T-63-75
Daniel Auger (Requérant)
c.
Le Service canadien des pénitenciers et la Reine
(Intimés)
Division de première instance, le a juge Walsh—
Montréal, les 27 janvier et 11 février 1975.
Couronne—Brefs de mandamus et de certiorari pour modi
fier le casier judiciaire—Référence à une violation de libéra-
tion conditionnelle—Calcul de la date de libération—Loi sur
la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, c. P-2,
art. 12, 13, 15 à 21—Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, c.
P-6, art. 22, 24 et 25—Loi sur la Cour fédérale, art. 18 et 28.
Le requérant a été condamné à deux ans d'emprisonnement
le 15 octobre 1970. Il a été libéré le 5 février 1972 et assujetti à
la surveillance obligatoire pour une période égale à la réduction
de peine qui lui avait été accordée. Avant l'expiration de cette
période, il a commis un vol à main armée le 26 juillet 1972, et,
après en avoir été déclaré coupable le4 février 1974, a été
condamné à trois ans d'emprisonnement Les calculs du requé-
rant et des intimés ne s'accordent pas sur la durée de la
deuxième peine. Le requérant n'a pas rajouté le nombre de
jours de sa peine originaire qui restait à purger, ce qu'ont fait
les intimés. Ceux-ci ont alors déduit les réductions de peine,
statutaire et méritée, qui pourraient s'appliquer à la deuxième
peine, ainsi que le nombre de jours de réduction de peine
méritée inscrite au crédit du requérant pour sa peine initiale.
Le requérant a demandé la délivrance d'un bref de mandamus,
assorti d'un bref de certiorari, ordonnant aux intimés de sou-
mettre son casier judiciaire à cette Cour pour examen judiciaire
en vue d'en faire radier: (1) la référence à la violation de la
libération conditionnelle: (2) la date du 9 juillet 1976 en tant
que date de sa libération et,son remplacement par celle du 14
mars 1976.
Arrêt: la requête est rejetée. En ce qui concerne la procédure:
un bref de mandamus ne peut être accordé contre la Couronne
et il n'est pas du tout certain qu'if soit plus approprié de citer le
service canadien des pénitenciers comme intimé que, le commis-
saire des pénitenciers, mais il vaut mieux statuer sur la requête
au fond, en admettant la compétence de la Division de première
instance en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.
En ce qui concerne l'exactitude du casier judiciaire et la durée
de l'emprisonnement pour la deuxième peine: après sa libéra-
tion, le requérant a commis un acte criminel au sens de l'article
17(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus,
applicable aux cas de libération conditionnelle assortie de la
surveillance obligatoire, en vertu de l'article 15(2). Ceci justi-
fiait donc la référence à la «violation de libération condition-
nelle», figurant au casier judiciaire. L'article 17 a mis en jeu
l'article 21(1) en vertu duquel les intimés, dans leurs calculs,
ont, à bon droit, rajouté à la deuxième peine la partie non
encore purgée de la peine originaire. En accordant au requérant
le bénéfice de la réduction de peine méritée qui était inscrite à
son crédit pour la peine originaire, les calculs respectaient
l'article 24(2) de la Loi sur les pénitenciers. Le bref de
mandamus ne peut être accordé que pour assurer l'exécution
d'une obligation administrative à laquelle le requérant a un
intérêt juridique suffisant. Les intimés ont satisfait à l'obliga-
tion d'aviser le requérant de la date à laquelle il pouvait
s'attendre à être libéré s'il bénéficiait de la réduction maximum
de peine méritée à laquelle il pouvait avoir droit durant son
incarcération.
Arrêts examinés: Howarth c. La Commission nationale
des libérations conditionnelles (1975) 18 C.C.C. (2°) 385,
confirmant [1973] C.F. 1018; Ex Parte McCaud (1965) 1
C.C.C. 168. Distinction faite avec l'arrêt Marcotte c. Le
sous-procureur général du Canada (1975) 19 C.C.C. (2e)
257, infirmant (1974) 13 C.C.C. (2') 114. Arrêt men-
tionné: In re Zong (T-4425-74, non encore publié).
REQUÊTE.
AVOCATS:
B. Coleman pour le requérant.
J.P. Belhumeur pour les intimés.
