T-2380-73
Arthur Kofman et Associés (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance—Montréal, les 3 et
4 mars; Ottawa, le 13 mars 1975.
La Couronne—Contrats—Le demandeur met des employés
à la disposition de la défenderesse—Ils demeurent des
employés du demandeur—La défenderesse résilie ses contrats
avec le demandeur et recrute directement les mêmes
employés—Le demandeur a-t-il droit à une commission?—
Des obligations contractuelles subsistent- elles?—Code civil du
Québec, art. 1013 1016, 1019 et 1021.
Le demandeur a mis des employés à la disposition de la
défenderesse en vertu de 26 contrats résiliables sur préavis
d'une semaine. Ces personnes demeuraient les employés du
demandeur et travaillaient sous la direction de la défenderesse.
Le demandeur recevait une somme fixe pour les services de
chaque employé. La défenderesse a résilié tous les contrats et
recruté directement tous les employés sauf un. Le demandeur
réclame les commissions normalement dues en cas de résiliation
de contrat d'employés recrutés ensuite directement par le client.
Arrêt: allouant une commission pour chaque contrat; l'article
1013 du Code civil du Québec prévoit l'interprétation littérale
d'un contrat «sauf si la commune intention des parties ... est
douteuse». Dès qu'on mettait fin au contrat de chaque employé,
il ne subsistait plus d'obligation contractuelle; cependant
d'après l'usage, l'agence a droit à une commission lorsque le
client recrute directement un employé dans une période de trois
mois après qu'il a été mis à sa disposition. Les parties s'étaient
conformées à cet usage dans leurs rapports antérieurs et, le
contrat n'ayant rien prévu à ce sujet, il semble que leur
intention était douteuse. L'article 1019, stipulant qu'en pré-
sence d'ambiguïté, un document s'interprète contre la partie qui
l'a rédigé, ne vise pas seulement le doute résultant d'une
rédaction ambiguë, mais aussi les cas où, le contrat étant muet,
on doit déterminer l'intention des parties relativement à une
situation non prévue au contrat. La clause 15 ne signifie pas
qu'on ne puisse rien ajouter au contrat; l'insertion d'une clause
d'indemnité de résiliation ne modifie ni ne contredit les clauses
15 ou 17, et, conformément aux articles 1013 1015 et 1019,
on doit interpréter le contrat en y faisant figurer les clauses
d'usage dans les rapports entre les agences de placement et
leurs clients. On ne peut y échapper en soutenant que la
défenderesse, en exigeant la rédaction des contrats selon ses
propres termes, a refusé de consentir à la commission. Si
l'usage devait être écarté, le contrat aurait dû le prévoir d'une
manière spéciale. La clause 18 prévoyait que les lois civiles
fédérales et québécoises s'appliquaient; l'article 1016 du Code
civil, prévoyant que ce qui est ambigu s'interprète par l'usage
du pays («région»), est applicable de plein droit et en raison des
termes exprès du contrat.
Enfin, le demandeur est désigné aux contrats comme ingé-
nieur-conseil, cependant son occupation principale consistait à
trouver, recruter et placer du personnel et la défenderesse avait
antérieurement traité avec le demandeur en cette qualité. L'em-
ploi de l'abréviation «Ing.Cons.» n'écarte ni ne supplante l'usage
de la profession dans la région.
Arrêt appliqué: Canestrari c. Lecavalier (1915) 47 C.S.
296.
ACTION.
AVOCATS:
S. Shriar pour le demandeur.
G. Côté et J. Ouellet pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Shriar, Polak et Cooperstone, Montréal, pour
le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE ADDY: Le demandeur qui, avec ses
associés, exploite une firme d'ingénieurs-conseils et
de conseillers en placement s'occupant de recruter
des ingénieurs et des techniciens de soutien quali-
fiés pour les mettre à la disposition de ses clients,
actionne la défenderesse représentée par le minis-
tre des Travaux publics (ci-après appelé «le Minis-
tère») pour la prétendue violation de vingt-six con-
trats distincts en vue de mettre des techniciens à la
disposition dudit ministère. Le Ministère avait
besoin de ces techniciens pour exécuter un pro
gramme de construction accélérée, destiné à atté-
nuer le chômage dans le district de Montréal.
Il y avait très peu de faits contestés et, après
l'audition de quelques témoins, les avocats des
parties ont décidé de faire un exposé conjoint des
faits, qui a été déposé à l'audition comme pièce 4,
dans le but d'éviter de citer plusieurs autres
témoins.
