T-33-75
Charles Pascal Edwards (Appelant)
c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion (Intimé)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 13 janvier; Ottawa, le 22 janvier
1975.
Compétence—Immigration—Ordonnance d'expulsion—
Libération conditionnelle refusée par l'enquêteur spécial
Demande d'annulation d'ordonnance introduite devant la Cour
d'appel Demande de libération conditionnelle présentée
devant la Division de première instance—Cette dernière n'est
pas compétente—Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2,
art. 17 et 46—Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-30, art. 58 et
361—Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
Le requérant (appelé à tort «appelant»), détenu en vertu
d'une ordonnance autorisée par l'intimé, fut déclaré coupable
par la Cour des sessions de la paix de Montréal, d'être demeuré
irrégulièrement au Canada en violation de l'article 46b) de la
Loi sur l'immigration; de s'être fait passer pour une personne
morte aux fins d'obtenir un passeport canadien en violation de
l'article 361 du Code criminel; et d'avoir fait une fausse
déclaration aux fins d'obtenir un passeport, en violation de
l'article 58(2) dudit Code. Les tribunaux avaient refusé sa mise
en liberté sous caution en raison de l'ordonnance d'expulsion et
il devait être jugé sur les deux derniers chefs d'accusation. A la
suite d'une enquête, un enquêteur spécial ordonna l'expulsion
du requérant. Cet enquêteur refusa d'exercer son pouvoir dis-
crétionnaire pour autoriser la libération conditionnelle. Le
requérant, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale introduisit une demande d'annulation de ces ordonnan-
ces et cherche, au moyen de la présente requête, à obtenir sa
libération conditionnelle.
Arrêt: la requête est rejetée; il appartient à la Cour d'appel
de déterminer si l'ordonnance d'expulsion émise par l'enquêteur
spécial pouvait être à bon droit annulée. La Division de pre-
mière instance n'est aucunement compétente en la matière.
Suivant l'article 17(1) de la Loi sur l'immigration, la libération
conditionnelle relève du pouvoir discrétionnaire de l'enquêteur
spécial «sous réserve d'une ordonnance ou de directives contrai-
res du Ministre». Il n'existait aucune disposition dans la loi ou
dans les Règles de la Cour fédérale permettant à la Division de
première instance de connaître de la demande de libération
conditionnelle.
Arrêt appliqué: Mahaffey c. Nykyforuk et la Commission
d'assurance-chômage [1974] 2 C.F. 801.
REQUÊTE.
AVOCATS:
P. Fine pour le requérant.
J. Letellier pour l'intimé.
PROCUREURS:
Bernstein & Feifer, Montréal, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada, pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Il s'agit d'une demande de
libération conditionnelle déposée au nom du requé-
rant (appelé à tort «appelant») consécutive à sa
détention en vue de son expulsion suite à une
enquête, tenue le 23 décembre 1974, par un enquê-
teur spécial, dont la décision a fait l'objet d'une
demande d'examen et d'annulation devant la Cour
d'appel, en vertu de l'article 28(1) de la Loi sur la
Cour fédérale. Selon les allégations du requérant,
étayées par un affidavit, ce dernier est détenu
depuis le 4 décembre 1974 en vertu d'une ordon-
nance de détention émise à la demande de l'intimé;
le 5 décembre 1974, il a été déclaré coupable par
la Cour des sessions de la paix du district de
Montréal d'être demeuré irrégulièrement, le 4
décembre 1974, au Canada en violation de l'article
46b) de la Loi sur l'immigration, de s'être fait
passer, le 26 avril 1974 ou vers cette date, pour
une personne morte aux fins d'obtenir un passeport
canadien en violation de l'article 361 du Code
criminel et enfin d'avoir, à la même date, fait une
fausse déclaration aux fins d'obtenir un passeport
canadien en violation de l'article 58(2) du Code
criminel. On refusa de le mettre en liberté sous
caution en se fondant sur ces chefs d'accusation,
qui, en d'autres circonstances, donneraient ouver-
ture à une telle mesure, aux motifs qu'il existait
une ordonnance de détention et qu'une décision de
la Cour du banc de la Reine avait confirmé ce
refus de mise en liberté sous caution. Le 20 décem-
bre 1974, le requérant fut renvoyé devant le tribu
nal pour subir son procès. Les chefs d'accusation
étaient fondés sur les articles 361 et 58(2) du Code
criminel, celui qui s'appuyait sur l'article 46b) de
la Loi sur l'immigration ayant fait l'objet d'un
retrait. Il est allégué par ailleurs qu'à la suite de
l'enquête spéciale, tenue le 23 décembre 1974, et
au terme de laquelle l'expulsion du requérant fut
ordonnée, l'enquêteur spécial refusa d'exercer le
pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article
17(1) de la Loi sur l'immigration pour autoriser la
libération conditionnelle du requérant, en dépit du
fait que ce dernier avait rempli toutes les condi
tions nécessaires à la libération conditionnelle
qu'on lui avait accordée précédemment, le 23 mars
1974. II est enfin allégué qu'il ne peut obtenir sa
libération sous caution pour les accusations crimi-
nelles dont il est inculpé et dont il sera jugé le 7
mars 1975, aux motifs que sa détention résultait de
l'ordonnance d'expulsion, qu'il est marié à une
Canadienne et qu'il avait été arrêté le 4 décembre
1974 pour être demeuré temporairement au
Canada pour rendre visite à sa femme après s'être
soumis volontairement à une ordonnance d'expul-
sion précédemment rendue contre lui, le 20 sep-
tembre 1974 ou vers cette date. Le 20 octobre
1974 ou vers cette date, sa femme demanda que
l'on autorise le requérant à résider au Canada,
demande encore en instance.
