A-73-73
Kingsdale Securities Co. Limited (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intime')
Cour d'appel, les juges Urie et Ryan et le juge
suppléant Bastin—Toronto, les 30 septembre et
l er , 2 et 3 octobre; Ottawa, le 4 décembre 1974.
Impôt sur le revenu—Compagnies familiales—Fonction-
nant sous forme de société en nom collectif—Projet pour
faire face à la législation concernant les compagnies asso-
ciées—Fiducies familiales formant une société en commandi-
te—Fiducies jamais créées—Loi de l'impôt sur le revenu, art.
138,4 (adoptée en 1963, c. 21, art. 26(1))—Règle 1711 de la
Cour fédérale—The Limited Partnerships Act, S.R.O. 1970,
c. 247, art. 10—The Partnerships Act, S.R.O. 1970, c. 339,
art. 2—The Interpretation Act, S.R.O. 1970, c. 225, art.
30.28.
La George E. Shnier & Company Limited, compagnie
dont l'appelante a pris la suite, a été constituée en 1949 en
vue de fabriquer et de commercialiser des revêtements de
sol, des produits en caoutchouc et des matériaux de cons
truction. En 1962, une société a été formée pour gérer la
compagnie Shnier et une autre affaire familiale. Les associés
à participation égale en étaient cinq compagnies contrôlées
par cinq frères Shnier. A la mort de George Shnier, une
autre compagnie contrôlée par un frère Shnier fut admise
dans la société. Comme le budget canadien de juin 1963
semblait prévoir des modifications dans l'imposition des
compagnies associées, les frères Shnier établirent une nou-
velle organisation pour exploiter l'entreprise. Chacun des
cinq frères devait constituer une fiducie dont il serait un des
fiduciaires; les bénéficiaires en seraient les épouses des cinq
frères Shnier, leurs enfants et autres parents. Une société en
commandite comprenant les cinq fiducies (comme comman-
ditaires) et la compagnie appelante (comme gérante) devait
être alors constituée pour reprendre l'affaire de la société en
nom collectif en achetant la participation des compagnies
personnelles; des déclarations de société en commandite
devaient être déposées et chaque fiducie familiale apporter
$75,000 à la société en commandite. La pièce 39 du dossier,
page 20, faisait ressortir les incidences fiscales qui pour-
raient en résulter.
Pour les années d'imposition de 1964 à 1967, l'appelante
avait déclaré le sixième du revenu net provenant de la
société en commandite au motif que chacune des cinq
fiducies familiales déclarait le sixième des bénéfices après
prélèvement des montants appropriés revenant aux bénéfi-
ciaires. Les fiducies familiales n'ont pas fait l'objet de
cotisations nouvelles, mais le Ministre établit une nouvelle
cotisation pour l'appelante portant sur la totalité du revenu
provenant de la société en commandite, au motif que les
fiducies n'ont pas été formées et que, partant, la totalité du
revenu net provenant de la société était imposable entre les
mains de l'appelante en qualité de propriétaire réel de
l'affaire.
Arrêt (rendu à la majorité): l'appel est rejeté.
Les juges Urie et Ryan: le but principal du projet était de
réduire, par des moyens légaux, l'incidence fiscale des pro
positions budgétaires. D'après l'ensemble du dossier et les
conclusions du juge de première instance, corroborées par la
preuve, il était clair que ni une société en nom collectif, ni
une société en commandite n'avaient vu le jour. Les fiducies
prévues dans l'accord de mars ou d'avril 1964 n'avaient pas
été constituées à la date présumée du contrat de société, le
1e" janvier 1964 ou antérieurement. C'est une erreur de
prétendre qu'elles avaient pu participer à la formation de la
société; elles ne le pouvaient pas en vertu de la Loi de
l'Ontario où aurait été conclu l'accord en vue de la création
des fiducies (voir l'article 2 de The Partnerships Act, S.R.O.
1970, c. 339 et l'article 30.28 de The Interpretation Act,
S.R.O. 1970, c. 225). En ce qui concerne les fiduciaires, ils
ont signé l'accord de fiducie, non en tant qu'associés, mais
en leur qualité de fiduciaires. L'appelante n'a pas géré
l'entreprise familiale au nom d'une société composée des
fiduciaires et c'est à bon droit que le revenu net à été imposé
entre ses mains.
Le juge suppléant Bastin (dissident): la nouvelle cotisation
établie par le Ministre est fondée sur l'idée que les diverses
mesures prises par les frères Shnier, en vue de créer des
fiducies au bénéfice de leurs épouses et enfants, ne consti-
tuaient qu'une tentative destinée à simuler la répartition des
bénéfices des entreprises de la famille, qu'en fait l'appelante
conservait. Puisque les fiducies ont été effectivement
créées, conférant une participation irrévocable dans les
entreprises familiales aux fiduciaires pour le compte des
épouses et enfants Shnier, l'appelante devrait avoir gain de
cause.
Arrêts examinés: Owners of the ship Tasmania c. Smith
(1890) 15 A.C. 223; Lamb c. Kincaid (1907) 38 R.C.S.
516; Johnston c. M.R.N. [1948] R.C.S. 486; Von Hatz-
feldt-Wildenburg c. Alexander [1912] 1 Ch. 284; Ayr-
shire Pullman Motor Services c. C.I.R. 14 T.C. 754;
Stanley c. National Fruit Company [1929] 3 W.W.R.
522 et London Passenger Transport Board c. Moscrop
[1942] A.C. 332; 111 L.J. Ch. 50.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
H. Buchwald, c.r., et M. Greene pour
l'appelante.
D. K. Laidlaw, c.r., pour l'intimé.
PROCUREURS:
Buchwald, Asper, Henteleff, Zitzerman,
Goodwin, Greene & Shead, Winnipeg, pour
l'appelante.
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE URIE: Il s'agit d'un appel du juge-
ment de la Division de première instance reje-
tant l'appel de l'appelante concernant les nou-
velles cotisàtions établies par l'intimé et
afférentes au revenu imposable de celle-ci pour
les années 1964 à 1967 inclusivement. Chaque
nouvelle cotisation a intégré au revenu imposa-
ble de l'appelante, pour les années en question,
la totalité du revenu net provenant d'une préten-
due société en commandite dont elle était la
gérante. L'appelante, pour ces années, n'avait
inclus dans ses déclarations d'impôt que le
sixième du revenu net provenant de la préten-
due société en commandite. Les associés étaient
censés être cinq fiducies familiales, dont cha-
cune avait également inscrit le sixième des
bénéfices nets de la société dans ses déclara-
tions pour les années en question, après déduc-
tion des sommes revenant aux bénéficiaires.
L'intimé n'a pas établi, pour les fiducies ni pour
les bénéficiaires, de nouvelles cotisations affé-
rentes aux années en question si ce n'est pour la
portion du revenu net de la société attribuée à
chacun d'eux.
Le point litigieux se résume à savoir si l'appe-
lante, comme elle le soutient, détenait une parti
cipation d'un sixième dans la société en com-
mandite et était donc imposable seulement sur
le sixième du revenu imposable de la société ou
si en fait, comme le soutient l'intimé, elle était
imposable sur la totalité du revenu net de l'en-
treprise, puisque aucune société n'a été formée,
du moins aux fins d'impôt. La solution repose
en partie sur la réponse à la question de savoir
si les fiducies ont été établies ou non et, dans
l'affirmative, si elles sont devenues des com-
manditaires, l'appelante étant la gérante, de l'en-
treprise dont dérive le revenu en question. L'in-
timé soutient qu'aucune fiducie n'a vu le jour de
sorte que, pour les années d'imposition en ques
tion, tout le revenu tiré de la prétendue société
était imposable entre les mains de l'appelante en
tant que propriétaire réel de l'entreprise.
Comme le savant juge de première instance le
fit remarquer, la réponse à ces questions dépend
d'abord des faits et son analyse des preuves
apparaît clairement dans les extraits suivants
des motifs de son jugement:
La George E. Shnier & Company Ltd. fut constituée en
compagnie le 22 avril 1948. A partir de cette date, elle a
exploité une entreprise de fabrication et de distribution de
produits en caoutchouc et de matériaux de construction et
de revêtements de sol. Le 27 décembre 1963, elle prit le
nom de G. E. Shnier Co. Limited et le 7 novembre 1969, par
de nouvelles lettres patentes, elle le changea à nouveau en
Kingsdale Securities Co. Limited, appelante en l'espèce.
Avant le 31 décembre 1961, les actions de la compagnie
étaient réparties de la façon suivante:
George E. Shnier 40%
Norman Shnier 20%
Irving Shnier 20%
Cecil Shnier 20%
Il s'agissait là de quatre frères. Un autre frère, Allan,
exploitait une affaire du même genre à Winnipeg. Sa compa-
gnie s'appelait Eagle Distributing Co. Limited.
Depuis un certain nombre d'années, la mésentente régnait
entre les actionnaires de la George E. Shnier & Company
Ltd., mais en 1961, ces différends furent réglés. Je n'entre-
rai pas trop dans les détails, mais le 1" janvier 1962 une
société fut formée afin de gérer les entreprises ancienne-
ment exploitées par George E. Shnier & Company Ltd. et
Eagle Distributing Co. Limited. Les associées étaient cinq
compagnies détenant toutes une participation égale. Ces
compagnies appartenaient respectivement aux personnes
suivantes:
George Edward Corporation Ltd. (George E. Shnier);
Phil Shnier Limited (Phil Shnier);
Eagle Distributing Co. Limited (Allan Shnier);
Norman Shnier Limited (Norman Shnier);
Irving Shnier Limited (Irving Shnier);
Ces compagnies associées faisaient affaire sous les rai-
sons sociales de G. E. Shnier Co. et Eagle Distributing Co.
George E. Shnier est décédé le 27 juillet 1962 et la
Wabash Enterprises Ltd. (appartenant à Cecil Shnier) devint
associée. Les autres associés rachetèrent la part qui apparte-
nait à la George Edward Corporation Ltd. A une époque
antérieure, les épouses de certains des frères avaient acheté
des parts dans la compagnie appelante. Après le décès de
George Shnier, les épouses des cinq autres frères restèrent
propriétaires de la compagnie.
Au mois de juin 1963, le gouvernement fédéral présenta
un budget qui laissait prévoir d'importants changements
dans le mode d'imposition des compagnies associées. Les
conseillers juridiques et financiers des frères Shnier s'in-
quiétaient des répercussions que ces dispositions pourraient
avoir sur les entreprises Shnier. Les frères Shnier eux-
mêmes étaient inquiets et, au mois de juillet ainsi que par la
suite, des propositions furent avancées surtout par les con-
seillers juridiques afin de doter les entreprises de nouvelles
structures. Malgré des variations dans les divers projets de
réorganisation, l'idée principale était la poursuite de l'entre-
prise sous forme de société, mais d'adjoindre à titre d'asso-
ciés, des fiducies familiales à responsabilité limitée. A l'au-
dience, on a déclaré au nom de l'appelante qu'un des buts de
ce changement était d'organiser la planification du patri-
moine familial et que c'était la raison de la création des
fiducies. A mon avis cet aspect était secondaire; le but
principal était de réduire, dans la légalité, les incidences de
l'impôt compte tenu des propositions budgétaires. (Je garde
à l'esprit le principe bien connu selon lequel chacun a le
droit, dans les limites de la loi, d'arranger ses affaires afin de
réduire sa charge fiscale: C.I.R. c. Duke of Westminster
[1936] A.C. 1). C'est dans une lettre que les conseillers
juridiques ont envoyée le 19 juillet 1963 à un cabinet
d'experts comptables, avec copies à Norman et Cecil Shnier,
que l'on trouve le projet initial.
Le 7 octobre 1963, les conseillers juridiques envoyèrent
aux comptables et aux cinq frères Shnier un document
détaillé (pièce 39) précisant les diverses étapes. Ce docu
ment proposait la constitution immédiate d'une fiducie pour
chacun des cinq frères Shnier au terme d'une déclaration de
fiducie, la nomination des trois fiduciaires, le fiduciaire
principal étant un Shnier, ainsi que la nomination des bénéfi-
ciaires. Le but était de nommer bénéficiaires les épouses, les
enfants et d'autres parents. Une société en commandite
devait alors être formée par les cinq fiducies et la G. E.
