T-301-74
Maurice J. Arpin (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge suppléant
Smith—Winnipeg, les 25 mars et 12 juin 1975.
Le demandeur est le seul propriétaire des actions d'une
corporation personnelle se livrant uniquement à la location
immobilière—La compagnie n'a qu'un seul actif en location—
Elle subit une perte nette—Est-elle déductible du revenu du
demandeur?—Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, art. 4,
67, 68.
Le demandeur était le seul propriétaire réel de toutes les
actions émises par la A Ltd., compagnie privée et corporation
personnelle. En 1970, la compagnie a subi une perte nette de
$22,789.15 que le demandeur a déduite de son revenu. Le
Ministre n'a pas admis la déduction et la Commission de
révision de l'impôt a rejeté l'appel.
Arrêt: l'appel est rejeté; le demandeur a soutenu qu'il avait
agi à titre personnel et non par l'intermédiaire d'une compagnie
et que la déduction aurait dû être acceptée, il a été cependant
établi qu'une compagnie est une personne juridique séparée et
distincte des personnes qui l'ont créée. Il est 'erroné d'affirmer
qu'une compagnie, n'ayant qu'un seul actionnaire qui dirige
toutes ses activités, est l'alter ego de l'actionnaire. Une compa-
gnie n'est pas non plus le mandataire de ses actionnaires,
quoique l'actionnaire unique puisse être la seule personne ayant
le droit d'agir en qualité dë mandataire de sa compagnie. Le
demandeur a soutenu que le mot «revenu» englobe le «revenu
négatif» ou perte. Les bénéfices et pertes de la compagnie sont
ceux de la compagnie et non ceux des actionnaires. Quand on
distribue un revenu sous forme de dividende, ce sont des
bénéfices qui sont transférés aux actionnaires proportionnelle-
ment au nombre d'actions qu'ils détiennent, ce qui réduit l'actif
de la compagnie. Si les pertes étaient ainsi réparties, un tel
transfert entraînerait une réduction du passif de la compagnie
et une augmentation de son actif et impliquerait que les action-
naires seraient tenus de payer à la compagnie, proportionnelle-
ment au nombre d'actions qu'ils détiennent, le montant des
pertes ainsi transférées. Cependant, un caractère fondamental
de la notion de compagnie est que la responsabilité de l'action-
naire est limitée au montant des actions qu'il a souscrites. En ce
qui concerne les compagnies personnelles, pour imposer aux
actionnaires la responsabilité de couvrir les pertes de la compa-
gnie, il faudrait que cela fût expressément indiqué dans la Loi.
Les articles 67 et 68 pourraient confirmer la thèse de l'alter
ego, mais il n'est nulle part fait mention d'une répartition des
pertes entre les actionnaires. Les articles de la Loi, particulière-
ment l'article 67(1), sont d'une portée limitée et n'enlèvent pas
la personnalité juridique distincte de la compagnie. En ce qui
concerne l'argument du demandeur selon lequel l'expression «à
titre de dividende» de l'article 67(1) ne vise pas un dividende
réel, l'expression doit être prise dans son acception ordinaire à
défaut de manifestation d'une intention contraire. Rien non
plus n'indique que, dans les paragraphes (10) ou (11), l'expres-
sion «le dividende réputé avoir été reçu» signifie autre chose
qu'une distribution, provenant des bénéfices, faite aux
actionnaires.
Arrêt appliqué: Salomon c. Salomon [1897] 2 A.C. 22.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
M. J. Arpin, c.r., pour le demandeur.
L. P. Chambers et J. Weinstein pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Arpin & Compagnie, Winnipeg, pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: Il s'agit d'un
appel par voie de procès de novo, interjeté par le
demandeur, d'une décision de la Commission de
révision de l'impôt ayant rejeté un appel d'une
décision du Ministre refusant une déduction de
$22,789.15 réclamée par le demandeur relative-
ment à son revenu pour l'année d'imposition 1970.
