T-3816-73
Harlequin Enterprises Limited (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Maho-
ney—Toronto, le 12 septembre; Ottawa, le 21
novembre 1974.
Impôt sur le revenu—Livres invendus ou renvoyés—
Déductions demandées par l'éditeur—Loi de l'impôt sur le
revenu, art. 4, 11(1)e)(1) et 12(1)e)—Finance Act, 1940
(Royaume-Uni), c. 29—Sale of Goods Act, S.R.M. 1954, c.
233, art. 19 et 20—The Sale of Goods Act, S.R.O. 1960, c.
358, art. 18 et 19.
La demanderesse, éditeur canadien, vendait ses livres par
l'intermédiaire de distributeurs canadiens et américains. Les
distributeurs traitaient, par l'intermédiaire des grossistes,
avec les points de vente au détail ou directement avec les
gros détaillants. Des ententes conclues entre la demande-
resse (l'éditeur) et les distributeurs comportaient des dispo
sitions relatives aux livres invendus ou renvoyés. Pour son
année d'imposition 1969, la demanderesse demanda la
déduction des montants suivants: (1) $128,000 correspon-
dant à ses profits bruts sur les livres aux mains des grossis-
tes canadiens au 31 décembre 1969, c-à-d. la fin de l'exer-
cice financier de la demanderesse; (2) environ $220,000
pour les marchandises dont on pouvait escompter le renvoi
aux termes des contrats de vente. Ces déductions furent
rejetées par le Ministre et la demanderesse a interjeté appel.
Arrêt: l'appel est rejeté; la demande de déduction des
profits bruts sur les livres aux mains des grossistes n'est pas
fondée. Les livres étaient vendus sous réserve d'une condi
tion résolutoire qui, si elle était invoquée par le grossiste
acheteur, entraînait la rétrocession de la propriété des mar-
chandises à l'éditeur. Les témoignages des experts indi-
quaient le renvoi de 10.5 pour cent des ouvrages livrés à des
grossistes canadiens, sur une période de neuf mois. La
preuve dans cette affaire n'étaye pas la thèse selon laquelle
les principes comptables généralement acceptés exigent que
l'ensemble de l'élément bénéficie pour tous les livres se
trouvant aux mains des grossistes canadiens à un moment
donné soit déduit du revenu afin de représenter de manière
i fidèle, ou du moins plus fidèle, la situation financière de
l'entreprise à ce moment. En ce qui concerne la seconde
déduction demandée, il était certain que la demanderesse
devrait, en temps voulu, payer certaines remises ou rem-
bourser des redevances sur les renvois, mais l'obligation de
la demanderesse à cet égard, vu les ententes, ne naissait
qu'au moment où la demanderesse recevait une demande de
crédit. L'obligation de la demanderesse vis-à-vis des distri-
buteurs, en ce qui concerne la remise ou le remboursement
des redevances, était une obligation éventuelle. Tout compte
établi afin de pourvoir à une obligation éventuelle, que ce
soit sous forme de réserve constituée pour les renvois et les
redevances dans son bilan ou d'une déduction des gains lors
du calcul de son revenu imposable, constituait un compte de
prévoyance au sens de l'article 12(1)e) de la Loi de l'impôt
sur le revenu. Même si les principes comptables générale-
ment acceptés exigent qu'un tel compte soit établi, on ne
peut autoriser aucune déduction à l'égard de ce compte dans
le calcul du revenu imposable de la demanderesse. On ne
pouvait pas non plus établir de réserve pour créances dou-
teuses, en vertu de l'article 11(1)e)(i), car il faut qu'il y ait un
doute quant à leur recouvrement fondé sur des considéra-
tions réelles et non sur une simple spéculation amenant à
conclure que ledit recouvrement est peu probable. Rien dans
la preuve ne montrait que les créances sur les distributeurs
étaient douteuses au 31 décembre 1969.
Arrêts suivis: Sinnott News Company Limited c.
M.R.N. [1956] R.C.S. 433; M.R.N. c. Atlantic Engine
Rebuilders Ltd. [1967] R.C.S. 477; Time Motors Ltd. c.
M.R.N. [1969] R.C.S. 501 et Dominion Telegraph
Securities Limited c. M.R.N. [1947] R.C.S. 45. Arrêt
approuvé: Winters c. I.R.C. [1963] A.C. 235.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
D. A. Ward, c.r., et L. Hepburn pour la
demanderesse.
M. R. V. Storrow et J. A. Weinstein pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Davies, Ward et Beck, Toronto, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour
la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE MAHONEY: Le présent litige porte
sur le calcul du revenu imposable de la deman-
deresse pour 1969 et notamment sur deux
sommes. L'une correspond à la déduction de
$128,040 réclamée par la demanderesse à titre
de «bénéfices bruts sur des livres aux mains des
grossistes» et rejetée par le ministre du Revenu
national. L'autre somme correspond à une
déduction d'approximativement $220,000 récla-
mée par la demanderesse à l'égard de marchan-
dises vendues qui lui seraient probablement ren-
voyées en conformité des contrats de vente
desdites marchandises.
La demanderesse est un éditeur. En 1969, elle
ne publiait que des livres brochés, dans le genre
«roman à l'eau de rose», au rythme de huit
nouveaux titres par mois. Ces livres étaient
commercialisés à la fois au Canada et aux États-
Unis par l'intermédiaire de chaînes de distribu
tion distinctes et vendus sur le marché de gros
et le marché de vente directe.