Shnier Co. Limited, compagnie appelante en l'espèce. La
participation de chacune des cinq fiducies à la société était
fixée à $75,000 et on devait également trouver un moyen de
réduire à cette somme la part que possédait la G. E. Shnier
Co. Ltd. dans l'entreprise. La compagnie associée devait
être la gérante et les fiducies, les commanditaires. La société
devait faire affaire sous la même raison sociale qu'aupara-
vant. Page 20 de la pièce, on trouve une illustration des
effets de ce projet du point de vue fiscal.
Je souligne qu'à la date de cet exposé, on envisageait la
constitution de «fiducies déclaratoires» et non de «fiducies
constituées».
A une réunion tenue à Toronto le 20 octobre
1963, il a été décidé qu'au lieu de constituer des
fiducies déclaratoires, cinq non-résidents diffé-
rents donneraient chacun $50 à chacune des
cinq fiducies. Le témoin Cecil Shnier a déclaré
que, peu de temps après, il avait appelé son
frère Jack au téléphone à Oklahoma City (Okla-
homa), Esther la femme de ce dernier étant à
l'écoute avec un appareil supplémentaire, l'avait
mis au courant des fiducies familiales envisa
gées et lui avait dit que les cinq frères canadiens
désiraient que lui et Esther soient deux des
auteurs ou disposants. Il a ajouté que par la
suite il avait eu des conversations analogues
avec Aubrey et Peggy Cooper, tous deux aussi
d'Oklahoma, cette dernière étant une cousine
issue de germains des frères Shnier. Il ne se
souvenait pas en avoir parlé au cinquième dis-
posant envisagé, Anne Rose, la belle-mère de
Jack Shnier. Cependant, il a témoigné qu'il avait
informé ses frères et leur conseiller juridique
qu'il en avait parlé aux quatre autres qui avaient
accepté d'agir et que chacun ferait un don aux
fiduciaires pour constituer les fiducies. Il s'est
avéré par la suite qu'il s'agissait d'une somme
de $50.
Par la suite, à la fin de décembre, à une
réunion qui eut lieu à l'occasion d'une cérémo-
nie de bar mitzvah tenue à Regina et à laquelle
Jack, Esther et Anne Rose, dit-on; étaient pré-
sents, quoique la preuve de la présence des
deux derniers n'ait pas été satisfaisante, le con-
seiller juridique des frères Shnier, d'après le
témoignage de Cecil, a analysé et expliqué le
projet d'acte de fiducie qu'il avait préparé. Jack
jeta un coup d'oeil sur ce document, après quoi il
remit $250 en espèces à Irving, somme qui était
censée représenter cinq dons de $50 chacun à
titre de capital engagé pour créer les fiducies.
Aucun des disposants éventuels n'a signé de
documents à ce moment et aucun d'entre eux à
ce moment n'a remboursé à Jack les $50 qu'il
prétend avoir avancés au nom de chacun d'eux.
Le témoignage des parents d'Oklahoma a été
recueilli sur commission rogatoire demandée par
l'intimé et lu à l'audience. Le témoignage de
chacun des cinq disposants indique clairement
qu'ils n'ont pas signé les documents de fiducie
avant mars ou avril 1964. Le savant juge de
première instance a fait les commentaires sui-
vants sur les dépositions recueillies sur commis
sion rogatoire:
Aucun des auteurs ne se souvient si, lors de leur réception
des documents, ces derniers portaient les autres signatures
(des fiduciaires). Jack Shnier déclare que, lors d'une conver
sation téléphonique en automne 1963, son frère Cecil lui a
demandé ainsi qu'à son épouse d'être disposant en ajoutant
qu'il lui donnerait des explications supplémentaires lors du
bar mitzvah du 26 décembre 1963 à Regina. De plus, il a
déclaré en témoignage que les autres,auteurs furent choisis à
Regina et par téléphone à Oklahoma City. Jack dit ne pas
avoir discuté de ces fiducies avec les Cooper ou avec Anne
Rose avant de recevoir les documents au printemps.
Il ressort du témoignage de Jack Shnier qu'il n'avait rien
accepté, même pas de devenir disposant, avant d'aller à
Regina. Il lui semblait avoir peut-être mentionné cette con
versation téléphonique à sa femme, mais il affirme ne pas
avoir discuté des fiducies avec les Cooper ni avec Anne
Rose avant de quitter Oklahoma City.
Esther Shnier a affirmé avoir entendu parler pour la
première fois de la fiducie proposée au bar mitzvah de
Regina et c'est son mari qui lui en parla. Anne Rose a
déclaré qu'on ne lui a pas parlé de la fiducie à Regina et que
son premier contact avec ce projet remonte au moment où, à
la demande de Jack, elle signa l'acte au printemps 1964.
Aubrey Cooper a déclaré que la première fois qu'il a
entendu parler d'une fiducie ou de la possibilité de devenir
disposant remonte au moment où, au printemps 1964, Jack
lui apporta l'acte de fiducie à signer et le lui a expliqué. Le
témoignage de Peggy Cooper corrobore celui de son mari.
Le contre-interrogatoire de Cecil Shnier fit ressortir qu'il
s'était rendu à Oklahoma City avant que les dépositions
devant la commission rogatoire n'aient lieu et qu'il a essayé
de rafraîchir la mémoire de sa famille d'Oklahoma afin,
semble-t-il, que leur version des faits s'accorde avec la
sienne.
Il est important de noter que le savant juge de
première instance a fait un certain nombre de
constatations de fait:
1. Il a déclaré: «je ne peux pas accepter le
témoignage de Cecil au sujet des conversa
tions téléphoniques qu'il a eues avec Esther,
Aubrey et Peggy pour leur demander d'agir à
titre d'auteurs des fiducies».
2. Il a déclaré: «je souscris plutôt au témoi-
gnage de Jack Shnier et, du moins pour la
période qui précède le bar mitzvah, je pense
que sa version des faits est plus exacte».
3. Il a constaté qu' «à la date du bar mitzvah,
les cinq prétendus auteurs n'avaient convenu
de rien et n'avaient pas à cette date l'inten-
tion, au sens juridique de ce mot, de consti-
tuer une fiducie».
4. Il a constaté que les fiducies ne furent pas
constituées avant que les auteurs ne signent
en fait les documents imprimés en mars ou
avril 1964.
5. Il a accepté le témoignage de Jack Shnier
recueilli sur commission rogatoire selon
lequel il déclare avoir participé seul aux dis
cussions, bien qu'il en ait touché un mot à sa
femme, et ne pas avoir vu le projet d'acte de
fiducie.
6. Il a rejeté les dépositions à l'effet contraire
faites à l'audience par les témoins de
l'appelante.
7. Il a été convaincu qu'aucun des disposants
n'avait pris part aux choix des fiduciaires et
que quelques-uns d'entre eux ne connais-
saient pas certains des fiduciaires, même à la
date où leur déposition a été recueillie sur
commission rogatoire.
8. Il a été également convaincu que, jusqu'à
la réception des actes de fiducie aux fins de
signature, les auteurs ignoraient le nom de la
famille au bénéfice le laquelle ils constituaient
la fiducie.
9. Il a déduit des témoignages de Jack Shnier
et de Aubrey Cooper qu'aucun des auteurs
n'aurait signé les documents si l'avocat de
Jack, qui les avait analysés, l'avait
déconseillé.
10. Il a estimé d'après les faits qu'avant la
date de la signature des documents, aucun des
auteurs n'avait montré la moindre intention,
soit en fait soit en droit, de constituer les
fiducies sur lesquelles portent cette action.
Un examen attentif de la transcription des
dépositions révèle, à mon avis, que le savant
juge de première instance avait suffisamment
d'éléments pour fonder ses constatations de fait
et, dans la mesure où je puis m'en assurer, il ne
les a fondées sur aucun faux principe. Les avo-
cats de l'appelante ont soutenu que la déposition
de chacun des auteurs ayant été recueillie sur
commission rogatoire, cette cour était aussi bien
placée que le juge de première instance pour en
apprécier la crédibilité par rapport aux déposi-
tions orales de ses témoins.
La jurisprudence établit clairement que, si au
cours d'un procès, outre les dépositions orales,
certaines dépositions sont recueillies sur com
mission rogatoire, une cour d'appel est aussi
bien placée que le juge de première instance
pour apprécier ces dernières, mais cela ne signi-
fie pas que, si on rejette les dépositions orales
pour accepter celles recueillies sur commission
rogatoire, la cour d'appel ne peut plus accepter
les constations du juge de première instance en
ce qui concerne ces dernières. Je suis d'avis que
le savant juge de première instance en l'espèce,
après avoir entendu le témoignage de Cecil
Shnier, en avoir apprécié la crédibilité, et l'avoir
expressément rejeté, pouvait à bon droit, décla-
rer qu'il préférait et acceptait les dépositions
recueillies sur commission rogatoire et sa cons-
tatation à ce sujet ne devrait pas être écartée
sauf s'il s'était trompé manifestement. Un
examen de la transcription des dépositions
recueillies sur commission rogatoire ne révèle
rien qui puisse amener à la conclusion que ses
constatations étaient erronées et, en consé-
quence, j'estime que cette cour devrait les
accepter.
Cependant, cela n'épuise pas la question et la
Cour se trouve en face de quatre problèmes
soulevés par les avocats de l'appelante, que je
dois examiner:
1. Si les fiducies ont été créées en mars ou
avril 1964, comme l'a laissé entendre le
savant juge de première instance, sont-elles
effectivement nées à ce moment-là et, dans
l'affirmative, pouvaient-elles, comme le sou-
tient l'appelante, avoir effet rétroactif?
2. En l'absence de rétroactivité, des fiducies
ont-elles pu naître à un moment et, dans l'af-
firmative, de quelle manière?
3. Le ler janvier 1964, ou vers cette date, une
société en commandite, dont l'appelante était
la gérante et les cinq fiducies familiales les
commanditaires, a-t-elle vu le jour?
4. Si aucune société en commandite n'a été
formée, une société en nom collectif est-elle
née quand le contrat de société est intervenu
à la date de la signature des actes de fiducie
par les auteurs ou aux environs de cette date?
Il y a lieu de noter que c'est l'appelante qui
cherchait à établir la validité des fiducies. Pour
ce faire, on aurait pensé que chacun des auteurs
aurait dû faire le récit des événements qui l'ont
conduit ou incité à constituer une fiducie. Or,
l'appelante n'a cité au procès, pour l'aider à
établir son point de vue, aucune de ces person-
nes, qui sont toutes apparentées aux frères
Shnier, mais elles ont été interrogées sur com
mission rogatoire émise à la requête de l'intimé.
En conséquence, leur témoignage a servi à éta-
blir le point de vue de l'intimé. Apparemment,
leurs dépositions, qui sur certains points contre-
disent nettement celles des témoins de l'appe-
lante, n'ont pas été, de l'opinion du juge de
première instance, sensiblement affaiblies par le
contre-interrogatoire des avocats de l'appelante.
Leurs connaissances sur la nature, les bénéfi-
ciaires, les fiduciaires et les buts de la fiducie
étaient, pour le moins, rudimentaires et faisaient
douter de leur capacité d'avoir l'intention néces-
saire pour créer les fiducies en question.
Autre fait significatif à mon avis, les seuls
fiduciaires que l'appelante ait cités à témoigner
étaient deux des cinq frères Shnier malgré que
les familles de chacun figurent parmi les bénéfi-
ciaires des fiducies. Le conseiller juridique des
frères, fiduciaire de quatre des cinq fiducies, fut
le seul témoin cité par l'appelante. On n'a cité
aucun des autres frères ni aucun des autres
fiduciaires figurant dans l'acte de fiducie, dont
les témoignages auraient pu fournir quelques
éclaircissements sur la manière dont les fiducies
ont été crées.
En ce qui concerne la première question, les
avocats de l'appelante soutiennent que, en
acceptant les constatations de fait du juge de
première instance, les fiducies ont pris nais-
sance à la signature des actes, avec effet
rétroactif, soit (a) à la date qui figure sur les
actes, soit (b) à la date d'ouverture des comptes
bancaires au nom des fiducies respectives, soit
(c) à la date de la cérémonie de bar mitzvah,
date à laquelle on prétend que Jack Shnier a
approuvé les termes de la fiducie en son nom
personnel et en qualité de mandataire des autres
auteurs, soit (d) le 20 décembre quand la somme
totale de $250 versée par Jack Shnier a été
déposée au compte bancaire de chacune des
cinq fiducies à concurrence de $50 pour
chacune.