Les faits ne sont pas contestés. A l'ouverture de
l'audience, les parties ont déposé un exposé con
joint des faits, ainsi libellé:
[TRADUCTION] Les parties aux présentes, par l'intermédiaire
de leurs avocats respectifs, admettent les faits suivants, étant
entendu que cette admission est faite uniquement aux fins de la
présente action et ne peut être utilisée, en une autre occasion,
contre l'une ou l'autre partie, et que d'autre part les parties
peuvent produire d'autres preuves concernant les points en
litige, sans toutefois contredire le contenu du présent accord.
1. A toutes les époques qui nous intéressent, le demandeur était
associé à une firme d'avocats, établie à Winnipeg (Manitoba).
2. Au cours de l'année d'imposition 1970, le revenu net du
demandeur, provenant de l'exercice de sa profession d'avocat,
était de $26,832.24.
3. A toutes les époques en cause, le demandeur était le seul
propriétaire réel de toutes les actions émises par la Acadian
Investments Ltd., une compagnie privée.
4. Au cours de son année d'imposition 1970, la Acadian Invest
ments Ltd. était une corporation personnelle, au sens de l'arti-
cle 68 de la Loi de l'impôt sur le revenu.
5. Au cours de son année d'imposition 1970, la Acadian Invest
ments Ltd. ne se livrait à aucune activité autre que la location
immobilière.
6. A toutes les époques en cause, la Acadian Investments Ltd.
avait un seul actif en location, une tenure à bail sur un
immeuble comprenant un terrain et le bâtiment qui y est érigé.
7. Au cours de son année d'imposition 1970, la Acadian Invest
ments Ltd. a subi une perte nette de $22,789.15.
8. Dans sa déclaration de revenu pour 1970, le demandeur a
réclamé, à titre de déduction de son revenu, ladite perte nette
de $22,789.15 subie par la Acadian Investments Ltd.
9. En établissant la cotisation du demandeur pour son année
d'imposition 1970, le ministre du Revenu national a rejeté la
déduction de la perte nette subie par la Acadian Investments
Ltd., faite par le demandeur.
FAIT à Winnipeg, le 25 mars 1975.
«D. S. Thorson»
P. P. J. A. Weinstein
D. S. Thorson
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario).
Aucun autre document n'a été déposé et aucun
témoin n'a été appelé à déposer de vive voix.
Le demandeur est un avocat et conseiller de la
Reine très compétent et possède une longue expé-
rience. Il a plaidé sa cause avec son habilité, sa
force et sa logique coutumières, et s'est montré très
persuasif. Il n'a cité aucune décision judiciaire à
l'appui de ses moyens mais s'est fondé sur l'inter-
prétation qu'il donne à certains articles de la Loi
de l'impôt sur le revenu et sur un moyen séduisant
tiré de l'equity et de la justice dans l'application de
la loi.
Le demandeur a fait remarquer que la Acadian
Investments Ltd. était une compagnie privée, une
corporation personnelle dont il détenait toutes les
actions de capital, à l'exception des actions statu-
taires des administrateurs, et que lui seul projetait
et réalisait toutes les activités de la compagnie,
savoir: la location immobilière. Il a soutenu que si,
au lieu de constituer la compagnie Acadian Invest
ments Ltd., il avait personnellement exploité l'en-
treprise de location immobilière, pour son propre
compte, il aurait incontestablement eu le droit de
déduire les pertes de cette entreprise des profits
qu'il avait réalisés dans la pratique du droit au
cours de la même année d'imposition et que, étant
le seul actionnaire, il était la seule personne pou-
vant tirer un gain ou subir une perte des activités
de la compagnie; qu'il n'y avait aucune raison
valable pour que l'existence de la compagnie ait un
effet défavorable sur ses droits fiscaux. En outre
décider que cela entraînait un tel effet défavorable
serait très injuste et inéquitable pour lui.