PROCUREURS:
Kronish, Zilbert & Coleman, Montréal, pour
le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Il s'agit d',uné requête visant
la délivrance d'un bref de mandamus, assorti d'un
bref de certiorari, ordonnant aux intimés de sou-
mettre le casier judiciaire du requérant à cette
cour pour examen judiciaire en vue d'ordonner aux
intimés de rayer dudit casier judiciaire toute réfé-
rence—a_une_violation de sa libération conditiôn-
ne11e et- d'y_ r-a-y_er le- 9 juillet 1976 en tant que date
de libération et de la_ remplacer par celle du 14
mars 197_ €s. ,es allégations du requérant., sont
appuyées par un affidavit signé de lui. Oh y a
apporté deux modifications en cours d'audience
avec la permission de la Cour, la première visant le
paragraphe 9 de la demande pour ajouter après les
mots «vol à main armée» les mots [TRADUCTION]
«pour une infraction commise le 26 juillet 1972».
La seconde modification avait pour but d'insérer
un paragraphe additionnel 17a, ainsi rédigé:
[TRADUCTION] 17a. ATTENDU QUE le requérant a demandé aux
intimés de corriger sa date probable de libération pour qu'elle
soit fixée au 14 mars 1976, et de rayer du dossier du requérant
toute référence à une violation de libération conditionnelle,
mais que les intimés ont refusé ou négligé de ce faire.
Avant d'examiner les faits tels qu'ils sont expo-
sés dans la requête, il y a lieu de signaler que le
bref de mandamus ne peut être `accordé contre la
Reine et il n'est pas du tout certain que le Service
canadien des pénitenciers puisse être convenable-
ment cité comme intimé au lieu du commissaire
des pénitenciers ou du fonctionnaire prétendument
responsable du calcul de la date de libération du
requérant, ce qui constitue le principal motif de
plainte Une modification apprôpriée'ou encore
une nouvelle requête pourrait probablement y
remédier et, compte tenu de la conclusion à
laquelle je ' •arvenu sur le fond de la présente
requête, i '__ mieux 'e pas la rejeter pour des
motifs relevant purement de la procédure ni sta-
tuer sur la- question de savoir -si elle- pou-vait-à bon
droit être dirigée contre le Service canadien des
pénitenciers.
On pourrait soulever une autre objection sur la
question de savoir si cette affaire relève de la
compétence de la Division de première instance de
cette cour, en vertu de l'article 18, ou plutôt de
celle de la Cour d'appel, par voie d'examen en
vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Je sais que la Cour fédérale a jugé dans l'affaire
Howarth c. La Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles [1973] F.C. 1018, que la
décision de suspendre une libération condition-
nelle, prise conformément à l'article 16(4), est une
décision «de nature administrative qui ' n'est pas
légalement soumise à un processus judiciaire ou
quasi judiciaire» et qu'en conséquence , elle n'était
pas compétente en vertu de l'article 28; b je sais
que ce jugement a été confirmé par un arrêt
majoritaire de la Cour suprême du Canada
[(1975) 18 C.C.C. (2 e ) 385], ledit arrêt ayant à
son tour invoqué la décision du juge Spence dans
l'affaire Ex Parte McCaud'. On voit que ces
affaires portaient sur des décisions où la Commis
sion avait à exercer son pouvoir discrétionnaire en
matière de suspension et de révocation de libéra-
tion conditionnelle, alors qu'en l'espèce il s'agit de
déchéance de la libération conditionnelle, qui est
encourue de plein droit, en vertu de l'article 17(1)
de la Loi sur la libération conditionnelle de déte-
nus 2 , quand un détenu à liberté conditionnelle est
déclaré coupable d'un- acte criminel punissable
1 (1965) 1 C.C.C. 168.
2 S.R.C. 1970, c. P-2.
d'un emprisonnement d'au moins deux aris, -
commis après que la libération conditionnelle lui - a
été accordée et avant qu'il ait été relevé_des _obliga—
tions dé cette libération conditionnelle ou avant__,
l'expiration de sa sentence, auquel cas _ la
déchéance est censée dater du four où l'infrac-tion--a
été commise. Cet article de _ la Loi .est -- rédigé
comme suit:
17. (1) Lorsqu'un individu qui est ou qui a été à un moment
un détenu à liberté conditionnelle est déclaré coupable d'un
acte criminel punissable d'un emprisonnement d'au moins deux
ans, commis après que la libération conditionnelle lui a été
accordée et avant qu'il ait été relevé des obligations de cette
libération conditionnelle ou avant l'expiration de sa sentence, sa
libération conditionnelle est, de ce fait, frappée de déchéance_ et
cette déchéance est censée dater du jour où l'infraction a éié
commise.