Dans l'ouvrage de Snell, Principles of Equity,
27e édition à la page 111, il est dit:
[TRADUCTION] Article 4. Les trois certitudes
Lord Langdale, maître des rôles, a posé le principe (Knight
c. Knight (1840) 3 Beav. 148 à la p. 173) que trois choses
sont nécessaires à la création d'une fiducie:
(i) les termes doivent être utilisés de telle façon que le
libellé soit péremptoire;
(ii) l'objet de la fiducie doit être certain; et
(iii) l'affectation des fonds ou les personnes destinées à
bénéficier de la fiducie doivent être certaines.
C'est ce qu'on appelle «les trois certitudes». (Voir d'une
manière générale Glanville Williams (1940) 4 M.L.R. 20).
D'après les constatations de fait du juge de
première instance auxquelles je souscris, aucun
des disposants à l'exception peut-être de Jack
Shnier, n'a manifesté la moindre intention de
constituer une fiducie au profit de bénéficiaires
déterminés, du moins jusqu'à la réception des
actes de fiducie à Oklahoma en mars ou avril
1964. En outre, aucun auteur, sauf Jack Shnier,
n'a avancé de fonds et aucun d'eux n'a autorisé
ce dernier à faire aucune avance de fonds en
leur nom, même après la signature des actes de
fiducies. Ils n'ont pas désigné de fiduciaires et
ignoraient même les noms de certains fiduciai-
res qu'ils étaient censés désigner.
A la page 115, Snell a précisé ce qui suit:
[TRADUCTION] 4. Absence de certitudes. On peut résumer
ainsi les conséquences de l'absence de l'une des certitudes.
La certitude principale vise l'objet, pris dans le premier
sens; s'il n'y a pas de certitude quant aux biens confiés en
fiducie, toute la transaction est nulle. Ensuite, si cette certi
tude existe et que les termes soient ambigus, la personne qui
a droit aux biens les détient libres de toute fiducie. Enfin, si
ces deux certitudes existent et que la destination des biens
soit incertaine, il y a une fiducie qui fait retour au disposant
car «une fois qu'il est établi qu'une fiducie [portant sur des
biens déterminés] a été prévue et que le légataire ne peut pas
recueillir les biens» (Briggs c. Penny (1851) 3 Mac. & G. 546
à la p. 557, motifs du lord chancelier Truro), on applique la
même règle que lorsque l'incertitude porte sur l'objet en ce
qui concerne les droits des bénéficiaires, à moins que l'un
d'entre eux puisse prétendre à la totalité des biens.
Il me semble qu'en avançant l'argument sui-
vant lequel les actes de fiducie, après leur signa
ture, devraient avoir un effet rétroactif, l'appe-
lante affirme que les engagements verbaux
prétendument pris en décembre par les parents
d'Oklahoma de devenir disposants ou l'ouver-
ture des comptes bancaires, constituaient des
engagements à créer des fiducies pour l'avenir.
Dans Law of Trusts and Trustees, 12e édition,
Underhill, l'auteur de cet ouvrage qui fait auto-
rité, discute de la validité de cette espèce d'en-
gagement à la page 47 quand il écrit:
[TRADUCTION] La règle qui veut qu'un engagement valable
de créer une fiducie in futuro suffit à créer une fiducie in
praesenti, conférant ainsi la saisine des biens aux parties et
liant les tiers qui en ont connaissance, repose sur la maxime:
L'equity considère comme fait ce qui devrait être fait.
Il s'ensuit donc que, si on prétend avoir constitué une
fiducie par un engagement à faire quelque chose, la fiducie
ne sera valable que dans la mesure où les tribunaux d'equity
ordonneraient l'exécution en nature de l'engagement. S'il
s'agissait d'un engagement à titre gratuit (ou même d'une
convention passée sous le sceau non assortie d'une considé-
ration appréciable en argent) aucune constitution de fiducie
n'en résulterait; car l'equity ne vient pas au secours des
donataires et, en conséquence, la cour, en vertu de cette
maxime, considérerait que rien n'a été fait.
Les constatations du savant juge de première
instance indiquent clairement qu'aucun des dis-
posants n'agissait à titre gratuit à cette date.
Ceci étant, il n'y avait pas d'engagement pou-
vaut être sanctionné par les tribunaux. Alors, il
semble découler logiquement que les actes de
fiducie, après leur signature, ne pouvaient avoir
d'effet rétroactif.
En ce qui concerne la deuxième question,
l'appelante a soutenu que si les actes de fiducie
n'avaient pas d'effet rétroactif, des fiducies à
parfaire avaient été constituées par le contrôle
qu'exerçaient les fiduciaires sur les comptes
bancaires des fiducies et qu'il s'agissait des
mêmes fiducies dont les clauses ont été rédigées
et confirmées dans les actes de fiducies. On
découvre la fausseté de cet argument dans les
preuves, d'où il ressort, d'après les constata-
tions du juge de première instance, qu'aucun
des auteurs n'a manifesté le moindre intérêt
dans la constitution des fiducies au moment de
l'ouverture par l'un des frères Shnier dès comp-
tes en fiducie aux noms des fiduciaires. Bien
que leur création exige moins de formalités que
celle des fiducies définitives, les fiducies à par-
faire ne peuvent être constituées sans qu'on soit
en mesure de constater l'intention des dispo-
sants. D'après les constatations du savant juge
de première instance, leur intention n'a pas pu
être manifeste avant mars ou avril 1964; aucune
fiducie à parfaire n'a donc pu exister avant cette
date.
L'appelante a alors soutenu que si la signature
des actes de fiducie n'avait pas d'effet rétroactif
et si on ne pouvait constater l'existence d'au-
cune fiducie à parfaire, l'ouverture des comptes
bancaires en fiducie a créé des fiducies déclara-
toires. Cet argument ne peut être retenu, me
semble-t-il, pour deux raisons.
Premièrement, les preuves non réfutées éta-
blissent que les frères Shnier ont écarté l'idée
initiale de créer les fiducies par déclaration et
ont choisi de les constituer par des versements
effectués par des non résidents. Tout ce qui a
été fait par la suite, y compris toute la documen
tation concernant le projet, tendait à la création
de fiducies de cette façon. A mon avis, on ne
peut pas admettre que l'appelante déclare par la
suite que si les fiducies n'ont pas été créées par
versements, elles l'ont alors été par des déclara-
tions présumément faites par les fiduciaires de
chaque prétendue fiducie, ceci découlant de
l'ouverture des comptes bancaires en fiducie.
Tout le projet était basé sur l'adoption d'une
ligne de conduite donnée et si cette ligne de
conduite a échoué, je ne connais pas d'opération
juridique qui puisse changer l'échec en réussite
en invoquant un concept totalement différent,
surtout lorsque ce concept avait été auparavant
expressément écarté comme fondement d'une
ligne de conduite possible. Le fait est que l'in-
tention expresse des fiduciaires se trouve dans
les documents de fiducie signés et que cette
intention n'était pas de nature déclaratoire mais
consistait à affecter les fonds avancés par les
disposants aux fiducies qui y étaient prévues.
Si, comme je le pense, ces documents n'ont pas
réussi à créer de fiducies valables au l er janvier
1964, je suis d'avis que les fiduciaires ne peu-
vent invoquer aucune règle de droit ou d'equity
pour les rendre valables' à cette date en chan-
geant la nature de la fiducie.
Deuxièmement, l'avis d'appel modifié, visant
les nouvelles cotisations, fondait l'appel sur le
contrat de commandite en vertu duquel chacun
des commanditaires était l'une des fiducies, cha-
cune étant décrite comme [TRADUCTION] «une
fiducie créée par acte de fiducie, en date du 2
décembre 1963 par l'intermédiaire de ses fidu-
ciaires actuels ...». On n'a pas plaidé, même
subsidiairement, qu'il s'agissait de fiducies
déclaratoires et non pas de fiducies constituées
par les parents d'Oklahoma conformément aux
actes de fiducie. Ce n'est qu'au cours des débats
en première instance que l'appelante a adopté ce
raisonnement. A mon avis, l'appelante ayant
intenté l'action en se fondant sur la validité de
certains documents, on ne devrait pas l'autoriser
à demander soit au juge de première instance
soit à cette cour d'examiner l'affaire sur une
base totalement différente.
Dans l'arrêt The Owners of the Ship Tasmania
c. Smith (1890) 15 A.C. 223 à la p. 225, lord
Herschel], examinant un point que le demandeur
avait soulevé pour la première fois devant la
cour d'appel, eut à déclarer:
[TRADUCTION] Mes Seigneurs, je pense qu'on devrait exami
ner d'une manière très minutieuse un point comme celui-ci,
qui n'a pas été soulevé en première instance et est présenté
pour la première fois en cour d'appel. Le déroulement d'un
procès en première instance est commandé par les points qui
y sont soulevés et les questions posées aux témoins s'y
rapportent. Et il est évident qu'on ne se soucie pas d'éluci-
der les faits qui ne concernent pas ces points. [C'est moi qui
souligne].
Il me paraît que, dans ces circonstances, une cour d'appel ne
devrait statuer en faveur d'un appelant sur un motif qui est
soulevé pour la première fois que si elle est indubitablement
convaincue d'une part qu'on lui a soumis tous les faits
relatifs à la nouvelle prétention, aussi complètement qu'on
l'aurait fait si la controverse était survenue en première
instance; et d'autre part que les témoins dont la conduite est
mise en cause n'auraient pu offrir d'explication satisfaisante
s'ils avaient eu l'occasion de s'expliquer quand ils étaient à
la barre des témoins. [C'est moi qui souligne.]
Dans l'affaire Lamb c. Kincaid (1907) 38
R.C.S. 516 à la page 539, le juge Duff, alors
juge puîné, s'est référé, en l'approuvant, à l'ar-
rêt Tasmania (précité) et déclarait:
[TRADUCTION] Si on avait affirmé en première instance que
les demandeurs devraient suivre la procédure que l'on sug-
gère maintenant, on ne peut savoir comment ils auraient
expliqué le fait qu'ils n'ont pas procédé de cette façon.
Plusieurs explications me viennent à l'esprit, mais une telle
spéculation est sans intérêt; et je ne pense pas que l'on
puisse légitimement, à ce stade, inviter les demandeurs à
justifier leurs attitudes révélées par les preuves figurant au
dossier. Une cour d'appel, à mon avis, ne devrait pas donner
suite à un tel point, soulevé pour la première fois en appel, à
moins d'avoir la certitude que la question, eût-elle été soule-
vée en temps opportun, n'aurait pu être élucidée davantage.
Il y a beaucoup d'autres arrêts dans le même
sens, mais contrairement aux affaires dans les-
quelles le moyen nouveau a été soulevé pour la
première fois en appel, en l'espèce il l'a été au
cours des débats devant le savant juge de pre-
mière instance. Cependant, à ce moment-là les
deux parties avaient déjà terminé leur plaidoyer
de sorte que le défendeur, à ce stade, ne pouvait
plus produire de preuve pour réfuter l'argument;
par conséquent, les mêmes principes devraient
s'appliquer. Probablement le défendeur avait
déjà produit des preuves pertinentes pour répli-
quer aux arguments invoqués contre lui. On ne
devrait pas placer cette cour ni le juge de pre-
mière instance dans la situation d'avoir a déci-
der si toutes les preuves possibles ont été oppo
sées à chacun des moyens soulevés par l'autre
partie, à moins que cette cour ou le juge de
première instance soit parfaitement convaincu
que toutes les preuves requises permettant au
défendeur de réfuter le nouveau moyen du
demandeur ont été présentées. Je n'ai pas cette
conviction et je ne pense donc pas que cette
cour doive prendre en considération la préten-
tion de l'appelante relative à la création proba-
ble de fiducies déclaratoires, ou que le savant
juge de première instance aurait dû le faire.
Les troisième et quatrième questions se fon-
dent sur l'hypothèse qu'à un moment donné, des
fiducies valables ont vu le jour d'une manière
ou d'une autre. En admettant cette hypothèse, il
s'agit de savoir si une société, en commandite
ou en nom collectif, a été créée le l ei janvier
1964 ou postérieurement. Il faut alors présuppo-
ser que les fiducies peuvent former une société.
Il est évident, il me semble, que les fiducies
ne sont pas des entités juridiques en soi. Elles
agissent par l'intermédiaire de leurs fiduciaires.
