T-1414-71
Churchill Falls (Labrador) Corporation Limited
et Atlantic Aviation of Canada Limited
(Demanderesses)
c.
La Reine (Défenderesse)
et
T-274-72
Churchill Falls (Labrador) Corporation Limited
et Atlantic Aviation of Canada (Demanderesses)
Herbert Page, Kenneth Charman, L.A. Wort -
man, Gerald Pugh, John Dohaney, Ronald Chase,
John Watson, J.P.M. Malanson et Symond
Byram (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Kerr—
Ottawa, du 22 octobre au 8 novembre 1973
inclusivement, et le 10 juillet 1974.
Aéronautique—Dommages résultant d'un accident
d'avion—Contrôleurs de la circulation aérienne préposés de
la Couronne—Accident ne résultant pas de leur manque de
diligence—Résultant de la négligence des pilotes—Rejet des
actions engagées contre la Couronne—Loi sur l'aéronauti-
que, S.R.C. 1970, c. A-3, et Règlement de l'Air, art. 101(20)
et (50), 504, 505, 546(1) et (2), 552 et 553—Manuel d'opéra-
tions du contrôle de la circulation aérienne (Manops)—
Prescription des actions—The Justices and Other Public
Authorities (Protection) Act, 1955 (Terre-Neuve), c. 16, art.
19 et 20—Loi sur la Cour fédérale, art. 38(1).
Les actions résultent d'un accident d'avion survenu à
Wabush (Labrador) le 11 novembre 1969, dans lequel ont
péri toutes les personnes à bord (deux pilotes et six passa-
gers). L'avion appartenait à la première demanderesse et
était exploité par la seconde. Les actions portent sur les
réclamations des demanderesses à l'égard de la perte de
l'avion et sur les demandes d'indemnisation relativement
aux actions introduites par les successions des passagers.
Les neuf défendeurs, dans la seconde action, travaillaient au
centre de contrôle de la région de Moncton et à l'aéroport de
Wabush; à ce titre, ils étaient des préposés de la Couronne
agissant dans le cours ordinaire de leur emploi dans les
services de contrôle de la circulation aérienne assurés par le
ministère des Transports. Avec l'autorisation du centre de
Moncton, l'avion quitta Churchill Falls (Labrador) pour un
vol de nuit à destination de Wabush (Labrador), la durée de
vol prévue étant de 23 minutes; il s'écrasa contre un escar-
pement rocheux d'une mine à ciel ouvert à Wabush, 32
minutes après le décollage.
Arrêt: le défendeur Page et les autres défendeurs remplis-
sant des fonctions de surveillance ont autorisé des pratiques
contraires aux exigences du Manuel d'opérations du con-
trôle de la circulation aérienne (Manops) relativement à
l'administration du centre de Moncton et de la tour de
Wabush. Le défendeur Chase, contrôleur du centre de
Moncton, a commis une erreur lorsqu'il donna à l'avion une
autorisation d'atterrissage selon une procédure annulée. Ces
fautes ne sont cependant pas la cause de l'accident. Les
pilotes n'étaient pas obligés d'accepter l'autorisation.
L'ayant acceptée, ils ont continué leur vol et suivirent une
méthode d'approche déraisonnable; c'est pour cette raison
qu'ils manquèrent la piste d'atterrissage et allèrent s'écraser
sur cette mine. L'accident résulte de la négligence des
pilotes; les défendeurs n'ont commis aucune négligence qui
ait causé l'accident ou y ait contribué. Les actions étant
rejetées, il est inutile d'examiner le moyen de défense dans
la seconde action selon lequel les poursuites introduites le 9
février 1972, soit plus de deux ans après l'accident, étaient
prescrites par le délai de six mois prévu dans la Loi provin-
ciale, The Justices and Other Public Authorities (Protection)
Act, 1955 (Terre-Neuve), c. 16, art. 19 et 20, dont les
plaidoiries invoquaient l'applicabilité en vertu de l'article
38(1) de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêts examinés: The Volute [1922] 1 A.C. 129; Sigurd -
son c. British Columbia Electric Railway Co. Ltd.
[1953] A.C. 291 et Distillers Co. (Bio -Chemicals) Ltd. c.
Thompson [1971] 1 All E.R. 694.
ACTION.
AVOCATS:
E. M. Lane et E. H. Toomath pour les
demanderesses.
S. M. Froomkin pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Manning, Bruce, MacDonald & Macintosh,
Toronto, pour les demanderesses.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE KERR: Ces deux actions ont été
entendues ensemble sur preuve commune, sur
consentement des parties et conformément à
l'ordonnance rendue par la Cour le 3 juillet
1973 dans l'action portant le n° T-274-72.
Ces deux actions résultent d'un accident
d'avion survenu à Wabush (Labrador) le 11
novembre 1969; toutes les personnes à bord,
deux pilotes et six passagers, ont été tuées. Il
s'agissait d'un biréacteur d'affaires, DH-125,
appartenant à la demanderesse Churchill Falls
(Labrador) Corporation Limited, portant les
marques d'immatriculation CF -CFL. Cet avion
était exploité pour cette demanderesse par l'au-
tre demanderesse, l'Atlantic Aviation of Canada
Limited; les pilotes étaient des employés de
cette dernière compagnie et agissaient dans le
cours ordinaire de leur emploi.
Les successions respectives des passagers ont
dûment introduit des actions devant différentes
cours et tribunaux contre divers défendeurs,
certaines actions contre le propriétaire et l'ex-
ploitant de l'avion, d'autres contre la Couronne.
Il s'agit de se prononcer ici sur la réclamation
des demanderesses pour la perte de l'avion et
sur leur demande d'indemnisation relativement
aux actions introduites par la succession de
chacun des passagers. Dans ces actions, la
Churchill Falls (Labrador) et l'Atlantic Aviation
ne font essentiellement qu'une et elles ont con-
venu avec la Couronne que tout acte ou omis
sion des pilotes qui, selon le jugement de la
Cour, aurait causé l'accident ou y aurait contri-
bué, serait attribué à la Churchill Falls (Labra-
dor) et que la décision de la Cour dans l'action
portant le n° T-1414-71 (réclamation contre la
Couronne pour la perte de l'avion) en ce qui
concerne la responsabilité de l'accident sera
appliquée, entre ces parties, à la réclamation des
demanderesses relativement à leur indemnisa-
tion et à tous jugements définitifs rendus dans
les actions intentées par les successions.