Tous les vingt-six contrats étaient rédigés en
termes identiques, à l'exception de la date à partir
de laquelle chaque personne devait être employée
au projet du Ministère et du montant des salaires à
payer pour les services de ladite personne. Dans
chaque cas, le contrat prévoyait que la personne
mise à la disposition du Ministère demeurait, de
toute façon, l'employé du demandeur, sauf qu'elle
devait travailler sous la direction du Ministère. Le
Ministère devait payer au demandeur une somme
fixe pour les services de chaque employé. La rému-
nération du demandeur était représentée par la
différence entre le montant qu'il recevait du
Ministère pour les services de l'employé et le mon-
tant qu'il payait effectivement à l'employé au titre
des salaires et autres prestations.
Chaque contrat était rédigé en français et conte-
nait la clause 17 ainsi libellé:
17. La firme ainsi que Sa Majesté pourront mettre fin à la
présente convention en tout temps sur préavis écrit à cet effet
d'une semaine.
Dans l'intention évidente de recruter directe-
ment, à titre de fonctionnaires permanents, les
techniciens mis à sa disposition par le demandeur,
le Ministère a fait envoyer pour chacun des con-
trats le 27 novembre 1970 une lettre recommandée
résiliant le contrat à compter du 2 décembre 1970.
Le même jour, le Ministère recrutait directement à
titre de fonctionnaires affectés au projet toutes les
vingt-six personnes à l'exception d'un ingénieur
dénommé Marion. En ce qui concerne Marion, qui
avait été à un moment donné fonctionnaire du
gouvernement fédéral et qui aurait perdu le béné-
fice de sa pension à titre de retraité du gouverne-
ment fédéral s'il avait été recruté directement, un
arrangement spécial prévoyait qu'il serait recruté
par une firme d'ingénieurs-conseils participant à la
réalisation du projet et que cette firme à son tour
le mettrait à la disposition du Ministère moyen-
nant une commission égale à 20 pour cent du
salaire de ce dernier pour la prise en charge de ce
salaire et des autres prestations.
Le demandeur prétend qu'il a droit à la commis
sion qui revient normalement à une agence de
placement comme la sienne en cas de résiliation du
contrat d'un employé qui est recruté directement
par le client. De son côté le Ministère soutient
qu'ayant mis fin au contrat conformément à la
clause 17 précitée, il ne subsistait aucun engage
ment contractuel entre les parties relativement à
ce qui s'est passé après la résiliation du contrat.
A l'appui de sa prétention, le Ministère soutient
que la clause 16 prévoit que les seules obligations
contractuelles existant entre les parties sont celles
qui sont stipulées au contrat écrit et que la clause
17, précitée, est claire et précise et par conséquent
ne donne pas lieu à interprétation. Il déclare que
ce paragraphe prévoit clairement qu'il peut être
mis fin au contrat sur préavis d'une semaine et que
le préavis d'une semaine prévu au contrat a été en
fait donné.
L'article 1013 du Code civil de la province de
Québec est ainsi libellé:
Art. 1013. Lorsque la commune intention des parties dans
un contrat est douteuse, elle doit être déterminée par interpré-
tation plutôt que par le sens littéral des termes du contrat.
En fait cela veut dire qu'on ne peut interpréter
le contrat qu'en ayant recours au sens littéral de
ses termes «sauf si la commune intention des par
ties dans un contrat est douteuse».