Le contrat de société est censé avoir été signé à
Toronto (Ontario) le l ei janvier 1964, de sorte
qu'à mon avis on puisse admettre sans risque
d'erreur que le droit des sociétés de la province
de l'Ontario est applicable.
L'article 2 de The Partnerships Act, S.R.O.
1970, c. 339 se lit comme suit:
[TRADUCTION] 2. La société est le rapport existant entre
des personnes qui exploitent ensemble une entreprise, mais
le rapport entre les actionnaires d'une compagnie ou les
membres d'une association, constituée par ou en vertu de
toute loi générale ou spéciale en vigueur en Ontario ou
ailleurs, ou enregistrée en tant que corporation en vertu
d'une telle loi, ne constitue pas une société au sens de la
présente loi. S.R.O. 1960, c. 288, art. 2, modifié.
L'article 30 de The Interpretation Act, S.R.O.
1970, c. 225, définit une personne comme suit:
[TRADUCTION] 30.28 «Une personne» comprend une cor
poration, les héritiers, exécuteurs testamentaires, adminis-
trateurs ou autres représentants légaux d'une personne visée
par le contexte, conformément à la loi.
Il est évident qu'aucune des cinq fiducies
familiales des Shnier ne constitue une «per-
sonne» en soi au sens de ces articles et ainsi ne
pouvait s'associer dans une entreprise commer-
ciale. Les avocats de l'appelante le reconnais-
sent mais prétendent que, malgré la désignation
d'associées donnée aux fiducies, peu importe
qu'elles fussent commanditaires ou gérants, les
vrais associés étaient les fiduciaires qui agis-
saient comme tels, au profit et au nom des
diverses fiducies. Pour apprécier la validité de
cet argument, il faut naturellement examiner le
contrat de société.
Ce faisant, il y a lieu de remarquer d'abord
que la partie mentionnée en second lieu est
décrite comme [TRADUCTION] «la fiducie de la
famille d'Irving Shnier, créée par acte de fiducie
en date du 2 décembre 1963, par l'intermédiaire
de ses fiduciaires actuels ci-après appelés la
fiducie Irving». Chacune des parties mention-
nées en troisième, quatrième, cinquième et
sixième lieux qui sont les fiducies respectives de
chacun des autres frères, est décrite d'une
manière analogue avec le propre nom qui lui a
été donné et ce nom est utilisé par la suite tout
au long du document pour désigner les associés.
Nulle part dans le document le nom d'un fidu-
ciaire n'est mentionné ni à titre d'associé, ni à
aucun autre titre. Cependant, à la page où les
signatures sont apposées, sous le nom de
chaque fiducie figurent les noms de deux des
trois fiduciaires de chaque fiducie, avec leur
signature. Le nom du troisième fiduciaire n'est
jamais mentionné et sa signature n'apparaît. pas.
A ce sujet, il y a lieu de noter que le paragra-
phe 32 de chaque acte de fiducie précise qu'au-
cun contrat valable ne pourra lier les fiducies
s'il n'est signé par les personnes désignées pour
ce faire ou de temps à autre par les fiduciaires.
A ma connaissance aucune preuve n'a été pro-
duite pour établir l'authenticité du mandat des
deux fiduciaires qui ont signé l'acte de société.
En admettant qu'un tel mandat ait existé,
quoiqu'aucune preuve en ce sens n'ai été pro-
duite, il est clair que les fiduciaires signataires
ont signé l'acte en leur qualité respective de
fiduciaires et non à titre d'associés, ce qui est
spécialement précisé au paragraphe 32 du con-
trat de société. S'ils avaient signé en qualité
d'associés, on se serait attendu à ce que cela fut
précisé dans le contrat et, naturellement, ils
n'auraient pu, sans la signature de l'autre fidu-
ciaire, lier ce dernier en tant qu'associé.
En outre, le paragraphe 23 de ce dernier
contrat précise que [TRADUCTION] «ce contrat
est passé sous réserve expresse des dispositions
de The Limited Partnership Act de l'Ontario
...» . Dans la mesure où cette loi s'applique, le
savant juge de première instance, après avoir
conclu qu'il n'existait au l er janvier 1964 ni
fiducie à parfaire ni fiducie déclaratoire et que,
si des fiducies constituées avaient été créées,
cela n'a pu se faire avant mars ou avril 1964 et
alors sans effet rétroactif, a décidé qu'aucune
société en commandite n'a été créée. Comme les
déclarations de sociétés en commandite enregis-
trées en Ontario et au Manitoba se réfèrent à
des fiducies existant antérieurement au l er jan-
vier 1964 et comme aucune n'existait, il s'ensuit
logiquement que les constatations du juge de
première instance sont exactes.
Après examen de l'ensemble des documents,
il est parfaitement clair que la thèse de l'appe-
lante, selon laquelle a été formée une société
soit en commandite soit en nom collectif, ne
saurait prévaloir, parce qu'à mon avis, ces docu
ments comportent de nombreux éléments éta-
blissant qu'il était entendu que les cinq fiducies
étaient et pouvaient valablement être des par
ties. Il s'agit, à mon avis d'un point de vue
insoutenable, compte tenu de la preuve, et il n'a
jamais existé en droit ou en fait de société
légalement constituée, en commandite ou en
nom collectif, les fiduciaires ayant signé le con-
trat de société, non pas en tant qu'associés, mais
en leur qualité de fiduciaires. Ceci étant, l'appe-
lante n'a pas exploité l'entreprise familiale au
nom des fiducies constituées en société et c'est
à bon droit que l'intimé a imposé entre les mains
de l'appelante le revenu net en provenant.
Savoir si par leur conduite les parties aux divers
documents ont créé entre elles des droits et
obligations juridiques est une question que je
n'ai pas à examiner puisque j'ai constaté qu'en
ce qui concerne l'intimé, l'appelante n'a pas
réussi à démontrer la validité des pièces qu'elle
a invoquées à l'appui de ses prétentions.
Pour tous ces motifs, l'appel est rejeté avec
dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE RYAN: Mon collègue le juge Urie,
dans les motifs de son jugement, a fait un
exposé complet des points contestés et des faits
de l'espèce.
Il semble qu'en 1963 une entreprise était
exploitée par une société sous les raisons socia-
les de G. E. Shnier Company et Eagle Distribu
ting Company. Les associés en étaient cinq
compagnies dont la totalité des actions de cha-
cune appartenait à l'un des frères Shnier. Voici
le nom de ces compagnies, le nom du frère
actionnaire étant entre parenthèses: Phil Shnier
Limited (Phil Shnier), Norman Shnier Limited
(Norman Shnier), Irving Shnier Limited (Irving
Shnier), Eagle Distributing Co. Limited (Allan
Shnier) et Wabash Enterprises Limited (Cecil
Shnier). Le l er janvier 1962, la société avait
acquis l'entreprise à la suite de cessions consen-
ties par l'appelante, qui faisait alors le com
merce sous le nom de George E. Shnier Com
pany Ltd.', et par Eagle Distributing Co.
Limited.
Certaines propositions fédérales relatives à
l'impôt, formulées au mois de juin 1963, lais-
saient prévoir d'importants changements dans le
mode d'imposition des compagnies associées.
En conséquence, au mois de juillet et par la
suite, les conseillers juridiques des frères Shnier
ont soumis des propositions visant à doter l'en-
treprise d'une structure nouvelle. Ces proposi
tions ont pu aussi avoir des objectifs de planifi-
cation successorale. Le projet initial était
exposé dans une lettre, en date du 18 juillet
1963, adressée à une firme de comptables, avec
copie à Norman et Cecil Shnier. Au fond ce
projet consistait à remplacer la société existante
par une nouvelle dont les associées seraient
l'appelante et cinq fiducies familiales, chaque
fiducie étant constituée au profit de la femme,
des enfants et d'autres parents de chacun des
frères Shnier qui contrôlaient les compagnies
constituant la société.
Le 7 octobre 1963, les conseillers juridiques
envoyèrent aux comptables et aux cinq frères
Shnier un document détaillé précisant les diver-
ses mesures à prendre. Ce document prévoyait
la constitution d'une fiducie par chacun des
frères Shnier par voie de déclaration; la nomina
tion de trois fiduciaires dont l'un serait le frère
ayant fait la déclaration de fiducie; et la dési-
gnation de la femme de ce frère, de ses enfants
et d'autres parents à titre de bénéficiaires. Une
société en commandite serait alors constituée
' Le 27 décembre 1963, l'appelante prit le nom de G. E.
Shnier Co. Limited. Par suite d'un autre changement inter-
venu le 7 novembre 1969 le présent nom, Kingsdale Securi
ties Co. Limited, a été adopté.
par l'appelante et les cinq fiducies familiales,
l'appelante étant la gérante et les cinq fiducies
les commanditaires.
Les frères Shnier se réunirent le 20 octobre
1963 pour discuter de la constitution des fidu-
cies. Il fut décidé de choisir des non-résidents
comme disposants des fiducies, chacune ayant
un disposant différent. Cecil Shnier avait
séjourné quelque temps à Oklahoma City où
demeurait son frère Jack Shnier. Jack avait
épousé sa cousine Esther dont la mère, Anne
Rose, demeurait également à Oklahoma City
tout comme Peggy Cooper, une cousine issue de
germains, et son époux Aubrey Cooper. Il fut
apparemment décidé qu'on demanderait à
chacun de ces parents d'être le disposant d'une
fiducie, et Cecil devait entrer en contact avec
eux.
Je pense que l'abandon du projet originaire de
créer des fiducies déclaratoires au profit de la
création de fiducies constituées a une influence
déterminante sur l'arrêt qui sera rendu en l'es-
pèce. La réalisation du projet dépendait de la
constitution effective des fiducies et de la for
mation de la société envisagée dont les fiducies
seraient les commanditaires.
Le rôle du disposant ou auteur est naturelle-
ment capital dans la création d'une fiducie cons-
tituée. C'est le disposant qui cède aux fiduciai-
res les biens qui constituent le patrimoine ou les
fonds de la fiducie; c'est le disposant qui insti-
tue les bénéficiaires de la fiducie; c'est lui qui
confère des pouvoirs aux fiduciaires. Seul le
disposant est habilité à faire ces choses. Une
fois la fiducie créée, la participation du dispo-
sant peut se terminer, comme c'était prévu dans
la présente affaire; mais lui seul peut créer la
fiducie.
L'appelante soutient que la société a été créée
le l er janvier 1964 ou vers cette date, à la suite
d'un contrat portant cette date intervenu entre
l'appelante et les fiducies familiales. Cela
revient évidemment à soutenir que les fiducies
ont été créées avant la conclusion du contrat de
société. L'appelante soutient aussi que la
société a été enregistrée à titre de société en
commandite, l'appelante étant la gérante et les
fiducies les commanditaires, conformément aux
lois de l'Ontario et de chaque autre province où
elle faisait affaire. A l'appui de cette prétention
l'appelante a essayé d'établir qu'avant la tenue
d'une cérémonie de bar mitzvah à Regina (Sas-
katchewan) qui a débuté le 26 décembre 1963,
on avait déjà désigné les personnes qui devaient
être les disposants des fiducies; que les dispo-
sants comprenaient qu'ils devaient constituer les
fiducies en cédant chacun $50 aux fiduciaires
de leur fiducie; qu'ils savaient qui étaient les
bénéficiaires de la fiducie et comment les fonds
devaient être utilisés; et que, par certains actes
accomplis à l'occasion du bar mitzvah, les fidu-
cies constituées ont été créées. Il y a aussi des
preuves attestant que l'appelante et les «fidu-
ciaires» des fiducies familiales ont fait des
déclarations de société en commandite et les ont
enregistrées en Ontario et dans les autres pro
vinces où la société faisait affaire.