L'audition dura trois semaines et fut suivie
par plusieurs jours de débats; la preuve de
nature technique qu'on y a présentée est consi-
dérable; je ne tenterai pas de l'exposer dans sa
totalité; je me référerai plutôt aux questions et
éléments que j'estime les plus significatifs.
C'est en «espace aérien contrôlé» 1 que s'ef-
fectua ce voyage fatal de Churchill Falls à
Wabush, deux endroits situés au Labrador, dans
la Province de Terre-Neuve. Le centre de con-
trôle de la région de Moncton, ci-après appelé
«centre de Moncton», qui relève du ministère
des Transports et est responsable de la circula
tion aérienne pour une région très étendue, coin
' désignant, selon la définition du Règlement de l'Air
établi en vertu de la Loi sur l'aéronautique «un espace
aérien de dimensions définies à l'intérieur duquel le service
de contrôle de la circulation aérienne est assuré».
prenant Churchill Falls et Wabush, donna aux
pilotes de l'avion l'autorisation du contrôle de la
circulation aérienne (Pièce P-3) pour ce vol. Les
neuf défendeurs dans l'action portant le n°
T-274-72 étaient, à l'époque en cause, des
employés travaillant au centre de Moncton ou à
l'aéroport de Wabush; ils étaient donc des pré-
posés de la Couronne et agissaient dans le cours
ordinaire de leurs fonctions et de leur emploi
dans les services de contrôle de la circulation
aérienne assurés par le ministère des Transports
en vertu des pouvoirs conférés par la Loi sur
l'aéronautique. L'avion quitta Churchill Falls le
mardi 11 novembre 1969 à 18h00, heure
normale de l'Atlantique (22h00 GMT), et son
temps de vol prévu était d'environ 23 minutes.
Il s'écrasa contre un escarpement rocheux verti
cal d'une mine à ciel ouvert à Wabush, trente-
deux minutes environ après avoir quitté Chur-
chill Falls.
Le centre de Moncton, responsable d'une
région assez étendue, compte plusieurs contrô-
leurs de la circulation aérienne qui s'occupent
individuellement de secteurs ayant chacun sous
leur contrôle une région particulière. Du point
de vue de la configuration des lieux, chaque
secteur, parfois deux, correspond à une cabine.
C'est le secteur «M» qui assurait le contrôle des
aérodromes de Churchill Falls et de Wabush et,
à l'époque en cause, c'est le défendeur Ronald
Chase qui s'en occupait. Le défendeur J.P.M.
Malanson était contrôleur de la circulation
aérienne à la tour de Wabush. Il y eut des
conversations entre l'avion _ , Chase et Malanson
pendant le vol. Elles ont été enregistrées sur
bandes magnétiques au centre de Moncton ainsi
qu'à la tour de Wabush et leurs transcriptions
ont été déposées en preuve sous les cotes P-6 et
P-7.
Le vol d'un avion d'un point à un autre com-
prend trois phases. En premier lieu, le décollage
et la montée jusqu'à l'altitude de croisière; en
second lieu, le vol à cette altitude jusqu'à desti
nation; et, en troisième lieu, la descente de
l'altitude de vol jusqu'à la piste d'atterrissage de
l'aéroport.
On a établi des cartes de vol et d'atterrissage
officielles à l'usage des équipes de contrôle de
la circulation aérienne et des pilotes. L'une
d'entre elles (pièce P-8) a été décrite à juste titre
comme une sorte de carte routière de l'espace
aérien. Elle indique une route directe, la route
R29, de Churchill Falls à Wabush (102 milles)
suivant une direction de 278° à une altitude de
vol minimale de 4,100 pieds. Le centre de Monc-
ton donna à l'avion CFL l'autorisation de suivre
cet itinéraire à une altitude de 14,000 pieds.
Une autre carte d'atterrissage décrit en détail les
procédures de descente ou d'approche de l'alti-
tude de vol à la piste d'atterrissage, une procé-
dure de «percée» devant être utilisée lorsque
l'avion est piloté selon les «Règles de vol aux
instruments» (IFR) 2 , ce qui était le cas pour ce
vol de nuit, à l'aide d'un «radiophare non direc-
tionnel» (NDB) de l'aéroport et d'un dispositif
radio de l'avion servant à la radiogoniométrie
automatique (ADF); ce dispositif, réglé sur la
fréquence du radiophare, reçoit de ce dernier
des émissions en morse indiquant les lettres
d'identification dudit radiophare. Deux de ces
cartes d'atterrissage relatives à l'aéroport de
Wabush ont été déposées en preuve sous les
cotes P-1 et P-2 3 . Ces cartes sont particulière-
ment importantes dans ces actions car les
demanderesses affirment que, pour l'aéroport
de Wabush, la seule carte d'approche valide à la
date de l'accident, le 11 novembre 1969, était la
carte datée du 10 mars 1969 (Pièce P-2) qui
décrivait une procédure de percée exigeant l'uti-
lisation d'un radiophare (NDB) de l'aéroport de
Wabush désigné sur cette carte sous le sigle
«WZ» (Whisky Zulu); elles affirment en outre
que la carte d'approche utilisée par Chase, le
contrôleur de la circulation aérienne, pour
donner l'autorisation d'atterrissage à l'avion
CFL était en fait la pièce P-1, une carte annulée
et périmée dont la date de distribution initiale
était le 15 août 1968 et qui avait été modifiée en
octobre de cette même année; elle décrivait une
procédure de percée fondée sur l'utilisation d'un
: IFR —Règles de vol aux instruments; NDB—Radiophare
non directionnel; ADF—Radiogoniométrie automatique.
Ces cartes d'atterrissage seront reproduites ci-après.
