A-110-74
K. Q. Ahmad (Requérant)
c.
Un comité d'appel établi par la Commission de la
Fonction publique (Intime')
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges
Cattanach et Pratte —Ottawa, les 26 et 27
novembre 1974.
Examen judiciaire—Fonction publique—Renvoi d'un
employé pour incompétence—Compétence et procédure con-
testées—Renvoi confirmé—Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique, S.R.C. 1970, c. P-32, art. 6(5) et 31—Loi sur la
Cour fédérale, art. 28.
Une recommandation, demandant le renvoi du requérant
de la Fonction publique pour incompétence, a été faite en
vertu de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
L'appel à un comité établi par la Commission de la Fonction
publique a été rejeté. Une demande d'annulation de la
décision du comité, présentée en vertu de l'article 28, se
fondait sur trois motifs: (1) il n'y avait aucune recommanda-
tion au sous-chef du Ministère, en vertu de l'article 31(1) de
la Loi, pour demander que le requérant soit renvoyé avant
que ce dernier n'en fût avisé ou en eût interjeté appel, et par
conséquent, il n'y avait pas d'«appel» relevant de la compé-
tence du comité; (2) il n'y avait pas de recommandation
valable du Ministère à la Commission parce que le sous-chef
n'avait pas personnellement jugé que l'employé était
«incompétent»; (3) le comité a commis une erreur de droit
en ne décidant pas au fond qu'on ne devrait donner aucune
suite à la recommandation demandant le renvoi du
requérant.
Arrêt: la demande doit être rejetée sur tous les motifs. (1)
Les procédures se sont déroulées de la manière suivante: le
Ministère a avisé l'employé qu'on allait faire une recomman-
dation à la Commission; l'employé a interjeté appel; le
sous-chef a alors communiqué sa recommandation à la
Commission. Si l'on considère ces démarches comme une
procédure judiciaire, il n'y avait pas d'aappel» au sens de
l'article 31 parce qu'il n'y avait pas de recommandation
susceptible d'appel quand le dossier d'appel a été envoyé à
la Commission. Cependant, il ne s'agissait pas de procédure
judiciaire, mais d'acte relevant de l'administration du Minis-
tère. Une décision recommandant le renvoi a été communi
quée à l'employé qui en a interjeté appel et a eu droit à
l'appel accordé par l'article 31; on s'est donc concrètement
conformé à cet article. (2) Dans le cadre des pouvoirs que
lui confèrent l'article 6(5) de la Loi sur l'emploi .dans la
Fonction publique, le sous-chef avait valablement autorisé le
directeur du personnel à exécuter les devoirs que lui assigne
l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
Ce dernier avait ainsi le pouvoir nécessaire pour évaluer la
compétence de l'employé, en vertu de l'article 31. (3) Un
comité d'appel établi en vertu de l'article 31 ne pourrait à
bon droit décider de ne donner aucune suite à une recom-
mandation d'un sous-chef à moins qu'on ne lui ait soumis
des documents pertinents, établissant effectivement que le
sous-chef a eu tort d'estimer que l'employé en question était
incompétent dans l'exercice des fonctions de son poste.
Arrêt examiné: Mungoni c. Attorney General of North
ern Rhodesia [1960] A.C. 337. Arrêt appliqué: Carltona
Ltd. c. Comrs. of Works [1943] 2 A11 E.R. 560.
EXAMEN judiciaire.
AVOCATS:
Y. A. G. Hynna pour le requérant.
R. W. Côté pour l'intimé.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
de jugement prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'une
demande, en vertu de l'article 28, en vue d'obte-
nir l'annulation d'une décision d'un comité
établi par la Commission de la Fonction publi-
que pour faire une enquête à la suite d'un appel
interjeté par le requérant d'une recommandation
demandant qu'il soit «renvoyé», en vertu de
l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonc-
tion publique, parce que «de l'avis du sous-
chef», il était «incompétent».
