A-16-74
In re la Loi sur le pilotage et in re le capitaine
Colin Darnel (Requérant)
Cour d'appel, les juges Thurlow, Pratte et
Urie—Vancouver, les 8, 9, 10, 11 et 17 octobre
1974.
Examen judiciaire—Droit maritime—Abordage—Suspen-
sion du brevet d'un pilote prononcée par le président de
l'Administration de pilotage du Pacifique—Confirmation de
la suspension par l'Administration de pilotage—Cette confir
mation relève de sa compétence—Prorogation de la suspen
sion du pilote imposée par l'Administration—L'avis étant
irrégulier, la suspension est invalide—Loi sur le pilotage,
S.C. 1970-71-72, c. 52, art. 17 et 18(2)—Art. 28 de la Loi
sur la Cour fédérale.
Suite à l'abordage de deux navires, le requérant, pilote
d'un des deux, s'est vu imposer une suspension de son
brevet, pour une période de 15 jours, par le président de
l'Administration de pilotage du Pacifique. Cette dernière a
confirmé la suspension et signifié un avis au requérant
portant que a) il avait été négligent en rendant possible
l'abordage b) qu'il n'avait pas fourni à l'Administration
d'explication satisfaisante sur les circonstances à l'origine de
l'abordage. L'avis contenait une liste d'au moins 50 docu
ments pertinents détenus par l'Administration. Après le rejet
de sa requête demandant la communication des documents,
le requérant ne sollicita pas d'audience. Il présenta une
demande en vertu de l'article 28 visant l'examen et l'annula-
tion des décisions.
Arrêt: la demande est accueillie en partie; la confirmation
par l'Administration, aux termes de l'article 17(4)a) de la
Loi sur le pilotage, de la suspension prononcée par le
président, en vertu de l'article 17(1), mettait en jeu un
pouvoir s'exerçant sans donner au détenteur du brevet la
possibilité d'être entendu; il ne s'agit pas d'un pouvoir
soumis au processus judiciaire ou quasi judiciaire. Elle ne
pouvait donc faire l'objet d'un examen en vertu de l'article
28 de la Loi sur la Cour fédérale. Mais l'omission des actes
ou manquements du requérant dans l'avis émis par l'Admi-
nistration à son endroit en vertu de l'article 17(4) sur lequel
se fondait le président pour exercer son pouvoir, permettait
à l'Administration de découvrir des actes ou des manque-
ments différents ou complémentaires, imputables au requé-
rant et constitutifs de sa négligence. Le caractère vague et
général des termes de l'avis ne remplit pas le but énoncé à
l'article 17(4), à savoir informer le pilote des mesures que
l'Administration se proposait de prendre concernant son
brevet et des motifs de ces mesures, de sorte qu'il puisse
décider des dispositions à prendre pour se défendre. L'avis a
comporté des lacunes jusqu'à la fin du délai imparti pour la
période de suspension en application de l'article 17(4). L'or-
donnance de l'Administration visant une autre période de
suspension est annulée.
EXAMEN judiciaire.
AVOCATS:
D. Brander Smith pour le requérant.
W. O'Malley Forbes pour l'intimée.
PROCUREURS:
Bull, Housser & Tupper, Vancouver, pour
le requérant.
Owen, Bird, Vancouver, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE THURLOW: Il s'agit d'une demande
introduite en vertu de l'article 28 de la Loi sur
la Cour fédérale, visant l'examen et l'annulation
d'une décision de l'Administration de pilotage
du Pacifique qui a confirmé une suspension de
quinze jours du brevet de pilotage du requérant,
le capitaine Colin Darnel; cette suspension avait
été imposée le 3 octobre 1973, en vertu de
l'article 17(1) de la Loi sur le pilotage S.C.
1970-71-72, c. 52,' par le président de l'Admi-
nistration qui, aux termes de l'article 17(4) de la
Loi, en avait imposé une supplémentaire pour
une période de quinze jours à compter du 9
janvier 1974.
' 17. (1) Le président d'une Administration peut suspen-
dre un brevet ou un certificat de pilotage pour une période
de quinze jours au maximum lorsqu'il a des raisons de croire
que le pilote breveté ou le titulaire d'un certificat de pilotage
a) a contrevenu à une disposition des paragraphes (3) ou
(4) de l'article 16, pendant qu'il assurait la conduite d'un
navire ou était de service à bord d'un navire en applica
tion d'un règlement général d'une Administration exigeant
qu'un navire ait un pilote breveté ou un titulaire de
certificat de pilotage à son bord;
b) s'est présenté au travail dans des conditions telles que,
s'il avait été de service, il y aurait eu de sa part violation
d'une disposition du paragraphe (3) de l'article 16;
c) a été négligent dans ses fonctions; ou
cl) ne remplit pas les conditions exigées du titulaire d'un
brevet ou d'un certificat de pilotage.