[Note: les cartes et certains extraits des témoignages sont
omis dans la publication des motifs du jugement—Ed.]
radiophare (NDB) de Wabush portant le sigle
«WK» (Whisky Kilo). La carte initiale (pièce
P-1) n'indique qu'un seul NDB, le «WK», situé
au nord de la piste d'atterrissage, et décrit une
procédure de percée dans laquelle l'avion, dans
son approche finale de la piste d'atterrissage,
survole ledit NDB vers le sud, en direction de la
piste; par contre, la seconde carte (pièce P-2)
indique le même radiophare «WK» situé à envi-
ron 1.7 milles au nord de la piste d'atterrissage,
comme sur la première carte, mais indique aussi
un autre radiophare, le «WZ», situé à environ
3.3 milles au sud de la piste d'atterrissage; cette
seconde carte décrit une procédure de percée
dans laquelle l'avion survole le radiophare
«WZ» vers le nord, en direction de la piste
d'atterrissage. Cette dernière située entre les
deux radiophares est longue d'environ 6,000
pieds. La distance séparant les deux radiophares
est d'environ 6 milles.
Ces cartes d'atterrissage sont publiées par le
Canada Air Pilot (C.A.P.) en vertu de l'article
552 du Règlement de l'Air. Le C.A.P. est un
ouvrage officiel, publié par le ministère, des
Transports; il contient des cartes d'approche ou
de descente IFR pour les aéroports du Canada
et est mis à la disposition des contrôleurs de la
circulation aérienne et des pilotes. Étant com-
posé de feuilles amovibles, il est facile d'y insé-
rer de nouvelles cartes et d'en retirer les cartes
périmées.
Une liste des publications d'informations de
vol au Canada, en date du 19 mars 1969 (pièce
P-10), publiée par la direction des levées et de la
cartographie du ministère de l'Énergie, des
Mines et des Ressources, avec l'autorisation du
ministère des Transports, indiquait à l'avance
qu'un nouveau dispositif NDB sous le sigle
«WZ» serait mis en service à Wabush aux envi
rons du 31 mars 1969 et que la procédure ADF
en date du 7 octobre 1968 (procédure basée sur
le radiophare WK) serait annulée et remplacée
par une procédure basée sur le radiophare WZ,
qui serait applicable dès la publication de cette
nouvelle procédure dans le Canada Air Pilot,
soit aux environs du 31 mars 1969.
Il était d'usage au centre de Moncton de four-
nir les renseignements nécessaires aux contrô-
leurs sous forme de notes au personnel; une de
ces notes, C26/69, en date du 25 mars 1969
(pièce P-21), rédigée par le défendeur Page, à ce
moment chef du centre, reprenait les renseigne-
ments préliminaires indiqués à la pièce P-10.
Une modification du Canada Air Pilot-East
fut publiée le 5 mai 1969. Il s'agit de la modifi
cation E69-8 (pièce P-18). Elle se lit comme
suit: [TRADUCTION] «Les pièces ci-jointes sont
les nouvelles pages ou les pages révisées à insé-
rer dans votre Canada Air Pilot. Veuillez
détruire les pages remplacées par les pages join-
tes à cette modification». La carte décrivant la
procédure basée sur le radiophare WZ (pièce
P-2) était comprise parmi les pages ainsi jointes.
On a démontré que cette modification était par-
venue au centre de Moncton par courrier, en
mai 1969.
Le centre de Moncton possédait deux copies
du C.A.P.-East, comprenant l'aéroport de
Wabush, et pouvait tirer des copies supplémen-
taires à l'usage des différentes cabines. Il y avait
à la cabine M un auto-relieur comprenant les
cartes d'approche; le défendeur Chase qui s'oc-
cupait de ce secteur a continué de donner des
autorisations d'approche basées sur le radio-
phare WK jusqu'au jour de l'accident du CFL,
bien qu'il affirme avoir aussi donné d'autres
autorisations basées sur le radiophare WZ. La
preuve n'établit pas avec certitude que le CFL
ne possédait à bord que la carte WZ; cependant
Peria, chef pilote de l'Atlantic Aviation à cette
époque, témoigna que les pilotes du CFL possé-
daient un nouvel abonnement au C.A.P. et
auraient donc eu en leur possession le livre
modifié; j'estime qu'il est raisonnable d'en
déduire qu'ils ne possédaient que la carte WZ.
Les demanderesses affirment que les défen-
deurs Page, Charman, Wortman, Pugh et Doha-
ney ont commis une négligence relativement à
leurs devoirs et responsabilités concernant l'ap-
plication des procédures, des normes opération-
nelles et des pratiques du centre de Moncton et
concernant les autorisations de contrôle de la
circulation aérienne données par ce centre; elles
prétendent que la négligence imputable au
défendeur Chase consiste à avoir donné une
autorisation fondée sur le radiophare WK et à
avoir omis de donner des conseils aux pilotes
lorsque ces derniers l'informèrent qu'ils se trou-
vaient à une altitude de 4,100 pieds et avaient
amorcé leur descente vers Wabush; la négli-
gence imputée à Malanson et Watson se rap-
porte à leurs responsabilités à la tour de
Wabush et notamment à leur approbation de
l'autorisation basée sur le radiophare WK; la
négligence imputée à Byram est relative à ses
fonctions de météorologue à Wabush.
Les demanderesses prétendent que l'utilisa-
tion du radiophare WK par les contrôleurs de la
circulation aérienne a créé une situation extrê-
mement confuse pour les pilotes de l'avion qui
effectuaient leur premier vol à destination de
Wabush et qu'en raison de cette confusion,
l'avion a amorcé sa procédure de percée en se
dirigeant vers le nord (comme l'exige la carte
WZ), alors que cette approche avait été réglée
sur le radiophare WK (qui se trouve à 1.7 milles
au nord de la piste d'atterrissage), et qu'en con-
séquence, l'avion a manqué la piste d'atterris-
sage et est allé s'écraser contre l'escarpement de
la mine située à environ 5.5 milles au nord du
radiophare WK.
Les défendeurs affirment entre autres que les
demanderesses n'ont pas su établir la cause de
l'accident, que les instructions données par
Chase correspondaient à une procédure d'ap-
proche valable et ne présentant aucun danger, et
que l'accident n'est imputable qu'à la négligence
des pilotes.
[Le savant juge examina la preuve concernant
l'approche de la piste d'atterrissage par l'avion
et poursuivit de la manière suivante:]
Bénéficiant du recul du temps, nous savons
maintenant que le pilote volait vers le nord
selon une approche WZ, mais je ne pense pas
que la réponse du CFL: «4,100 pieds en des-
cente» aurait nécessairement averti Chase, dans
les circonstances, que le pilote volait vers le
nord selon une approche WZ.