L'article 31 est ainsi libellé:
31. (1) Lorsque, de l'avis du sous-chef, un employé est
incompétent dans l'exercice des fonctions de son poste, ou
qu'il est incapable de remplir ces fonctions, et qu'il devrait
a) être nommé à un poste avec un traitement maximum
inférieur, ou
b) être renvoyé,
le sous-chef peut recommander à la Commission que l'em-
ployé soit ainsi nommé ou renvoyé, selon le cas.
(2) Le sous-chef doit donner à un employé un avis écrit
de toute recommandation visant la nomination de l'employé
à un poste avec un traitement maximum inférieur ou son
renvoi.
(3) Dans un tel délai subséquent à la réception de l'avis
mentionné au paragraphe (2) que prescrit la Commission,
l'employé peut en appeler de la recommandation du sous-
chef à un comité établi par la Commission pour faire une
enquête au cours de laquelle il est donné à l'employé et au
sous-chef en cause, ou à leurs représentants, l'occasion de
se faire entendre. La Commission. doit, après avoir été
informée de la décision du comité par suite de l'enquête,
a) avertir le sous-chef en cause qu'il ne sera pas donné
suite à sa recommandation, ou
b) nommer l'employé à un poste avec un traitement maxi
mum inférieur ou le renvoyer,
selon ce qu'a décidé le comité.
(4) S'il n'est interjeté aucun appel d'une recommandation
du sous-chef, le Commission peut prendre, relativement à
cette recommandation, la mesure qu'elle estime opportune.
(5) La Commission peut renvoyer un employé en confor-
mité d'une recommandation formulée aux termes du présent
article; l'employé cesse dès lors d'être un employé.
La demande présentée en vertu de l'article 28 se
fonde sur des allégations qui, à mon avis, se
résument en fait à trois arguments, savoir:
a) aucune recommandation du Ministère
n'était parvenue à la Commission, en vertu de
l'article 31(1), pour demander que le requé-
rant soit «renvoyé» avant que ce dernier n'en
fût avisé et en eût interjeté appel; par consé-
quent, il n'y avait pas d'«appel» au sujet
duquel un «comité» établi conformément à
l'article 31 avait compétence pour mener une
enquête ou prendre la décision qui fait l'objet
de cette demande présentée en vertu de l'arti-
cle 28;
b) subsidiairement, aucune recommandation
valable du Ministère n'était soumise à la Com
mission en vertu de l'article 31(1), parce que
ce n'était pas de l'«avis» personnel du sous-
chef que le requérant était «incompétent dans
l'exercice des fonctions du poste» qu'il occu-
pait, et
c) enfin, le comité a commis une erreur de
droit en ne décidant pas au fond qu'on ne
devrait pas donner suite à la recommandation
demandant le renvoi du requérant.
Analysant d'abord le dernier de ces argu
ments, j'estime qu'il est fondé sur une idée
erronée. En l'absence de normes arbitraires
fixées par la loi, la compétence ou l'incompé-
tence ne peut ou ne doit pas s'apprécier, du
point de vue juridique, en appliquant une règle.
Qu'une personne soit compétente ou incompé-
tente pour un poste est une question d'opinion;
en l'absence de directives juridiques spéciales,
tout ce qu'on peut légalement demander à ce
sujet est que l'opinion ait été formée d'une
manière honnête et que, au départ au moins, elle
soit fondée sur l'observation par les supérieurs
hiérarchiques de la personne dont la compé-
tence est mise en question, de la façon dont
cette dernière remplit ses fonctions. Dans des
circonstances particulières, ces personnes peu-
vent utiliser des règles empiriques rudimentaires
et toutes faites comme guide pour parvenir à
l'opinion requise; mais, à mon avis, en l'absence
a) de mauvaise application d'une directive
légale ou juridique ou
b) de la preuve de mauvaise foi de la part de
ceux dont les observations et le jugement sont
en cause,
un comité de révision établi conformément à
l'article 31 ne pourrait pas à bon droit décider
qu'il ne doit donner aucune suite à une recom-
mandation d'un sous-chef à moins qu'on ne lui
ait soumis des documents pertinents, établissant
effectivement que le sous-chef a eu tort d'esti-
mer que l'employé en question était «incompé-
tent dans l'exercice des fonctions de son poste».