La question de savoir si les fiducies ont été
créées à Regina dépend dans une large mesure
des témoignages oraux de Cecil Shnier, Norman
Shnier et Israel Asper et des témoignages des
cinq «disposants» recueillis à Oklahoma sur
commission rogatoire. En ce qui concerne ces
témoignages, ils sont, pour employer le mot
utilisé par le savant juge de première instance,
«contradictoires». Le juge de première instance
a analysé les preuves en détail et mon collègue
le juge Urie les a passées en revue et je n'y
reviendrai pas sauf pour ajouter à la déclaration
de mon collègue le juge Urie cet extrait du
résumé du juge de première instance relatif à ce
qui s'est passé à Regina:
Je vais examiner brièvement la preuve relative à ce qui
s'est passé à Regina. Elle contient des contradictions. Quel-
qu'un a avancé que Jack Shnier avait apporté $250 à Regina
en son nom et en celui des autres auteurs afin de faire une
donation de $50 aux fiduciaires de chaque fiducie. Ce n'est
pas ce que Jack Shnier prétend. Il déclare qu'il se rend
fréquemment au Canada et qu'il a toujours trouvé plus
pratique et plus économique du point de vue change de se
procurer des devises canadiennes à Oklahoma avant d'entre-
prendre un voyage. C'est ce qu'il fit en décembre 1963. Il
prit quatre ou cinq cents dollars canadiens. A Regina, il
préleva $250 sur ses propres fonds pour les donner à
quelqu'un qui finit par les remettre à l'avocat qui était
également là et qui, semble-t-il, les a donnés à Phil Shnier.
Phil Shnier devait quitter la cérémonie du bar mitzvah avant
la fin pour rentrer à Toronto. L'avocat et Cecil Shnier ont
déclaré qu'un projet d'acte de fiducie fut présenté à Regina
et que la nature de cette fiducie ainsi que ses dispositions
furent expliqués aux trois disposants qui s'étaient rendus
dans cette ville. J'accepte le témoignage de Jack Shnier
selon lequel il déclare avoir participé seul aux discussions,
bien qu'il en ait touché un mot à sa femme, et ne pas avoir
vu le projet d'acte de fiducie. Je rejette les témoignages à
l'effet contraire des personnes citées par l'appelante.
A mon avis, voici ce qui s'est vraiment passé à Regina:
Jack Shnier fut mis au courant de la nature générale des
fiducies projetées, il devait essayer de convaincre sa femme,
sa belle-mère et les Cooper d'en être les auteurs, il devait
recevoir ultérieurement les documents qu'on signerait si tout
le monde était d'accord.
Mon collègue le juge Urie a exposé les cons-
tatations du savant juge de première instance. Si
elles sont acceptées, il est clair que les fiducies
constituées n'ont pas été créées avant la date où
le contrat de société est censé avoir été passé.
En ce qui concerne les disposants, à l'exception
de Jack Shnier, aucun d'entre eux n'a cédé de
biens, même pas les $50, aux fiduciaires. Aucun
d'entre eux, y compris Jack Shnier, n'a désigné
les bénéficiaires de sa fiducie ni les attributions
ou pouvoirs discrétionnaires des fiduciaires.
Enfin il apparaît clairement de ces constatations
de fait que la création des fiducies constituées a
été reportée à plus tard et que les projets d'acte
de fiducie n'ont pas été signés avant mars ou
avril de l'année suivante.
On a soutenu que, puisque le savant juge de
première instance n'avait pas entendu les dépo-
sitions des parents d'Oklahoma mais seulement
celles de Cecil Shnier, de Norman Shnier et
d'Israel Asper (deux d'entre eux ont participé
aux discussions relatives aux fiducies qui se
sont déroulées au cours du bar mitzvah à
Regina), cette cour n'a aucune raison valable
d'accorder à ses constatations de fait la pré-
somption d'exactitude qu'une cour d'appel
accorde ordinairement aux constatations de fait
d'un juge de première instance. Il est vrai, vu les
circonstances, qu'on ne doit peut-être pas accor-
der aux constatations exactement la même
valeur que si tous les témoins avaient déposé
devant le juge. Le fait qu'il ait eu à résoudre des
contradictions entre les dépositions orales et les
dépositions recueillies sur commission rogatoire
ne signifie pas cependant que nous sommes
aussi bien placés que lui: il a au moins vu et
observé Cecil Shnier et les autres témoins qui
ont donné des témoignages pertinents. Les
constatations de fait fondées sur les contradic
tions entre les dépositions recueillies sur com-
mission rogatoire et les dépositions faites effec-
tivement devant le juge de première instance
sont le résultat de la confrontation des deux. Il
serait donc fallacieux de dire que cette cour est
aussi bien placée que le juge de première ins
tance même pour apprécier les dépositions
recueillies sur commission rogatoire. Il appar-
tient à l'appelante de démontrer que les consta-
tations du juge de première instance, dans la
mesure où elles résolvent des contradictions
dans les témoignages, y compris les contradic
tions entre les dépositions recueillies sur com
mission rogatoire et les dépositions orales,
étaient erronées, ce qu'elle n'a pas fait. J'ac-
cepte donc les constatations du juge de pre-
mière instance. Il résulte de ces constatations
que les fiducies n'existaient pas au début de
1964 et qu'ainsi aucune société n'a été formée
entre l'appelante et les fiducies familiales. Il
s'ensuit donc que l'appelante n'a pas prouvé ses
prétentions.
En parvenant à la conclusion que l'appelante
n'a pas prouvé ses prétentions, j'ai tenu compte
d'un argument possible fondé sur une clause des
actes de fiducies visant à leur donner effet
rétroactif. Ces actes de fiducie concernant les
fiducies familiales ont été signés en mars ou
avril 1964. Chaque acte porte la date du 2
décembre 1963. L'«article I—Constitution» de
chacun d'eux stipule:
[TRADUCTION] 1. Par les présentes, le disposant convient et
décide de donner et transférer aux fiduciaires une somme de
$50, ladite somme de $50 devant être versée aux fiduciaires
qui l'utiliseront de la façon décrite ci-après; et en outre le
disposant convient et décide que ledit don et transfert de
cette somme d'argent est fait de manière irrévocable et
définitive en faveur des fiduciaires, conformément aux obli
gations prévues dans les présentes.
2. Le disposant doit verser et remettre ladite somme de $50
auxdits fiduciaires dès qu'ils en font la demande, mais,
nonobstant tout retard possible dans la transmission, cession
et remise effectives de ladite somme auxdits fiduciaires,
cette fiducie prendra effet à la première date susmentionnée
et, jusqu'à la date du versement effectif auxdits fiduciaires
ou à l'un d'eux, le patrimoine de la fiducie sera constitué de
la promesse et de l'engagement, de la part du disposant, de
faire le don et de remettre la somme.
La clause de chaque acte de fiducie, pré-
voyant qu'elle prendra effet le 2 décembre
1963, a-t-elle pour résultat de rendre valable la
société en commandite qui, d'après les plai-
doyers, a été formée le 1 er janvier 1964 ou à une
date voisine et définitivement constituée par
l'enregistrement dans les provinces voulues, des
déclarations de société en commandite et par la
signature, au cours de l'hiver ou du printemps
1964, du contrat de société daté du l er janvier
1964, mais qui fut en fait signé postérieure-
ment? Cela reviendrait à dire qu'à la signature
des documents appropriés de société, les fidu-
cies avaient été créées (quoique rétroactive-
ment), les fiduciaires désignés et capables, en
vertu des actes de fiducies, de passer le contrat
de société. A cela je réponds que les fiducies
familiales ont été constituées, si tant est qu'elles
l'aient jamais été, par la signature des actes de
fiducie. Chacune de ces fiducies est née (si elle
a pu naître) par suite de la signature par le
disposant de l'acte exposant son intention de
créer la fiducie et désignant des bénéficiaires et
par suite de l'attribution aux fiduciaires du patri-
moine de la fiducie. La fiducie est née, dans la
mesure où elle a pu naître, quand les actes
constitutifs ont été passés. Dans ce cas, le
défaut de constituer les fiducies familiales en
décembre 1963 n'a pu être corrigé par la signa
ture postérieure des actes de fiducie assortis de
clauses destinées à leur conférer une existence
rétroactive, même en admettant que les actes
aient par ailleurs été valables.
On a soutenu que les fiducies ont été créées
en décembre 1963 en tant que fiducies à par-
faire qui sont entrées en vigueur dans toutes
leurs dispositions et rétroactivement lorsque les
disposants et les fiduciaires ont signé les actes
de fiducie en mars ou avril 1964. Cette préten-
tion se fonde sur l'ouverture des comptes ban-
caires en fiducie par Irving Shnier le 24 décem-
bre 1963; sur le versement [TRADUCTION] «pour
le compte des disposants, aux fiduciaires res-
pectifs ou à leur ordre des montants respectifs
confiés en fiducie»; sur la signature par les
«fiduciaires» des déclarations de société en
commandite le ler janvier 1964; sur la participa
tion des «fiduciaires» au nom des «fiducies» à
titre d'associés de la «société»; et sur la signa
ture en bonne et due forme par les «disposants»
et les «fiduciaires» des actes de fiducie en mars
ou avril 1964, [TRADUCTION] «transformant
ainsi lesdites fiducies à parfaire en fiducies
définitives».
Dans cette thèse, il n'est pas dit clairement si
les fiducies à parfaire ont été créées en décem-
bre 1963 par les «fiduciaires» ou par les «dispo-
sants». S'agit-il de création par les «fiduciaires»,
il est difficile de comprendre comment leurs
«fiducies à parfaire», si leur existence était
prouvée (ce qui, à mon avis, n'est pas le cas),
pouvaient devenir définitives par suite des actes
de fiducie signés par les «disposants», qui
avaient l'intention de créer des fiducies consti-
tuées. S'agit-il de création par les «disposants»,
il est tout à fait impossible, d'après les constata-
tions du juge de première instance, de penser
qu'ils avaient l'intention nécessaire pour consti-
tuer même des fiducies à parfaire en décembre
1963.
Il me semble également évident que l'argu-
ment fondé sur un mandat ratifié en ce qui
concerne la constitution des fiducies ne tient
pas. On a soutenu qu'à Regina Jack Shnier
agissait en son nom personnel et prétendument
en qualité de mandataire des autres «dispo-
sants» pour la mise au point des fiducies et que
la signature des actes de fiducie par les autres
«disposants» a eu un effet rétroactif. Les cons-
tatations du juge de première instance relatives
à ce qui s'était passé à Regina détruisent cet
argument: «... voici ce qui s'est vraiment passé
à Regina: Jack Shnier fut mis au courant de la
nature générale des fiducies projetées, il devait
essayer de convaincre sa femme, sa belle-mère
et les Cooper d'en être les auteurs, il devait
recevoir ultérieurement les documents qu'on
signerait si tout le monde était d'accord».
J'ai aussi pris en considération la thèse selon
laquelle, même si des fiducies constituées n'ont
pas été créées au cours du bar mitzvah ou par le
dépôt de la somme de $50 dans chacun des
comptes des fiducies constituées, des fiducies
déclaratoires ont été alors créées. On a soutenu
qu'à la fin de décembre un compte bancaire
avait été ouvert au nom de chacune des fiducies
familiales. A la fin de l'année on avait déposé
$50 dans chaque compte, patrimoine initial de la
fiducie, et $75,000 qui avaient été empruntés à
la banque. On a prétendu que, par la prise de
possession de ce compte et par d'autres actes se
rapportant à la «fiducie», les fiduciaires de
chaque fiducie ont assumé les fonctions de fidu-
ciaires suivant les modalités des fiducies énon-
cées dans les actes de fiducies signés postérieu-
rement. Il me semble impossible d'admettre que
les «fiduciaires» se sont constitués expressé-
ment fiduciaires par voie de déclaration impli-
cite alors qu'on avait l'intention de constituer
les fiducies par voie de disposition, ce dont ils
étaient au courant; l'implication suggérée irait à
l'encontre de cette intention.
On a soutenu subsidiairement qu'en l'absence
de fiducies constituées, les fiduciaires déte-
naient les comptes bancaires par suite de fidu-
cies implicites, c'est-à-dire des fiducies qui font
retour au disposant et des fiducies d'office.
D'après les constatations du juge de première
instance, seul Jack Shnier a cédé de l'argent aux
«fiduciaires» de sorte que, à mon avis, lui seul
pourrait prétendre d'une manière quelconque
que les «fiduciaires» détenaient les comptes par
suite de fiducies qui font retour au disposant;
même s'il en était ainsi, ils ne pourraient pas les
détenir en vertu des clauses des actes de fiducie
soumis en preuve et ils n'auraient pas le pouvoir
de constituer une société. Il est possible, je
suppose, de soutenir que les «fiduciaires»
étaient saisis des comptes en vertu d'une espèce
de fiducie d'office; même dans ce cas cepen-
dant, leurs fonctions se limiteraient à la restitu
tion et, en qualité de fiduciaires d'office, ils
n'auraient pas les pouvoirs de constituer une
société.