Les avocats et les témoins se sont référés à
certaines dispositions extraites du Règlement de
l'Air et du Manuel d'opérations du contrôle de
la circulation aérienne (Manops), pièce P-15, se
rapportant aux devoirs et obligations des con-
trôleurs de la circulation aérienne et des pilotes;
voici ces dispositions:
[TRADUCTION]: MANOPS
301.1 Les objectifs des services de contrôle IFR sont:
a) éviter les collisions entre des vols IFR effectués
dans l'espace aérien contrôlé et entre tous les vols
effectués dans un bloc d'espace aérien.
b) assurer la sécurité, le bon ordre et la rapidité de
la circulation aérienne placée sous le contrôle de
l'unité IFR.
311.1 Le pilote commandant de bord d'un aéronef devra
se conformer à toutes les instructions, données à
son intention, qu'il recevra du contrôle de la circu
lation aérienne ainsi qu'à toutes les autorisations
qu'il recevra du contrôle de la circulation aérienne
et qu'il acceptera. (Article 505 du Règlement de
l'Air).
311.3 Les autorisations données par le contrôle de la
circulation aérienne ne sont fondées que sur la
nécessité d'assurer la sécurité de la circulation et
répartir la circulation aérienne, et doivent être
données dans les plus brefs délais.
RÈGLEMENT DE L'AIR
101. ...
(20) «autorisation du contrôle de la circulation aérienne»
désigne l'autorisation de manoeuvrer dans des conditions
déterminées, accordée à un aéronef par un organe de
contrôle de la circulation aérienne;
(50) «pilote commandant de bord» désigne le pilote res-
ponsable de la conduite et de la sécurité de l'aéronef
pendant le temps de vol;
504. Avant d'entreprendre un vol quelconque, le pilote
commandant de bord d'un aéronef devra étudier tous les
renseignements qu'il pourra se procurer en rapport avec le
vol projeté.
505. Le pilote commandant de bord d'un aéronef devra se
conformer à toutes les instructions, données à son intention,
qu'il recevra du contrôle de la circulation aérienne ainsi qu'à
toutes les autorisations qu'il recevra du contrôle de la circu
lation aérienne et qu'il acceptera.
546. (1) Avant de décoller d'un point quelconque d'un
espace aérien contrôlé ou de pénétrer dans un tel espace
pendant un vol IFR, ou pendant des conditions atmosphéri-
ques IFR, il faudra obtenir de l'organe intéressé du contrôle
de la circulation aérienne une autorisation de circulation
aérienne basée sur le plan de vol. Le vol devra être effectué
conformément à cette autorisation et, sauf autorisation con-
traire donnée par l'organe intéressé du contrôle de la circula
tion aérienne, le pilote devra adopter les procédures d'ap-
proche aux instruments approuvées pour l'aéroport où il se
propose d'atterrir.
(2) Aucune dérogation aux dispositions d'une autorisation
du contrôle de la circulation aérienne ne sera admise, sauf
en cas de force majeure nécessitant une action immédiate;
en pareil cas, le pilote commandant de bord de l'aéronef
devra, le plus tôt possible après avoir pris une initiative
quelconque en rapport avec cette situation d'urgence, infor
mer de cette dérogation l'organe intéressé du contrôle de la
circulation aérienne et, s'il y a lieu, obtenir une nouvelle
autorisation.
552. (1) Le Ministre peut établir des procédures normali
sées d'approche aux instruments qui seront utilisées pour les
approches IFR à des aérodromes déterminés, lesquelles
procédures seront publiées dans un document intitulé
Canada Air Pilot.
(2) Les procédures d'approche aux instruments établies
en vertu du paragraphe (1) devront préciser et autoriser:
a) les altitudes minimales auxquelles peut descendre un
commandant de bord durant une approche d'atterrissage;
b) la visibilité minimale par laquelle un commandant de
bord peut effectuer un atterrissage ou un décollage;
c) les procédures d'approche manquée devant être exécu-
tées par un commandant de bord lorsque l'atterrissage ne
peut pas être réalisé;
d) les routes et les altitudes à prendre pour effectuer les
procédures d'approche et d'approche manquée; et
e) tout autre renseignement que le Ministre peut juger bon
de donner.
553. A l'intérieur d'un espace aérien contrôlé, tout vol
effectué conformément aux règles de vol aux instruments se
poursuivra en conformité de ces règles, quelles que soient
les conditions atmosphériques, tant que l'organe intéressé du
contrôle de la circulation aérienne ne sera pas informé du
contraire.
[Le savant juge examine les dépositions des
sept premiers défendeurs et des experts et pour-
suivit alors par ces mots:]
La Couronne prétend que les demanderesses
n'ont pas réussi à établir de quelle manière
l'accident est survenu ni quelle en a été la cause.
Bien sûr, les pilotes et les passagers ayant tous
été tués dans l'accident, nous ne disposons pas
de leurs témoignages quant à la cause de l'acci-
dent; je peux cependant raisonnablement
déduire des faits prouvés ou admis en l'espèce
que l'accident résulte du fait que les pilotes ont
essayé de faire atterrir leur avion sur la piste de
Wabush en volant selon une direction nord,
comme l'exigeait la carte d'approche WZ, alors
que leur équipement ADF était réglé sur la
fréquence du radiophare WK, qui se trouvait à
1.7 milles au nord de la piste; c'est pour cette
raison qu'en essayant de descendre au nord du
radiophare WK et donc au nord de la piste, ils
ont manqué la piste d'atterrissage; ils étaient
alors descendus à une altitude qui ne leur a pas
permis de remonter à une altitude suffisamment
élevée pour éviter la colline de la mine qui se
trouvait à 5.5 milles au nord du radiophare WK,
et se sont écrasés sur l'escarpement de la mine à
environ 2,400 pieds au-dessus du niveau de la
mer; en utilisant le radiophare WK pour leur
descente, les pilotes ont accepté une autorisa-
tion d'atterrissage que leur avait donnée le
défendeur Chase 4 . Aucune raison ne permet de
penser qu'il y eut une défaillance technique de
l'avion ou de son équipement ADF.
La sécurité aérienne dépend à la fois des
efforts des contrôleurs de la circulation aérienne
et de ceux des pilotes. Leurs efforts sont com-
plémentaires. En outre, le public voyageant en
avion n'a d'autre choix que de se fier aux con-
trôleurs et aux pilotes pour la sécurité des vols.