La partie de la décision du comité qui traite
de ce troisième argument se lit comme suit:
[TRADUCTION] Le comité d'appel est satisfait des réponses
du Ministère aux allégations de l'appelant. Aucune preuve
ne donne au comité d'appel des raisons de conclure que le
rendement au travail de l'appelant a été évalué sur la base
d'autres critères que le mérite. En ce qui concerne la qualité
de la production de l'appelant, les preuves montrent que le
père Pagano a fondé son évaluation de la qualité du travail
de l'appelant sur la révision de seulement quatre traductions
que l'appelant lui avait soumises. D'autre part, le Ministère a
produit des preuves, sous la forme de rapports de plusieurs
supérieurs hiérarchiques de l'appelant et du comité consulta-
tif de la qualité, pour démontrer que la qualité de la produc
tion globale de l'appelant au cours de ses sept années
d'emploi au Ministère n'atteignait pas la norme minimale
acceptable. Sur la base de ces pièces, le comité d'appel ne
peut conclure que l'évaluation du travail du requérant faite
par le père Pagano refute la prétention très solidement
documentée du Ministère selon laquelle le requérant ne
respectait pas les normes de qualité requise d'un employé de
l'échelon TR -1.
En outre l'appelant n'a présenté aucune preuve pouvant
donner au comité d'appel des raisons de conclure que les
membres du comité consultatif de la qualité, pour la période
d'évaluation de septembre à décembre 1973, étaient incapa-
bles d'évaluer la qualité du type de traductions sur lesquelles
l'appelant travaillait principalement à cette époque. En tout
cas, les preuves montrent que le rapport de ce comité
concorde tout à fait avec les rapports de comités antérieurs
dont la compétence n'a pas été mise en question dans cette
affaire.
En ce qui concerne la quantité du travail fourni par
l'appelant, rien dans la preuve ne pouvait donner au comité
d'appel des raisons de conclure qu'on avait demandé à
l'appelant de produire à un taux qui soit sensiblement supé-
rieur au minimum que le Ministère était en droit d'attendre
d'un employé occupant le poste de l'appelant.
Les preuves présentées dans cette affaire ne laissent aucun
doute au comité d'appel que l'appelant est incompétent, au
sens de l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique, pour exercer les fonctions du poste à l'échelon
TRl ....
Puisque l'appelant n'a pas démontré qu'il pouvait remé-
dier à l'insuffisance de son rendement ou que celui-ci va
vraisemblablement s'améliorer, le comité d'appel considère
que c'est à bon droit que le Ministère a pris des mesures
pour renvoyer l'appelant, conformément à l'article 31 de
ladite loi.
Les conclusions prises au nom du requérant au
sujet de cet argument sont bien exprimées dans
son «exposé des moyens soulevés», présenté à
cette cour. Dans la partie II dudit exposé, le
requérant présente comme suit les points en
litige à ce sujet:
[TRADUCTION] c) Le comité d'appel s'est fourvoyé en ce
qui concerne les normes qu'il devait fixer pour évaluer la
compétence du requérant et, spécialement, s'est trompé
en acceptant comme norme minimale l'exigence de pro-
duire une moyenne de 2,500 mots par jour (comptés).
d) Le comité d'appel a commis une erreur de droit en
décidant que la norme de 2,500 mots par jour (comptés)
précisément imposée au requérant était la norme générale-
ment applicable aux employés du niveau TR -1.
e) Le comité d'appel a tiré des conclusions erronées des
faits sans tenir compte des éléments dont il disposait en
décidant que le requérant n'avait pas respecté la norme
applicable à son niveau. Ce faisant, le comité d'appel n'a
pas tenu compte de la seule preuve qui lui était soumise
en ce qui concerne les normes d'application générale au
niveau TR -1, c'est-à-dire, le régime de la rémunération au
rendement.
