentages sont fixés arbitrairement par la
Commission afin d'uniformiser l'application de la
Loi. L'utilisation d'un pourcentage supplémentaire
arbitraire relatif à une invalidité que la Commis
sion déclare, sur le conseil des médecins, aggravée
par le vieillissement, se conforme, selon moi, avec
la seule façon logique d'appliquer la Loi, ce qu'on
a fait dès le départ.
En d'autres termes, la table des invalidités four-
nit des indications aux conseillers médicaux de la
Commission pour l'aider à évaluer le degré d'inva-
lidité du pensionné, tant en regard de sa demande
originale de pension que, par la suite, pour l'esti-
mation du degré d'invalidité supplémentaire à des
âges donnés. C'est la Commission qui fixe la com
pensation en définitive et elle peut admettre ou
rejeter les conclusions des médecins. Par consé-
quent, selon moi, l'article 26(1) et (2) autorise la
Commission à adopter un principe du genre de
celui qui est soumis à notre examen et le Conseil a
commis une erreur en déclarant qu'elle aurait dû
avoir une autorisation du Parlement et que tout
élargissement de ce principe est soumis à une telle
sanction.
Toutefois, je ne pense pas que les articles en
cause ou toute autre disposition de la Loi permet-
tent de restreindre l'application de ce principe aux
personnes dont les invalidités sont dues ou résul-
tent d'un engagement direct avec l'ennemi.
Comme on l'aura remarqué, les alinéas 12(1)a) et
b) prévoit que les pensions seront accordées aux
bénéficiaires en cas de décès, de blessures ou de
maladies qui se sont produites au cours du service
militaire ou attribuables à celui-ci. Les alinéas c)
et g) de ce paragraphe s'appliquent apparemment
aux personnes qui sont servi «sur un théâtre réel de
guerre» et cette expression est définie comme suit à
l'article 2(1) de la Loi:
«service sur un théâtre réel de guerre» signifie
a) tout service à titre de membre des forces de l'armée ou
des forces aériennes du Canada au cours de la période
commençant le 14 août 1914 et se terminant le 11 novembre
1918, dans la zone des armées alliées sur l'un des continents
européen, asiatique ou africain, ou en tout autre lieu où le
membre a été blessé ou a contracté une maladie comme
conséquence directe d'un acte hostile de l'ennemi;
b) tout service à titre de membre des forces navales du
Canada au cours de la période visée à l'alinéa a), en haute
mer ou en n'importe quel lieu où le contact avec les forces
hostiles de l'ennemi a été établi, ou en tout autre lieu où le
membre a été blessé ou a contracté une maladie comme
conséquence directe d'un acte hostile de l'ennemi; et
c) tout service à titre de membre des forces au cours de la
période commençant le l er septembre 1939 et se terminant
(i) le 9 mai 1945, lorsque le service a été fait où que ce
soit hors du Canada, et
(ii) le 15 août 1945, lorsque le service a été fait dans
l'océan Pacifique ou en Asie,
ou en quelque lieu au Canada où le membre a été blessé ou a
contracté une maladie comme conséquence directe d'un acte
hostile de l'ennemi.
Comme on peut le voir, nulle part dans cette
définition ni, évidemment, ailleurs dans la Loi,
n'apparaît l'expression «attribuables à un engage
ment direct avec l'ennemi ou en résultant». D'ail-
leurs, aucune disposition ne confère à la Commis
sion le pouvoir, lorsqu'elle décide de l'admissibilité
à la pension ou du montant d'une compensation, de
faire une distinction entre les personnes dont les
invalidités sont imputables à un engagement direct
avec l'ennemi et celles qui découlent d'un accident.
Par conséquent, imposer ce genre de restriction
excède les pouvoirs de la Commission. Toutefois,
puisque, comme je l'ai déjà établi, elle a effective-
ment le pouvoir en vertu de la Loi d'émettre un
énoncé de principe sans une telle restriction, l'in-
terprétation du Conseil est erronée et doit être
annulée. Il convient donc d'ordonner au Conseil de
réviser son interprétation de l'article 26(2), étant
entendu que ce dernier autorise la Commission
d'étendre l'application du principe en question à
toutes les personnes titulaires de pensions d'invali-
dité à un taux fixe de 50% ou plus eu égard à une
amputation ou une blessure, pourvu qu'il ne serve
qu'à instruire les personnes à qui il est destiné de
la façon dont on doit évaluer le degré d'invalidité.
Pour les motifs mentionnés précédemment, je
souscris à l'ordonnance proposée par le juge en
chef.
* * *
LE JUGE PRATTE: J'y souscris.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.