La technique de commercialisation de la
demanderesse consiste à assumer une large
divulgation de ses livres aux consommateurs et
un très faible coût unitaire réel des livres eux-
mêmes; elle repose sur une supposition, confir-
mée par l'expérience, selon laquelle lorsqu'un
titre donné n'a pas été accepté par le public
dans un délai relativement court après sa paru-
tion aux étalages des détaillants, il ne le sera
jamais et devrait être retiré afin de laisser la
place à un autre titre. Ainsi, chaque ouvrage est
distribué en quantité suffisante pour assurer,
selon les normes de la demanderesse, un appro-
visionnement adéquat des détaillants qui ren-
voient, sans restriction, les livres invendus.
Sur le marché de gros, elle traite avec un
distributeur qui s'occupe des produits d'un cer
tain nombre d'éditeurs et traite à son tour avec
un certain nombre de grossistes. Les grossistes
traitent avec plusieurs distributeurs d'une part
et un grand nombre de détaillants situés sur leur
territoire. Les détaillants placent les produits à
l'étalage pour inciter le consommateur à ache-
ter. Sur le marché direct, le grossiste n'inter-
vient pas; le distributeur traite directement avec
des détaillants importants comme par exemple
les succursales de grands magasins. A tous les
échelons des deux chaînes de distribution, le
renvoi des livres invendus est prévu. En l'es-
pèce, seules les ententes conclues entre l'éditeur
(la demanderesse) et ses distributeurs sont
pertinentes.
La première somme en cause, la déduction de
$128,040 réclamée et rejetée, ne se rapporte
qu'au marché de gros canadien. Elle représente
le profit brut réalisé par la demanderesse sur les
livres aux mains de grossistes canadiens au 31
décembre 1969, soit la fin de l'exercice finan
cier de la demanderesse. Elle réclame cette
déduction au motif que ses livraisons de livres à
son distributeur ne constituaient pas des ventes
à forfait, mais plutôt des livraisons soumises à
une condition «vente ou retour» et que le profit
imputable à ces livraisons ne devait pas être
inclus dans le calcul de son revenu tant que le
droit du distributeur de renvoyer les livres
n'avait pas expiré. Subsidiairement, elle affirme
que même si les livraisons aux distributeurs
n'étaient pas soumises à la condition «vente ou
retour», il s'agissait de ventes soumises à une
condition résolutoire dont la part de profits était
à bon droit déductible du revenu.
La Cour suprême du Canada, dans l'affaire
Sinnott News Company Limited c. M.R.N. 1 exa-
mina une situation similaire à un niveau diffé-
rent de la chaîne de distribution. Dans cette
affaire, le contribuable (l'appelante) était un
grossiste et les opérations en cause consistaient
dans la livraison de magazines, et non de livres,
à des détaillants et leur renvoi éventuel aux
grossistes. L'appelante revendiquait le droit de
déduire de son revenu pour l'année une [TRA-
DUCTION] «réserve pour les pertes résultant des
renvois» correspondant à la valeur approxima-
tive de la perte de profit sur des magazines
invendus et susceptibles d'être renvoyés l'année
suivante.
Le juge Locke rendit le jugement de la Cour
auquel les juges Cartwright et Fauteux (tels
étaient alors leurs titres) souscrivirent. Le juge
Kellock parvint au même résultat, mais en se
fondant sur des conclusions de fait différentes
de celles adoptées par la majorité. Le juge
Locke déclarait à la page 439:
TRADUCTION] Les ententes conclues entre l'appelante et
les détaillants auxquels elle livrait ses publications pour la
vente, constituaient, selon les conclusions du savant juge de
première instance, des livraisons soumises à la condition
«vente ou retour»; la Règle 4 de l'article 19 de The Sale of
Goods Act (S.R.O. 1950, c. 345), s'applique donc.
et à la page 442:
[TRADucTioN] Selon la conclusion de fait du savant juge
de première instance, que les livraisons aux détaillants
étaient soumises à la condition «vente ou retour»; il conclut
pourtant que les parties les avaient considérées par la suite
comme des ventes à forfait et qu'en conséquence il fallait
considérer les montants payables par les détaillants, si les
marchandises en magasin étaient toutes vendues ou rete-
nues, comme des comptes à payer.
En toute déférence, je ne peux souscrire à la conclusion
selon laquelle, en l'espèce, ces opérations sont en fait deve-
nues des ventes à forfait.
Selon le jugement de la Cour, puisqu'il s'agissait
de livraisons soumises à la condition «vente ou
1 [1956] R.C.S. 433.
retour), la Règle 4 de l'article 19 de The sale of
Goods Act de l'Ontario s'appliquait, la propriété
des marchandises n'était pas transférée aux
détaillants, et ces derniers n'étaient tenus de
payer, sur les marchandises livrées, que celle
vendues ou non renvoyées dans les délais
convenus.
La Cour rejeta la réserve initialement établie
par l'appelante pour les pertes résultant des
renvois, mais parvint au résultat recherché par
cette dernière puisqu'elle ordonna un nouveau
calcul du revenu imposable dans lequel ne
seraient pas inclus les revenus et dépenses, les
comptes à recevoir et à payer établis à l'égard
des marchandises soumises à la condition
«vente ou retour», aux mains des détaillants à la
fin de l'exercice financier de l'appelante. En
l'espèce, la demanderesse se trouve au premier
échelon de la chaîne de distribution et non à un
échelon intermédiaire; elle ne peut donc faire
état que de comptes à recevoir et non de comp-
tes à payer comparables; elle cherche donc en
fait à parvenir au résultat recherché en dédui-
sant de son revenu les profits réalisés sur les
ouvrages livrés et aux mains des grossistes. On
peut comprendre que la demanderesse ne
demande pas la même déduction pour les livres
actuellement aux mains des détaillants, en
raison des difficultés pratiques qu'impliquerait
la détermination du nombre de ces livres, à un
moment donné. Il semble que le principe soit le
même, dans la mesure où les livres sont suscep-
tibles de remonter par étape au début de la
chaîne de distribution, c'est-à-dire, à la
demanderesse.