Dans la partie III de son «exposé des moyens
soulevés», le requérant a développé, à ce sujet,
plusieurs moyens comme suit:
[TRADuCTION] 4. Aux termes des articles 10 et 12 de la Loi
sur l'emploi dans la Fonction publique, les normes de sélec-
tion sont établies par la Commission de la Fonction publi-
que. Il découle de ces articles et du système de négociation
collective établi par la Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique que l'employeur ne peut, pour aucun
poste, changer de manière arbitraire et unilatérale les
normes ainsi établies. L'employeur ou les supérieurs hiérar-
chiques immédiats d'un employé peuvent encore moins
imposer des normes spéciales à un employé donné.
5. En l'espèce, ni les normes de sélection pour le poste d'un
employé au niveau de TR -1 (dossier, p. 21), ni les autres
preuves soumises au comité n'établissent de norme mini-
male d'application générale. Il appartenait au comité d'appel
de déterminer dans son enquête quelle norme minimale
s'imposait afin de pouvoir décider si le requérant devait être
renvoyé pour incompétence dans l'exercice de ses fonctions
au niveau TR -1. Le comité d'appel a commis une erreur de
droit en ne fixant pas les normes d'application générale alors
qu'il disposait de preuves pertinentes sur ce point.
6. Le comité d'appel a commis une erreur de droit en
concluant que le requérant était incompétent parce qu'il ne
respectait pas les normes qui lui avaient été spécialement
imposées en ce qui concerne le rendement quantitatif et
qualitatif. En droit, les conclusions du comité d'appel sont
insoutenables eu égard aux preuves soumises, même si l'on
ne tient pas compte des preuves supplémentaires présentées
à cette cour. Le comité d'appel s'est trompé en ce qu'il a en
fait déduit les normes d'application générale aux employés
TR -1 de ce que les supérieurs hiérarchiques immédiats de
l'employé avaient établi comme normes spéciales pour le
requérant. Au vu des pièces établissant que les normes
minimales pour un TR -1 se sauraient raisonnablement être
supérieures aux normes quantitatives et qualitatives prévues
pour les augmentations au rendement et établies entre l'em-
ployeur et les employés au cours de la négociation collecti
ve', le comité d'appel, a appliqué à tort la norme quantita
tive de 2,500 mots par jour (comptés) fixée par les
supérieurs hiérarchiques.
Comme le requérant le dit lui-même, il n'exis-
te pas de «normes minimales d'application géné-
rale» en ce qui concerne la compétence affé-
rente au poste présentement en question. (Je
trouve inconcevable que telles normes puissent
exister dans le cas d'un professionnel.) A mon
avis, le comité a abordé correctement la ques
tion, compte tenu des opinions que j'ai déjà
exprimées en ce qui concerne son rôle dans un
tel cas, et je ne vois aucune raison de déclarer
que sa décision doit être annulée en vertu de
l'article 28(1)b) ou c).
Il reste les deux autres arguments soulevant
chacun la question de savoir s'il y a jamais eu
une recommandation, au sens de l'article 31;
' Je ne me réfère pas aux paragraphes relatifs aux élé-
ments de preuve qui n'ont pas été soumis au comité et dont
il n'y a aucune raison de penser qu'il les connaissait ou
devait les connaître quand il a rendu sa décision. Le fait de
ne pas avoir trouvé ces éléments de preuve au cours de son
enquête, si raisonnablement il aurait dû les trouver, pourrait
constituer un motif de contestation valable; mais le fait de
ne pas avoir tenu compte d'éléments de preuve qui ne sont
pas parvenus à sa connaissance, ne saurait constituer un
motif d'annulation de sa décision en vertu de l'article
28(1)b) ou c).
l'existence de cette recommandation est une
condition essentielle de la compétence du
comité pour rendre une «décision» en vertu de
cet article.