Il y a le Règlement de l'Air ainsi que des
manuels dont un des buts les plus importants, à
mon avis, est de promouvoir et d'assurer la
sécurité des opérations aériennes, bien qu'on ne
puisse garantir une sécurité totale; ni la Cou-
ronne ni les services de contrôle de la sécurité
aérienne ne peuvent garantir une telle sécurité.
Le Règlement et les manuels ne constituent pas
un code régissant la responsabilité civile dans le
cas d'un accident d'avion mais, à mon avis,
représentent une norme raisonnable de diligence
que doivent respecter les unités de contrôle de
la circulation aérienne ainsi que les pilotes, dans
leurs activités.
La procédure d'approche WK avait été annu-
lée et remplacée plusieurs mois avant novembre
1969 et j'estime donc que Chase n'aurait pas dû
donner au CFL une autorisation d'atterrissage
' A 22h07 «Prévoyez un ADF sur le radiophare Whisky
Kilo à dix-neuf» et tout juste avant 22h12 «Vous êtes
autorisé à vous rendre à l'aéroport de Wabush selon une
approche ADF sur le radiophare Whisky Kilo, piste un
neuf», ce à quoi l'avion répondit: «Roger —CFL est autorisé
à effectuer une approche vers l'aéroport de Wabush—ADF
sur le radiophare Whisky Kilo....»
ADF basée sur le radiophare WK. La procédure
WK ne présentait aucun danger avant son annu-
lation et fut même utilisée fréquemment en
toute sécurité de la date de son annulation à la
date de l'accident du CFL. On a démontré que
200 avions ou plus ont atterri en toute sécurité à
Wabush, en utilisant cette procédure, pendant
l'été et les derniers mois de 1969 et que l'avion
EPA (Eastern Provincial Airways) 103, atterrit
sans problèmes, selon une procédure d'appro-
che WK, quelques minutes avant la tentative
d'atterrissage du CFL. Cette procédure ne pré-
sentait aucun danger pour des pilotes qui possé-
daient une carte WK ou qui étaient familiarisés
avec cette procédure d'atterrissage; pourtant le
fait qu'elle avait été utilisée en toute sécurité
par d'autres ne justifie aucunement l'autorisa-
tion WK donnée aux pilotes du CFL ni l'utilisa-
tion de cette procédure par les unités du con-
trôle de la circulation aérienne pour des vols
IFR après son annulation et remplacement par
la carte WZ. A mon avis donc, en donnant une
autorisation d'approche WK aux pilotes du
CFL, Chase a omis d'exercer la diligence rai-
sonnable à laquelle il était tenu en tant que
contrôleur et il aurait donc engagé sa responsa-
bilité ainsi que celle de la Couronne à l'égard
des demanderesses dans ces actions si le fait
d'avoir donné cette autorisation avait vraiment
causé ou contribué à causer l'accident du CFL.
Mais nous devons aussi examiner les actions et
responsabilités des pilotes afin de déterminer la
cause de l'accident et la question de la
responsabilité.
On ne peut vraiment contester que les pilotes
ont commis une négligence ayant au moins con-
tribué à l'accident. C'était la première fois qu'ils
devaient atterrir à l'aéroport de Wabush et ils
effectuaient un vol de nuit selon les «Règles de
vol aux instruments»; avant le décollage, ils
auraient dû étudier attentivement l'emplacement
de la piste et des radiophares NDB ainsi que les
procédures d'approche ou les procédures d'ap-
proche manquée; ils auraient dû savoir que la
piste se trouvait au sud du radiophare WK; ils
n'auraient pas dû accepter l'autorisation d'ap-
proche basée sur un radiophare pour lequel ils
ne possédaient pas de carte d'approche; enfin,
pour leur atterrissage, ils n'auraient pas dû
effectuer une approche selon une direction nord
en survolant le radiophare WK, car la carte WZ
indiquait clairement qu'il n'y avait pas d'aéro-
port au nord du radiophare WK. Chaque NDB
émet en morse ses lettres d'identification, sur
une certaine fréquence, qui est inscrite sur la
carte d'approche IFR pour ce radiophare. La
fréquence du WK était de 400; celle du WZ de
218. Ces deux radiophares et leurs fréquences
ainsi que leurs lettres en morse sont clairement
indiqués sur la carte WZ. L'équipement radio
ADF d'un avion est conçu pour capter la fré-
quence de ces radiophares et le pilote peut
entendre les signaux en morse émis par un
radiophare lorsque sa radio est réglée sur la
même fréquence, si l'avion est dans le champ du
radiophare et si rien d'autre ne l'empêche d'en-
tendre ces signaux. Le type de radio ADF de
l'avion CFL visualise aussi, à l'intention du
pilote, le chiffre représentant la fréquence du
radiophare sur lequel est réglé son équipement
radio. Les pilotes du CFL pouvaient donc à la
fois entendre les signaux en morse et voir le
chiffre indiqué par le radiophare sur leur équi-
pement radio pour identifier le radiophare dont
ils captaient les émissions. Cet équipement com-
prend aussi une aiguille indiquant la position du
radiophare dont le pilote capte les émissions et
ce dernier peut voler directement en direction
de ce radiophare en alignant la route de l'avion
sur la direction indiquée par cette aiguille. Rien
ne permet de suggérer que l'équipement ADF
du CFL lors de ce vol fatal ne fonctionnait pas
correctement; les pilotes auraient dû savoir que
la route suivie les mènerait au-delà des radio-
phares WZ et WK au nord de ce dernier là où il
n'y avait aucune piste d'atterrissage.
Le CFL s'est écrasé à une altitude inférieure
de 200 pieds à l'altitude minimale indiquée sur
leur carte WZ pour une approche ADF de nuit;
cette carte indique une procédure d'«approche
manquée» et de montée qu'il faut suivre si,
après avoir dépassé de 3.3 milles le radiophare,
au moment de l'approche finale de la piste d'at-
terrissage, les pilotes ne voient pas la piste à
l'altitude minimale de 2,606 pieds indiquée sur
la carte; l'accident eut lieu à 2.2 milles au nord
de l'endroit où était prévue et exigée la procé-
dure d'approche manquée et la remontée. Ces
faits prouvent donc que l'avion volait au-des-
sous de l'altitude minimale et que les pilotes
n'ont pas effectué correctement la procédure
d'approche manquée indiquée sur leur carte
WZ.