(2) Lorsque le président d'une Administration suspend
verbalement un brevet ou un certificat de pilotage il doit,
dans les quarante-huit heures de la suspension, la confirmer
par écrit, en en fournissant les raisons, au pilote breveté ou
au titulaire du certificat de pilotage, à l'adresse qu'indique le
registre tenu par l'Administration en application de
l'article 21.
(3) Lorsque le président d'une Administration suspend un
brevet ou un certificat de pilotage il doit, dans les quarante-
huit heures de la suspension, en faire rapport à
l'Administration.
(Suite à la page suivante)
Le dernier paragraphe dispose qu'aucune
mesure ne peut être prise pour imposer une
période supplémentaire de suspension
... à moins qu'avant l'expiration de la suspension autorisée
par le président en vertu du paragraphe (1) l'Administration
ne donne avis par écrit au pilote breveté ou au titulaire d'un
certificat de pilotage des mesures qu'elle se propose de
prendre et des motifs sur lesquels elle se fonde.
En l'espèce, on a donné avis avant la fin de la
première période de suspension et en voici le
paragraphe pertinent:
[TRADUCTION] 1 . . .
a) que l'Administration est fondée à croire que vous avez
été négligent dans vos fonctions en laissant le navire «SUN
DIAMOND» aborder le navire «ERAWAN» au large de Pointe-
Grey près de Vancouver (Colombie-Britannique) le 25
septembre 1973 et
b) que vous n'avez pas donné à l'Administration d'expli-
cations satisfaisantes sur les circonstances à l'origine de
cet abordage.
La teneur de l'alinéa a) différait de ce qui
avait été énoncé dans l'avis de suspension émis
par le président en vertu de l'article 17(1), en ce
sens qu'il omettait de déclarer les actes ou man-
quements du requérant sur lesquels on se fon-
dait pour conclure que ce dernier avait été négli-
gent dans ses fonctions au sens de l'article
(Suite de la page précedente)
(4) Lorsque l'Administration reçoit un rapport en applica
tion du paragraphe (3), elle peut
a) confirmer ou annuler la suspension prononcée en vertu
du paragraphe (1),
b) suspendre le brevet ou le certificat de pilotage
(i) pour une période supplémentaire ne dépassant pas
une année, ou
(ii) pour une période indéterminée, jusqu'à ce que le
pilote breveté ou le titulaire d'un certificat de pilotage
démontre qu'il est en mesure de remplir les conditions
prescrites par les règlements généraux, ou
c) annuler le brevet ou le certificat de pilotage,
mais aucune mesure ne peut être prise en application des
alinéas b) ou c) à moins qu'avant l'expiration de la suspen
sion autorisée par le président en vertu du paragraphe (1)
l'Administration ne donne avis par écrit au pilote breveté ou
au titulaire d'un certificat de pilotage des mesures qu'elle se
propose de prendre et des motifs sur lesquels elle se fonde.
18. (2) Lorsque l'Administration avise par écrit un pilote
breveté ou le titulaire d'un certificat de pilotage qu'elle se
propose de suspendre pour une période supplémentaire ou
d'annuler son brevet ou son certificat de pilotage en applica
tion du paragraphe (4) de l'article 17, elle doit donner au
titulaire du brevet ou du certificat de pilotage ou à son
représentant toute pdssibilité raisonnable de se faire enten-
dre avant que les mesures ne soient prises.
17(1). L'omission de cette déclaration semble
avoir été délibérée pour permettre à l'Adminis-
tration de découvrir, au moyen de renseigne-
ments supplémentaires éventuels, des actes ou
des manquements différents ou complémentai-
res imputables au requérant et constitutifs de
négligence dans ses fonctions. C'est ce qui s'est
finalement produit en l'espèce.
Conformément à une disposition des règle-
ments établis en vertu de la. Loi, l'avis contenait
également une liste d'au moins cinquante docu
ments que détenait l'Administration et qui s'ap-
pliquaient à l'affaire. Une requête demandant la
communication immédiate de ces documents fut
rejetée et, sur ce, le requérant ne sollicita pas
d'audience.