Le premier de ces deux arguments ressort
assez clairement de l'extrait suivant de la partie
III de l'exposé du requérant devant cette cour:
[TRADUCTION] 2. Plus précisément, la recommandation éma-
nait du directeur de l'administration du personnel, préten-
dant agir en vertu d'un acte de délégation de pouvoirs du
sous-chef (dossier, aux pp. 211 à 214 et 283).
L'article 31(1) confère au sous-chef le devoir et la fonc-
tion de formuler un avis en ce qui concerne la compétence
d'un employé. Alors que l'article 6(5) de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique autorise la délégation par le
sous-chef de ses pouvoirs, fonctions et devoirs à des person-
nes placées sous son autorité, le sous-chef, par son acte de
délégation, a autorisé le directeur de l'administration du
personnel à exercer seulement ses pouvoirs.
En l'absence d'une délégation spéciale des fonctions et
devoirs au directeur de l'administration du personnel, le
sous-chef conservait le devoir et la fonction de formuler un
avis.
Aucune preuve n'a été soumise au comité que le sous-chef
ait même envisagé la question; au contraire, la lettre du
directeur (dossier, pp. 211 et 283) et les preuves présentées
par les fonctionnaires du Ministère montrent clairement que
la question avait été envisagée seulement au niveau des
supérieurs hiérarchiques immédiats du requérant et du direc-
teur de l'administration du personnel.
L'article 6(5) de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique prévoit qu'un sous-chef peut
autoriser une ou plusieurs personnes placées
sous son autorité «à exercer l'un des pouvoirs,
fonctions ou devoirs» que lui confère cette loi.
Par acte en date du 22 mars 1971, le sous-chef
en cause a notamment autorisé le «directeur,
service de l'administration du personnel» à
«exercer les pouvoirs et à déléguer les fonctions
ou devoirs» que lui confère notamment l'article
31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique. A mon avis, quoique cet acte eût pu
être mieux rédigé, il confère au directeur le
pouvoir approprié pour formuler un avis sur
l'incompétence du requérant, préalable à une
recommandation prévue à l'article 31 2 . En tout
cas, toute question d'autorisation légale spéciale
mise à part, je pense que cet avis n'avait pas à
faire l'objet de l'attention personnelle du sous-
2 Comparer avec l'arrêt Mungoni c. Attorney General of
Northern Rhodesia [1960] A. C. 336.
chef et pouvait émaner des fonctionnaires habi-
lités du Ministère sur la base des principes
appliqués dans des affaires telles que Caritona,
Ltd. c. Comrs. of Works 3 . Voir, dans cette
affaire, les motifs de Lord Greene, maître des
rôles, à la page 563:
[TRADUCTION] Dans le régime d'administration publique
de ce pays, les fonctions qui sont conférées aux ministres (à
bon droit du point de vue constitutionnel puisque les minis-
tres sont constitutionnellement responsables) sont si variées
qu'aucun ministre ne pourrait jamais personnellement les
remplir. Pour prendre l'exemple du cas présent, chaque
ministère a sans aucun doute soumis des milliers de réquisi-
tions dans ce pays. On ne peut pas supposer que ce règle-
ment impliquait que, dans chaque cas, le Ministre en per-
sonne devait s'occuper de l'affaire. Les tâches imposées aux
ministres et les pouvoirs qui leur sont conférés sont norma-
lement exercés sous leur autorité par les fonctionnaires
responsables du Ministère. S'il en était autrement, tout
l'appareil de l'État serait paralysé. Constitutionnellement, la
décision d'un tel fonctionnaire représente naturellement la
décision du Ministre. Le Ministre est responsable. C'est lui
qui doit répondre devant le Parlement de tout ce que ses
fonctionnaires ont fait sous son autorité et si, pour une
affaire importante, il a choisi un fonctionnaire subalterne
dont on ne peut s'attendre qu'il exécute le travail avec
compétence, le Ministre devra en répondre devant le Parle-
ment. Tout le système d'organisation et d'administration
ministérielles s'appuie sur l'idée qu'étant responsables
devant le Parlement, les ministres feront en sorte que les
tâches importantes soient confiées à des fonctionnaires
expérimentés. S'ils ne le font pas, c'est au Parlement qu'on
devra se plaindre de leurs agissements. 4
Il serait tout à fait impossible au sous-chef d'un
ministère important dans un gouvernement
moderne de s'occuper personnellement de
toutes les questions de ce genre, quelles qu'im-
portantes qu'elles puissent être pour les person-
nes concernées. C'est la raison d'être de l'orga-
nisation ministérielle et, à mon avis, il en
découle nécessairement, en l'absence d'indica-
tion contraire expresse ou implicite, que les
pouvoirs des ministres et des sous-ministres,
dans la mesure où ils revêtent un caractère
administratif, sont exercés en leur nom par les
instances de leur ministère. Dans quelle mesure
les fonctionnaires peuvent ou doivent agir ainsi
dans des cas particuliers est une question qui
relève de l'organisation interne et les tiers n'ont
[1943] 2 All E.R. 560.