Les parties n'ont pas discuté la question de
savoir si les livraisons étaient régies par le droit
de l'Ontario, où se trouvait la demanderesse à la
fin de 1969, ou par le droit du Manitoba, où se
trouvait son imprimeur, qui en fait expédiait les
livres en son nom. En 1969, les dispositions
équivalentes des Sale of Goods Acts du Manito-
ba 2 et de l'Ontario 3 étaient, à. toutes fins prati-
ques, identiques aux dispositions de la Loi onta-
rienne examinée dans l'affaire Sinnott News.
Cette loi prévoyait que:
2 S.R.M. 1954, c. 233, articles 19 et 20, respectivement.
3 S.R.O. 1960, c. 358, articles 18 et 19, respectivement.
[TRADUCTION] 18. (1) Dans le cas d'un contrat de vente
de choses certaines et déterminées, la propriété desdites
choses est transférée à l'acheteur à la date à laquelle les
parties au contrat ont l'intention de le faire.
(2) Pour déterminer l'intention des parties, il faut prendre
en considération les conditions du contrat, l'attitude des
parties et les circonstances de l'espèce.
19. Sauf intention contraire manifeste, les règles suivan-
tes serviront à déterminer l'intention des parties pour ce qui
est du moment où la propriété passera à l'acheteur:
Règle 4.—Lorsque des choses sont livrées à l'acheteur à
l'essai, ou à la condition «vente ou retour» ou à d'autres
conditions analogues, l'acheteur en devient propriétaire,
(i) lorsqu'il signifie son approbation ou acceptation au
vendeur ou démontre autrement qu'il a accepté la
transaction;
(ii) s'il ne signifie pas son approbation ou son accepta-
tion au vendeur, mais conserve les biens sans donner
avis de son refus, si un délai de retour des biens est
fixé, à l'expiration de ce délai, et, si aucun délai n'est
fixé, à la fin d'un délai raisonnable; la durée d'un délai
raisonnable est une question de fait.
Déterminer si la demanderesse a livré les ouvra-
ges à ses grossistes à la condition «vente ou
retour» est une question de fait qu'il faut tran-
cher en se fondant sur l'accord conclu, l'attitude
des parties et les circonstances entourant
l'opération.
La Curtis Distributing Company Limited (ci-
après appelée «Curtis Canada») effectuait la
distribution au Canada, sur le marché de gros et
sur le marché direct, en vertu d'un accord écrit
en date du 22 mars 1949 dans lequel la deman-
deresse était désignée comme «l'éditeur» et
Curtis Canada sous le nom de «Curtis». Il stipu-
lait que:
[TRADUCTION] 2. ... Le nombre de titres et d'exemplaires
de chaque livre à expédier chaque mois en vertu de ce
contrat sera fixé par accord mutuel. L'éditeur expédiera les
livres, selon les quantités ainsi convenues, franc de port, aux
grossistes désignés par Curtis. L'éditeur demeurera proprié-
taire desdits livres et assumera tout risque de perte jusqu'à
la date de livraison aux grossistes.
3. Tout livre considéré invendable pourra être renvoyé.
Curtis et l'éditeur détermineront à l'occasion quels livres
sont invendables; néanmoins, les livres mis en vente pen
dant douze mois seront définitivement présumés invenda-
bles et pourront tous être renvoyés, au choix de Curtis... .
Tous les livres ainsi renvoyés seront expédiés, aux frais du
destinataire, au lieu fixé par l'éditeur. Curtis aura droit de
porter au crédit de ses états mensuels le montant de ces
renvois, au prix demandé par Curtis pour lesdits livres.
4. ... Tout règlement sera effectué par Curtis, avant le 10
du mois, pour les livres expédiés lors du pénultième mois.
En pratique, la demanderesse, sise à Toronto,
n'expédiait pas elle-même les livres, mais son
imprimeur, à Winnipeg, le faisait en son nom.
En outre, les livres ainsi renvoyés ne l'étaient
pas matériellement à la demanderesse ni même
à Curtis Canada ni aux grossistes. Le détaillant
déchirait la couverture des livres à renvoyer, ou
même seulement la partie où apparaissait le
titre. Il détruisait alors les livres et renvoyait
leurs couvertures le long de la chaîne de distri
bution comme preuve de leur destruction. Dès
leur réception, Curtis Canada, établissait un bor-
dereau de crédit à l'ordre des grossistes et en
transmettait une copie à la demanderesse. Ce
bordereau constituait la facture de Curtis
Canada à la demanderesse et était comptabilisé
mensuellement, comme le prévoyait la clause 3
du contrat.
Il semble qu'en théorie, les détaillants pou-
vaient, à tout moment, entamer la procédure de
renvoi, mais, en pratique, les livres distribués
par l'intermédiaire du marché de gros au Canada
restaient souvent trois ou quatre mois aux étala-
ges des détaillants. En outre, les demandes
d'inscription à leur crédit des sommes corres-
pondant aux renvois étaient retardées de six à
huit semaines au niveau des grossistes du fait
que chacun s'occupait de demandes provenant
d'un grand nombre de détaillants recevant des
marchandises de plusieurs distributeurs; lés
grossistes devaient les répartir et les attribuer
aux divers distributeurs. Dès l'imputation des
demandes aux distributeurs, elles étaient immé-
diatement réparties et répercutées au niveau des
éditeurs à qui il incombait d'effectuer les
paiements.
La demanderesse reconnaît qu'en règle géné-
rale, Curtis Canada respecta l'arrangement
prévu par le contrat en 1969, jusqu'en 1970,
date à laquelle elle l'informa de son intention de
mettre fin à cette entente. Le contrat fut effecti-
vement résilié en septembre 1970. En pratique
donc, la demanderesse recevait le paiement d'un
livre expédié par Curtis Canada pendant un
mois donné environ 40 jours après la fin de ce
mois. Si ce livre était renvoyé, la somme corres-
pondante était normalement créditée au compte
de Curtis Canada par la demanderesse de quatre
mois et demi à six mois après l'expédition.