L'article 21(1) prévoit l'effet de la déchéance et se
lit comme suit:
21. (1) Lorsqu'une libération conditionnelle est frappée de
déchéance par une déclaration de culpabilité d'un acte criminel,
le déteau _àjilterté_conditionnelle doit purger un emprisonne-
ment,_commençant. lorsque la sentence pour_ l'acte_criminellui
est imposée, d'une durée égale au total
a) de la partie de l'emprisonnement auquel il a été con-
damné qui n'était pas encore expirée au moment de l'octroi
de cette libération, y compris toute période de réduction de
peine inscrite à son crédit, notamment la réduction de peine
méritée, et
b) de l'emprisonnement, le cas échéant auquel il est con-
damné sur déclaration de culpabilité de l'acte criminel,
moins
c) le temps qu'il a passé sous garde après déclaration de
culpabilité de l'acte criminel avant que la sentence ne lui ait
été imposée.
L'article 20(1) de la Loi est ainsi rédigé:
20. (1) Lorsque la libération conditionnelle accordée à un
détenu a été révoquée, celui-ci doit être renvoyé de nouveau au
lieu d'incarcération d'où il avait été autorisé à sortir et à rester
en liberté au moment où la libération conditionnelle lui était
accordée, pour purger la partie de sa peine d'emprisonnement
qui n'était pas encore expirée au moment où la libération
conditionnelle lui était accordée, y compris toute période de
réduction de peine alors inscrite à son crédit, notamment la
réduction de peine méritée, moins toute période passée sous
garde par suite d'une suspension de sa libération conditionnelle.
La Loi sur les pénitenciers', dans ses articles 22 et
24 respectivement, prévoit le droit du condamné à
une réduction statutaire de peine ou à une réduc-
3 S.R.C. 1970, c. P-6.
tion de peine méritée, et l'article 25 est ainsi libellé:
25. Lorsque,
a) en vertu de la Loi sur la libération conditionnelle de
détenus, il est accordé à un détenu l'autorisation d'être en
liberté pendant la période de son emprisonnement, ou que
b) une personne qui est en liberté en raison d'une réduction
de peine statutaire ou méritée est assujettie à la surveillance
obligatoire en vertu de la Loi sur la libération conditionnelle
de détenus,
la période de son emprisonnement, à toutes les fins de cette loi,
comprend toute période de réduction statutaire de peine, et
toute période de réduction de peine méritée inscrites à son
crédit lorsqu'il est mis en liberté.
Le requérant soutient que ces articles de la loi ont
été mal interprétés dans le calcul des réductions
auxquelles il a droit, ce qui aura pour effet de
retarder sa libération. Contrairement à une déci-
sion ponant suspension ou révocation de la libéra-
tion conditionnelle, prise en vertu de l'article 16 de
la Loi sur la libération conditionnelle de détenus,
l'interprétation de la loi en ce qui concerne la date
à laquelle un détenu devra être en liberté,—qui est
fonction de la réduction de peine, statutaire ou
méritée, dont il est déchu quand la déchéance est
prononcée pour la perpétration d'une autre infrac
tion mettant en jeu l'article 17(1) de la Loi sur la
libération conditionnelle des détenus, semble être
une décision soumise à un processus judiciaire ou
quasi judiciaire, ce qui rend applicable l'article
28(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale au motif
que la Commission «a rendu une décision ou une
ordonnance entachée d'une erreur de droit, que
l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier».
Donc il se pourrait bien que la Cour d'appel ait
effectivement le droit d'examiner une décision de
cette nature, auquel cas la Division de première
instance n'aurait pas compétence pour entendre la
présente requête. Cependant comme cette question
semble être sujette à controverse, et que la Divi
sion de première instance a accepté de connaître
de requêtes quelque peu semblables, je vais donc
examiner la présente requête en considérant que
j'ai la compétence requise.