On a fait valoir que le requérant se trouve en
quelque sorte pris entre deux feux. D'une part, on
lui refuse la liberté sous caution qu'on lui aurait
autrement accordée vu le type des accusations
criminelles pesant sur lui, au motif qu'il est détenu
en vertu d'une ordonnance émise à la demande de
l'intimé et, d'autre part, l'enquêteur spécial a pré-
tendument refusé d'exercer son pouvoir discrétion-
naire pour autoriser la libération conditionnelle au
motif qu'elle serait sans effet puisque, de toute
façon, le requérant ne peut obtenir de libération
sous caution au regard des accusations criminelles.
Sans aborder l'opportunité de chacun de ces
refus d'accorder la libération sous caution, discuta-
ble jusqu'à un certain point, étant donné qu'il
semble que chacune des juridictions aurait pu
accorder la libération demandée dans le cadre des
procédures engagées devant elle, à condition que
cela n'entraîne pas la libération du requérant tant
que l'autre cour ou fonctionnaire compétents n'au-
rait pas fait de même, je suis néanmoins parvenu à
la conclusion que cette cour ne peut accueillir la
demande de libération conditionnelle. L'article
17(1) de la Loi sur l'immigration' se lit comme
suit:
17. (1) Sous réserve d'une ordonnance ou de directives con-
traires du Ministre, une personne mise sous garde ou en
détention peut être libérée aux conditions, concernant les temps
et lieu où elle se présentera pour examen, enquête ou expulsion,
ou le versement d'un dépôt de cautionnement, ou aux autres
conditions, qu'un enquêteur peut juger satisfaisantes.
S.R.C. 1970, c. I-2.
Il laisse apparemment la libération à l'entière dis-
crétion de l'enquêteur spécial «sous réserve d'une
ordonnance ou de directives contraires du Minis-
tre». L'ordonnance d'expulsion elle-même ainsi que
l'ordonnance de détention sont en instance d'exa-
men devant la Cour d'appel en vertu de l'article
28(1) de la Loi sur la Cour fédérale; or, cet
examen peut avoir lieu à bref délai. Lorsque l'en-
quêteur spécial a rendu sa décision le 23 décembre
1974, il savait sans nul doute que le requérant
avait épousé une Canadienne et que la demande
présentée par cette dernière pour que l'on autorise
son mari à demeurer au Canada, était encore en
instance. Il a estimé, malgré tout, que ces faits ne
modifiaient pas la situation qui avait motivé aupa-
ravant l'ordonnance d'expulsion du 23 mai 1974.
C'est à la Cour d'appel qu'il appartient de déter-
miner si cette décision peut être à bon droit annu-
lée en vertu de l'article 28 (1) de la Loi sur la Cour
fédérale. Par conséquent, la Division de première
instance n'est pas compétente (voir le jugement du
juge Heald rendu le 3 décembre 1974 dans l'af-
faire Mahaffey c. Nykyforuk et la Commission
d'assurance-chômage, [1974] 2 F.C. 801.) La
Cour d'appel a pour sa part, dans d'autres affaires,
décidé qu'un refus d'un enquêteur spécial d'accor-
der une libération sous caution ne pouvait pas faire
l'objet d'une demande d'examen et d'annulation en
vertu de l'article 28, même si le requérant avait
déjà déposé une demande d'annulation de l'ordon-
nance d'expulsion (voir l'arrêt Lombardo c. Le
ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration,
A-403-74).
J'estime que la Division de première instance
n'est pas compétente pour infirmer la décision de
l'enquêteur spécial de ne pas faire application de
l'article 17(1) de la Loi sur l'immigration de façon
à libérer le requérant détenu jusqu'à ce qu'il soit
statué sur son appel interjeté de l'ordonnance d'ex-
pulsion. En outre, il n'existe, à mon avis, aucune
disposition dans la Loi ou dans les Règles de cette
cour permettant à la Division de première instance
de connaître de la demande de libération condi-
tionnelle, quels que soient les faits à l'origine de la
détention du requérant.
Par conséquent, la demande est rejetée avec
dépens.
ORDONNANCE
La demande du requérant est rejetée avec
dépens.
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