Je ne doute nullement que, lorsqu'il est mis fin
au contrat d'un employé, sur l'initiative de l'une
des parties à la suite du préavis prévu à la clause
17 dudit contrat, le Ministère n'a plus aucune
obligation en vertu du contrat et le demandeur de
son côté n'est pas tenu de trouver un remplaçant si
le Ministère le lui demandait. Cependant on a
démontré clairement à l'audience l'existence en
1970 d'un usage professionnel bien reconnu et
établi parmi les firmes, comme celle du deman-
deur, s'occupant de trouver et de placer des techni-
ciens, en vertu duquel, si le client, dans les trois
mois de l'embauchage, recrutait directement à
titre d'employé permanent, une personne mise à sa
disposition par la firme, il devait payer à la firme
une indemnité proportionnelle, fonction du mon-
tant du salaire brut de la personne pour la pre-
mière année; ce pourcentage variait avec le mon-
tant du salaire, il était plus élevé s'il s'agissait
d'employés mieux rémunérés, étant entendu que
ces employés étaient plus rares et plus difficiles à
recruter et à remplacer que les employés à salaire
moins élevé. Il a été aussi établi et convenu que le
demandeur se conformait à cet usage dont le
Ministère était parfaitement au courant pour s'y
être conformé dans ses précédentes négociations
avec le demandeur. Ceci étant, le contrat n'ayant
rien prévu à ce sujet et compte tenu du fait qu'il
paraît parfaitement absurde qu'une compagnie,
comme celle du demandeur, qui a plusieurs années
d'expérience dans ce domaine, prendrait la peine
de trouver, recruter et placer des cadres techniques
et professionnels et de pourvoir au remplacement
de ceux d'entre eux que le Ministère pourrait, sur
l'avis du Ministre, juger peu satisfaisants, pour
voir résilier chaque contrat après une semaine et le
Ministère recruter les cadres comme employés per
manents, ce qui aurait pour conséquence de ré-
duire la rémunération que le Ministère doit verser
au demandeur, à un pourcentage basé sur une ou
deux semaines de salaire de l'employé (comme cela
est arrivé, paraît-il, pour certains des cas visés par
les présents contrats), il me semble que l'intention
des parties sur ce qui se produirait dans une telle
éventualité est réellement ambiguë. Les règles
d'interprétation prévues aux articles 1013 à 1021
du Code civil sont donc applicables.
Il me paraît certain que l'article 1013 ne vise
pas seulement les cas d'ambiguïté réelle dans la
rédaction du contrat mais aussi les cas où le doute
résulte de ce que le contrat est complètement muet
sur une question qui, de façon explicite ou en toute
logique, relève de l'objet du contrat.
On pourrait soutenir que l'expression «mettre
fin» est quelque peu ambiguë, je ne peux néan-
moins accepter cet argument puisque les mots
eux-mêmes sont clairs et précis. Le demandeur
demande en fait que la Cour déclare quelle a été
l'intention des parties relativement à une situation
non expressément prévue au contrat mais à
laquelle, soutient-il, le contrat doit s'appliquer en
toute logique. Il s'agit de décider comment les
parties auraient exprimé leur intention si la situa
tion avait été expressément prévue dans le libellé
du contrat, ce qui n'est pas essentiellement une
question d'ambiguïté.
Le demandeur soutient que l'article 1019 du
Code civil devrait s'appliquer. Cet article est ainsi
libellé:
Art. 1019. Dans le doute le contrat s'interprète contre celui
qui a stipulé, et en faveur de celui qui a contracté l'obligation.
Quoique à mon avis cet article ait été rédigé
dans un style assez ambigu, on l'a interprété
comme produisant le même effet que la règle de
common law «contra proferentem», en ce sens
qu'en présence d'ambiguïté, un document s'inter-
prète contre la partie qui l'a rédigé. En d'autres
termes, il ne s'applique pas seulement à certains
engagements contractés par une partie au profit de
l'autre partie qui a rédigé le contrat, mais encore
au contrat mettant des obligations réciproques à la
charge des deux parties. L'arrêt Canestrari c.
Lecavalier', se réfère à ce principe. Le sommaire,
qui résume bien la décision, est ainsi rédigé:
2. C'est un principe reconnu dans l'interprétation des contrats
que, lorsqu'un écrit est rédigé par une partie, les doutes et les
ambiguïtés qui s'y trouvent sont interprétés contre elle.
Le juge en chef suppléant Archibald déclarait à la
page 298:
[TRADUCTION] Mais si le contrat n'est pas aussi clair que
possible, la faute en est aux défendeurs qui ont effectivement
préparé et rédigé le contrat et sont censés y avoir insérer toutes
les clauses utiles à leur intérêt.
Cependant, cet article a une portée plus large
que celle de la règle contra proferentem qui ne
s'applique ordinairement qu'en cas d'ambiguïté.
Comme l'article 1013, l'article 1019 vise les cas de
doute, et non pas uniquement le doute résultant
d'une rédaction ambiguë. On peut considérer qu'il
vise les cas où le contrat est muet sur un point et
où l'on est obligé de déterminer l'intention des
parties relativement à une situation non prévue au
contrat. Tel est, me semble-t-il, le cas en l'espèce,
du moins en principe. La seule clause du contrat
qui pourrait être interprétée de manière à écarter
l'application de l'article 1016 ou de l'article 1019
est la clause 15 ainsi rédigée:
15. La présente convention constituera le seul et unique lien
contractuel liant la firme et Sa Majesté.