Cet argument est assez séduisant, mais il y a
lieu d'analyser certains faits. Comme le deman-
deur l'a déclaré lui-même, la Acadian Investments
Ltd. a été formée dans le but normal, notamment
de limiter la responsabilité du demandeur, pour les
dettes que pourrait contracter l'entreprise de loca
tion, au montant de son investissement dans les
actions de la compagnie. Mais comme l'ont déclaré
les juges dans de nombreuses affaires, une mesure
de cette nature, destinée à protéger le fondateur
d'une compagnie contre des pertes excessives, peut
produire des résultats qui ne lui sont pas
favorables.
L'argument du demandeur fait appel, dans une
certaine mesure, à ce que l'on a appelé quelquefois
la théorie de l'alter ego, savoir qu'une compagnie,
n'ayant en réalité qu'un seul actionnaire qui dirige
toutes les activités de l'entreprise, constitue simple-
ment l'alter ego de cet actionnaire. Je n'approuve
pas cette théorie. Au moins depuis l'arrêt type
Salomon c. Salomon [1897] 2 A.C. 22, il a été
clairement établi qu'une compagnie, une fois
formée, est une personne juridique séparée et dis-
tincte de la personne ou des personnes qui l'ont
créée. Cela est vrai, que la compagnie ait un ou
mille actionnaires. L'actif de la compagnie appar-
tient à la compagnie et non aux actionnaires. Les
actionnaires ne possèdent pas non plus la compa-
gnie mais seulement les actions émises par la
compagnie.
En outre, une compagnie n'est pas le mandataire
de ses actionnaires, même s'il n'y a qu'un seul
actionnaire. Cependant, la réciproque peut être
vraie. On doit se rappeler qu'une compagnie, étant
une fiction reconnue par la loi comme une per-
sonne morale sans existence humaine ou physique,
ne peut agir que par l'intermédiaire de mandatai-
res. Ainsi, lorsqu'une personne détient toutes les
actions d'une compagnie (à l'exception de quelques
actions statutaires d'administrateurs) celle-ci peut,
en qualité d'administrateur, de président, de direc-
teur ou en vertu 'des statuts de la compagnie, être
la seule personne autorisée à agir comme manda-
taire de la compagnie. Mais la compagnie n'est pas
son mandataire.
Il faut aussi se rappeler qu'une législature sou-
veraine n'a aucune obligation légale d'agir équita-
blement en adoptant des lois. Quelle que soit l'in-
tention qu'une telle législature a exprimée dans
une loi, elle constitue le droit, quoique d'une
manière générale les législatures agissent de telle
façon à être justes envers les citoyens en ce qui
concerne leur personne et leurs biens. De même,
les tribunaux, en appliquant une disposition légale,
essayent d'y découvrir cette intention de justice, si
les règles d'interprétation le permettent, mais ils
ont toujours à l'esprit que les mots clairs et simples
doivent recevoir leur acception courante, à moins
que la loi ne contienne une précision indiquant une
intention différente.
La question à résoudre est la suivante: quelle a
été l'intention du législateur dans la Loi de l'impôt
sur le revenu, dans sa teneur au cours de l'année
d'imposition 1970, en ce qui concerne le revenu et
l'imposition des compagnies personnelles, et plus
précisément la signification de «revenu», «bénéfi-
ces» et «dividende»? L'intention du législateur se
trouve naturellement dans la formulation de la
Loi.
Le mot «revenu» est employé plusieurs fois dans
la Loi, et il semble que ce ne soit pas toujours avec
exactement la même signification. Le demandeur
soutient que le mot signifie non seulement gain ou
bénéfice mais englobe aussi ce qu'il appelle [TRA-
DUCTION] «revenu négatif» ou perte. Cette inter-
prétation du «revenu» est plausible, mais l'article 4
de la Loi nous donne la définition suivante:
4. Sous réserve des autres dispositions de la présente Partie,
le revenu provenant, pour une année d'imposition, d'une entre-
prise ou de biens est le bénéfice en découlant pour l'année.
