A-316-74
Rudradat Narain (Requérant)
c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion (Intimé)
Cour d'appel, les juges Thurlow et Urie et le
juge suppléant MacKay —Toronto, les 29
novembre et 24 décembre 1974.
Examen judiciaire—Ordonnance d'expulsion—Admission
à titre de visiteur—Emploi accepté au cours de la période
d'admission—Aucun permis de travail—Y a-t-il eu change-
ment de catégorie depuis la date d'entrée?—Loi sur l'immi-
gration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 7, 14, 18, 27 et 48—
Règlement sur l'immigration art. 3c.
Le requérant, en provenance de Guyane, a été autorisé à
entrer au Canada comme touriste, en vertu de l'article 7(1)c)
de la Loi sur l'immigration, pour une période de trois mois
prenant fin le 21 décembre 1974. La compagnie qui l'em-
ployait en Guyane lui avait accordé un congé de trois mois
et il avait de quoi subvenir à ses besoins pendant sa visite au
Canada. Il prit un emploi sans obtenir de permis de travail,
comme l'exige l'article 3c(1)b) du Règlement sur l'immigra-
tion et occupa cet emploi jusqu'au 16 octobre, date à
laquelle il fut arrêté en vertu de l'article 14(1) de la Loi. Au
cours de l'enquête qui s'ensuivit, il indiqua qu'il avait l'inten-
tion de retourner en Guyane au bout des trois mois. L'en-
quêteur spécial ordonna l'expulsion du requérant au motif
qu'il relevait de l'article 18(1)e)(vi) de la Loi, dans la mesure
où il était entré au Canada comme non-immigrant et y était
demeuré après avoir cessé d'appartenir à la catégorie parti-
culière dans laquelle il avait été admis. Le requérant a
introduit une demande d'examen de l'ordonnance d'expul-
sion en vertu de l'article 28.
Arrêt: (le juge suppléant MacKay dissident) l'ordonnance
devrait être annulée.
Les juges Thurlow et Urie: en prenant un emploi, sans
permis de travail, le requérant s'est exposé à une sanction. Il
est également entré dans la catégorie de personnes ayant un
emploi au sens de l'article 7(1)h) de la Loi. Les catégories
définies dans ce paragraphe ne s'excluent pas mutuellement
et une personne peut fort bien appartenir à plusieurs catégo-
ries à la fois. Le fait que le requérant prenne un emploi
pourrait constituer une preuve qu'il a cessé d'appartenir à la
catégorie de visiteurs, mais il ne s'agissait que d'un fait
qu'on doit apprécier en tenant compte des autres circon-
stances. Le fait de prendre un emploi temporaire n'était pas,
à la lumière des circonstances de l'espèce, nécessairement
incompatible avec le maintien du statut de touriste ou visi-
teur au sens de l'article 7(1)c) et, à moins qu'il n'ait cessé
d'appartenir à cette catégorie, il n'était pas sujet à expulsion.
L'enquêteur spécial a commis une erreur de droit en déci-
dant que le requérant avait cessé d'appartenir à la catégorie
de non-immigrant en vertu de laquelle il avait été autorisé à
entrer.
Distinction faite avec l'arrêt Mihm c. Le ministre de la
Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1970] R.C.S. 348.
Le juge suppléant MacKay (dissident): pendant qu'il tra-
vaillait, le requérant n'appartenait pas à la catégorie des
visiteurs ou touristes.
EXAMEN judiciaire.
AVOCATS:
Terence Hunter pour le requérant.
E. A. Bowie pour l'intimé.
PROCUREURS:
Hunter & Johnston, Toronto, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE THURLOW: Il s'agit d'une demande
d'examen et d'annulation d'une ordonnance
d'expulsion rendue le 24 octobre 1974 contre le
requérant par un enquêteur spécial, aux termes
de la Loi sur l'immigration. Le motif d'expul-
sion, tel qu'énoncé dans l'ordonnance, portait
que le requérant était une personne décrite au
sous-alinéa 18(1)e)(vi), qu'il était entré au
Canada à titre de non-immigrant et y était
demeuré après avoir cessé d'appartenir à la
catégorie particulière dans laquelle il avait été
admis en qualité de non-immigrant.