Du reste, l'appelante ne s'est appuyée ni sur
des fiducies déclaratoires, ni sur des fiducies
faisant retour au disposant, ni sur des fiducies
d'office. En ce qui concerne une thèse, avancée
évidemment dans les débats en première ins
tance, prétendant que si des fiducies consti-
tuées, soit définitives soit à parfaire n'ont pas
été créées le l er janvier 1964, des fiducies décla-
ratoires l'ont été, le juge de première instance
déclarait:
J'estime qu'aucune de ces prétendues «fiducies déclaratoi-
res» n'a été constituée. De toute façon, ce n'est pas sur ces
fiducies-là qu'on s'appuie en l'espèce et ce ne sont pas ces
fiducies-là qui sont mentionnées dans les documents versés
à l'appui de la société en commandite. Les actes constitutifs
de la société en commandite se fondaient sur des «fiducies
constituées» et non sur des vagues «fiducies déclaratoires».
Cette conclusion s'applique aussi aux préten-
tions qui nous sont soumises, basées sur des
fiducies qui font retour au disposant ou des
fiducies d'office.
L'appelante a soutenu par voie d'une autre
prétention subsidiaire que, si les fiducies consti-
tuées n'ont pas été effectivement créées au
début de 1964, nous pouvions néanmoins déci-
der que ces fiducies ont pris naissance quand les
actes de fiducie ont été signés par les disposants
en mars ou avril 1964 et que les fiducies ainsi
créées sont devenues des associées, soit à cette
date, soit plus tard, conformément aux modali-
tés du contrat de société qui figure au dossier
comme pièce 5 ou, indépendamment du contrat,
à titre d'associées en vertu d'une société de fait.
Même si j'ai déjà résumé les prétentions de
l'appelante dans cette affaire, il serait peut-être
bon de citer un passage de l'avis d'appel modi-
fié, par lequel les nouvelles cotisations ont été
soumises à la Division de première instance.
Cela peut aider à déterminer si, à ce stade,
l'appelante peut soulever les moyens subsidiai-
res. Dans l'avis d'appel modifié l'appelante pré-
tendait que:
[TRADUCTION] 3. Le 1e1 janvier 1964 ou à une date voisine,
l'appelante, suivant contrat portant ladite date, s'est jointe à
la fiducie de la famille Irving Shnier, à la fiducie de la
famille Norman Shnier, à la fiducie de la famille Cecil
Shnier, à la fiducie de la famille Phil Shnier, et à la fiducie
de la famille Allan Shnier (chacune représentée par ses
fiduciaires respectifs) pour former une société en vue d'ex-
ploiter une entreprise de distribution, de commerce et de
vente en général. L'appelante demande l'autorisation de se
référer audit contrat à l'audition de la présente action.
4. Conformément aux modalités dudit contrat, et d'après les
faits, l'appelante a obtenu une participation d'un sixième
(1/6) dans ladite société qui a commencé à fonctionner le 1"
janvier 1964 sous les raisons sociales de «G. E. Shnier Co.»
et «Eagle Distributing Co.».
5. Ladite société a été enregistrée, conformément aux lois
de la province de l'Ontario et de celles de chacune des
autres provinces où elle faisait affaire, à titre de société en
commandite dont la gérante était l'appelante. Les autres
associés en étaient les commanditaires.
10. L'appelante n'a jamais reçu et n'a jamais eu droit à
recevoir plus d'un sixième (1/6) du revenu provenant de
l'exploitation de l'entreprise de la société et l'appelante
affirme qu'elle a toujours correctement déclaré tous les
revenus qu'elle recevait pour chacune des années respecti-
ves d'imposition, le tout conformément à la Loi de l'impôt
sur le revenu.
C'est avec ces allégations que l'appelante a
introduit l'instance.
La thèse selon laquelle la société a pris nais-
sance quand les actes de fiducie et le contrat de
société ont été signés soulève des points qui, à
mon avis, ne sont pas compris dans les plaidoi-
ries. Mon collègue le juge Urie a analysé la
jurisprudence applicable quand des moyens
nouveaux sont soulevés au niveau de l'appel, et
je souscris à ses conclusions. A mon avis, l'ap-
pelante ne peut pas soulever cette question à ce
stade. En faisant cette affirmation, je me rends
compte qu'on peut faire valoir que les alléga-
tions contenues dans les paragraphes 3, 4 et 5
de l'avis d'appel visent tant le contrat de société
que la validité des actes de fiducie. Cependant,
dans ces allégations on affirme que la société et,
partant, les fiducies ont pris naissance à un
moment donné et par une certaine série d'actes.
On ne peut, sans faire violence aux mots,
essayer de se servir des allégations contenues
dans les paragraphes 3, 4 et 5 pour englober
l'allégation suivant laquelle la société est née
quelques mois après le 1er janvier 1964, par
suite de la signature des actes de fiducie en
mars et en avril et de la signature du contrat de
société à la même date ou postérieurement. A
mon avis, la procédure appropriée aurait con
sisté à faire l'allégation par voie de conclusion
subsidiaire expresse. Si cela avait été fait, je ne
peux pas dire que j'ai la certitude que ces alléga-
tions auraient eu le même résultat sur les preu-
ves apportées, les interrogatoires et contre-
interrogatoires, la jurisprudence invoquée, et les
débats.
Je trouve qu'il est encore plus difficile d'ac-
cueillir la thèse selon laquelle nous pouvons
décider que les fiducies familiales ont été créées
par la signature des actes de fiducie en mars ou
avril 1964 et que par la suite une société en nom
collectif a été formée par tous les co-fiduciaires
en raison de leur attitude en ce qui concerne les
affaires de la «société». Il est probable que ce
point, s'il avait été soulevé en temps utile, aurait
donné au procès une orientation différente.
Je rejette l'appel avec dépens.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE SUPPLÉANT BASTIN: L'appelante, la
Kingsdale Securities Co. Limited, a été consti-
tuée en compagnie en vertu de la loi ontarienne
le 22 avril 1948, sous le nom de George E.
Shnier & Company Limited. De cette date au ler
janvier 1962, elle a exploité une entreprise de
distribution et de fabrication de revêtements de
sols, de produits en caoutchouc et de matériaux
de construction.
Le l er janvier 1962, l'appelante vendit son
entreprise à une société composée de cinq com-
pagnies détenant chacune une participation
égale. Comme indiqué ci-dessous, chacune de
ces compagnies était la propriété d'un membre
de la famille Shnier, les propriétaires étant tous
frères:
a) George Edward Corporation Ltd. (George E. Shnier)
b) Irving Shnier Limited (Irving Shnier)
c) Norman Shnier Limited (Norman Shnier)
d) Phil Shnier Limited (Phil Shnier)
e) Eagle Distributing Co. Limited (Allan Shnier)
La société exploitait l'entreprise sous les rai-
sons sociales de G. E. Shnier Co. et Eagle
Distributing Co. En juillet 1962, George E.
Shnier mourut et la participation de la George
Edward Corporation Ltd. dans la société a été
par la suite reprise par la Wabash Enterprises
Ltd., compagnie appartenant à Cecil Shnier, un
sixième frère.
George E. Shnier, durant toute la période qui
nous intéresse, a vécu à Toronto jusqu'à sa
mort. Irving, Norman et Phil Shnier demeu-
raient, durant toute la période qui nous inté-
resse, à Toronto où ils résident encore. Allan et
Cecil Shnier, durant toute la période qui nous
intéresse, demeuraient à Winnipeg et ils y rési-
dent encore.
Le 27 décembre 1963, l'appelante, par lettres
patentes supplémentaires, changea son nom de
George E. Shnier & Company Limited en G. E.
Shnier Co. Limited. Le 7 novembre 1969, l'ap-
pelante, par de nouvelles lettres patentes sup-
plémentaires, adopta le nom de Kingsdale
Securities Co. Limited, son nom actuel.
Pour éviter les incidences d'une modification
qui devait être apportée à la Loi de l'impôt sur le
revenu, I. H. Asper a préparé un projet pour
remplacer la société en nom collectif par une
société en commandite ayant comme gérante
l'appelante et comme commanditaires cinq fidu-
cies familiales établies au profit de la femme et
des enfants de chaque frère Shnier. Le projet
prévoyait que l'appelante achèterait l'entreprise
familiale aux cinq compagnies personnelles,
puis passerait un contrat avec les cinq fiducies
familiales pour former une société en comman-
dite ayant l'appelante comme gérante et les cinq
fiducies comme commanditaires. Il est incontes
table que du l er janvier 1962 au l er janvier 1964,
l'entreprise de la société appartenait aux cinq
compagnies personnelles et que la vente à l'ap-
pelante de la participation de chaque compagnie
dans la société pour $75,000 était valable. Il est
certain que l'un des objectifs de la mutation
intervenue dans la propriété de l'entreprise était
de réduire les impôts et qu'un autre objectif
était de constituer une fiducie au bénéfice de la
femme et des enfants de chacun des cinq frères
Shnier.
Si, à tous autres égards, le projet était juridi-
quement valable, je ne vois pas comment la
technique de l'emprunt bancaire utilisée pour
financer la cession de l'entreprise pourrait le
vicier. L'appelante a reçu de la banque un prêt
de $375,000 utilisé pour verser $75,000 à cha-
cune des compagnies personnelles; chacune
ayant déposé la somme de $75,000 à la banque,
ces dépôts ont servi de garantie au prêt de
$75,000 consenti par la banque à chacune des
cinq fiducies familiales, qui en a fait apport à la
société; ces sommes ont alors servi à rembour-
ser à la banque le prêt initial de $375,000. Ce
procédé peut certainement être décrit comme un
jeu d'écritures mais il ne s'ensuit pas que les
transactions étaient fictives. Il s'agit de savoir
s'il y a eu création de droits que les parties
peuvent faire valoir en justice. Dans l'affirma-
tive, la cotisation à l'impôt sur le revenu doit
alors respecter le droit des fiducies familiales à
recevoir 5/6 des revenus de la société.
Le projet prévoyait la signature de cinq actes
constitutifs de fiducie par un auteur ou dispo-
sant qui devait être un parent des Shnier rési-
dant aux États-Unis, la nomination de l'un des
frères Shnier et de deux amis comme fiduciai-
res. Chacun des actes contenait les clauses
suivantes:
[TRADUCTION] ARTICLE I—CONSTITUTION
1. Par les présentes le disposant convient et décide de
donner et transférer aux fiduciaires une somme de $50,
ladite somme de $50 devant être versée aux fiduciaires qui
l'utiliseront de la façon décrite ci-après; et en outre le
disposant convient et décide que ledit don et transfert de
cette somme d'argent est fait de manière irrévocable et
définitive en faveur des fiduciaires, conformément aux obli
gations prévues dans les présentes.
2. Le disposant doit verser et remettre ladite somme de $50
auxdits fiduciaires dès qu'ils en font la demande, mais
nonobstant tout retard possible dans la transmission, cession
et remise effectives de ladite somme auxdits fiduciaires,
cette fiducie prendra effet à la première date susmentionnée
et, jusqu'à la date du versement effectif auxdits fiduciaires
ou à l'un d'eux, le patrimoine de la fiducie sera constitué de
la promesse et de l'engagement, de la part du disposant, de
faire le don et de remettre la somme.
Les actes de fiducie ont été signés à Okla-
homa City en mars ou avril 1964, mais portaient
la date du 2 décembre 1963 qui devait être la
date de leur entrée en vigueur. Vers le 28
décembre 1963, un des disposants a versé la
somme de $250 à quelqu'un au nom des fidu-
ciaires et, en décembre 1963 ou au début de
1964, les fiduciaires désignés dans les actes de
fiducie ont signé des déclarations de société en
commandite et les ont enregistrées en Ontario et
dans les autres provinces oü la société devait
exercer le commerce. En mars ou avril 1964,
l'appelante et les fiduciaires des cinq fiducies
familiales ont signé un contrat de société daté
du l er janvier 1964 qui rendait l'appelante res-
ponsable de toutes les dettes de la société. L'en-
treprise a été exploitée avec succès en 1964,
1965, 1966, 1967 et 1968 et les déclarations
d'impôt sur le revenu ont été faites pour ces
années conformément aux actes de fiducie et au
contrat de société. Le l er octobre 1968, l'entre-
prise en plein fonctionnement a été vendue à
une compagnie appelée Gesco Distributors
Limited et, vers le 4 mars 1969, les actions de
cette compagnie ont été inscrites à la Bourse de
Toronto pour vente au public. En juin 1969 le
ministre du Revenu national a adressé à l'appe-
lante de nouvelles cotisations afférentes aux
années 1964, 1965 et 1966, réclamant un impôt
sur les 5/6 des bénéfices que la société était
censée avoir versés aux cinq fiducies familiales.