Le requérant précise dans sa requête que, le 15
octobre 1970, il a été reconnu coupable de vol et
condamné à deux ans de prison, soit 731 jours et
qu'il avait droit, en vertu de l'article 22(1) de la
Loi sur les pénitenciers, à une réduction statutaire
de peine de 25 pour cent, soit 183 jours, et à une
autre réduction de peine méritée, conformément à
l'article 24(1) de la Loi, se montant à 50 jours, de
sorte que la durée totale de son emprisonnement en
exécution de la sentence originaire serait de 498
jours. Le 5 février 1972, à l'expiration de cette
période, il a été libéré, tout en étant assujetti à la
surveillance obligatoire de la Commission des libé-
rations conditionnelles, conformément aux disposi
tions de l'article 15(1) de la Loi sur la libération
conditionnelle de détenus, ainsi libellé:
15. (1) Lorsqu'un détenu à qui la libération conditionnelle
n'a pas été accordée est mis en liberté avant l'expiration de sa
sentence en conformité de la Loi, à la suite d'une réduction de
peine, incluant une réduction méritée et que la période de cette
réduction excède soixante jours, il doit, nonobstant toute autre
loi, être assujetti à une surveillance obligatoire commençant dès
sa mise en liberté et se poursuivant pendant la durée de cette
réduction de peine.
L'article 15(2) se lit comme suit:
15. (2) L'alinéa 10(1)e), l'article 11, l'article 13 et les arti
cles 16 à 21 s'appliquent à un détenu qui est assujetti à la
surveillance obligatoire comme s'il était un détenu à liberté
conditionnelle en libération conditionnelle et comme si les
modalités de sa surveillance obligatoire étaient des modalités de
sa libération conditionnelle.
et rend ainsi applicables les articles 16, 20 et 21.
D'après le requérant, la période de surveillance
obligatoire devait se terminer le 14 octobre 1972
et, avant l'expiration de cette période, il a commis
un délit de vol à main armée le 26 juillet 1972,
quoiqu'il n'ait été déclaré coupable que le 24
février 1974 et condamné à trois ans de prison.
Faisant les mêmes calculs que précédemment, le
requérant déclare que sa peine s'élèverait à un
emprisonnement de 1,095 jours pour lequel il
aurait droit à une réduction statutaire de 274 jours
et à une réduction de peine méritée de 74 jours,
soit un total de 348 jours, ce qui entraînerait sa
libération le 14 mars 1976 au lieu du 9 juillet
1976, date établie par la Commission nationale des
libérations conditionnelles. On voit qu'en faisant ce
calcul, le requérant ne rajoute pas la réduction
statutaire ni la réduction méritée résultant de la
première sentence. Le requérant se plaint aussi de
ce qu'on a inscrit à son casier judiciaire qu'il avait
commis une violation de libération conditionnelle,
prétendant que ce n'est pas le cas en l'espèce. Il a
été de nouveau emprisonné le 14 mars 1974 en
vertu d'un mandat écrit émis conformément aux
articles 16, 20 et 21 de la Loi sur la libération
conditionnelle de détenus.
Les chiffres soumis à l'audience par les intimés
montrent une légère différence dans le calcul de la
réduction de peine méritée et de la durée de l'em-
prisonnement en exécution de la première sentence
et indiquent qu'au moment de sa libération, le
requérant avait encore une peine de 232 jours à
purger, si on tient pas compte des réductions statu-
taire et méritée, et qu'il était donc assujetti à la
surveillance obligatoire pour cette période. D'après
les chiffres des intimés, sa deuxième sentence se
monterait à 1,096 jours auxquels il fallait alors
ajouter les 232 jours qu'il n'avait pas purgés sur la
première sentence, soit un total de 1,328 jours,
duquel ils ont déduit 332 jours pour réduction
statutaire, 86 jours pour réduction méritée et 45
jours de réduction méritée sur la première sen
tence, soit un total de 463 jours, ramenant ainsi en
peine à purger à 865 jours, ce qui porterait sa
libération au 9 juillet 1976. En fait, on a donc tenu
compte de la réduction de peine méritée qui était
inscrite à son crédit à la suite de sa première
incarcération, conformément à l'article 24(2) de la
Loi sur les pénitenciers ainsi libellé:
24. (2) Lorsqu'il est envoyé dans un pénitencier en confor-
mité de l'article 20 ou de l'article 21 de la Loi sur la libération
conditionnelle de détenus, un détenu peut bénéficier d'une
réduction de peine méritée égale à la réduction de peine méritée
qui était inscrite à son crédit en conformité de toute loi du
Parlement du Canada, à l'époque où sa libération condition-
nelle ou sa surveillance obligatoire a été révoquée ou frappée de
déchéance.