Le requérant est arrivé à Toronto le 21 sep-
tembre 1974 en provenance de Guyane et a été
autorisé à entrer au Canada comme visiteur ou
touriste pour une durée de trois mois prenant fin
le 21 décembre 1974. Le 7 octobre 1974, le
requérant est devenu employé de la Venus Elec
tric Company comme ajusteur réparateur et
occupait ce poste lorsque, le 16 octobre, il fut
arrêté sur mandat émis en vertu du paragraphe
14(1) de la Loi sur l'immigration. Le même jour,
on `ouvrit une enquête pour déterminer s'il
appartenait à la catégorie de personnes décrites
au sous-alinéa 18(1)e)(vi).
Avant de prendre son emploi, le requérant
n'avait pas obtenu de permis de travail comme
l'exige le règlement en la matière. Il a déclaré
ignorer que ce permis était nécessaire. Il habitait
au Canada chez un parent et subvenait à ses
besoins. En Guyane, il occupait le poste de
directeur du secteur quincaillerie dans une
entreprise connue sous le nom de Toolsie Per-
saud Limited auprès de laquelle il avait rempli
diverses fonctions depuis 1956. Il présenta une
lettre indiquant que la compagnie lui avait
accordé un congé de trois mois. Il avait aussi
occupé le poste de directeur de la production
d'articles de bureau et travaillait, en dernier lieu,
dans une usine de plastique appartenant à cette
compagnie. Lorsqu'à la fin de l'enquête, on lui
demanda s'il avait quelque chose à ajouter pour
sa défense, il répondit:
[TRADUCTION] R. J'ai une seule chose à dire, et je l'ai déjà
dite: je suis arrivé ici comme visiteur, sans la moindre
arrière-pensée. J'espère rentrer chez moi à la fin de ma
période de congé. J'ai toutes les raisons de rentrer. Je
m'ennuyais un peu et je n'ai pas travaillé pour une
question pécuniaire. Je désire me rendre compte de la
marche de cette usine afin de diriger une usine thermo-
plastique, la première et la seule du même genre en
Guyane. Nous bénéficions de la protection gouverne-
mentale. Nous avons acheté toutes les machines ici; le
propriétaire de cette usine est mon cousin. Il y a deux
jours, il m'a conseillé pendant mon séjour ici de me
familiariser avec cette usine thermoplastique.
Il ressort du dossier que, pour l'enquêteur
spécial, le requérant en prenant un emploi avait
cessé ipso facto d'être un touriste ou un visi-
teur. Il a fait la remarque suivante à la page 24:
L'enquêteur spécial:
[TRADUCTION] Il me semble, Me Hunter, que votre client, M.
Narain, est effectivement entré au Canada à titre de touriste
ou de visiteur en vertu de l'article 7(1)c) et qu'il s'est exclus
de cette catégorie en prenant un emploi au Canada. S'il avait
été autorisé à accepter un emploi au Canada, il aurait alors
relevé de l'article 7(1)h). Si on lui avait accordé un permis
de travail, il serait alors entré dans la catégorie de personnes
travaillant au Canada.
et l'enquêteur a ajouté à la page 30 de ses
motifs :
[TRADUCTION] Vous avez témoigné être arrivé au Canada le
21 septembre 1974 à titre de touriste ou de visiteur, en vertu
de l'article 7(1)c), pour une période se terminant le 21
décembre 1974; vous admettez avoir commencé à travailler
le lundi 7 octobre 1974 ou vers cette date, pour le compte de
la Venus Electric Company à Toronto. Selon moi, en pre-
nant cette initiative, vous avez cessé d'appartenir à la caté-
gorie particulière de touriste ou de visiteur. Ce faisant, vous
êtes entré dans la catégorie décrite à l'article 7(1)h) ou
7(1)i), c'est-à-dire une personne pratiquant une profession,
un commerce ou une occupation légitime qui entre au
Canada ou qui, étant entrée, est dans ce pays, pour l'exer-
cice temporaire de son état respectif; ou une personne qui
entre au Canada ou qui, étant entrée, est dans ce pays, aux
fins d'un emploi saisonnier ou autre emploi temporaire, sauf
instruction contraire du Ministre. Déterminer la catégorie
dont vous relevez n'est pas fondamental dans cette enquête
et, selon moi, vous avez cessé de relever de la catégorie
particulière dans laquelle vous avez été admis à titre de
non-immigrant.