Il s'agit en l'espèce d'un appel interjeté par
l'appelante des quatre cotisations datées du 12
juin 1969, afférentes à l'impôt sur le revenu des
années 1964, 1965, 1966 et 1967. Le point en
litige consiste donc à déterminer si le ministre
du Revenu national a fondé ces nouvelles coti-
sations sur des motifs valables. Une nouvelle
cotisation établie sans motif valable serait illi-
cite. Comme l'a déclaré le juge Rand dans l'arrêt
Johnston c. M.R.N. [1948] R.C.S., 486 la page
490', «Il faut, bien sûr, supposer que la Cou-
ronne, comme elle en a le devoir, a divulgué
complètement au contribuable les conclusions
de fait et les interprétations juridiques précises
qui ont donné lieu à la controverse.» Les pièces
dont nous disposons ne nous permettent pas de
savoir si le Ministre a fait une telle révélation à
l'appelante mais nous pouvons tenir pour acquis
que le Ministre, dans sa réponse, a révélé à la
Cour les motifs de son action. Les motifs préci-
sés sont les suivants:
[TRADUCTION] Il conteste les paragraphes 3, 4, 5, 6, 7 et 8
de l'avis d'appel et affirme qu'au cours de l'année civile
1963, en prévision de l'adoption de l'article 138A(2) de la
Loi de l'impôt sur le revenu, dont on pressentait l'adoption et
l'entrée en vigueur le 1" janvier 1964 et dont l'effet proba
ble serait de regrouper, aux fins de l'impôt sur le revenu,
tous les prête-noms, et dans le seul but d'y échapper, les
cinq frères ainsi que leurs prête-noms et l'appelante ont
signé certains documents et décidé de faire certaines choses
destinées à simuler une restructuration et une réorganisation
de l'entreprise exploitée par l'appelante et la Eagle.
On retrouve dans d'autres paragraphes l'alléga-
tion que l'ensemble de la transaction était une
simulation, par exemple il est dit au paragraphe
19: [TRADUCTION] «on n'a jamais envisagé
l'existence ou la constitution d'une vraie fidu-
cie»; au paragraphe 20, [TRADUCTION] «le con-
trat de société ... n'était rien d'autre qu'une
simulation ou une apparence»; au paragraphe
22, [TRADUCTION] «la prétendue constitution de
la fiducie et de la société en commandite était
simplement une tentative pour masquer ou
déguiser la distribution des bénéfices provenant
de l'entreprise que l'appelante exploitait, dans
l'espoir qu'elle pourrait éviter le paiement d'im-
pôts sur le revenu tiré de l'entreprise qu'elle
exploitait.»
Ces citations décrivent clairement le fond du
litige, c'est-à-dire la question de savoir si les
différentes mesures prises par les frères Shnier
pour établir des fiducies au profit de leurs
femmes et enfants constituaient uniquement une
tentative pour masquer ou déguiser la distribu
tion des bénéfices des entreprises familiales qui,
en fait, revenaient à l'appelante. Si on avait
l'intention de constituer ces fiducies et si en fait
elles ont été constituées, conférant irrévocable-
ment aux fiduciaires une participation dans les
entreprises familiales au profit des femmes et
enfants, alors l'appelante devrait avoir gain de
cause.
Une fiducie est un rapport juridique concer-
nant des biens, entre une personne appelée fidu-
ciaire et une personne qui est bénéficiaire. Une
fiducie en faveur de la femme et des enfants
d'un homme est tout à fait licite et est, en fait,
considérée comme louable. La Cour sanction-
nera une fiducie quand une personne appelée
fiduciaire s'engage à s'occuper de biens certains
appelés biens de la fiducie au profit d'un bénéfi-
ciaire déterminé ou cestui que trust, lequel peut
poursuivre l'exécution de l'engagement. Aucune
formule sacramentelle ni formalité n'est exigée
pour la création d'une fiducie et il y aura fiducie
quand il est certain que la personne qui s'engage
à propos des biens se considère comme un
fiduciaire et en assume le rôle. Une déclaration
orale suffit pour créer une fiducie portant sur
des biens mobiliers. Sauf si une disposition éta-
blie au moment de sa constitution en prévoit la
révocation, la fiducie est irrévocable.
Tous les éléments essentiels à la création de
cinq fiducies familiales valables et irrévocables
se trouvaient réunis quand les fiduciaires dési-
gnés ont accepté leurs obligations de fiduciaires
en acquérant, pour chaque fiducie, une partici
pation d'un sixième dans les entreprises familia-
les et en signant les déclarations de société en
commandite. La signature subséquente de l'acte
approprié par les fiduciaires ne faisait que tra-
duire dans les formes ce dont on avait déjà
convenu. Dans ces conditions les fiducies ont
été constituées immédiatement. Le juge Parker,
dans l'arrêt Von Hatzfeldt-Wildenburg c.
Alexander [1912] 1 Ch. 284 aux pages 288 et
289, 81 L.J. Ch. 184, a exposé le principe
comme suit:
[TRADUCTION] La jurisprudence semble établir clairement
que, si les documents ou lettres constituant un contrat
prévoient la conclusion d'un contrat supplémentaire entre
les parties, c'est une question d'interprétation de décider si
la conclusion du contrat supplémentaire constitue une condi
tion de l'accord ou s'il ne s'agit que d'un simple désir
exprimé par les parties quant à la façon dont sera exécutée
la transaction qui a déjà été conclue. Dans le premier cas, le
contrat n'est pas valable soit parce que la condition n'est pas
remplie soit parce que le droit ne reconnaît pas un contrat
par lequel une personne s'engage à conclure un autre con-
trat. Dans l'autre cas, le contrat est valable et on peut
ignorer la référence à un document plus solennel.
Même si les disposants n'avaient jamais signé
les actes de fiducie, les bénéficiaires auraient pu
obliger les fiduciaires à respecter leur obligation
de détenir les participations dans les entreprises
familiales et de veiller à ce que la part des
profits revenant aux bénéficiaires leur soit cré-
ditée sur les livres de la Sarah Investments
Limited, laquelle, pour des raisons de commo-
dité, agissait en qualité d'agent de placements
des cinq fiducies. Selon les preuves non contre-
dites, les fonds représentés par ces profits
appartenaient aux femmes et enfants et à per-
sonne d'autre. Ils devenaient propriétaires irré-
vocables de ces fonds qui ne faisaient pas retour
à l'appelante ni directement ni indirectement.
On sait que la Sarah Investments Limited prê-
tait ces fonds à l'appelante, mais c'était,
paraît-il, un arrangement judicieux et prudent.
L'avocat de l'intimé a maintes fois reconnu au
cours des plaidoiries qu'il ne trouvait pas à
redire au fait que l'une des raisons de cet arran
gement était de réduire l'impôt sur le revenu et
il n'a jamais prétendu que cet arrangement était
entaché de fraude. Il s'agit donc de savoir si cet
engagement a eu pour effet de donner l'impres-
sion que les 5/6 des bénéfices de l'entreprise
allaient aux fiducies familiales alors qu'en fait
ils allaient à l'appelante.
Il est admis que, avant et après le l er janvier
1964, tous les profits en sus des salaires des
cinq frères étaient laissés dans l'entreprise.
Lonsdale, ancien comptable de l'appelante, en a
expliqué les raisons à la page 670:
[TRADUCTION] La deuxième préoccupation était simplement,
à mon avis du moins, de déterminer le montant des liquidités
disponibles à réinvestir dans l'entreprise, car nous étions
une compagnie en expansion, une compagnie en développe-
ment, nous avions besoin de capitaux, nous avions besoin de
liquidités, et nous ne pouvions pas nous permettre de
débourser de fortes sommes en espèces, de sorte qu'il
s'agissait uniquement pour les cinq ou six associés de trou-
ver les bases d'un minimum d'accord sur les montants à
réinvestir et mon objectif a toujours été de réinvestir le
maximum que je pouvais parce que nous avions besoin de
ces sommes comme fonds de roulement.»
Dans l'affaire Ayrshire Pullman Motor Ser
vices c. C.I.R. 14 T.C. 754, que l'avocat de
l'intimé a mentionnée, le contrat prévoyait
notamment ce qui suit:
[TRADUCTION] La société est censée avoir été formée en
janvier 1926. Le capital sera constitué par un prêt déjà
consenti par le père et par d'autres avances qu'il pourrait
faire. Les enfants se partageront également les bénéfices, le
père n'aura droit qu'à la somme avancée et aux intérêts
qu'elle aura produits. Les enfants auront un salaire mais ne
pourront toucher de bénéfices avant le remboursement des
avances faites par le père. Le père sera le seul gérant et lui
seul pourra faire des opérations sur le compte bancaire de
l'entreprise.
La Couronne soutenait qu'on n'avait pas res
pecté le contrat parce qu'à la fin des années
financières on n'avait pas réparti les bénéfices
accumulés qui avaient cependant été régulière-
ment portés au crédit des cinq enfants et que la
créance du père n'avait pas été remboursée
quoique cela fût possible. Mais le contrat de
société prévoyait qu'à l'exception des salaires,
les enfants ne toucheraient aucun bénéfice de
l'entreprise tant que le prêt ou les prêts consen-
tis par le père ne seraient pas intégralement
remboursés, intérêts compris—le père n'ayant
droit à aucun bénéfice en tant que tel. Ayant
conclu que le contrat n'était ni frauduleux ni
une simulation, la Cour décida que le simple
non-remboursement du prêt du père ne pouvait
être considéré comme une non-exécution du
contrat puisque, en raison du développement de
l'entreprise, il était avantageux d'y laisser les
capitaux du père. La Cour fit remarquer que les
bénéfices en l'espèce avaient été régulièrement
portés au crédit des enfants et qu'après rem-
boursement du prêt paternel, ces profits appar-
tenaient aux enfants et à eux seuls. Il faut
justement noter que ce contrat de société, passé
en 1927, devait rétroagir au ler janvier 1926. II a
été décidé que le père était soumis à l'impôt sur
le revenu qu'il en a retiré au cours de l'année
1926.
Le fait que l'entreprise des Shnier se soit
développée vient corroborer la conclusion qu'il
s'agissait d'une politique sage et dans l'intérêt
de chacun des frères Shnier, de leur femme et
de leurs enfants. Indubitablement les frères
Shnier connaissaient bien les avantages qu'il y
avait à poursuivre cette politique quand ils ont
décidé de constituer les fiducies familiales et
ont judicieusement choisi des fiduciaires qui,
par amitié ou pour d'autres raisons, seraient peu
disposés à changer cette politique. A mon avis
ce n'est pas un élément plus défavorable que ne
le serait le choix, par le propriétaire réel d'une
compagnie privée, d'administrateurs qu'il peut
amener à partager ses vues. Aux termes de
l'acte de fiducie, les fiduciaires, qui n'étaient
pas des membres de la famille, et étaient majori-
taires dans chaque fiducie, avaient le pouvoir de
contrôler l'usage des fonds de la fiducie. Rien
ne permet de penser qu'ils n'exerceraient jamais
ce contrôle.
Le fait est que, en vertu de cet arrangement,
une créance, apparaissant clairement dans les
registres comptables et correspondant au mon-
tant des bénéfices que les fiducies familiales
avaient laissé dans l'entreprise, était née à la
charge de la société au profit de la Sarah Invest
ments Limited qui, pour des raisons de commo-
dité, agissait en qualité d'agent de placements de
toutes les fiducies familiales. A mon avis, il n'y
a aucune raison de penser que cette créance
était fictive. La femme et les enfants de chacun
des frères Shnier pouvaient faire valoir leur
droit sur ces fonds dont le détournement consti-
tuerait une infraction criminelle.
Suivant l'intention exprimée des divers docu
ments, on voulait que la société en commandite
acquière l'entreprise de la société en nom col-
lectif le l et janvier 1964 et cela a été réalisé par
l'achat de l'entreprise aux mains des compa-
gnies personnelles, la signature des déclarations
de société en commandite et la libération par
chaque fiducie familiale du montant de son
apport de $75,000 à la société en commandite.