Les parties admettent que le point litigieux ne
porte pas sur les légers écarts de quelques jours
dans le calcul des réductions de peine, statutaire
ou méritée, mais sur le principe de rajouter la
période de réduction statutaire en l'espèce.
Le requérant se fonde sur l'arrêt de la Cour
suprême Marcotte c. Le sous-procureur général
du Canada, (1975) 19 C.C.C. (2 e ) 257, arrêt
majoritaire rendu en session plénière avec quatre
opinions dissidentes. Cependant, il faut souligner
que cet arrêt portait sur l'article 16(1) de la Loi
sur la libération conditionnelle de détenus' qui,
après modification, est devenu l'article 20(1) (pré-
cité) de l'actuelle Loi sur la libération condition-
nelle de détenus: le mot «originaire» a été supprimé
de l'expression «période originaire d'emprisonne-
4 S.C. 1958, c. 38.
ment» de l'ancienne loi et on a ajouté à la fin de
l'ancien article les mots «lui était accordé, y com-
pris toute période de réduction de peine alors
inscrite à son crédit, notamment la réduction de
peine méritée, moins toute période passée sous
garde par suite d'une suspension de sa libération
conditionnelle». A l'époque visée par la décision,
les articles 24 et 25 de la Loi sur les pénitenciers
étaient ainsi libellés:
24. Chaque détenu peut, en conformité avec les règlements,
bénéficier d'une réduction de peine de trois jours pour chaque
mois civil durant lequel il s'est adonné assidûment à son travail
et toute semblable réduction de peine ainsi méritée n'est pas
susceptible d'annulation pour quelque motif que ce soit.
25. Lorsque, en vertu de la Loi sur les libérations condition-
nelles, il est accordé à un détenu l'autorisation d'être en liberté
pendant la période de son emprisonnement, la durée de l'empri-
sonnement comprend, à toutes les fins de cette loi, les périodes
de réduction statutaire de peine inscrites à son crédit lorsqu'il
est mis en liberté, mais ne comprend pas une période quelcon-
que de réduction de peine méritée alors inscrite à son crédit.
Quoique le membre de phrase «et toute semblable
réduction de peine ainsi méritée n'est pas suscepti
ble d'annulation pour quelque motif que ce soit»
ait été supprimé de l'article 24, l'article 24(2) de
l'actuelle Loi sur les pénitenciers (précité) produit
le même résultat de sorte que le détenu est tou-
jours crédité d'une réduction de peine méritée
égale à celle qui figurait à son crédit à la date où
sa libération conditionnelle ou la surveillance obli-
gatoire a été révoquée ou frappée de déchéance.
Cependant la modification apportée à l'article 25
(précité) est importante, car, alors qu'en vertu de
l'ancienne loi, la période d'emprisonnement d'un
détenu, qui avait reçu l'autorisation d'être en
liberté, comprenait la période de réduction statu-
taire de peine inscrite à son crédit lorsqu'il était
mis en liberté mais ne comprenait aucune période
de réduction de peine méritée, elle comprend
maintenant, par suite de la modification, toute
période de réduction de peine méritée. Ces deux
articles ont pour effet de l'assujettir à la surveil
lance obligatoire pour une période comprenant sa
période de réduction de peine méritée mais ne le
prive pas de la réduction de peine méritée au
moment où sa libération conditionnelle est révo-
quée en vertu de l'article 20(1) de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus ou frappée de
déchéance en vertu de l'article 21(1). Comme je
l'ai déjà indiqué, le calcul, fait en l'espèce par la
Commission des libérations conditionnelles, lui en
a tenu compte. En rendant la décision majoritaire
dans l'affaire Marcotte (précitée) le juge Dickson
déclarait:
A mon avis, l'art. 25 de la Loi sur les pénitenciers ne s'applique
pas au par. (1) de l'art. 16 de la Loi sur la libération condition-
nelle de détenus'.
Il n'est pas nécessaire d'insister sur l'importance de la clarté et
de la certitude lorsque la liberté est en jeu. Il n'est pas besoin de
précédent pour soutenir la proposition qu'en présence de réelles
ambiguïtés ou de doutes sérieux dans l'interprétation et l'appli-
cation d'une loi visant la liberté d'un individu, l'application de
la loi devrait alors être favorable à la personne contre laquelle
on veut exécuter ses dispositions.