Je souscris au raisonnement de l'enquêteur
spécial selon lequel, pour déterminer si une per-
sonne a cessé de relever de la catégorie particu-
lière de non-immigrant dans laquelle elle a été
admise, il n'est pas nécessaire ni décisif de la
faire rentrer dans une autre catégorie de non-
immigrant. Mais, en toute déférence, je ne
pense pas que le fait que la personne en cause
ait pris un emploi sans permis ou qu'elle soit
ensuite précisément couverte par la description
de l'un quelconque des alinéas du paragraphe
7(1) et relève ainsi de cette catégorie, entraîne
nécessairement qu'elle est devenue une per-
sonne qui a cessé d'appartenir à la catégorie des
non-immigrants dans laquelle elle a été admise.
Les catégories définies dans ce paragraphe ne
s'excluent pas mutuellement et, selon moi, il se
peut fort bien qu'une personne appartienne à
plusieurs catégories à la fois. Par exemple, un
professeur qui entre au Canada pour y donner
une série de conférences à des dates détermi-
nées pourrait relever de la catégorie visée à
l'article 7(1)h). Par contre, s'il arrive une
semaine avant la date de sa première conférence
avec l'intention de voyager dans le pays ou de le
visiter et y demeure dans le même but une
semaine après sa dernière conférence, il serait
impossible, selon moi, d'affirmer qu'il a changé
de catégorie à un moment donné. J'estime qu'il
serait visiteur au sens de l'article 7(1)c) pendant
tout son séjour et qu'il relèverait aussi de la
catégorie décrite à l'article 7(1)h) pendant toute
la période ou tout au moins, pendant la durée
des conférences.
A mon sens, on ne peut trancher la question
de savoir si une personne a cessé d'appartenir à
une catégorie particulière de non-immigrant en
se fondant sur le fait qu'une personne cesse
d'appartenir à sa catégorie initiale par suite
d'agissements qui pourraient la placer dans une
catégorie différente ou nouvelle. Selon moi, on
doit la trancher comme une question de fait
selon les éléments de preuve pertinents soumis
à l'enquêteur spécial indiquant que la personne
en cause a effectivement cessé d'appartenir à sa
catégorie initiale en tant que non-immigrant. A
cette fin, le fait pour une personne de prendre
un emploi peut constituer une preuve, et parfois
une preuve très convaincante, que la personne
en cause a cessé d'appartenir à la catégorie des
touristes ou visiteurs. Toutefois, d'après moi, il
ne s'agit que d'un fait qu'on doit apprécier à la
lumière des autres circonstances de l'espèce qui
sont susceptibles d'indiquer que cette personne
a ou n'a pas cessé d'appartenir à une catégorie
particulière.
Ni l'expression «touristes ou visiteurs» ni l'un
ou l'autre terme ne sont expressément définis
dans la Loi et, aux fins de l'alinéa 7(1)c), on
doit, selon moi, leur donner leur sens habituel.
A mon avis, le fait pour un touriste ou un
visiteur de prendre un emploi temporaire n'est
pas nécessairement incompatible avec le main-
tien de son statut de touriste ou de visiteur au
sens habituel de ces mots.
Dans la présente affaire, il est bien possible
qu'en prenant un emploi temporaire sans
permis, le requérant s'expose à des poursuites et
à des sanctions pour avoir enfreint la réglemen-
tation applicable. Mais le fait de prendre cet
emploi temporaire n'était pas, à la lumière des
autres preuves, nécessairement incompatible
avec le maintien de son statut de touriste ou de
visiteur au sens du paragraphe 7(1)c) et, à moins
qu'il n'ait cessé d'appartenir à cette catégorie, il
n'était pas sujet à expulsion.
La seule affaire citée qui présente des analo
gies avec la présente espèce est l'arrêt Mihm c.
Le Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion' dans lequel la Cour suprême a décidé que
l'appelant, en prenant un emploi pendant un
séjour de deux semaines au Canada, avait cessé
d'appartenir à la catégorie des non-immigrants
dans laquelle il avait été admis. Toutefois dans
cette affaire, d'après moi, Mihm avait décidé de
demeurer au Canada et avait pris un emploi
dans cette intention. A l'issue de sa visite ini-
tiale de deux semaines, il a continué à travailler
' [1970] R.C.S. 348.
au Canada pendant quelques mois. Par consé-
quent, je ne crois pas que cette affaire s'impose
en l'espèce.