Cette définition assimile clairement le revenu au
bénéfice, sauf lorsqu'une autre disposition de la
Partie I de la Loi assigne une signification diffé-
rente à ce mot. Le demandeur n'a pas soutenu que
le «bénéfice» comprend la «perte» à laquelle il
s'oppose normalement, et à mon avis il faudrait
une disposition formulée clairement dans la loi
pour indiquer que dans un cas précis le «bénéfice»
doit comprendre la «perte».
La Commission de révision de l'impôt a attaché
une valeur déterminante à l'article 67(1) de la Loi
de l'impôt sur le revenu, qui, à la date qui nous
intéresse, était ainsi libellé:
67. (1) Le revenu d'une corporation personnelle, qu'il soit
effectivement distribué ou non, est censé avoir été distribué aux
actionnaires et reçu par ceux-ci à titre de dividende le dernier
jour de chaque année d'imposition de la corporation.
Le libellé de ce paragraphe fait ressortir d'im-
portantes différences entre d'une part une corpora
tion personnelle et ses actionnaires, et d'autre part
entre une corporation ordinaire (publique ou
privée) et ses actionnaires. La totalité du revenu
d'une corporation personnelle est censée avoir été
distribuée à ses actionnaires, et les montants qu'ils
sont ainsi censés avoir reçus font partie du revenu
de ces actionnaires sur lequel leur cotisation aux
fins d'impôt sur le revenu est en conséquence
basée. En vertu de l'article 67(2), une corporation
personnelle n'est pas elle-même soumise au paie-
ment de l'impôt sur le revenu et, en vertu du
paragraphe (3), la distribution du revenu de la
corporation n'est pas simplement proportionnelle
au pourcentage d'actions détenues par chaque
actionnaire, mais aussi au montant total investi
par chaque actionnaire, y compris notamment le
montant des prêts faits par un actionnaire à la
corporation.
Dans une corporation ordinaire, publique ou
privée, les dividendes sont déclarés par les adminis-
trateurs, après quoi ils peuvent être distribués. A
ce moment seulement les actionnaires ont le droit
de les recevoir. En ce qui concerne les actions
ordinaires, il n'y a normalement aucune obligation
de payer un dividende même si la compagnie a fait
des bénéfices importants. Les administrateurs peu-
vent décider qu'aucun dividende ne sera payé pour
une année donnée ou qu'un dividende égal à une
partie ou à la totalité des bénéfices sera distribué.
La compagnie est assujettie à l'impôt sur son
revenu et les actionnaires ne peuvent être imposés
que sur le montant du dividende reçu par chacun
d'eux, intégré à leur revenu pour l'année. Les
dividendes, lorsqu'ils sont déclarés, sont d'un
même montant pour chaque action d'une même
catégorie.
Les dividendes ne peuvent être payés que sur les
bénéfices. Si une compagnie n'a pas fait de béné-
fice au cours d'une année donnée, aucun dividende
ne peut être payé pour cette année à moins qu'elle
ne dispose de bénéfices provenant d'exercices anté-
rieurs et qui n'avaient pas été distribués aux
actionnaires. Quand une compagnie subit une
perte au cours d'une année donnée et n'a pas de
réserve de bénéfices provenant d'années antérieu-
res, la perte n'est pas répartie entre les actionnai-
res. La compagnie a simplement subi une perte de
capital.
On doit garder à l'esprit que les bénéfices faits
par la compagnie sont ses bénéfices et non les
bénéfices des actionnaires, et de même les pertes
subies par la compagnie sont ses pertes et non
celles des actionnaires. Quand une compagnie dis-
tribue un revenu à ses actionnaires sous forme de
dividende c'est une partie ou la totalité des bénéfi-
ces de la compagnie qui est transférée aux action-
naires, proportionnellement au nombre d'actions
qu'ils détiennent. Cela implique une réduction de
l'actif de la compagnie. Logiquement, si les pertes
d'une compagnie étaient réparties entre les action-
naires il y aurait un transfert de ces pertes de la
compagnie aux actionnaires, ce qui entraînerait
une diminution du passif de la compagnie ou une
augmentation de son actif. Logiquement encore,
une telle diminution du passif de la compagnie ou
une augmentation de son actif, provenant du trans-
fert des pertes aux actionnaires, impliquerait que
les actionnaires seraient tenus de payer à la com-
pagnie, proportionnellement au nombre d'actions
qu'ils détiennent, le montant des pertes ainsi trans-
férées. Autrement il n'y aurait pas transfert des
pertes et la compagnie continuerait à les assumer.