Cependant il est important de souligner qu'au
début de sa décision le savant juge déclare:
La question en litige est de savoir si un libéré conditionnel dont
la libération a été révoquée le 29 août 1968, a ainsi perdu son
droit à la réduction statutaire de peine inscrite à son crédit au
moment de sa mise en liberté conditionnelle. La solution du
litige dépend de la juste interprétation des par. (1), (3) et (4)
de l'art. 22, de l'art. 24 et de l'art. 25 de la Loi sur les
pénitenciers, S.C. 1960-61, c. 53, ... et de l'art.16(1) de la Loi
sur les libérations conditionnelles, S.C. 1958, c. 38, tels qu'ils
existaient alors (la loi ayant été depuis modifiée) ....
Les modifications, qui sont maintenant incorporées
à la Loi, avaient déjà été adoptées au moment où
l'appel a été jugé; l'arrêt s'est donc, à juste titre,
borné à examiner les lois en question dans leur
teneur au 29 août 1968, date de la révocation de la
libération conditionnelle du détenu. Dans ses
motifs, le juge Pigeon, quoique souscrivant à l'ar-
rêt majoritaire, a insisté encore plus fortement sur
ce point, en déclarant:
Je souscris à la conclusion du juge Dickson en adoptant son
avis que, suivant le droit en vigueur lorsque la libération
conditionnelle de l'appelant a été révoquée, la révocation n'a
pas entraîné la déchéance de la réduction statutaire de peine
inscrite à son crédit.
Il semble avoir senti le besoin de souligner que
cette conclusion n'était valable qu'au regard du
droit en vigueur à la date de la révocation de la
libération conditionnelle et qu'il ne préjugeait pas
la question de savoir s'il serait parvenu à la même
conclusion en vertu du texte de loi actuel.
5 L'actuel article 20(1) (précité).
Cependant l'avocat du requérant soutient que
les modifications n'ont pas changé le droit et, à
l'appui de cet argument, il invoque l'arrêt majori-
taire du juge Estey de la Cour d'appel de l'Ontario
dans la même affaire, Ex parte Marcotte 6 où il
déclare à la page 133 que la suppression du mot
«originaire» dans le nouvel article 16 (l'actuel arti
cle 20) de la Loi sur la libération conditionnelle de
détenus ne change pas le droit. Il s'est aussi référé
à la page 135 de cet arrêt où le savant juge
déclarait:
[TRADUCTION] L'article 16 précité, de la Loi sur la libéra-
tion conditionnelle de détenus, tel que modifié par la Loi de
1968-69 modifiant le droit pénal, vise expressément toute
réduction de peine, y compris la réduction de peine méritée
pour la partie non expirée de la peine d'emprisonnement que la
personne libérée sous condition doit purger quand elle est de
nouveau incarcérée à la suite de la révocation de sa libération
conditionnelle.
Alors que l'expression «la partie de sa peine d'emprisonne-
ment qui n'était pas encore expirée» vise aussi maintenant la
réduction de peine méritée, l'article 24(2) de la Loi sur les
pénitenciers prévoit cependant que, lorsqu'il est envoyé dans un
pénitencier après révocation ou déchéance de sa libération
conditionnelle, un détenu peut bénéficier d'une réduction de
peine méritée égale à la réduction de peine méritée qui était
inscrite à son crédit à l'époque où sa libération conditionnelle a
été révoquée ou frappée de déchéance.
A mon avis, à part l'indication que la réduction de peine
méritée est incluse dans l'expression «la partie de la peine
d'emprisonnement qui n'était pas encore expirée» au moment
où la libération conditionnelle lui a été accordée, l'article actuel
n'a pas modifié le sens de cette expression; cependant cette
inclusion se trouve maintenant dans l'article même, sans qu'il
faille recourir à l'article 25 de la Loi sur les pénitenciers. On ne
peut, de la nouvelle rédaction de l'article, conclure qu'avant
cette modification, une personne libérée sous condition, dont la
libération conditionnelle a été révoquée, avait le droit de récla-
mer le bénéfice de la réduction statutaire de peine inscrite à son
crédit quand elle a été mise en liberté sous condition.
Dans l'arrêt Re Samuel [1913] A.C. 514 la p. 526, le
vicomte Haldane, Lord Chancelier, en rendant la décision du
Comité judiciaire du Conseil privé a fait remarquer:
En matière d'interprétation d'une loi antérieure, dire que, si
elle n'est pas interprétée d'une certaine façon, la nouvelle loi
serait redondante, ne constitue pas un argument décisif. La
nouvelle loi peut avoir pour but, ex abondante cautela,
d'éliminer tous doutes possibles.