Cette clause ne dit pas qu'on ne peut suppléer
au contrat pour en combler une lacune, mais sim-
plement qu'il constitue la seule et unique conven
tion entre les parties. Toute disposition qui découle
nécessairement du contrat en fait partie et ne viole
donc pas cette clause. Il y a lieu de noter que la
clause 15, prise au pied de la lettre, est évidem-
1 (1915) 47 C.S. 296.
ment inexacte et non conforme à la réalité puis-
qu'il est reconnu qu'il y avait, entre les parties, non
pas un mais vingt-six contrats qui font l'objet de la
présente action. Il faut donc entendre la clause 15
comme si elle comprenait les mots «dans la mesure
où cet employé est concerné».
A l'audience, l'avocat du demandeur a plaidé
comme si la clause 15 signifiait qu'on ne devait
ajouter au contrat aucune stipulation en dehors de
celles qui y sont écrites. Cela n'est évidemment pas
dit dans la clause.
L'inclusion d'une clause prévoyant le paiement
d'une indemnité à la résiliation d'un contrat au cas
où le Ministère embaucherait directement un
employé, ne modifie ni ne contredit en rien les
termes exprès ou implicites de la clause 17 ni ceux
de la clause 15, et, pour les raisons susmention-
nées, je conclus que, conformément aux articles
1013, 1014, 1015 et 1019, on peut légalement
interpréter le contrat de manière à y faire figurer
les clauses d'usage qui, dans les rapports entre les
agences de placement et leurs clients, exigent le
versement à l'agence d'une indemnité calculée en
fonction d'un pourcentage du salaire pour la pre-
mière année d'emploi, lorsque le client embauche
directement comme employé permanent une per- .
sonne qui a été mise temporairement à sa
disposition.
La prochaine question à résoudre est celle de
savoir si en fait la clause susmentionnée doit s'ap-
pliquer aux parties au contrat. Le paragraphe 2 de
la déclaration de la demanderesse se lit comme
suit:
[TRADUCTION] 2. QUE pour ces services, le demandeur facture
à ses clients les mêmes prix que les firmes semblables établies
dans la province de Québec; ces prix comprenaient les éléments
suivants:
a) Si le client a besoin d'une aide occasionnelle ou tempo-
raire, le candidat finalement choisi peut être directement
employé par le demandeur qui lui paie son salaire, et le client
verse au demandeur une somme basée sur un taux horaire
convenu pour lesdits services, et la commission ou indemnité
due au demandeur est la différence entre le taux horaire payé
par le client et le taux horaire payé au technicien par le
demandeur («taux différentiel»);
b) Si le client à n'importe quel moment décide de faire
figurer le candidat sur sa liste de paye d'une manière tempo-
raire, le client continue à payer au demandeur la même
indemnité;
c) Si, à un moment donné, le client décide d'embaucher le
candidat d'une manière permanente, le prix facturé par le
demandeur varie entre 7 1 / 2 et 12% du salaire annuel brut
auquel le candidat a débuté comme employé permanent du
client, appelé «indemnité d'embauchage permanent».
L'exposé conjoint des faits établit que le deman-
deur a offert de fournir au Ministère les candidats
qu'il réclamait moyennant la rémunération prévue
dans sa brochure et dans la ,lettre qui l'accompa-
gnait ou à un taux fixe par personne, comme
indiqué au paragraphe 2 ci-dessus de la déclara-
tion du demandeur. Les représentants du Minis-
tère n'ont pas accepté cette offre du demandeur et
le Ministère a insisté pour rédiger son propre
contrat qui devait être signé chaque fois qu'un
employé lui était fourni.
L'avocat de la défenderesse a soutenu à l'au-
dience que, puisque la méthode normale de rému-
nération pour placement n'avait pas été acceptée,
cela constituait un refus définitif de la part des
représentants du Ministère de consentir à verser
une rémunération au cas où des employés seraient
recrutés d'une manière permanente et que c'était
la seule raison pour laquelle on avait exigé ces
contrats écrits, l'intention des parties étant que,
dans chaque cas, le contrat écrit dérogerait à
l'usage dont on a reconnu l'existence. On peut
opposer trois réponses évidentes à cet argument: la
première est que si la seule raison pour laquelle on-
a préparé et signé des contrats écrits était d'écarter
l'application de l'usage, notamment en ce qui con-
cerne le versement d'une rémunération au cas où le
personnel fourni serait embauché d'une manière
permanente par le Ministère, il est réellement
étrange qu'on n'ait pas précisé au contrat soit que
l'usage était complètement écarté, soit plus spécia-
lement que le Ministère n'encourrait aucune res-
ponsabilité en cas d'embauchage permanent du
personnel. On aurait pu très bien le préciser au
contrat, en peu de mots. En outre, si on avait voulu
écarter l'application de l'usage quand le contrat
était muet sur un point qui relève évidemment de
l'objet du contrat, on aurait dû préciser expressé-
ment dans le contrat que l'usage en question était
écarté. Comme le déclarait le savant auteur Trudel
dans son Traité de Droit Civil du Québec, tome 7,
à la page 288:
Sans convention au contraire, un contractant est présumé con-
naître et se soumettre aux usages et coutumes du lieu où le
contrat s'est formé. Cette présomption semble bien être juris et
de jure dans les bornes de son application.