Les pilotes disposaient d'un temps suffisant
pour décider d'accepter l'autorisation ou de la
rejeter, ou encore de demander d'autres instruc
tions (et tous ces choix étaient possibles), puis-
qu'on leur a dit à environ 22h07 de prévoir une
approche ADF sur le radiophare WK et que,
peu de temps avant 22h12, on leur donna l'auto-
risation d'effectuer une approche ADF vers la
piste 19 sur ce radiophare; leur réponse
«Roger» indique qu'ils l'ont acceptée; ils
n'éprouvaient alors aucune difficulté particu-
lière et ne se trouvaient pas dans une situation
d'urgence. Ils poursuivirent le vol pendant plus
de vingt minutes après l'acceptation de l'autori-
sation. J'estime qu'après avoir accepté l'autori-
sation, ils étaient directement responsables de la
conduite et de la sécurité de l'avion et de ses
passagers et, à mon avis, le fait que Chase ait
auparavant donné une autorisation basée sur le
radiophare WK (que le pilote n'était pas obligé
d'accepter et qui ne constituait pas une autorisa-
tion d'effectuer une approche WZ ou selon une
direction nord sur le radiophare WK), n'était
pas suffisamment lié à la conduite ultérieure de
l'avion qui effectuait une approche selon une
direction nord sur le radiophare WK (ce qui
n'était ni défendable ni raisonnable) pour per-
mettre aux demanderesses d'invoquer l'acte de
Chase comme une des causes de l'accidents, ou,
pour reprendre des expressions utilisées dans
5 Voir l'obiter dictum du Vicomte Birkenhead dans l'arrêt
The Volute [1922] 1 A.C. 129 à la p. 144, approuvé dans
l'arrêt Sigurdson c. British Columbia Electric Railway Co.
Ld. [1953] A.C. 291 à la p. 299, dont voici un extrait:
[TRADUCTION] Tout bien considéré, j'estime que la ques
tion de la négligence contributive doit être traitée selon
des principes larges et fondés sur le bon sens, comme un
jury traiterait probablement d'une telle question. Même
s'il est certain que, lorsqu'on peut tracer une ligne de
démarcation claire, la négligence ultérieure est la seule à
examiner, il existe certains cas où les deux actes sont
tellement proches et où le deuxième acte de négligence est
tellement lié aux circonstances résultant du premier acte
que la partie ayant commis la seconde négligence, même
si elle n'est pas [dégagée] de tout blâme, selon la règle
Bywell Castle, peut, par contre, invoquer la négligence
antérieure comme faisant partie de cause de l'abordage de
sorte que l'on considère cette affaire comme un cas de
négligence contributive.
d'autres précédents en matière de négligence,
une cause réelle, positive ou effective de l'acci-
dent ou une cause contributive. En outre, à mon
avis, Chase ni aucun contrôleur ne pouvait rai-
sonnablement prévoir qu'un pilote, volant de
nuit selon les «Règles de vol aux instruments»,
se dirigerait vers le nord pour effectuer un atter-
rissage basé sur le radiophare WK, ni imaginer
qu'il était raisonnablement probable qu'un acci
dent puisse être la conséquence naturelle de
l'autorisation d'approche WK donnée à un tel
pilote.
Je ne pense pas que Chase avait le devoir de
contrôler la descente du CFL vers la piste d'at-
terrissage ou de contrôler sa route après que les
pilotes aient accepté l'autorisation d'atterrir,
excepté pour répartir les avions. Il est évident
qu'une bonne répartition du trafic aérien est un
élément essentiel de la sécurité des vols. Il faut
régler les heures de décollage et d'atterrissage et
répartir la circulation aérienne sur différentes
altitudes de manière à éliminer tout risque de
collision entre avions. Dans l'affaire présente le
secteur M, dont s'occupait Chase, avait plus de
40 cartes d'approche sous son contrôle et un
avion avait atterri à Wabush juste avant le CFL
et un autre demandait à atterrir juste après. La
répartition des avions était la préoccupation et
la responsabilité principale de Chase; il donnait
les altitudes permettant d'espacer les avions.
Lorsqu'il demanda au CFL de lui donner son
altitude, à 22h23, et que ce dernier lui répondit
à 22h24 que son altitude était de «4,100 pieds
en descente», je ne pense pas qu'il était évident
ou qu'il aurait dû lui sembler évident que les
pilotes effectuaient une approche WZ vers le
nord sur le radiophare WK. Cependant, même si
ce fait était évident ou aurait dû l'être à ce
moment, étant donné qu'il avait donné une auto-
risation d'approche WK, je suis enclin à penser
que Chase aurait été dans l'obligation, si l'occa-
sion s'en était présentée, d'informer les pilotes
qu'ils suivaient une mauvaise route, et que s'il
avait omis de le faire et si son omission avait
contribué dans une large mesure à l'accident
d'avion, il aurait de ce fait engagé sa responsabi-
lité ainsi que celle de la Couronne envers les
demanderesses dans ces actions.
On a soumis une preuve abondante à l'appui
des allégations de négligence relatives aux
usages suivis au centre de Moncton et à la tour
de Wabush en ce qui concerne la communica
tion des renseignements nécessaires aux contrô-
leurs et la surveillance de leur travail, la mise à
jour des exemplaires du Canada Air Pilot et, en
termes plus généraux, l'application à l'adminis-
tration et au fonctionnement du centre et de la
tour, des exigences prévues à la partie 10 du
Manops. Je suis convaincu que Page et les
autres défendeurs qui avaient des fonctions de
surveillants et des postes de responsabilité, au
centre et à la tour ont autorisé certaines prati-
ques incompatibles avec les exigences du
Manops en permettant notamment l'utilisation
fréquente et habituelle, après son annulation, de
l'approche WK dans le secteur M. Cependant je
ne pense pas que ce relâchement de la discipline
ou l'omission de se conformer aux exigences
prévues au Manops soient liés à l'accident du
CFL assez directement pour établir un lien de
cause à effet. Je ne pense pas non plus que l'on
pouvait raisonnablement prévoir que ces prati-
ques, lorsqu'elles étaient en usage, étaient sus-
ceptibles d'entraîner l'utilisation par un pilote
d'une procédure d'approche WZ basée sur le
radiophare WK, ni que les personnes s'occupant
des services de contrôle de la circulation
aérienne ou les dirigeants aient pu envisager une
telle éventualité.