L'entente prévoyait que les livres étaient
expédiés «franc de port» par la demanderesse
qui restait propriétaire des livres et assumait les
risques à leur égard «jusqu'à la date de livraison
aux grossistes». A première vue, lorsque les
marchandises sont vendues «franc de port», le
transfert de la propriété à l'acheteur se fait à la
date de l'expédition, bien qu'il soit permis aux
parties de retarder cette date. La clause stipu-
lant que la demanderesse reste propriétaire et
assume les risques jusqu'à la date de la livraison
signifie clairement qu'en l'espèce, les parties
avaient convenu de retarder le moment du
transfert de la propriété des livres à la date de la
livraison.
Les Règles prévues à l'article 19 de The Sale
of Goods Act s'appliquent donc «sauf intention
contraire manifeste». Compte tenu de la clause
de l'accord selon laquelle la propriété des livres
serait transférée à Curtis Canada à la date de la
livraison aux grossistes désignés par elle, et
compte tenu du fait qu'en temps ordinaire, le
prix d'un livre donné serait effectivement payé
bien avant que ne puisse être portée au crédit la
somme due pour son renvoi, je conclus que la
Règle 4 ne s'applique pas.
Les livres n'étaient pas livrés à la condition
«vente ou retour»; ils étaient vendus sous
réserve d'une condition résolutoire que Curtis
Canada en qualité d'acheteur pouvait invoquer;
si elle se réalisait, Curtis rétrocédait la propriété
des livres à la demanderesse. Telle est donc la
théorie subsidiaire de la demanderesse, corres-
pondant pour l'essentiel à la situation de fait
existant dans l'affaire Sinnott News, que décrit
le juge Kellock. Ayant conclu que le grossiste
appelant transférait la propriété des magazines
au détaillant au moment de la livraison, il décla-
rait alors à la page 437:
[TRADUCTION] Ce point ne suffit cependant pas à trancher
l'affaire, puisque les parties n'étaient pas d'accord sur le fait
que les détaillants avaient à tout moment le droit de ren-
voyer les magazines.... Ceci étant, même si les opérations
conclues entre l'appelante et ses détaillants étaient des
ventes et non des livraisons en dépôt, il s'agissait néanmoins
de ventes soumises à une condition résolutoire, entraînant,
dans le cas de magazines effectivement renvoyés, la rétro-
cession de la propriété de ces magazines à l'appelante; voir
les affaires Head c. Tattersall (1), le baron Cleasby; May c.
Conn (2); Benjamin, 8e éd. 415. La situation serait différente
s'il s'agissait d'une vente dans laquelle le vendeur s'est
engagé à racheter les marchandises, dans certaines circon-
stances, comme c'était le cas dans l'affaire The Vesta (3). 4
En conséquence, l'appelante n'a pas le droit d'établir une
réserve pour les bénéfices comme elle l'a fait. La réserve
qu'elle cherche à établir correspond à l'élément bénéfice du
prix de vente des marchandises livrées aux distributeurs
pendant chacune des années en cause et qui, selon ses
estimations, lui seront renvoyées au cours des trois mois
suivants. Pour reprendre l'exposé de l'appelante, ces estima
tions étaient «réalistes, raisonnablement exactes et calculées
sur la base de l'expérience réelle de la compagnie à l'égard de
chacun de ces magazines pour une durée raisonnable avant
la fin de l'année».
Selon la déposition du témoin Sinnott, l'appelante, à la fin
de la période de trois mois, «connaît exactement» la valeur
des marchandises effectivement renvoyées. En consé-
quence, au lieu de déduire la réserve susmentionnée du
montant de ses ventes pour chacune des années en question,
l'appelante devrait être autorisée à déduire, dans sa déclara-
tion de revenus, la valeur estimée des ventes elles-mêmes,
sous réserve cependant d'un ajustement dans l'année desdits
renvois, lors de la détermination du chiffre réel à la fin de la
période de trois mois. 5
Le juge Kellock n'a lié à aucune disposition de
la Loi sa conclusion quant à la déductibilité de
la valeur estimée des ventes. Le jugement ne
donne aucune définition précise du terme
«valeur des ventes», mais la remarque suivante,
à la page 438, offre quelques éclaircissements:
[TRADUCTION] Bien que les arguments sur lesquels l'appe-
lante fonde sa contestation soient irrecevables, le résultat
pratique est le même.
La «valeur des ventes» ne correspond pas au
«bénéfice», bien qu'elle représente le même
montant, mais correspond à «l'élément béné-
fice» que la demanderesse cherche à déduire, en
l'espèce, non pas de ses bénéfices après le
calcul de leur montant, mais plutôt de ses gains,
avant ledit calcul. Le droit applicable pour
déterminer si la déduction devrait être autorisée
est le même que pour déterminer si la déduction
de $220,000 devrait l'être. Il sera donc plus
commode de rappeler ici les faits pertinents à
cette déduction.
La distribution sur le marché de gros et le
marché direct au Canada se faisaient selon l'ac-
4 Voici les références des affaires mentionnées dans cette
citation: (1) [1871] L.R. 7 Ex. D. 7 à la page 14; (2) (1910)
23 O.L.R. 102; (3) [1921] 1 A.C. 774 aux pages 782 et 783.
5 C'est moi qui souligne.
cord conclu avec Curtis Canada. Nous en avons
déjà cité les dispositions pertinentes. La distri
bution sur le marché de gros américain relevait
exclusivement de la Curtis Circulation Company
(ci-après appelée «Curtis USA») en vertu d'un
accord écrit en date du 19 décembre 1968, dans
lequel la demanderesse était désignée sous le
nom de «Harlequin» et la Curtis USA sous le
nom de «Curtis». Cet accord stipulait que:
[TRADUCTION] (3) Harlequin convient de vendre et Curtis
convient d'acheter les livres pour les revendre en conformité
de cet accord . . . . Curtis devra acquitter le prix d'achat
soixante jours après l'expédition des marchandises par Har
lequin qui établira une facture mensuelle au nom de Curtis.