4 Voir aussi Judicial Review of Administrative Action de
S. A. de Smith aux pp. 290 et 291 de la deuxième édition.
pas qualité pour contester les pouvoirs d'un
fonctionnaire dans un cas particulier.
J'en arrive maintenant au premier moyen
invoqué par le requérant à l'encontre de la déci-
sion du comité d'appel, suivant l'ordre d'énumé-
ration utilisé plus haut; c'est celui que je trouve
le plus difficile à résoudre. L'article 31 envisage
entre autres choses:
a) une recommandation du sous-chef à la
Commission de la Fonction publique deman-
dant qu'un employé soit renvoyé pour
incompétence,
b) un avis écrit donné à l'employé «de toute
recommandation visant ... son renvoi,»
c) dans un délai prescrit subséquent à un tel
avis, l'employé peut en «appeler de la recom-
mandation» à un comité établi par la Commis
sion «pour faire une enquête» au cours de
laquelle il est donné à l'employé et au sous-
chef en cause l'occasion de se faire entendre,
d) une décision du comité à la fin de son
enquête,
e) la décision de la Commission,
(i) avertissant le sous-chef qu'il ne sera pas
donné suite à sa recommandation, ou
(ii) renvoyant l'employé «selon ce qu'a
décidé le comité».
Normalement, on s'attendrait à ce que la recom-
mandation du sous-chef à la Commission inter-
vienne d'abord, mais il se trouve en l'espèce que
le Ministère a d'abord averti l'employé qu'on
avait décidé qu'une recommandation serait faite
à la Commission; le requérant a alors fait appel
et le sous-chef a, à ce moment, communiqué sa
recommandation à la Commission. Si l'on consi-
dère ces démarches comme une procédure judi-
ciaire, il n'y avait pas d'«appel» au sens de
l'article 31 parce qu'il n'y avait pas «recomman-
dation» susceptible d'appel quand le dossier
d'appel a été envoyé à la Commission. Je dois
dire que j'ai beaucoup de difficulté à rejeter
cette conclusion. Cependant, après mûre
réflexion, je suis arrivé à la conclusion que ce
n'est pas la bonne solution. Les actions en ques
tion faisaient partie de l'administration du
Ministère concerné et pas du tout d'une procé-
dure judiciaire. Une décision a été prise de
recommander le renvoi pour incompétence et
elle a été communiquée à l'employé qui en a
interjeté appel. Ce dernier a eu effectivement
droit à la procédure prévue à l'article 31 en ce
qui concerne la recommandation dont il avait
été avisé. Je ne vois pas d'inconvénient mais
plutôt un grand avantage du point de vue de la
Fonction publique, de considérer cette façon
concrète d'observer l'article 31 comme étant
conforme aux termes de cet article et en consé-
quence je conclus aussi au rejet de ce moyen.
J'estime donc que cette demande, faite en
vertu de l'article 28, doit être rejetée.
* * *
LE JUGE CATTANACH y a souscrit.
* * *
LE JUGE PRATTE y a souscrit.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.