[Le savant juge examina alors la preuve rela
tive aux conditions météorologiques et poursuivit
par ces mots:]
Si je comprends bien ces pièces, elles indi-
quent que le plafond et la visibilité pendant
toute la durée du vol du CFL sont restés supé-
rieurs aux minima IFR indiqués sur les cartes
d'approche WK et WZ, savoir, un plafond de
800 pieds et une visibilité de 1 mille.
Je pense que les contrôleurs de la circulation
aérienne et les observateurs météorologues ont
le devoir d'exercer une diligence raisonnable
dans l'exercice de leurs fonctions afin de donner
des informations météorologiques exactes aux
pilotes ainsi que les renseignements relatifs aux
changements connus dans les conditions météo-
rologiques pouvant avoir leur importance pour
la sécurité des vols. Je ne suis pas convaincu
qu'on ait démontré que les pilotes du CFL ont
reçu des renseignements météorologiques
inexacts ou que l'on ait omis de leur donner les
informations météorologiques dont ils avaient
besoin pour assurer la sécurité de leur vol, ou
qu'en raison des renseignements météorologi-
ques reçus, ils ont été induits en erreur de sorte
qu'ils ont diminué leur altitude et suivi la route
ainsi choisie ou toute autre route.
On a apporté la preuve que peu de temps
avant l'audience, des vols d'essai ont été effec-
tués à Wabush par des pilotes qui utilisèrent la
procédure WZ sur le radiophare WK; il n'y eut
aucun accident et les pilotes n'eurent aucune
difficulté à en éviter un. Ils ont cependant suivi
la procédure d'approche manquée indiquée sur
la carte WZ. Bien sûr, ils n'ont pas atterri sur la
piste. A mon avis, ces vols ne peuvent pas
reproduire la situation telle qu'elle se présentait
lors du vol du CFL, car les pilotes procédant à
ces vols d'essai savaient à tout moment qu'ils
devraient utiliser la procédure d'approche man-
quée; ils ne se sont donc pas trouvés soudaine-
ment dans l'obligation de l'utiliser comme ce fût
peut-être le cas pour les pilotes du CFL.
Les défendeurs ont prétendu en outre que le
CFL était équipé d'un seul poste radio ADF en
état de marche, alors qu'en vol, il était tenu de
posséder deux de ces radios. Rien à mon avis ne
permet de suggérer que l'absence d'un second
poste radio ait eu une influence déterminante
sur le vol ou l'accident de l'avion.
Je suis aussi convaincu que si les pilotes,
après avoir accepté d'effectuer leur approche
d'atterrissage sur le radiophare WK, n'étaient
pas descendus au-dessous de l'altitude minimale
autorisée, clairement indiquée sur leur carte WZ
(ainsi que sur la carte WK) et avaient suivi en
tous points la procédure d'approche manquée
décrite sur leur carte WZ (qui exigeait la remon-
tée de l'avion dans le cas où la piste n'était pas
visible à l'altitude minimale fixée à 2,606 pieds
à une distance de 3.3 milles au delà du radio-
phare), ils ne se seraient probablement pas écra-
sés; la faute consistant à ne pas se conformer à
ces procédures est imputable à eux seuls.
En conséquence, je conclus que l'accident de
l'avion CFL résulte de la négligence de ses
pilotes et qu'il n'y eut de la part des défendeurs
aucune négligence qui puisse être considérée
comme la cause ou une cause partielle de
l'accident.
Il convient de mentionner une autre question.
Les défendeurs, dans l'action portant le n°
T-274-72, ont soutenu que cette action est pres-
crite en raison de l'expiration du délai prévu à
l'article 19 de The Justices and Other Public
Authorities (Protection) Act, 1955, Statuts de
Terre-Neuve, c. 16.
Les articles 19 et 20 de cette loi se lisent
comme suit:
[TRADUCTION] 19. On ne pourra intenter une action contre
un juge ou toute autre personne au sujet de tout acte
accompli dans l'exercice, ou le prétendu exercice, de tout
pouvoir ou devoir statutaires ou de tout autre devoir public,
ou à propos de toute prétendue négligence ou omission dans
l'exercice de tels pouvoir ou devoir avant
a) qu'un avis écrit de l'action envisagée, exposant claire-
ment et explicitement la cause d'action, nommant le tribu
nal devant lequel on a l'intention de l'intenter et contenant
les nom et adresse de la partie ayant l'intention de pour-
suivre ainsi que ceux de son avocat, le cas échéant, ait été
remis au juge ou à toute autre personne ou déposé à son
domicile habituel par la personne ayant l'intention d'inten-
ter l'action, ou par son avocat ou son représentant;
b) l'expiration d'un délai d'au moins trente jours francs à
compter de la date de signification de l'avis, et
c) à moins que l'action ne soit intentée dans les six mois
qui suivent l'acte, la négligence ou l'omission qui fait
l'objet de la plainte ou, si le préjudice ou les dommages
ont duré un certain temps, dans les six mois qui en suivent
la cessation.
20. Si une action est intentée alors que la présente loi
interdit de le faire ou avant que ne soient remplies toutes les
conditions préalables que cette loi impose, un juge du tribu
nal devant lequel l'action est intentée peut, à la demande du
défendeur et après le dépôt d'un affidavit portant sur les
faits, rejeter les procédures de l'action avec ou sans dépens,
comme il lui semblera convenable.
L'action portant le n° T-274-72 ne fut intro-
duite que le 9 février 1972, soit plus de 6 mois
après l'accident.
Le 22 mars 1972, le sous-procureur général
du Canada, agissant au nom des défendeurs,
présenta une demande à cette Cour afin d'obte-
nir une ordonnance radiant la déclaration au
motif que l'action n'avait pas été intentée dans
les 6 mois, et cette demande fut tranchée par le
juge Gibson de la manière suivante:
Compte tenu du dossier présenté à la Cour, il est impossible
d'affirmer nettement que la cause d'action a uniquement pris
naissance à Terre-Neuve et non ailleurs. D n'est donc pas
nécessaire d'examiner si l'article 19 de The Justices and
Other Public Authorities (Protection) Act, 1955 Statuts de
Terre-Neuve, ch. 16, s'applique aux présents défendeurs.