Dans ces circonstances, il s'agit de déterminer
si l'Administration s'est conformée à l'exigence
de la Loi de donner avis, dans les délais impartis
par le paragraphe, des mesures qu'elle se propo-
sait de prendre et des motifs sur lesquels elle se
fondait.
Selon moi, le but de l'avis prévu à l'article
17(4) et des exigences réglementaires quant à
son contenu, au regard de la procédure envisa
gée par la loi, est clair. Il s'agit d'informer le
pilote en cause des mesures que l'Administra-
tion se propose de prendre concernant son
brevet et des motifs de ces mesures de sorte
qu'il puisse décider des dispositions à prendre
pour se défendre. Par contre, ce but ne peut être
atteint lorsque les motifs des mesures projetées
énoncés dans l'avis le sont de façon si générale
qu'ils ne donnent pas la moindre information sur
les éléments de la conduite du pilote en cause
qui ont constitué une négligence dans ses fonc-
tions et qui entraîneront la suspension de son
brevet s'il n'y répond pas ou s'il ne fournit pas
de réponse satisfaisante.
Dans la présente affaire, l'énoncé de l'avis
cité précédemment laisse vaguement entrevoir
qu'on n'a pas pris certaines mesures de dernière
minute non spécifiées afin d'éviter l'abordage,
mais même une interprétation dans ce sens pré-
sente un caractère spéculatif. Selon moi, une
lecture objective de cet avis n'apporterait à
aucun lecteur, même au requérant qui a eu
connaissance des événements, de renseignement
précis sur le fondement des mesures que l'Ad-
ministration se propose de prendre, à supposer
qu'il existe vraiment un autre motif que celui
visé au paragraphe b) qui ne constitue pas une
des questions pour laquelle l'Administration
peut prononcer la suspension en vertu de l'arti-
cle 17(4). Selon moi, l'avis ne se conforme donc
pas aux exigences de la Loi et, même si l'ac-
quiescement à la demande du requérant sollici-
tant des copies des documents avant la fin de la
suspension imposée en vertu de l'article 17(1)
avait pu remédier au vice de procédure, point
sur lequel je n'exprime aucune opinion, l'avis a
comporté des lacunes jusqu'à la fin du délai
imparti pour donner un avis valable.
Il s'ensuit, selon moi, que l'Administration
n'avait pas compétence pour ordonner une autre
période de suspension du brevet du requérant
en vertu de l'article 17(4) et que l'ordonnance
de suspension doit être annulée.
Par contre, la confirmation de la première
période de suspension porte sur un fondement
différent. Il me semble que le pouvoir de confir-
mer cette suspension peut s'exercer sans donner
au détenteur du brevet la possibilité d'être
entendu et ne constitue pas un pouvoir qui est
légalement soumis à l'exercice d'un processus
judiciaire ou quasi-judiciaire. Par conséquent, la
confirmation ne peut faire l'objet d'un examen
en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale.
* *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE PRATTE: Je tranche la présente
demande dans le même sens que l'a suggéré M.
le juge Thurlow.
La décision de l'Administration de pilotage du
Pacifique que l'on conteste ici contient en fait
deux décisions:
a) La décision confirmant l'ordonnance du
président qui suspendait le brevet du requé-
rant pour une période de quinze jours; et
b) la décision suspendant le brevet du requé-
rant pour une période supplémentaire de
quinze jours.
Si l'Administration pouvait, en vertu de la
Loi, confirmer la suspension déjà imposée par
le président sans donner au requérant la possibi-
lité d'être entendu, il s'ensuivrait, semble-t-il,
que cette décision «n'était pas soumise à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire» et, par
conséquent, qu'elle ne peut faire l'objet d'un
examen en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale. Toutefois, il ne m'est pas néces-
saire d'exprimer une opinion sur cette question
puisque, même en admettant que la décision
puisse faire l'objet d'un examen, j'estime que le
requérant n'a fourni aucune explication en justi-
fiant un.
La décision de suspendre le brevet du requé-
rant pour une période supplémentaire de quinze
jours a un fondement différent. Elle peut nette-
ment faire l'objet d'un examen en vertu de
l'article 28, puisque l'article 18 de la Loi sur le
pilotage impose à l'Administration désirant
rendre une telle décision l'obligation de donner
au pilote en cause «toute possibilité raisonnable
de se faire entendre avant que les mesures ne
soient prises». En outre, en vertu de l'article
17(4) de la Loi sur le pilotage, l'Administration
ne peut suspendre un brevet si elle n'a pas, dans
le délai imparti, donné «avis par écrit au pilote
breveté ... des mesures qu'elle se propose de
prendre et des motifs sur lesquels elle se
fonde».