Les livres seront expédiés et livrés par Harlequin ou ses
mandataires aux grossistes ou à tout autre point de vente
désigné par Curtis . . . . Lors de la livraison des livres
achetés aux endroits désignés par Curtis, ce dernier en
deviendra propriétaire.
(4) Curtis vendra lesdits livres à ses clients sous réserve du
droit absolu de ces derniers de les renvoyer, selon les
modalités décrites ci-après. Curtis pourra, en tout temps et
sans restriction, renvoyer les livres à Harlequin qui les
portera totalement à son crédit. Curtis établira la comptabi-
lité des crédits alloués aux clients pour le renvoi des livres
invendus en délivrant des autorisations de renvoi . . . .
Curtis portera au crédit des clients le montant des renvois,
dès réception des autorisations provenant des clients, et
Harlequin portera à son crédit les sommes créditées des
clients . . . .
(6) Harlequin expédiera les livres à Curtis ou aux clients et
dans les soixante jours dudit envoi, Curtis lui remboursera
les frais y afférents. Ce paiement sera ajusté de manière à
inclure les crédits au titre des renvois effectués (accordés en
conformité du paragraphe (4) ci-dessus), mais non encore
crédités.
En pratique, tout comme aux termes de l'accord
conclu avec Curtis Canada, c'était l'imprimeur
qui expédiait les livres; leurs couvertures étaient
arrachées et les livres détruits au lieu d'être
renvoyés. Les modalités de paiement stipulées
dans les accords furent en général observées
jusqu'au moment où cet accord allait prendre
fin, soit en septembre 1970.
La distribution sur le marché direct aux États-
Unis se faisait selon un processus tout à fait
différent. Elle était régie par un accord écrit
daté du 31 décembre 1968 conclu entre la
demanderesse, désignée sous le nom de «Harle-
quin» , et Simon & Schuster, Inc., désigné
comme l'«éditeur». Aux termes de cet accord,
Harlequin fournissait à l'éditeur les plaques et
négatifs permettant à ce dernier d'imprimer aux
États-Unis les ouvrages qu'Harlequin devait dis-
tribuer au Canada. L'éditeur s'engageait à faire
imprimer un nombre minimum d'exemplaires de
chacun de ces ouvrages dans des délais précis à
compter de la livraison des plaques et négatifs
et à payer à Harlequin des redevances sur les
ventes nettes. Les «ventes nettes» étaient défi-
nies comme correspondant aux [TRADUCTION]
«exemplaires expédiés par l'éditeur à des fins de
vente au détail par les succursales de grands
magasins, moins les renvois» et il était prévu
que [TRADUCTION] «l'éditeur aurait un pouvoir
discrétionnaire en ce qui concerne l'acceptation
de renvois».
Les dispositions pertinentes à l'égard du
décompte et du paiement des redevances étaient
les suivantes:
[TRADUCTION] 10. a) Le dernier jour de chaque mois,
l'éditeur soumettra par écrit à Harlequin un décompte du
montant global des ventes et des renvois des ouvrages
pendant le mois civil précédent et, en vertu du présent
contrat, versera à Harlequin un certain montant au titre de
redevances calculées au taux de 75% des ventes nettes
effectuées lors du mois en cause... .
b) Le 30 mai, l'éditeur soumettra à Harlequin un
décompte des redevances, pour la période allant du le'
octobre au 31 mars et le 30 novembre, pour la période allant
du 1. , avril au 30 septembre . . . . Dans les dix jours
suivants, l'éditeur versera à Harlequin les redevances appli-
cables à la période en question ... moins les montants
versés à cet égard en vertu de l'alinéa a) de ce paragraphe et
moins une réserve de 25% des ventes nettes pendant les
deux derniers mois de la période en question; mais il paiera
alors la réserve ainsi retenue pour la période précédente. Si
le décompte indique un surplus de redevances, Harlequin
remboursera la différence à l'éditeur dans les plus brefs
délais après la réception dudit compte . . . .
L'expérience montre des variations dans le
renvoi de livres distribués par l'intermédiaire
des quatre chaînes. Au 31 décembre 1969, le
bilan de la demanderesse indiquait un passif
exigible de $232,889 pour le renvoi de livres en
circulation dans le système de distribution. Des
omissions lors du calcul effectué à cette époque
expliquent pourquoi ce montant est supérieur au
montant réclamé maintenant.
Voici comment fut effectué ce calcul:
Ventes au Canada
Grossistes
Vente des neuf derniers mois se
chiffrant à $724,398,à 10.5% = $ 76,000*
Ventes directes
Ventes des derniers trois mois se
chiffrant à $60,000, à 15% _ $ 9,000
Ventes aux États-Unis
Vente des derniers six mois se
chiffrant à $554,000, à 20% = $110,800
Conversion en dollars canadiens a u
taux de 1.073 = $ 8,000*
$203,800
Remboursement des redevances à Simon & Schuster
Renvois prévus de 528,894 livres aux
prix de $.055 = $ 29,089
Réserve totale $232,889
environ.