En l'espèce, il n'y a certainement aucune référence
visant à écarter l'application de l'usage.
En second lieu, diverses clauses du contrat visent
manifestement les droits spéciaux de la défende-
resse ainsi que les obligations particulières du
demandeur, droits et obligations qui, en aucune
façon, ne relèvent des usages et qui justifient
amplement que le Ministère ait désiré passer un
contrat écrit.
En outre, la clause 18 du contrat est ainsi
rédigée:
18. La présente convention sera interprétée suivant les lois
fédérales pertinentes et subsidiairement suivant les lois civiles
de la province de Québec.
Cette disposition prévoit spécialement, pour l'in-
terprétation du contrat, l'application en premier
lieu des lois fédérales et subsidiairement des lois
civiles de la province de Québec. Il n'y a pas de lois
fédérales applicables. Cependant, l'article 1016 du
Code civil est ainsi libellé:
Art. 1016. Ce qui est ambigu s'interprète par ce qui est
d'usage dans le pays où le contrat est passé.
Cet article est applicable non seulement de plein
droit mais encore en raison des termes exprès du
contrat lui-même.
On a interprété le terme «pays» de l'article 1016
comme désignant une région ou un territoire et pas
nécessairement le pays tout entier.
En ce qui concerne les raisons humaines et
sociales qui justifient l'existence et l'application
des usages, le savant auteur Trudel, dans son
Traité de Droit civil du Québec que j'ai déjà cité,
déclare ce qui suit aux pages 286 et 287:
Le contrat, institution juridique, est d'abord un acte de
l'homme. Le droit est incapable d'ignorer l'aspect humain et
social de toute convention. La liberté humaine, qui crée le
contrat et en domine la matière, s'exerce dans un milieu
déterminé, dans un entourage précis. Ce milieu n'est pas seule-
ment géographique. En droit, il sera surtout social, profession-
nel, commercial, etc. Toujours le contractant est entouré d'une
atmosphère particulière formée des usages et des coutumes, des
habitudes et des moeurs. Cet environnement provoque chez
l'individu une inclinaison à accepter pour soi les manières de
dire, de faire et de penser généralement observées chez les
autres. La loi du moindre effort est à l'origine de toutes ces
abdications individuelles que l'on nomme usages et coutumes.
Cette faiblesse humaine confère de la sorte à l'individu la
sociabilité, qualité naturelle qui naît et se développe du seul fait
de l'agglomération des hommes. Pareil asservissement n'est
quand même pas incompatible avec une volonté libre: son
existence même vient de la multiplicité et de la permanence
d'actes strictement libres, personnels, réfléchis. Ces actes sont
devenus l'usage quand les personnes d'un même milieu les ont
posés sans réflexion, ni hésitation, sans appréciation critique des
motifs. La spontanéité a alors détrôné la volonté consciente,
mais sans atténuer ni supprimer les besoins et les raisons qui
auparavant déterminaient l'acte réfléchi de chacun. Les indivi-
dus moins doués profitent ainsi de l'expérience des gens mieux
avisés; ils participent à une décision sage, qui peut être, à
l'origine, ardue et laborieuse. Et tout ceci démontre que, obser
vant inconsciemment une coutume, l'homme n'en pose pas
moins un acte approprié à ses besoins et conforme à sa volonté.
C'est le fondement réel de ces deux règles d'interprétation. La
Loi présume que les contractants veulent participer à ce fonds
commun de prudence. Sciemment ou non, tous s'en servent
comme ils respirent l'air qui les environne. Cette présomption
n'est donc pas arbitraire; elle découle d'un trait caractéristique
de l'homme: la sociabilité.