Il est bien établi que le requérant n'est plus au
Canada et, dans les circonstances, il n'y a pas
lieu de renvoyer l'affaire pour nouvelle enquête.
Selon moi, il ressort du dossier que l'enquêteur
spécial, en concluant que le requérant a cessé
d'être un touriste ou un visiteur, a fondé son
action sur une interprétation erronée de la Loi;
j'annulerais donc l'ordonnance d'expulsion.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE URIE: L'article 28 sert de fondement
à la présente demande d'annulation d'une
ordonnance d'expulsion rendue contre le requé-
rant par un enquêteur spécial, en vertu de l'arti-
cle 27(3) de la Loi sur l'immigration.
Les faits pertinents tels qu'ils ressortent de la
preuve soumise à l'enquêteur spécial sont les
suivants:
1. Le requérant, citoyen guyanais, fut admis à
titre de visiteur le 21 septembre 1974 à son
arrivée à l'aéroport international de Toronto ce
même jour.
2. Il avait exprimé l'intention de demeurer au
Canada pendant trois mois, en visite chez ses
deux beaux-frères et belles-soeurs.
3. Il avait travaillé sans interruption dans son
pays natal depuis 1956, occupant en dernier les
fonctions de directeur du secteur quincaillerie
pour le compte de la Toolsie Persaud Limited
qui lui avait accordé un congé de trois mois. Sa
famille, à savoir sa femme et ses trois enfants,
étaient en Guyane.
4. Avant d'entrer au Canada, il avait fait en
Guyane une demande de résidence permanente
au Canada sous le parrainage d'une de ses bel-
les-soeurs mais, comme il l'a indiqué à l'enquê-
teur spécial, sa demande «est encore en
instance».
5. Le 9 octobre 1974 ou vers cette date, il prit
un emploi à Toronto sans avoir au préalable
obtenu de permis de travail.
6. Le 16 octobre 1974, il fit l'objet d'un mandat
d'arrestation que, le même jour, des officiers de
la G.R.C. ont mis à exécution. Conformément à
l'article 18 de la Loi sur l'immigration, un fonc-
tionnaire à l'immigration a fait un rapport qui a
entraîné la tenue immédiate d'une enquête
devant l'enquêteur spécial à la prison de
Toronto. Sur requête de l'avocat du requérant,
l'enquête a été ajournée jusqu'au 24 octobre
1974 et, le 17 octobre 1974, le requérant a été
libéré après le dépôt d'une caution en espèces
de $500.
7. Suite aux conclusions de l'enquête du 24
octobre, l'enquêteur spécial ordonna l'expulsion
du requérant pour les motifs suivants:
[TRADUCTION] Vous êtes une personne décrite au sous-ali-
néa 18(1)e)(vi) de la Loi sur l'immigration dans la mesure où
vous êtes entré au Canada comme non-immigrant et y êtes
demeuré après avoir cessé d'être un non-immigrant ou d'ap-
partenir à la catégorie particulière dans laquelle vous avez
été admis en qualité de non-immigrant.
L'avocat du requérant a soutenu dans la pré-
sente demande qu'il existait un vice de forme
dans la procédure engagée devant l'enquêteur
spécial du fait que ce dernier avait omis de
préciser la catégorie de non-immigrant dont
relevait le requérant après avoir décidé que ce
dernier avait cessé d'appartenir à la catégorie
particulière dans laquelle il avait été admis.
L'avocat a soutenu, par ailleurs, que cette déci-
sion impliquait que le requérant était toujours
un non-immigrant et qu'il avait le droit d'être
informé de la catégorie dont il relevait à ce titre.
Cet argument pèche selon moi, du fait que
l'enquêteur spécial, en rendant sa décision, s'est
parfaitement conformé à la teneur de l'article
18(1)e)(vi) de la Loi. Aux termes de l'article
27(2) de la Loi, à moins que l'enquêteur spécial
ne décide que le requérant n'est pas une per-
sonne reconnue, par preuve, être une personne
décrite à l'alinéa 18(1)e)(vi), il doit l'autoriser, si
elle se trouve encore au Canada, à y demeurer.