Ces actes ont eu lieu le l et janvier 1964 ou
antérieurement et respectaient la clause du con-
trat de société prévoyant que celle-ci commen-
cerait ses opérations le ler janvier 1964. Je
pense que cette clause devrait produire ses
effets juridiques. D'après Robert Murray Beith,
chef d'opérations, section A de la division de
l'Évitement fiscal, il est d'usage que le ministère
de l'impôt sur le revenu reconnaisse ce qui
semble être les réalités juridiques d'une telle
situation. Au cours de son interrogatoire préala-
ble, il a fait la déposition suivante:
[TRADUCTION] R. Je peux envisager une situation analogue à
celle-ci, peut-être, quand cinq parties se réunissent et
décident qu'à partir d'aujourd'hui elles vont exploiter
une entreprise en société et se partager également les
bénéfices, et elles mettent leur décision en application
le jour même mais en fait elles le font en exploitant
l'entreprise, etc., et remettent à plus tard la rédaction
d'un document constatant avec précision les termes du
contrat.
Q. Et la société serait-elle quand même valable à compter
d'aujourd'hui, aux fins d'impôt?
R. Je le crois.
A mon avis la seule question en litige est de
savoir si la cession de la propriété des entrepri-
ses familiales et la création des cinq fiducies
familiales constituaient une simulation destinée
à cacher le fait que l'appelante gardait tous les
bénéfices. Je pense que, sur la base des preuves
non réfutées, cette question doit être résolue en
faveur de l'appelante. Il y a cependant, plusieurs
autres points que je veux commenter.
D'après mon interprétation des motifs du
jugement du savant juge de première instance,
sa ratio decidendi est que la société en comman-
dite n'a jamais vu le jour parce que les déclara-
tions de société en commandite contenaient des
mentions erronées en ce que le nom de chaque
fiducie familiale était suivi des mots «créée par
acte de fiducie en date du 1 e1 décembre 1963»
alors qu'en réalité, même si les actes portaient
cette date, ils ont été signés plusieurs mois après
la date des déclarations. D'après son raisonne-
ment, s'il n'y a pas eu de société en comman-
dite, les fiducies n'ont jamais vu le jour. Il a
consacré beaucoup de pages aux témoignages
des disposants, recueillis sur commission roga-
toire, mais il décida, malgré les contradictions
de leurs dépositions, que les actes de fiducie ont
vu le jour en mars ou avril 1964, leur signa
ture par les disposants. Je pense que les extraits
suivants des motifs du jugement confirment mes
conclusions:
L'appelante fonde principalement ses arguments sur le fait
que les fiducies furent constituées avant le 1°" janvier 1964
et qu'à cette date, la société en commandite déjà décrite fut
créée et mise sur pied. Ainsi que l'exigent les lois provincia-
les, les actes constitutifs de cette société (prétendument
entrés en vigueur le 1e" janvier 1964) furent déposés auprès
des autorités compétentes de la Colombie-Britannique, des
provinces des prairies et de l'Ontario. Si les fiducies n'exis-
taient pas en fait et en droit à la date en question, la société
en commandite n'avait pas non plus d'existence nonobstant
tout ce que les documents ultérieurs peuvent indiquer.
J'en conclus qu'à la date du bar mitzvah, les cinq préten-
dus auteurs n'avaient convenu de rien et n'avaient pas à
cette date l'intention, au sens juridique de ce mot, de consti-
tuer une fiducie. Pour des raisons que j'exposerai plus tard,
je suis d'avis que les fiducies ne furent pas constituées avant
que les auteurs ne signent en fait les documents imprimés en
mars ou avril 1964.
En l'espèce, vu mon interprétation des faits, j'estime qu'a-
vant la date de la signature des documents, aucun des
auteurs n'avait montré la moindre intention, soit en fait soit
en droit, de constituer les fiducies sur lesquelles portent
cette action.
Compte tenu de mes conclusions précédentes, j'estime
que la société en commandite n'a jamais existé et que cet
appel doit donc être rejeté.
En ce qui concerne les déclarations de société
en commandite, il faut faire la différence entre
le mot «faux» utilisé à l'article 10 de The Lim
ited Partnerships Act de l'Ontario et le mot
inexact, car le mot «faux» implique une inten
tion d'induire en erreur ou de tromper, qu'on ne
retrouve pas ici. A la signature des déclarations,
les fiduciaires connaissaient les termes de la
fiducie et avaient décidé d'agir, la signature des
documents solennels était, dans un sens, une
formalité. Dans ces circonstances, le principe
exposé par le juge Parker dans l'arrêt Von Hatz-
feldt-Wildenburg c. Alexander, précité, doit s'ap-
pliquer, de sorte que les fiducies auraient déjà
été constituées et les expressions utilisées pour
décrire la fiducie seraient exactes.
Mais en tout cas, de faux renseignements
dans une telle déclaration auraient pour effet
non pas de rendre nulle la société mais de
rendre inopérante la limitation de responsabilité
pour les dettes de la société. L'article 10 de The
Limited Partnerships Act de l'Ontario est ainsi
libellé:
[TRADUCTION] 10. Aucune société en commandite n'est
censée avoir été constituée tant que le certificat n'a pas été
dressé, certifié et enregistré, et en cas de fausse déclaration
dans le certificat, tous les associés de la société sont respon-
sables de tous les engagements de celle-ci comme s'ils
étaient des commandités.
Cet article ne rend pas nulle la société mais
prive les commanditaires de la limitation de
responsabilité pour les dettes de l'entreprise.
Une fausse déclaration dans le certificat produit
les mêmes effets dans les autres provinces con-
cernées. Il s'ensuit que la société continue
d'exister mais que tous les associés sont respon-
sables envers les créanciers. Mais, comme l'ap-
pelante, en tant que gérante, s'est engagée
envers les cinq fiducies, dans le contrat de
société, à répondre des dettes de la société, cela
revient à un arrangement plaçant les associés
dans la situation de commanditaires.
Je ferai un seul commentaire sur les témoi-
gnages des disposants, recueillis sur commission
rogatoire, en disant qu'ils concernaient des faits
qui, à leurs yeux, n'avaient pas d'importance
réelle et qui s'étaient passés quatre années aupa-
ravant. Accepter de tels témoignages sans
réserve va à l'encontre de l'expérience humaine,
et ne peut s'expliquer que si l'on admet que le
savant juge de première instance n'a pas tenu
compte du fait qu'il s'était écoulée une longue
période entre les événements en question et la
date de l'interrogatoire.
Au cours des débats, on a suggéré que, parce
qu'il a été décidé dans l'affaire Johnston c.
M.R.N. [1948] R.C.S. 486, que, dans une action
intentée par un contribuable en vue d'obtenir
l'annulation d'une cotisation, le fardeau de la
preuve incombait au contribuable, la Cour est
fondée à retenir tout vice relatif aux pièces ou
aux formalités, pour rejeter l'action. Je ne suis
pas convaincu que cette cour devrait examiner
au microscope l'ensemble de la transaction et
décider, à la découverte de la moindre imperfec
tion, qu'on ne s'est pas déchargé du fardeau de
la preuve. Dans l'arrêt Stanley c. National Fruit
Company [1929] 3 W.W.R. 522, on a analysé
l'effet du fardeau imposé par la loi et on l'a
défini comme suit [à la page 525]:
[TRADUCTION] L'article 43 impose aux défendeurs le fardeau
de la preuve. Cela signifie que les défendeurs doivent suc-
comber s'il n'y a aucune preuve relative aux circonstances
de l'accident ou si les preuves laissent vraiment la cour dans
le doute en ce qui concerne la présence ou l'absence de
négligence, ou si elles se neutralisent, empêchant ainsi le
tribunal de déterminer avec certitude quelle partie est res-
ponsable de l'accident. Mais si sur le point en question il y a
des témoignages contradictoires, la règle en faveur de la
prépondérance des preuves doit s'appliquer comme dans les
procès civils ordinaires et on ne tient pas compte du fardeau
imposé par la loi si la cour, après audition et appréciation
des témoignages, peut parvenir à une conclusion sûre, dans
un sens ou dans l'autre. Le fardeau imposé par la loi
n'augmente pas le degré de diligence requise dans la con-
duite d'un véhicule automobile.
On a dit que la loi ne devrait pas encourir le
reproche de détruire les conventions. Une tran
saction qui n'est pas illicite devrait être mainte-
nue si elle traduit l'intention des parties et l'exé-
cution devrait en être ordonnée à la requête de
l'une des parties en application des principes
d'equity tels que l'acquiescement, la renoncia-
tion, l'exception non est factum, la forclusion
pour inaction etc. Si la transaction est valable et
subsiste entre les parties, je ne connais aucun
principe qui permette à la Cour de l'annuler à la
requête du ministre du Revenu national. Si l'un
des frères Shnier s'était querellé avec sa femme
et ses enfants et avait essayé de faire prononcer
la nullité de la fiducie constituée en leur faveur
en invoquant les irrégularités dont l'intimé sou-
tient l'existence, je suis certain que les tribu-
naux de l'Ontario auraient rejeté une action à
cette fin. Si une telle affaire avait été jugé un
mois avant la présente action, il y aurait un
jugement maintenant la fiducie et un jugement
de la Cour fédérale la déclarant nulle. Il est
impossible de justifier une telle anomalie.
C'est un principe juridique bien établi qu'un
contrat ne peut conférer des droits et imposer
des obligations qu'aux seules parties et à per-
sonne d'autre, et que seule une partie à un
contrat a une action pour en obtenir l'exécution
ou l'annulation. A cette règle il y aurait cette
exception: si le ministre du Revenu national
pouvait démontrer qu'un contrat constitue une
simulation destinée à créer l'impression qu'une
personne touchait un revenu qui en réalité reve-
nait à une autre, il pourrait le considérer comme
nul. C'est sur cette base que les nouvelles coti-
sations ont été établies en l'espèce, mais la
preuve ne corrobore pas les allégations du
Ministre.
La validité des contrats et des transactions
commerciales relève de la loi régissant la pro-
priété et les droits civils, domaine de compé-
tence que notre constitution attribue aux provin
ces. Il s'ensuit que, dans l'application de la Loi
de l'impôt sur le revenu, le ministre du Revenu
national doit respecter la situation juridique telle
qu'elle existe dans le droit provincial. Les
majeurs jouissent d'un pouvoir étendu de con-
tracter et, généralement parlant, les droits qu'ils
veulent créer sont légalement inviolables sous
réserve qu'ils ne portent pas atteinte aux droits
des créanciers et n'enfreignent pas une interdic
tion édictée par une loi provinciale. The Bills of
Sale Act et The Limited Partnerships Act visent
à la protection des créanciers. Les parties peu-
vent se mettre d'accord pour créer rétroactive-
ment des droits qui auront un effet obligatoire à
leur égard et à l'égard des tiers, sauf s'il en
résulte une fraude à l'égard des créanciers. Un
accord de ce genre ne peut affecter le principe
fondamental de droit fiscal en vertu duquel l'im-
pôt sur le revenu est à la charge de la personne
qui effectivement a droit au revenu durant l'an-
née en question et le Ministre peut lever l'impôt
d'après la nature réelle plutôt qu'apparente de la
transaction. A tous autres égards, le pouvoir que
le Parlement accorde au Ministre doit s'exercer
dans le cadre de cette limitation constitution-
nelle.
Un principe élémentaire de l'organisation
judiciaire exige que les personnes qui seront
affectées par une décision de la cour aient l'oc-
casion de se faire entendre. Les tribunaux ont
toujours admis que les personnes susceptibles
de subir indirectement un préjudice par suite
d'une décision de la cour devraient, sauf en des
circonstances très spéciales, être constituées
parties, soit par voie d'ordonnance désignant
des représentants ou autrement, avant le pro-
noncé d'une décision affectant leurs droits. Voir
l'arrêt London Passenger Transport Board c.
Moscrop (1942) A.C. 332 à la page 345, 111
L.J. Ch. 50. La Règle 1711 prévoit la nomina
tion par la Cour d'une personne pour représen-
ter une catégorie de personnes devant être
affectées par le résultat de l'action. Il semble
qu'on ait perdu de vue qu'en statuant sur la
validité des cinq fiducies familiales, les droits
des nombreux bénéficiaires, comprenant certai-
nement des enfants, seraient affectés. Dans une
action entre sujets, on aurait naturellement
rendu une telle ordonnance. Je ne crois pas
qu'en l'espèce on se trouvait en présence de
circonstances spéciales pouvant justifier une
exception à cette Règle.
J'accueillerais l'appel avec dépens.
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