A-189-74
In re Daigle et in re La Commission canadienne
des transports
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Pratte et le juge suppléant Hyde—Montréal, les 4
et 5 mars 1975.
Examen judiciaire—Accident de chemin de fer—Enquête de
la Commission canadienne des transports—Rapport concluant
à la négligence du requérant—Validité de l'ordonnance de la
CCT interdisant au requérant d'assurer le contrôle de la
circulation des trains—Contravention aux exigences de la
justice naturelle—Ordonnance que la CCT n'avait pas le pou-
voir de rendre—Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c.
R-2, art. 226(1) et (2)—Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
Le requérant, employé de la Compagnie des chemins de fer
Nationaux du Canada, a, en vertu de l'article 28 de la Loi sur
la Cour fédérale, présenté une demande d'examen d'une ordon-
nance rendue par la Commission canadienne des transports, à
la suite d'un accident ferroviaire et qui lui a interdit d'assurer le
contrôle de la circulation des trains.
Arrêt: L'ordonnance a été rendue de manière irrégulière et
doit être annulée. La CCT n'a pas respecté la règle audi
alteram partem, car elle n'a pas informé le requérant des
accusations portées contre lui et des conséquences qui pouvaient
en découler et ne lui a pas donné l'occasion d'y répondre. En
outre, la CCT n'agissait pas dans le cadre des pouvoirs qui lui
sont conférés par l'article 226 de la Loi sur les chemins de fer
quand elle a décidé d'interdire à M. Daigle d'effectuer un
certain genre de travail. En vertu de cet article, la CCT pouvait
seulement »ordonner à la compagnie de suspendre ou de desti-
tuer» le requérant.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
L. Racicot pour le requérant.
M. W. Wright, c.r., pour la Canadian Railway
Labour Association.
D. J. Murphy pour la Commission canadienne
des transports.
PROCUREURS:
Racicot, Guertin & Roy, Montréal, pour le
requérant.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady & Morin, Ottawa, pour la Canadian
Railway Labour Association.
La Commission canadienne des transports,
Ottawa, pour la Commission canadienne des
transports.
Voici les motifs du jugement prononcés orale-
ment en français par
LE JUGE PRATTE: Monsieur Daigle est un
employé de la Compagnie des Chemins de fer
Nationaux du Canada. Il attaque la décision de la
Commission canadienne des transports qui, à la
suite d'un accident de chemin de fer, lui a interdit
de continuer d'assurer le contrôle de la circulation
des trains.
Le 9 décembre 1972, deux trains entraient en
collision à St-Germain, province de Québec. Le 16
avril 1973, la Commission canadienne des trans
ports nommait un de ses membres, monsieur Louis
R. Talbot, pour enquêter sur les causes de cet
accident. Cette nomination était faite aux termes
de l'article 226 de la Loi sur les Chemins de fer,
disposition qui se lit comme suit:
226. (1) La Commission peut nommer une personne ou des
personnes qu'elle juge compétentes pour s'enquérir de toutes
choses qu'elle estime de nature à causer ou à prévenir des
accidents, et des causes et des circonstances d'un accident ou
d'une perte de vie ou de biens, qui a eu lieu sur un chemin de
fer, et de tous les détails s'y rattachant.
(2) Les personnes ainsi nommées doivent faire à la Commis
sion un rapport circonstancié par écrit de ce qu'elles ont
constaté et de leur opinion sur les choses au sujet desquelles
elles ont été chargées d'instruire l'enquête; et, sur ce rapport, la
Commission peut agir et peut ordonner à la compagnie de
suspendre ou de destituer ceux de ses employés qu'elle juge
coupables de négligence ou de faute à l'égard de l'accident.
Le 25 octobre 1973, après une longue enquête
au cours de laquelle plusieurs témoins avaient été
entendus, monsieur Talbot adressait à la Commis
sion un rapport de ses constatations et opinions.
Dans ce rapport de plus de 50 pages, monsieur
Talbot exprimait l'opinion que monsieur Daigle,
par sa négligence, avait contribué à l'accident et,
en conséquence, il recommandait son congédie-
ment.
C'est seulement le 10 juillet 1974 que la Com
mission a donné suite à ce rapport. Elle a alors
prononcé l'ordonnance attaquée dont le dispositif
se lit comme suit:
LE COMITÉ ORDONNE CE QUI SUIT: Il est par les présentes
interdit à Joseph Daigle d'assurer le contrôle de la circulation
des trains, et notamment, mais non uniquement, d'utiliser les
ordres de marche, ou autre moyen de signalisation ou de
régulation quelconque servant aux mouvements des trains.
Nous sommes d'opinion que cette ordonnance a
été irrégulièrement prononcée. En premier lieu, il
nous paraît que la Commission a contrevenu aux
exigences de la justice naturelle; en second lieu,
nous estimons que l'ordonnance attaquée n'en est
pas une que la Commission pouvait prononcer en
vertu de la loi.
Il est constant qu'en aucun temps pendant l'en-
quête, monsieur Daigle n'a été prévenu de la possi-
bilité qu'en conséquence de l'enquête, la Commis
sion décide que des sanctions soient prises contre
lui. Inutile de dire que monsieur Daigle n'a jamais
eu l'occasion de répondre aux accusations qui
devaient être formulées plus tard contre lui. Dans
ces circonstances, il nous apparaît que la Commis
sion, avant de donner suite au rapport de monsieur
Talbot, devait révéler à monsieur Daigle les accu
sations formulées contre lui ainsi que les consé-
quences qu'elles pouvaient avoir et devait aussi lui
donner une chance raisonnable de répondre à ces
accusations. Ce défaut de la Commission de res-
pecter les exigences de la règle audi alteram
partem rend, à notre avis, son ordonnance
annulable.
Outre cela, il nous paraît que l'ordonnance atta-
quée n'en est pas une que la Commission avait le
pouvoir de prononcer en vertu de l'article 226 de la
Loi sur les Chemins de fer. Cette ordonnance
interdit à monsieur Daigle d'effectuer un certain
genre de travail. Or, la Commission n'a pas, sui-
vant l'article 226, le pouvoir de formuler pareille
interdiction. Elle peut seulement «ordonner à la
compagnie de suspendre ou de destituer» un
employé.
Pour ces motifs, nous sommes d'opinion que
l'ordonnance attaquée est irrégulière et que la
Commission devrait la révoquer.
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