Selon moi, l'«avis des mesures que l'Adminis-
tration se propose de prendre» qui a été donné
au requérant, n'était pas l'avis prévu à l'article
17(4). Il n'indiquait pas les mesures, mais seule-
ment le genre de mesures que l'Administration
se proposait de prendre et il n'indiquait pas de
façon suffisamment précise les motifs sur les-
quelles elle se fondait. Étant donné que cet avis,
selon moi, ne satisfaisait pas aux exigences de
l'article 17(4), j'estime que l'Administration
n'avait pas le pouvoir de suspendre le brevet du
requérant pour une période supplémentaire de
quinze jours. Par conséquent, j'annule sa
décision.
Je ne veux pas insinuer que les mesures prises
par l'Administration répondaient à des motifs
incorrects. Le dossier qui nous est soumis
montre que l'Administration a agi ainsi par souci
d'équité envers le requérant. Après avoir appris
que le président avait suspendu le requérant, les
membres de l'Administration ont tenu une réu-
nion où ils ont exprimé l'opinion que [TRADUC-
TION] «il leur manquait des renseignements per-
tinents pour rendre une décision en vertu de
l'article 17(4) de la Loi sur le pilotage». Ils
demandèrent alors au président d'obtenir du
requérant des réponses à certaines questions.
Ce n'est qu'après le refus du requérant de les
renseigner sur les circonstances entourant
l'abordage dans lequel il avait été impliqué que,
le dernier jour de la suspension ordonnée par le
président, on lui a signifié un avis assez vague.
Les membres de l'Administration, selon toute
vraisemblance, ont estimé à ce moment que
l'avis ne pouvait être plus précis puisqu'ils ne
disposaient pas de faits suffisants pour détermi-
ner si une période de suspension supplémentaire
était justifiée. En dépit de toutes les bonnes
intentions manifestées par les membres de l'Ad-
ministration, il n'en reste pas moins que l'avis
n'était pas assez précis.
Lorsque le président, agissant en vertu de
l'article 17(1), suspend un brevet et en fait rap
port à l'Administration comme l'exige l'article
17(3), cette dernière doit, avant l'expiration de
cette suspension, déterminer si le brevet, ainsi
suspendu, doit l'être pour une période supplé-
mentaire. L'Administration est tenue d'y pour-
voir rapidement sur le fondement des renseigne-
ments dont elle dispose. Si l'Administration
parvient à la conclusion qu'une période supplé-
mentaire est justifiée, elle doit, dans le délai
imparti, aviser le pilote en cause de la durée de
la suspension supplémentaire proposée et des
motifs qui l'ont amenée à l'imposer. Selon moi,
lorsque le président fait rapport d'une suspen
sion conformément à l'article 17(3), l'Adminis-
tration ne peut alors, en vertu de la Loi, adres-
ser un avis assez vague faisant état des mesures
incertaines qu'elle se propose de prendre et par
la suite, postérieurement au délai prévu par l'ar-
ticle 17(4), tenir une enquête aux fins de déter-
miner si en fait une suspension supplémentaire
est justifiée.
* *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE URIE: J'ai eu l'avantage de lire les
motifs du jugement prononcés par le juge Thur -
low et je tranche la demande dans le même sens
que lui, mais je désire ajouter une ou deux
remarques à ce sujet.
En premier lieu, l'Administration de pilotage
de Colombie-Britannique dans son avis intitulé:
mesures que l'Administration se propose de
prendre, a notifié au présent requérant qu'elle se
proposait de «suspendre [son] brevet pour une
période supplémentaire ne dépassant pas une
année». Ce faisant, elle se conformait en tous
points à l'énoncé du sous-alinéa (i) de l'article
17(4)b) de la Loi sur le pilotage. Le paragraphe
(4) se lit intégralement comme suit:
(4) Lorsque l'Administration reçoit un rapport en applica
tion du paragraphe (3), elle peut
a) confirmer ou annuler la suspension prononcée en vertu
'du paragraphe (1),
b) suspendre le brevet ou le certificat de pilotage
(i) pour une période supplémentaire ne dépassant pas
une année, ou
(ii) pour une période indéterminée, jusqu'à ce que le
pilote breveté ou le titulaire d'un certificât de pilotage
démontre qu'il est en mesure de remplir les conditions
prescrites par les règlements généraux, ou
c) annuler le brevet ou le certificat de pilotage,
mais aucune mesure ne peut être prise en application des
alinéas b) ou c) à moins qu'avant l'expiration de la suspen
sion autorisée par le président en vertu du paragraphe (1)
l'Administration ne donne avis par écrit au pilote breveté ou
au titulaire d'un certificat de pilotage des mesures qu'elle se
propose de prendre et des motifs sur lesquels elle se fonde.