Le paragraphe (3) de l'article 27 prescrit que,
dans le cas d'une personne «autre que celle dont
le paragraphe (2) fait mention», l'enquêteur spé-
cial doit, en rendant sa décision, émettre une
ordonnance d'expulsion. Il est donc clair que,
pour se conformer à ce paragraphe, il devait
fonder sa décision sur la conclusion que le
requérant avait cessé d'«être un non-immigrant
ou d'appartenir à la catégorie particulière dans
laquelle il a été admis en qualité de non-immi
grant», suivant la formulation précise du pas
sage pertinent de l'alinéa 18(1)e)(vi) auquel il
était tenu de se reporter.
Selon moi, l'enquêteur spécial n'est absolu-
ment pas tenu d'indiquer à quelle catégorie de
non-immigrant le requérant appartient désor-
mais, et l'argument de l'avocat doit être rejeté
sur ce fondement.
Toutefois, cela ne clôt pas l'affaire pour
autant. Il reste l'importante question touchant la
validité de l'ordonnance d'expulsion, c'est-à-dire
savoir si en acceptant un emploi temporaire au
Canada, alors qu'il se trouvait légalement dans
le pays en qualité de touriste ou de visiteur, le
requérant a perdu ce statut. Si c'est le cas, il a
évidemment cessé «d'appartenir à la catégorie
particulière dans laquelle il a été admis», comme
l'a constaté l'enquêteur spécial. En toute défé-
rence, cette conclusion est selon moi erronée.
On doit se rappeler tout d'abord que, puisque
le requérant se trouvait déjà au Canada, il ne lui
incombait pas de prouver qu'il était fondé à y
demeurer. Puisque la période de validité de son
statut de visiteur n'était pas terminée, il était en
droit de demeurer au Canada jusqu'à la fin de la
période pour laquelle il avait été admis, à moins
que l'intimé ne puisse prouver l'existence de
motifs s'y opposant. Il ressort indubitablement
d'un examen de l'ensemble de la preuve présen-
tée devant l'enquêteur spécial que le requérant
n'avait nullement l'intention de demeurer au
Canada, une fois prescrits ses droits de visiteur
pour la période de trois mois. Toute la preuve
est en sens contraire. Sa femme et le reste de sa
famille habitaient toujours en Guyane; il avait
là-bas un excellent emploi qu'il pouvait retrou-
ver à son retour avec un bon salaire et un avenir
prometteur; par ailleurs, il possédait dans ce
pays une maison, des meubles et une automo
bile. En outre, les éléments de preuve indiquent
qu'il était parfaitement au courant des exigences
de la Loi en ce qui concerne l'obtention de la
résidence permanente au Canada et qu'il avait,
en conséquence, pris les mesures appropriées
pour demander son admission. Le requérant
avait des motifs impérieux de retourner chez lui
et il a clairement exprimé cette intention à l'en-
quêteur spécial. Selon moi, il n'existait aucune
preuve permettant à ce dernier de conclure que
le requérant avait abandonné l'idée de retourner
en Guyane. Par conséquent, je ne pense pas que
l'enquêteur spécial pouvait, logiquement ou en
droit, décider que le requérant avait cessé d'être
un touriste ou un visiteur. Le simple fait d'avoir
accepté un emploi temporaire, alors qu'il se
trouvait au Canada, n'a pas modifié son inten
tion de retourner dans son pays natal.
J'estime ne pas être nécessaire d'examiner si,
en acceptant cet emploi temporaire, il relevait
d'une ou de plusieurs des autres catégories auto-
risées de non-immigrant, en vertu de l'article 7
ou si, dans l'affirmative, il avait perdu son statut
de touriste ou de visiteur. En fait, comme je l'ai
souligné précédemment, je ne pense pas qu'il ait
perdu à un quelconque moment son statut de
touriste ou de visiteur, ce qui me suffit pour
trancher ce point; je dois d'ailleurs ajouter que
je ne vois pas pourquoi une personne ne peut
appartenir à plus d'une catégorie à la fois.
L'avocat de l'intimé a mentionné à la Cour
l'article 3c du Règlement sur l'immigration, dont
la partie pertinente se lit comme suit:
3c. (1) Sous réserve de l'article 3F,
a) nul ne peut entrer au Canada en qualité de non-immi
grant pour y exercer un emploi, et
b) nul autre
(i) qu'un citoyen canadien,
(ii) un résident permanent, ou
(iii) une personne autorisée à entrer au Canada en vertu
d'un permis écrit délivré par le Ministre en application
de l'article 8 de la Loi, et qui énonce expressément que
le détenteur est autorisé à exercer un emploi,
ne peut exercer un emploi au Canada sans posséder un
visa d'emploi valide.