Un tel résultat irait à l'encontre du caractère
fondamental de la notion de compagnie, savoir que
les actionnaires ne sont tenus que de libérer le
montant des actions souscrites et qu'une fois les
actions entièrement libérées, un actionnaire n'a
aucune autre responsabilité envers la compagnie
ou les créanciers de celle-ci. Si le législateur avait
désiré une telle modification de l'essence du droit
des compagnies et des droits des actionnaires, il lui
aurait fallu, à mon avis, exprimer cette intention
d'une manière très précise.
La situation que je viens de décrire est-elle
différente lorsqu'il s'agit d'une corporation person-
nelle? Elle ne l'est pas à mon avis. De même, en ce
qui concerne les corporations personnelles, pour
introduire une telle dérogation aux règles du droit
des compagnies, imposant aux actionnaires la res-
ponsabilité de couvrir les pertes de la compagnie, il
aurait fallu que cette intention fût clairement
exprimée dans une loi.
Le fait est que si, contrairement à mon opinion,
l'article 67(1) était destiné à prescrire la réparti-
tion effective ou le transfert des pertes d'une com-
pagnie aux actionnaires, le transfert ne serait que
fictif, il serait censé avoir été effectué; la situation
n'en serait pas modifiée. Il faudrait encore avoir
recours au concept de transfert des pertes de la
compagnie à ses actionnaires, avec la modification
profonde, qu'il comporte, des principes fondamen-
taux du droit des compagnies.
Cela m'amène à examiner rapidement la portée
de l'article 67(1) de la Loi de l'impôt sur le
revenu. Même si l'on admet à cet effet que le
terme «revenu», dans certains articles de la Loi,
désigne ou peut désigner le revenu négatif aussi
bien que le revenu positif, peut-on véritablement le
prendre dans cette double acception à l'article
67(1)? La phrase décisive est la suivante:
Le revenu ... est censé avoir été distribué aux actionnaires et
reçu par ceux-ci à titre de dividende ... .
Le demandeur soutient que la Loi de l'impôt sur
le revenu ignore l'existence de la corporation per-
sonnelle qu'elle considère comme si elle était sim-
plement l'alter ego des actionnaires, en l'espèce de
lui-même en tant que seul actionnaire. En ce qui
concerne la distribution du revenu de la compa-
gnie, on peut trouver quelques éléments à l'appui
de cette thèse dans le paragraphe (1) de l'article
67, ainsi que dans ses paragraphes (2) et (3) et
dans l'article 68. Mais je ne trouve nulle part une
référence à la répartition des pertes entre les
actionnaires. Encore une fois, comment un action-
naire peut-il recevoir une partie des «pertes» d'une
corporation personnelle? Quand il reçoit une partie
des bénéfices de la compagnie à titre de dividende,
il reçoit de l'argent ou l'équivalent de l'argent.
Inversement, comme je l'ai indiqué ci-dessus, si on
peut dire qu'il reçoit une partie des pertes de la
compagnie, il s'ensuivrait qu'il serait tenu de payer
à la compagnie le montant des pertes reçues par
lui. Rien dans la Loi, n'indique que telle est la
situation.
A mon avis, la thèse selon laquelle la Acadian
Investments Ltd. n'était qu'un autre nom du
demandeur, son alter ego, n'est pas juste. Les
articles de la Loi qui pourraient en confirmer la
justesse, particulièrement l'article 67(1), sont
d'une portée limitée. La personnalité légale dis-
tincte de la corporation n'est pas détruite, même si
certaines des règles visant l'impôt sur le revenu des
compagnies sont modifiées.