On s'apercevra immédiatement que l'avis
donné au requérant ne lui apportait aucune idée
précise sur la période supplémentaire de suspen
sion qu'on se proposait de prononcer contre lui
et, selon moi, cette omission peut très bien avoir
constitué une lacune fatale dans l'avis, particu-
lièrement lorsqu'on la rapproche de l'omission
de l'Administration de donner les motifs des
mesures qu'elle se proposait de prendre. J'exa-
minerai plus tard cette irrégularité de l'avis.
Pour apprécier la gravité de l'omission de
l'Administration d'aviser le requérant de la
période précise de suspension supplémentaire
envisagée, on doit examiner l'économie de la
Loi par rapport aux pouvoirs d'attribuer un
brevet qui sont énoncés aux articles 15 à 21
inclusivement. Dans l'ensemble, nul n'assurera
la conduite d'un navire à l'intérieur d'une zone
de pilotage obligatoire s'il n'est un pilote breveté
ou si, à titre de membre de l'effectif d'un navire,
il n'est titulaire d'un certificat de pilotage pour
cette zone. Ce brevet ou ce certificat est attri-
bué par l'Administration de pilotage dont relève
la zone en question et peut faire l'objet d'une
suspension dans les circonstances prévues à
l'article 17.
En vertu du paragraphe (1) dudit article, le
président de l'Administration peut suspendre un
brevet pour une période de quinze jours au
maximum «lorsqu'il a des raisons de croire que
le pilote breveté» a contrevenu à certaines dis
positions de la Loi, qu'il ne remplit pas les
conditions exigées du titulaire d'un brevet ou,
en vertu de l'alinéa c), qu'il «a été négligent
dans ses fonctions». Dans la présente affaire, le
président a suspendu le brevet du requérant
pour une période de quinze jours en se fondant
sur ce dernier motif.
L'article 17(2) prévoit que, lorsque le prési-
dent a suspendu verbalement le brevet du pilote,
il doit, dans les quarante-huit heures, en confir-
mer par écrit la suspension au pilote «en en
fournissant les raisons». Le paragraphe (3)
exige alors que le président, dans les quarante-
huit heures de la suspension, en fasse rapport à
l'Administration. Le paragraphe (4) s'applique à
son tour et l'Administration peut confirmer ou
annuler la suspension prononcée par le prési-
dent, ou encore suspendre le brevet pour une
période supplémentaire en vertu de l'alinéa b),
ou enfin annuler le brevet en vertu de l'alinéa c).
Toutefois, comme on peut le voir, aucune
mesure ne peut être prise en application des
alinéas b) ou c) du paragraphe (4) à moins
qu'avant l'expiration de la suspension autorisée
par le président, l'Administration ne donne avis
par écrit au pilote breveté des mesures qu'elle
se propose de prendre et des motifs sur lesquels
elle se fonde.
On remarquera qu'en vertu du sous-alinéa (i)
de l'alinéa b), l'expression «période supplémen-
taire» est utilisée en corrélation avec une
période de suspension dont on fixe le maximum,
à savoir une année, alors que l'alinéa b) utilise
l'expression «période indéterminée» dans les
circonstances y applicables. Selon moi, le Parle-
ment, en utilisant le mot «supplémentaire» au
sous-alinéa (i) et le mot «indéterminée» au sous-
alinéa (ii), a clairement demandé à l'Administra-
tion, dans les circonstances, de prévoir expres-
sément la durée de la suspension qu'elle se
proposait de prononcer en vertu du sous-alinéa
(i). Je crois que cela tient à deux raisons:
a) Étant donné que le Parlement a utilisé les
mots «période indéterminée» dans le sous-alinéa
b)(ii), il est clair que s'il avait voulu investir
l'Administration du pouvoir d'imposer une
période indéterminée pour la suspension supplé-
mentaire en vertu du sous-alinéa b)(i) il aurait
utilisé ces mots. Cependant, en utilisant l'ex-
pression «période supplémentaire» dans ce
sous-alinéa, par opposition à l'expression
«période indéterminée» figurant au sous-alinéa
b)(ii), il donnait certainement à entendre que la
période de prolongation devait être précisée. Si
ce n'était pas le cas, l'effet du sous-alinéa b)(i)
serait identique à celui de l'autre sous-alinéa de
l'alinéa b) (à l'exception du maximum fixé par le
sous-alinéa b)(i)) nonobstant l'utilisation de
deux expressions différentes, c'est-à-dire habili-
ter l'Administration à aviser le pilote d'une sus
pension supplémentaire pour une période indé-
terminée dans chaque cas. Selon moi, un tel
résultat serait contraire à une sage interprétation
de la Loi.