L'alinéa a) ne s'applique certainement pas,
puisque les éléments de preuve indiquent claire-
ment qu'en entrant au Canada, le requérant
n'avait pas pour but d'y prendre un emploi, mais
de rendre visite à des parents dans le pays. En
acceptant un emploi temporaire sans permis de
travail, il a certainement contrevenu à l'alinéa b)
de l'article 3c du Règlement. L'absence de
permis le rendait passible de poursuites en vertu
de l'article 48 de la Loi; de fait, il fut apparem-
ment inculpé en vertu de cette disposition, ce
qui n'eut pas de suite, étant donné que le requé-
rant était rentré en Guyane. Dans d'autres cir-
constances, il se pourrait qu'un requérant, en
prenant un emploi sans permis de travail lors
d'un séjour au Canada comme visiteur, cesse
d'être un visiteur et fasse l'objet de poursuites
en vertu de l'article 48, mais telle n'est pas la
situation en l'espèce, comme le révèle la preuve
soumise.
On a cité au cours des débats un exemple de
ce genre d'affaire, à savoir la décision de la
Cour suprême du Canada dans l'arrêt Mihm c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion [1970] R.C.S. 348. Dans cette affaire,
l'appelant, accompagné de sa femme et son
enfant, est entré au Canada en déclarant au port
d'entrée venir visiter le pays pendant deux
semaines; toutefois, quelques jours plus tard, il
accepta un emploi qui, à la différence de celui
obtenu par le requérant dans la présente espèce,
était un emploi permanent. Dans l'affaireMihm,
l'appelant était un déserteur de l'armée améri-
caine, ce qui permet peut-être d'en déduire qu'il
n'avait pas l'intention de retourner aux États-
Unis; il laissa beaucoup de temps s'écouler
avant de chercher à obtenir un statut de résident
permanent à l'expiration de son statut de visi-
teur. Pendant toute cette période, il travaillait au
Canada.
Les faits dans l'affaire Mihm (précitée) sont
très différents de ceux de la présente espèce et
ce, à plusieurs points de vue:
a) l'appelant a confirmé son intention de
demeurer au Canada par sa demande de rési-
dence permanente,
b) il occupait un emploi permanent,
c) il n'avait plus le statut de visiteur au
moment où fut prononcée l'ordonnance
d'expulsion,
d) on décida qu'il s'agissait non seulement
d'une personne qui demeurait au Canada
après avoir cessé d'appartenir à la catégorie
particulière mais, ce qui est plus significatif,
qu'elle était entrée au Canada en qualité de
non-immigrant et y était demeurée après avoir
cessé d'être un non-immigrant.
Ainsi, selon moi, ces affaires se distinguent
l'une de l'autre à la lumière de tous ces faits.
Par conséquent, l'enquêteur spécial a à mon
sens commis une erreur de droit en décidant que
le requérant avait cessé d'appartenir à la classe
de non-immigrant dans laquelle il avait été
admis et j'annule donc l'ordonnance d'expul-
sion.
* * *
Ce qui suit est la version. française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: Je suis d'avis
qu'en l'espèce, la demande d'annulation de l'or-
donnance d'expulsion rendue par l'enquêteur
spécial devrait être rejetée.
Le 21 septembre 1974, le requérant a été
autorisé à entrer au Canada à titre de visiteur ou
de touriste pour une période de trois mois, en
vertu de l'article 7(1)c) de la Loi. Le 7 octobre
1974, il est entré au service de la Venus Electric
Company et y travaillait encore lorsqu'il fut
arrêté le 16 octobre sur mandat émis en vertu de
l'article 14(1) de la Loi sur l'immigration.
En vertu de l'article 2 de la Loi, «entrée» signifie l'admis-
sion légale d'un non-immigrant au Canada à une fin spéciale
ou temporaire et pour un temps limité.