L'inexactitude du chiffre de $232,889 résulte du
fait que l'on n'a pas converti le remboursement
à Simon & Schuster de dollars américains en
dollars canadiens et du fait que l'on n'a pas tenu
compte de la réduction ipso facto des sommes
payables pour la demanderesse à titre de rede-
vances à une tierce partie, dès que Simon &
Schuster a droit à un remboursement. Je ne suis
pas convaincu de l'exactitude du chiffre modifié
donné lors du procès et je ne vois cependant pas
l'utilité d'un nouveau calcul. Pour plus de com-
modité, nous supposerons que le chiffre avoi-
sine la somme de $220,000. Si cette déduction
était accordée à la demanderesse, il faudrait
alors ajouter à son revenu la réserve similaire
établie à la fin de l'année précédente et repor-
tée. Le résultat net serait donc une réduction
d'environ $35,000 de la réserve puisque la
réserve établie, mais non réclamée aux fins fis-
cales, était plus importante au 31 décembre
1968. De même, il me semble inutile de détermi-
ner avec plus d'exactitude le montant de la
réduction et il est bien évident que, vu la
preuve, je ne serais pas en mesure de le faire.
Selon la déposition de Ronald Walker Scott, à
titre d'expert, la réserve aux fins des renvois,
compte tenu de la situation commerciale de la
demanderesse, est conforme aux principes
comptables généralement acceptés; elle est en
fait, juste et raisonnable. Scott es-t un comptable
agréé, associé dans un cabinet d'experts comp-
tables, Clarkson, Gordon & Co. et travaille plus
particulièrement pour le service du National
Accounting Standards. Il s'agit d'un service
interne de la firme, chargé entre autres de la
recherche sur l'évolution des principes et
normes comptables. Clarkson, Gordon & Co.
sont les vérificateurs de la demanderesse. J'ac-
cepte le témoignage de Scott selon lequel,
compte tenu de sa gestion, la pratique suivie par
la demanderesse, consistant à établir une
réserve pour le renvoi des livres, était conforme
aux principes comptables généralement accep
tés. Vu la preuve relative à l'expérience de la
demanderesse à l'égard des renvois, avant, pen
dant et depuis 1969, cette réserve semble avoir
été calculée de manière raisonnable du moins en
ce qui concerne les renvois effectués en vertu
des accords conclus avec Curtis.
Même si l'on peut aisément établir une dis
tinction quant aux faits entre l'affaire présente
et les décisions traitant de dépôts et de notes de
crédit, le droit applicable est identique et ne
saurait être différencié. Les décisions de la
Cour suprême du Canada, dans les affaires
M.R.N. c. Atlantic Engine Rebuilders Ltd. 6 et
Time Motors Ltd. c. M.R.N. 7 consacrent la pro
position selon laquelle les principes comptables
généralement acceptés sont tout à fait pertinents
pour déterminer dans quelles circonstances il
convient d'appliquer les dispositions de la Loi
de l'impôt sur le revenu.
La première question à trancher consiste à
déterminer si, en vertu des principes comptables
généralement acceptés, il fallait effectuer la
déduction réclamée pour déterminer les bénéfi-
ces réels de la demanderesse pour l'exercice
financier se terminant le 31 décembre 1969.
Dans la négative, il n'est pas nécessaire d'aller
plus loin, mais, dans l'affirmative, il reste à
déterminer si une disposition quelconque de la
Loi interdit de le faire. Le temoignage de l'expert
ne traitait pas de la déduction de l'ensemble de
l'élément bénéfice imputable aux livres aux
mains des grossistes canadiens au 31 décembre
1969. Ce témoignage traitait seulement de la
réserve (sous le poste exigibilités) pour les rem-
boursements raisonnablement prévisibles à
6 [1967] R.C.S. 477.
7 [1969] R.C.S. 501.
l'égard des renvois de livres se trouvant dans le
système de distribution à la fin de l'exercice
financier de la demanderesse.
Personne n'a suggéré qu'on pouvait raisonna-
blement prévoir le renvoi de tous les livres se
trouvant à n'importe quel échelon du système et
notamment, en l'espèce, les livres en circulation
dans la chaîne du marché de gros canadien,
encore aux mains des grossistes. Le choix de
cette base de calcul pour la déduction visait
peut-être à la faire correspondre aussi étroite-
ment que possible au jugement du juge Kellock
dans l'affaire Sinnott News. En toute déférence,
je ne peux accepter ce jugement de la Cour,
compte tenu des conclusions de fait très diffé-
rentes de la majorité, et je dois donc examiner
les agissements de la demanderesse à la lumière
des principes comptables généralement accep
tés. Il est particulièrement significatif que, dans
l'affaire Sinnott News, la déduction réclamée ne
représentait qu'une partie des bénéfices raison-
nablement imputables, en fonction de l'expé-
rience à cet égard, aux publications qui seraient
probablement renvoyées et qui donneraient
droit au crédit. Dans l'affaire présente, la
demanderesse demande la déduction de l'en-
semble de l'élément bénéfice imputable à toutes
les publications se trouvant à un échelon quel-
conque de l'une de ces chaînes de distribution.
J'admets que le renvoi de plusieurs de ces
livres est certain et que l'application de princi-
pes comptables généralement acceptés exigent
l'établissement d'une réserve à ce titre. La
réserve, étayée par le témoignage de l'expert,
était calculée sur la base d'un pourcentage de
renvois de 10.5 pour cent des ouvrages livrés
aux grossistes canadiens, sur une période de
neuf mois. Il me semble qu'on ne peut raisonna-
blement justifier l'élimination de l'ensemble de
l'élément bénéfice, y compris les bénéfices
imputables à environ neuf livres sur dix dont on
ne prévoyait pas le renvoi. La preuve dans cette
affaire n'étaye pas la thèse selon laquelle les
principes comptables généralement acceptés
exigent que l'ensemble de l'élément bénéfice
pour tous les livres se trouvant aux mains des
grossistes canadiens à un moment donné, soit
déduit du revenu afin de présenter de manière
fidèle, ou du moins plus fidèle, la situation
financière de l'entreprise à ce moment.