Demande rejetée avec dépens.
Ce jugement fut porté en appel devant la
Cour d'appel fédérale et la Cour, composée du
juge en chef Jackett et des juges Thurlow et
Heald, rejeta l'appel, en affirmant entre autres
[[1972] C.F. 1141 aux pages 1145-6]:
Les appelants fondent leur demande sur l'article 38(1) de
la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970, c. 10 (2. supp.)]
dont voici le texte:
38. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les
règles de droit relatives à la prescription des actions en
vigueur entre sujets dans une province s'appliquent à
toute procédure devant la Cour relativement à une cause
d'action qui prend naissance dans cette province et une
procédure devant la Cour relativement à une cause d'ac-
tion qui prend naissance ailleurs que dans une province
doit être engagée au plus tard six ans après que la cause
d'action a pris naissance.
Si on lit l'article 38(1) en regard de l'article 19 de The
Justices and Other Public Authorities (Protection) Act de
Terre-Neuve, l'appel ne peut réussir que si
a) la cause d'action (J'utilise dorénavant l'expression
«cause d'action» comme comprenant les termes «causes
d'action».) plaidée dans la déclaration a pris naissance à
Terre-Neuve, de sorte que l'article 38(1) de la Loi sur la
Cour fédérale ne peut être interprété comme exigeant que
les lois relatives à la prescription des actions et en vigueur
à Terre-Neuve s'appliquent à l'égard de cette cause d'ac-
tion; et si
b) l'action intentée à l'aide de la déclaration porte sur
«tout acte accompli dans l'exercice, ou le prétendu exer-
cice de tout pouvoir ou devoir statutaires ou de tout autre
devoir public, ou à propos de toute prétendue négligence
ou omission dans l'exercice de tels pouvoir ou devoir».
Selon moi, il est impossible de répondre affirmativement à
aucune de ces questions, du moins d'après les renseigne-
ments contenus dans la déclaration. (Même si l'article 20 de
la loi de Terre-Neuve s'applique devant la présente Cour, en
vertu de l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale, ce dont je
doute, les appelants ne se sont pas prévalus de cet article
pour présenter d'autres faits à la Cour.)
Aucune des parties n'a invoqué de loi imposant aux
défendeurs un devoir, dont le non-accomplissement consti-
tue le fondement de la cause d'action mentionnée dans la
déclaration. Par ailleurs, en ce qui concerne la question de
savoir si tout prétendu devoir est un «devoir public», les
devoirs mentionnés dans la déclaration le sont en termes
très généraux et ne s'appuient sur aucun fait. Il se peut fort
bien que, jusqu'après l'interrogatoire préalable, les intimées
ne puissent exposer de façon plus précise les faits, qui
peuvent n'être connus que de la Couronne et des appelants.
Toutefois, jusqu'à ce qu'on ait l'essentiel de ces renseigne-
ments, il est prématuré d'essayer de décider si tout devoir
semblable est un «devoir public» au sens qu'ont ces mots
dans la loi de Terre-Neuve et, puisque le «devoir» constitue
le premier élément de la cause d'action que les intimées
fondent sur la négligence des appelants, jusqu'à ce qu'il soit
établi et précisé il est prématuré d'essayer de déterminer,
pour les besoins de l'article 38(1) de la Loi sur la Cour
fédérale, la «province» dans laquelle, le cas échéant, cette
cause d'action a pris naissance. Il s'ensuit que je suis
d'accord avec le savant juge de première instance lorsqu'il
déclare:
[ri.anucTioN] D'après les documents dont dispose la
Cour, il est impossible de . dire clairement si la cause
d'action en l'espèce a pris naissance uniquement à Terre-
Neuve et nulle part ailleurs.
Avant d'en terminer avec cette affaire, je crois qu'il est
important de prendre note des arguments très intéressants
qu'a avancés l'avocat des appelants au sujet de l'effet de
l'article 38(1) de la Loi sur la Cour fédérale et dans lesquels
il a examiné à fond la récente décision du Conseil privé dans
l'affaire Distillers Co. (Bio -Chemicals) Ltd. c. Thompson
[1971] 1 Ail E.R. 694. D semble ressortir de cette décision
qu'à des époques diverses des sens différents ont été donnés
aux mots qui traitent de la naissance d'une cause d'action
lorsqu'ils servent à conférer une compétence aux tribunaux,
et qu'un sens différent doit également leur être donné lors-
qu'ils servent à fixer le moment où la période de prescrip
tion commence à courir relativement aux actions en justice.
Toutefois, l'article 38(1) nous pose aussi un autre problème.
La Loi y formule une règle plus ou moins arbitraire afin de
choisir une loi de prescription provinciale applicable à une
action intentée devant la Cour fédérale. Bien qu'on puisse
être tenté de prendre pour guide la récente décision du
Conseil privé susmentionnée, je suis loin d'être sûr qu'elle
pourrait nous conduire à l'interprétation la plus rationnelle
de l'article 38. D n'y a pas lieu de trancher cette question en
ce moment et il se peut qu'une méthode correcte d'interpré-
tation de l'article 38 s'impose avant que le problème nous
soit soumis à nouveau.
Comme il ressort de ces motifs assez longs,
j'ai essentiellement et longuement examiné le
fond de l'affaire en vue de déterminer la cause
de l'accident survenu à cet avion. J'ai reporté en
second lieu l'examen de l'application et de l'in-
terprétation, en ce qui concerne ces actions, de
la Loi de Terre-Neuve ainsi que de l'article 38
de la Loi sur la Cour fédérale. Or, puisque j'ai
conclu que les défendeurs n'ont commis aucune
faute ayant contribué à l'accident du CFL, j'es-
time qu'il ne m'est plus nécessaire pour trancher
ces actions, d'examiner la question relative à la
Loi de Terre-Neuve et à l'article 38 de la Loi
sur la Cour fédérale pour me faire une opinion
définitive sur cette question ni de rendre une
décision finale et définitive à ce sujet. Je n'ex-
prime donc aucune opinion sur ce point.
Pour tous ces motifs, les deux actions sont
rejetées avec les dépens taxables, qui ne com-
prendront qu'un seul décompte des frais pour
l'audition; un jugement sera rendu dans ce sens
dans chacune de ces actions.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.