Il est important de remarquer cependant que l'ar-
rêt majoritaire de la Cour d'appel de l'Ontario,
tout en affirmant que les modifications n'ont pas
altéré le contenu de la loi, concluait que néanmoins
l'intimé, par suite de la révocation de sa libération
conditionnelle, n'avait pas droit au bénéfice de la
e (1974) 13 C.C.C. (2e) 114.
réduction statutaire de peine inscrite à son crédit
au moment où il a été mis en liberté sous condi
tion. Cette décision, quoiqu'infirmée par la Cour
suprême du Canada, s'est clairement bornée à
examiner la loi telle qu'elle existait avant les modi
fications et n'a pas traité de la question de savoir si
les modifications en avaient altéré le contenu.
L'affirmation, contenue dans l'arrêt majoritaire de
la Cour d'appel de l'Ontario, que les modifications
n'ont pas eu un tel effet, constitue, à la lumière de
l'arrêt de la Cour suprême du Canada, une remar-
que faite en passant, et ne peut avoir force de
précédent.
Je suis arrivé à la conclusion que l'affaire Mar-
cotte (précitée) ne constitue pas un précédent en
faveur de la thèse voulant que, depuis les modifica
tions apportées aux articles en question des deux
lois par la Loi de 1968-69 modifiant le droit
pénal', une personne, dont la libération condition-
nelle a été révoquée ou frappée de déchéance par
suite de la perpétration d'une autre infraction
avant l'expiration de sa libération conditionnelle,
n'a pas à purger la période de réduction statutaire
inscrite à son crédit durant son emprisonnement
pour la première infraction; ma conclusion se
trouve corroborée par les motifs du juge Beetz
dans l'affaire Howarth c. La Commission natio-
nale des libérations conditionnelles (précitée) dans
lesquels, en souscrivant à l'arrêt majoritaire du
juge Pigeon, il déclare:
Il est peut-être malheureux qu'en vertu du par. (1) de l'art.
20 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, la
réduction statutaire de peine pour la période purgée lorsque le
détenu était en libération conditionnelle et la réduction méritée
inscrite à son crédit au moment de sa mise en liberté sous
libération conditionnelle soient perdues automatiquement lors
de la révocation de la libération, surtout si l'on tient compte du
fait que la libération peut être suspendue, et, présumément,
révoquée pour des motifs qui ne sont pas nécessairement reliés à
la violation des modalités de la libération conditionnelle. Cela,
cependant, n'a pas pour effet, à mon avis, de changer la nature
de la décision de la Commission des libérations conditionnelles
lorsqu'elle révoque une libération conditionnelle accordée à un
détenu.
Le point litigieux soumis à la Cour portait unique-
ment sur la question de savoir si la décision de la
Commission des libérations conditionnelles était de
nature purement administrative et la cour n'avait
pas à décider si la révocation de la libération
conditionnelle entraînait la perte de la réduction
7 S.C. 1968-69, c. 38.
statutaire et de la réduction méritée, inscrites au
crédit d'un détenu à l'époque de sa mise en liberté
conditionnelle. Il semble cependant que c'était là
son opinion et c'est particulièrement significatif
quand on se rappelle qu'il a, par la suite, souscrit à
l'arrêt majoritaire du juge Dickson dans l'affaire
Marcotte (précitée), qui a tranché la question sur
la base de la teneur de la loi avant qu'elle ait été
modifiée.
C'est la même loi, la Loi de 1968-69 modifiant
le droit pénal (précitée) qui a modifié la Loi sur
les pénitenciers et la Loi sur la libération condi-
tionnelle de détenus; je pense que ces deux derniè-
res sont complémentaires. Il peut subsister quel-
ques ambiguïtés au sujet de la question de la
réduction de peine méritée au regard des articles
24(2) et 25 de la Loi sur les pénitenciers et des
articles 20(1) et 21(1) de la Loi sur la libération
conditionnelle de détenus, mais la question de la
réduction méritée n'a pas été soulevée en l'espèce.