En ce qui concerne les livres en circulation en
vertu de l'accord Simon & Schuster, au 31
décembre 1969, je ne suis aucunement con-
vaincu, vu la preuve que la demanderesse avait
effectivement reçu le versement des redevances
qu'elle pouvait être tenue de rembourser. Cet
accord semble avoir pour but de protéger Simon
& Schuster en cas de versements excédentaires
à la demanderesse. La preuve montre que les
conditions de l'accord relatives à la comptabilité
et aux versements ont été respectées. En consé-
quence, au 31 décembre, la demanderesse n'au-
rait pas reçu, ni n'aurait été en droit de recevoir
25 pour cent de la redevance sur les ventes
nettes des mois d'août et septembre, savoir les
deux derniers mois de la dernière période comp-
table, ni pour octobre, novembre et décembre,
ces mois-là étant inclus dans la période compta-
ble courante.
1969 était la première année d'application de
l'accord Simon & Schuster. Auparavant, la
demanderesse était son propre distributeur dans
certaines parties des États-Unis et Simon &
Schuster, s'occupant de livres imprimés au
Canada, couvrait, comme grossiste, les autres
régions. La disposition relative au rembourse-
ment de redevances reposait sur cette expé-
rience, mais ne semble pas avoir pris en consi-
dération la retenue de garantie. La retenue de
25 pour cent des redevances sur les ventes
nettes des cinq derniers mois est de loin supé-
rieure aux 16 pour cent et 14 pour cent, respec-
tivement, des redevances sur les ventes nettes
des cinq mois précédents, fixée par la demande-
resse sur la base de son expérience réelle, en
vertu de la nouvelle entente à la fin de 1970 et
en 1971. Je conclus donc que cette disposition
en 1969 n'était pas conforme aux exigences des
principes comptables généralement acceptés.
Le solde de la réserve aux fins des renvois,
soit au total environ $203,800, était conforme,
si j'en crois la preuve, aux exigences des princi-
pes comptables généralement acceptés. Il con-
vient d'appliquer ces principes au calcul des
bénéfices de la demanderesse à moins que la
Loi ne contienne une interdiction explicite à cet
égard.
Les dispositions pertinentes de la Loi sont les
suivantes:
4. Sous réserve des autres dispositions de la présente
Partie, le revenu provenant, pour une année d'imposition,
d'une entreprise ou de biens est le bénéfice en découlant
pour l'année.
12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune
déduction à l'égard
e) d'un montant transféré ou crédité à une réserve, à un
compte de prévoyance ou à une caisse d'amortissement,
sauf autorisation expresse de la présente Partie,
Dans l'arrêt Dominion Telegraph Securities Lim
ited c. Le ministre du Revenu national', la Cour
suprême du Canada décida que l'article 12(1)e)
prévoit trois comptes distincts: (1) une réserve,
(2) un compte de prévoyance et (3) une caisse
d'amortissement. Afin de correspondre à un des
comptes prévus à cet article, il faut que tout
montant affecté à ce compte à partir d'un autre
compte entraîne une réduction du revenu. Cette
affaire n'implique aucune caisse d'amortisse-
ment au sens que j'attribue à ce terme.
Le qualificatif «de prévoyance» (en anglais
contingent) signifie «qui peut se produire ou
non, éventuel ou fortuit» 9 . L'expression
«compte de prévoyance» prise littéralement
semble absurde. Un compte, une fois établi,
n'est plus contingent; il est là et n'est pas incer-
tain, si l'on peut s'exprimer ainsi. Il existe. Cette
expression doit être prise dans l'acception de
«compte établi en prévoyance». En d'autres
termes, il faut considérer que la contingence en
question ne s'applique pas au compte lui-même,
mais plutôt à la chose pour laquelle il a été
établi: en l'espèce l'obligation de payer ou de
créditer des remboursements ou remises. Je n'ai
pas trouvé d'arrêts canadiens définissant l'ex-
pression «obligation contingente»; la Chambre
des lords a cependant examiné cette expression
dans l'affaire Winter c. I.R.C. 10 , dans le con-
texte de la Finance Act, 1940."
Les faits dans cette affaire étaient compliqués
par l'intervention d'une compagnie contrôlée
par le défunt. En conséquence, aux fins des
droits de succession les lords juristes scrutèrent
[1947] R.C.S. 45.
9 Voir The Oxford English Dictionary.
1° [1963] A.C. 235.
" 3 & 4 George VI, c. 29.
l'organisation de la compagnie pour parvenir à
la valeur réelle des actions, en déterminant la
valeur réelle de la compagnie. Certains biens de
la compagnie, dont on avait demandé l'amortis-
sement, avaient, au moment du décès du de
cujus, une juste valeur marchande bien supé-
rieure à la valeur inscrite aux registres de la
compagnie. S'ils avaient été vendus plus chers
que la valeur inscrite, la récupération de l'amor-
tissement aurait nécessairement entraîné un
changement défavorable dans la situation fiscale
de la compagnie. La législation en matière de
droit de succession exigeait expressément que
l'on tienne compte des «obligations éventuelles»
pour déterminer la valeur imposable de la suc
cession. Les exécuteurs soutinrent avec succès
que l'impôt pouvant théoriquement être imposé
sur la récupération de la dépréciation était une
obligation éventuelle au moment du décès.