Le demandeur soutient que l'expression «à titre
de dividende» dans l'expression «distribué aux
actionnaires et reçu par ceux-ci à titre de divi-
dende» ne vise pas un dividende réel mais signifie
seulement [TRADUCTION] «de la même manière
qu'un dividende», ou encore [TRADUCTION]
«comme si c'était un dividende». A mon avis, cette
interprétation force le sens des mots d'une manière
inadmissible en l'espèce. En premier lieu l'expres-
sion «à titre de dividende» a une signification
grammaticale claire et simple et, d'après la pre-
mière règle d'interprétation, doit être prise dans
son acception ordinaire, à moins qu'il ne résulte
clairement du contexte ou d'une autre disposition
de la loi qu'une autre interprétation s'impose. Je
ne trouve aucune indication dans ce sens.
Deuxièmement, la formulation de divers para-
graphes de l'article 67 indique clairement que l'on
vise un dividende effectif ou réel. Par exemple,
(1) Le paragraphe (10) commence ainsi:
Lorsqu'un dividende est censé, en vertu du présent article, avoir
été reçu d'une corporation personnelle ... , la personne par qui
le dividende est ainsi censé avoir été reçu ... la fraction du
dividende, par elle ainsi réputé avoir été reçu ....
et l'alinéa a) dudit paragraphe (10) débute ainsi:
le revenu de la corporation personnelle (de qui le dividende est
ainsi tenu pour avoir été reçu) ....
(2) De même, le paragraphe (11) mentionne
plusieurs fois le «dividende réputé avoir été reçu».
Rien n'indique que, dans l'expression «le divi-
dende réputé avoir été reçu» employée aux para-
graphes (10) et (11), on voulait donner au mot
«dividende» un sens différent de sa signification
courante, c'est-à-dire: une distribution, provenant
des bénéfices, faite aux actionnaires ou à un
actionnaire.
Il faut mentionner un autre paragraphe, le para-
graphe (12), ainsi libellé:
67. (12) L'actionnaire qui contrôle une corporation person-
nelle doit produire en même temps que la déclaration de son
revenu pour chaque année d'imposition un relevé de l'actif et du
passif et du revenu de la corporation personnelle pour l'année,
et s'il omet de produire un tel relevé pour une année, il peut
être inclus dans son revenu pour l'année le double du montant
de la fraction du revenu de la corporation pour l'année qu'il est
censé avoir reçu en vertu du présent article.
La dernière partie de ce paragraphe prescrit
évidemment une pénalité. Il est clair que dans ce
paragraphe le mot «revenu» vise le «revenu positif»
et non «négatif». S'il visait le «revenu négatif», cela
signifierait qu'un actionnaire, contrôlant une cor
poration personnelle, qui négligerait au cours
d'une année d'imposition de produire, avec sa
déclaration de revenu, un relevé faisant état du
revenu négatif ou perte subie par la corporation
personnelle pour ladite année, pourrait bénéficier
d'une déduction de son revenu pour cette année
d'un montant équivalent au double de la fraction
du revenu négatif ou perte de la corporation pour
l'année, qu'il était «réputé avoir reçu». Je ne peux
imaginer qu'un article prescrivant une pénalité
serve à conférer un bénéfice fiscal de cette nature.
Finalement, après avoir examiné la question en
détail et avec beaucoup d'attention, la seule con
clusion à laquelle j'aboutisse est que l'appel doit
être rejeté. Ce résultat peut paraître injuste au
demandeur, mais à mon avis, les dispositions perti-
nentes de la Loi de l'impôt sur le revenu ne me
fournissent aucun motif raisonnable pouvant - justi-
fier une autre conclusion. Pour y remédier, si on le
désire, il faut recourir au Parlement et non aux
tribunaux.
Il n'y aura pas de dépens entre parties.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.