L'article 24(2) de la Loi sur les pénitenciers
accorde clairement au détenu, lorsqu'il est envoyé
au pénitencier conformément aux articles 20 ou 21
de la Loi sur la libération conditionnelle de déte-
nus, le bénéfice de la réduction méritée, inscrite à
son crédit à l'époque où sa libération condition-
nelle ou sa surveillance obligatoire a été révoquée
ou frappée de déchéance et ne mentionne pas
pareillement la réduction statutaire. Le renvoi à
l'article 20 ou à l'article 21 de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus indique claire-
ment que les deux lois sont complémentaires. L'ar-
ticle 24 de la Loi sur les pénitenciers, avant sa
modification, ne faisait pas pareil renvoi aux arti
cles correspondant de la Loi sur la libération
conditionnelle de détenus. Il n'est donc plus néces-
saire maintenant de se fonder uniquement sur
l'article 25 de la Loi sur les pénitenciers comme
l'arrêt majoritaire de la Cour suprême du Canada
l'a fait dans l'affaire Marcotte (précitée). Dans la
présente affaire nous traitons de l'article 21(1) de
la Loi sur la libération conditionnelle de détenus
qui correspond à l'article 17(1) de l'ancienne loi et
non pas de l'article 20(1) qui a remplacé l'ancien
article 16(1) puisqu'il s'agit de la déchéance de la
libération conditionnelle et non pas de sa suspen
sion ou de sa révocation comme dans l'affaire
Marcotte; mais il n'en résulte aucune différence
car le libellé des deux nouveaux articles est sensi-
blement le même et le libellé actuel est tout à fait
clair puisque le membre de phrase «y compris toute
période de réduction de peine alors inscrite à son
crédit, notamment la réduction de peine méritée»
vise certainement la réduction statutaire.
En conclusion, sans entrer dans les détails du
calcul, je ne peux donc trouver aucune erreur de
droit, à la lecture du dossier, dans la façon dont le
calcul a été effectué pour déterminer la date de
libération du requérant. En outre, en ce qui con-
cerne le bref de mandamus, il ne peut être accordé
que pour assurer l'exécution d'une obligation
administrative, quand cette exécution, à laquelle le
demandeur a un intérêt juridique suffisant, lui est
refusée par l'autorité à qui elle incombe (voir S. A.
deSmith, Judicial Review of Administrative
Action, 2 e éd., page 561). D'une manière générale,
il ne peut être accordé en vue d'annuler ce qui a
déjà été fait, même en violation d'une loi (op. cit.
page 563). Les intimés n'ont pas négligé d'exécuter
l'obligation d'aviser le requérant de la date à
laquelle il pouvait s'attendre à être libéré, s'il
bénéficiait de la réduction maximum de peine
méritée à laquelle il pouvait avoir droit durant son
incarcération.
En ce qui concerne la radiation du casier judi-
ciaire du requérant de toutes références à la viola
tion de libération conditionnelle, il est exact que,
dans son article 12, la Loi sur la libération condi-
tionnelle de détenus fait une distinction entre
«libération conditionnelle» et «surveillance obliga-
toire» et que le requérant a commis la nouvelle
infraction alors qu'il était en liberté mais sous
surveillance obligatoire à la suite des réductions de
peine statutaire et méritée inscrites à son crédit et
non à la suite d'une libération conditionnelle anté-
rieure. Cependant, l'article 15(2) de la Loi (pré-
cité), traitant de la surveillance obligatoire, rend
l'article 13 (article traitant des effets de la libéra-
tion conditionnelle) et les articles 16 à 21 applica-
bles au détenu assujetti à la surveillance obliga-
toire «comme s'il était un détenu à liberté
conditionnelle en libération conditionnelle et
comme si les modalités de sa surveillance obliga-
toire étaient des modalités de sa libération condi-
tionnelle». Il me semble donc que, lorsque sa libé-
ration conditionnelle est frappé de déchéance en
vertu de l'article 17, rendant ainsi applicable l'arti-
cle 21(1), il n'est pas inexact de parler de «viola-
tion de libération conditionnelle». En fait, l'article
21(1) commence par ces mots «une libération con-
ditionnelle est frappée de déchéance par une décla-
ration de culpabilité d'un acte criminel».
Mon collègue le juge Addy a eu à statuer sur
une question semblable dans l'affaire Robert
Ernest Zong, où il était saisi d'une demande visant
une mesure déclaratoire dirigée contre le commis-
saire des pénitenciers, et portant sur la déchéance
de libération conditionnelle, et il a abouti à la
même conclusion.
En conséquence, la requête est rejetée avec
dépens.
ORDONNANCE
La requête visant la délivrance d'un bref de
mandamus, assorti d'un bref de certiorari, est
rejetée avec dépens.
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