Ce préambule entraîne un corollaire très pratique. L'usage
qui influera sur une convention est celui qui existe au lieu où le
contrat est fait. Il faut limiter de quelque façon cette sujétion
du contrat aux faits sociaux. Sans quoi, on ne parviendrait
jamais à éclairer une situation douteuse. C'est pourtant le but
de l'interprétation. [C'est moi qui souligne.]
Dans la désignation des parties, figurant au
début de chaque contrat, le demandeur est identi-
fié sous son titre professionnel: «Ing. Con.» abré-
viation d'ingénieur-conseil et non comme agent de
placement ou sous un autre titre susceptible d'indi-
quer qu'il s'occupait d'une agence chargée de trou-
ver, recruter et placer du personnel. Se fondant sur
ce fait, l'avocat de la défenderesse a soutenu qu'à
l'occasion des contrats en question, le Ministère
avait traité avec le demandeur uniquement en sa
qualité d'ingénieur-conseil et que chaque contrat
avait pour objet les services d'un technicien fourni
par une firme d'ingénieurs ordinaires et non par
une firme qui fournit ordinairement du personnel
technique. Vu que l'on n'a pas établi que l'usage,
applicable au second genre de firme, existait en ce
qui concerne une firme d'ingénieurs ordinaires, il
faut donc logiquement conclure, a-t-il ajouté, que
l'usage ne peut s'appliquer aux parties aux con-
trats litigieux en l'espèce.
Cet argument, assez habile, ne tient cependant
pas compte de divers autres facteurs. Le deman-
deur a toujours été un ingénieur-conseil, mais son
occupation principale consistait à trouver, inter
viewer, apprécier, fournir et placer des ingénieurs
et du personnel technique et de soutien. Cela a été
précisément soutenu au paragraphe 1 de la décla-
ration et reconnu pour vrai au paragraphe 1 de la
défense. Le demandeur avait déjà traité avec le
Ministère et, d'après les preuves qui me sont
soumises, l'avait toujours fait en qualité d'agent
de placement. Rien dans le contrat n'indique que
le demandeur avait des obligations envers le
Ministère en tant qu'ingénieur; son obligation con-
sistait uniquement à fournir les services de la
personne désignée au contrat et, si elle ne donnait
pas satisfaction, de trouver un remplaçant. Il est
aussi intéressant de noter que le demandeur a
adressé plusieurs candidats au Ministère, qu'ils
ont été agréés et ont commencé à travailler avant
même la signature des contrats. L'utilisation de
l'abréviation d'ingénieur-conseil dans la désigna-
tion du demandeur ne contredit pas le fait qu'il
contractait en sa qualité ordinaire comme il l'avait
fait dans le passé, et la simple insertion de ces
mots ne suffit pas à écarter ou supplanter l'usage
général de la profession, répandu dans la région de
Montréal et, a fortiori, toutes les parties avaient
déjà appliqué cet usage général dans leurs négo-
ciations antérieures.
Enfin, tous les techniciens adressés au Ministère
et dont les services sont visés par ces contrats, ont
été recrutés par le Ministère en tant que fonction-
naires permanents dans le même emploi. Pour les
raisons susmentionnées, je ne peux accepter la
thèse selon laquelle, dans ces circonstances, et du
seul fait que le demandeur soit désigné en tant que
partie sous son titre professionnel, la Cour devrait
décider que le Ministère traitait avec lui (ou avec
sa firme) dans ce cas particulier, strictement en
tant qu'ingénieur; et je conclus que la défenderesse
doit payer au demandeur, conformément à chaque
contrat, l'indemnité prévue par l'usage susmen-
tionné, qui est censé faire partie de chaque contrat.
Il a été clairement établi que, pour chacun des
vingt-six contrats, le Ministère a recruté les
employés au cours des trois premiers mois; le
demandeur doit en conséquence recevoir dans
chaque cas une indemnité basée sur le taux normal
en vigueur à l'époque.
A l'audience, les parties ont soumis, comme
pièce P-6, un tableau où figurent notamment les
noms des vingt-six employés, les dates auxquelles
ils ont été initialement mis au service de la défen-
deresse, les dates auxquelles ils ont été par la suite
recrutés comme fonctionnaires permanents du
Ministère, le montant brut de leur première année
de salaire dans chaque cas, le pourcentage de
commission qui s'applique dans chaque cas à titre
d'honoraires du demandeur, conformément à
l'usage de la profession à l'époque, et le montant
de la commission payable au demandeur si l'usage
devait s'appliquer. Ce montant s'élève à
$31,889.20.
Le demandeur a donc droit à un jugement pour
ce montant plus les dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.