b) L'Administration, en n'indiquant pas au
requérant les autres sanctions auxquelles il était
exposé, ne lui donnait pas la moindre indication
de l'importance que l'Administration accordait à
sa prétendue négligence. A mon sens, cela est
tout à fait contraire à l'esprit de l'article 17 qui
semble conçu pour exiger du président qu'il
procède à une enquête approfondie sur la con-
duite du pilote en son nom propre aussi bien
qu'au nom de l'Administration avant de prendre
toute mesure en vertu de l'Article 17(1) et qu'il
informe de façon précise le pilote des motifs à
l'origine des mesures prises. L'Administration
dispose, en raison des délais très stricts qui lui
sont impartis, de peu d@ temps ou n'avait même
pas le temps de procéder à son enquête et prend
alors simplement les autres mesures précises
proposées, sous réserve du droit conféré au
pilote d'être entendu à ce sujet.
La deuxième remarque que je désire faire est
la suivante: lorsque, dans l'avis, l'omission de
signaler au pilote la sanction plus sévère s'allie à
l'omission de l'Administration d'aviser le pilote
des motifs sur lesquels se fondent les mesures
augmentant la période de suspension envisagée,
ce qui constitue encore, selon moi, une disposi
tion impérative du paragraphe (4) de l'article 17,
l'avis adressé au requérant en l'espèce était for-
cément incomplet et privait l'Administration de
sa compétence pour prononcer une autre sanc
tion. Comme on l'a indiqué précédemment,
selon moi, les derniers mots du paragraphe, à
savoir «et des motifs sur lesquels elle se fonde»
se rapportent aux «mesures» qu'elle se propose
de prendre, à savoir la prorogation de la période
de suspension.
Si cette façon de voir est juste, on se serait
attendu à ce que l'avis des mesures révélât que
la faute du pilote était de nature si grave que
l'Administration n'estimait pas assez longue la
période de suspension initiale ou qu'elle possé-
dait d'autres éléments de preuve justifiant cette
prorogation ou que cette période devait être
modifiée pour tout autre motif se rapportant aux
mesures qu'elle se proposait de prendre. Par
conséquent, même si on accepte la thèse de
l'avocat de l'intimée selon laquelle les mots
«l'Administration est fondée à croire que vous
avez été négligent dans vos fonctions en laissant
le navire Sun Diamond aborder le navire
Erawan» révèlent un motif suffisant aux fins de
l'avis de suspension exigé par l'article 17(2) et
qui doit être communiqué au pilote breveté, ce
que je n'admets pas, ils ne se rapportaient pas
aux mesures qu'elle se proposait de prendre
comme l'exige le paragraphe (4). Sans cette
explication, le pilote ne connaissait en aucune
manière les raisons pour lesquelles l'Administra-
tion se proposait de proroger sa période de
suspension. L'avis en cause qui avait pour but
de donner compétence à l'Administration était
donc forcément incomplet et, pour ces motifs de
même que pour ceux prononcés par les juges
Thurlow et Pratte, l'ordonnance imposant la
suspension supplémentaire doit être rejetée.
En concluant de la sorte, je ne veux pas que
l'on en déduise qu'à mon avis, la conduite des
audiences d'après les dossiers qui nous sont
soumis était en quelque façon injuste à l'endroit
du requérant. En fait, il m'a semblé que l'Admi-
nistration a débordé le cadre de ses attributions
par souci d'équité à son endroit. Si le requérant,
avec le concours de son avocat, avait témoigné
du même esprit de coopération beaucoup plus
tôt qu'il ne le fît en définitive, on aurait, selon
toute vraisemblance, évité le recours à l'au-
dience publique et aux présentes procédures
introduites en vertu de l'article 28.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.