L'article 7(1) dispose:
7. (1) Il peut être permis aux personnes suivantes d'en-
trer et de demeurer au Canada, à titre de non-immigrants:
c) les touristes ou visiteurs;
h) les personnes pratiquant une profession, un commerce
ou une occupation légitime qui entrent au Canada ou qui,
étant entrées, sont dans ce pays, pour l'exercice tempo-
raire de leur état respectif;
i) les personnes qui entrent au Canada ou qui, étant
entrées, sont dans ce pays, aux fins d'un emploi saisonnier
ou autre emploi temporaire, sauf instructions contraires
du Ministre; et
En date du 15 mai 1974, le ministre de la
Main-d'oeuvre et de l'Immigration a émis la
directive suivante:
Directives concernant les emplois saisonniers ou d'autres
emplois temporaires
Conformément aux pouvoirs que me confère l'alinéa 7(1)(i)
de la Loi sur l'immigration, j'annule, par les présentes,
toutes les directives que j'ai données ou que je suis censé
avoir donné en vertu de ces pouvoirs, et je donne les
directives suivantes concernant les emplois saisonniers ou
d'autres emplois temporaires, le 26 avril 1974.
1. Le présent document officiel peut être cité sous le titre:
Directives concernant les emplois saisonniers ou d'autres
emplois temporaires, le 26 avril 1974.
2. Il est, par les présentes, ordonné que les personnes qui
cherchent à entrer au Canada ou qui, y étant entrées, s'y
trouvent pour les fins d'un emploi saisonnier ou d'un autre
emploi temporaire ne seront pas autorisées à entrer au
Canada ni à y demeurer, à moins qu'elles aient été sélection-
nées à l'extérieur du Canada, suivant les dispositions que le
Ministère a prises, pour occuper cet emploi dans le cadre
d'un programme relatif aux emplois saisonniers ou à d'au-
tres emplois temporaires approuvé par moi.
3. Sous réserve de l'article 2, une personne qui cherche à
entrer au Canada ou qui, y étant entrée, s'y trouve pour les
fins d'un emploi saisonnier ou d'un autre emploi temporaire
peut être autorisée à entrer au Canada et à y demeurer si,
selon les renseignements transmis par le Service national de
placement, un Agent d'immigration est d'avis que l'emploi
prévu de l'intéressé ne peut être occupé dans le cadre d'un
programme relatif aux emplois saisonniers ou à d'autres
emplois temporaires approuvé par moi.
R. Andras
Ministre de la Main-d'oeuvre
et de l'Immigration
Fait à Ottawa, le 15 mai 1974.
Si l'on autorise une personne à entrer au
Canada à titre de visiteur ou de touriste et si, au
cours de la période où elle est autorisée à y
demeurer comme visiteur, elle prend un emploi
ou se place dans une des autres catégories de
l'article 7 qui permettent aux non-immigrants
d'entrer, la Loi se trouve alors mise en échec.
Si une personne souhaite entrer au Canada
pour deux raisons, savoir comme touriste et
pour prendre un emploi temporaire, il lui faut
demander son admission sous ces deux chefs. Si
le requérant, en l'espèce, avait observé cette
condition, il n'était pas à même de se conformer
aux dispositions de la directive du Ministre
énoncées précédemment et se serait vu refuser
l'entrée.
Selon moi, tant qu'il travaillait, le requérant
n'appartenait pas à la catégorie des visiteurs ou
des touristes.
J'estime que la déclaration du juge Cartwright
dans l'affaire Mihm c,. Le ministre de la Main-
d'oeuvre et de l'Immigration, [1970] R.C.S. 348 à
la page 353:
L'appelant est arrivé au Canada en novembre à titre de
visiteur (non immigrant) et avec l'intention d'y demeurer
deux semaines. Il a cessé d'appartenir à la classe des visi-
teurs dès qu'il a commencé à travailler, soit le 7 décembre
1967.
est applicable chaque fois qu'une personne,
autorisée à entrer au Canada à titre de visiteur
seulement, accepte un travail, sans se soucier de
savoir si cet emploi a été contracté avant ou
après la période au cours de laquelle elle était
autorisée à entrer à titre de visiteur.
Dans l'affaire Mihm, le juge Spence déclarait
à la page 354:
L'appelant ... [entra au Canada] par un «port d'entrée»
du Manitoba vers la fin de novembre ou le début de décem-
bre 1967.
de sorte qu'il semble avoir pris un emploi avant
la fin de la période de deux semaines durant
laquelle il était autorisé à demeurer à titre de
visiteur.
Par conséquent, je rejette la demande.
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