Leurs Seigneuries déclarent que l'expression
«obligation conditionnelle», bien définie en droit
écossais, a le même sens que l'expression «obli-
gation éventuelle». Plusieurs lords discutèrent la
définition de ces expressions dans leurs déclara-
tions; lors Reid s'y pencha longuement. Aux
pages 248 et suivant, il déclara ceci:
[TRADUCTION] Il semblerait que l'expression «obligation
éventuelle» n'ait pas de sens défini en droit anglais ... mais
les Finance Acts sont des lois du Royaume-Uni et il existe
au moins une forte présomption de signification équivalente
en Écosse et en Angleterre. Une affaire exactement sembla-
ble à l'affaire présente aurait pu nous venir d'Écosse et vos
Seigneuries auraient alors examiné le sens de cette expres
sion en droit écossais. Je demande à leurs Seigneuries de
m'excuser si je leur rappelle son sens en ce cas. La défini-
tion sans doute la plus claire du droit écossais se trouve
dans Erskine's Institute, 3e éd., vol. 2, livre III, titre 1,
article 6, page 586, où il déclare: «les obligations peuvent
être absolues, naître à une certaine date ou être condition-
nelles . . . . Une obligation conditionnelle ou une obligation
acceptée sous condition, dont l'existence est incertaine, n'a
pas force obligatoire tant que la condition n'est pas réalisée;
puisque la partie déclare n'avoir l'intention d'être liée par
cette obligation qu'au cas où cet événement surviendrait,
elle n'est redevable de rien tant que cette condition n'existe
pas effectivement; ainsi la condition, c'est-à-dire, l'événe-
ment incertain, suspend non seulement l'exécution de l'obli-
gation, mais l'obligation elle-même . . . . On dit d'une telle
obligation, en droit romain, qu'elle crée seulement une espé-
rance de dette. Le débiteur est cependant lié dans la mesure
ou il n'a pas le droit de révoquer ou de retirer au créancier
cette espérance après la lui avoir donnée».
Autant que je sache, cette déclaration n'a jamais été mise
en question depuis qu'elle a été écrite il y a deux siècles, et
la jurisprudence postérieure à cette déclaration démontre
clairement qu'obligation conditionnelle et obligation éven-
tuelle ont le même sens. Il est donc impossible de décider
qu'en droit écossais, une obligation éventuelle constitue
simplement un genre particulier d'obligation existante. Il
s'agit d'une obligation qui, en raison d'un acte du débiteur,
naîtra nécessairement si un ou plusieurs événements se
produisent ou ne se produisent pas. Si le droit anglais est
différent—et je n'exprimerais aucune opinion à cet égard—
la différence tient probablement plus à la terminologie qu'au
fond même.
Puis, après avoir traité d'autres catégories
d'obligations dont les Inland Revenue Commis
sioners devaient tenir compte en vertu de la Loi,
il déclara:
[TRADucTION] La troisième catégorie correspond aux «obli-
gations éventuelles», c'est-à-dire certaines sommes, dont le
paiement dépend d'un événement incertain, savoir, des
sommes qui ne deviendront exigibles que si certaines choses
arrivent et ne le seront jamais dans le cas contraire. On ne
peut donc les déterminer avec certitude et les commissaires
doivent faire une estimation qui leur semble raisonnable.
La dernière catégorie me semble couvrir exactement
l'obligation conditionnelle dont traitait Erskine dans l'extrait
cité. Je souscris à la théorie des intimés lorsqu'ils affirment
que cette catégorie ne peut inclure que des obligations qui,
en droit, dépendent de la réalisation d'une ou plusieurs
choses, et qu'elle ne peut s'appliquer à toutes les choses
contre lesquelles un homme d'affaires prudent estimerait
approprié de se prémunir.
Je ne vois aucune raison de ne pas accepter le
même sens en droit canadien.
Bien qu'il fût certain que la demanderesse
serait tenue, en temps voulu, de rembourser
certaines sommes sur les redevances ou sur les
renvois de livres, l'obligation de la demande-
resse à cet égard, aux termes des ententes qui
en pratique furent respectées, ne prenait pas
naissance tant que cette dernière ne recevait pas
une demande de paiement. L'obligation de la
demanderesse à l'égard des distributeurs, en ce
qui concerne le remboursement au titre des ren-
vois était donc une obligation éventuelle. Il en
était de même pour son obligation de rembour-
ser les redevances à Simon & Schuster. Tout
compte établi afin de pourvoir à ces obligations
éventuelles que ce soit sous forme d'une réserve
constituée pour les renvois et les redevances
dans son bilan ou d'une déduction des gains lors
du calcul du revenu imposable constituait un
compte de prévoyance au sens de l'article
12(1)e). Même si les principes comptables géné-
ralement acceptés exigent qu'un tel compte soit'
établi, on ne peut autoriser aucune déduction à
l'égard de ce compte dans le calcul du revenu
imposable de la demanderesse.
Il convient d'établir une distinction entre l'af-
faire présente et l'arrêt Sun Insurance Office c.
Clark 12 où il fut expressément déclaré qu'au-
cune interdiction légale ne s'appliquait aux
déductions effectuées" et que le seul problème
en l'espèce était l'estimation de la déduction. Il
faut aussi établir une distinction avec les arrêts
Atlantic Engine Rebuilders et Time Motors.
Dans l'un et l'autre cas, l'incertitude ne portait
pas sur l'existence future de l'obligation (cette
obligation naissait lors de l'acceptation du dépôt
ou lors de l'émission du billet à ordre, selon le
cas), mais portait plutôt sur la question de
savoir si les créanciers feraient le nécessaire
pour assurer l'exécution de l'obligation
existante.
En l'espèce, si la théorie de la demanderesse
est irrecevable, ce n'est pas parce qu'il fallait
nécessairement établir une estimation ni parce
qu'elle aurait pu être ou ne pas être appelée à
s'acquitter de l'obligation. Cette conclusion
résulte du fait que l'obligation, à la date perti-
nente, était une obligation éventuelle et que le
compte établi pour y pourvoir, quelles qu'en
soient les modalités, était un compte de
prévoyance.
Les deux ententes Curtis furent résiliées en
septembre 1970. Lorsqu'elles furent informées
de l'intention de la demanderesse d'y mettre fin,
en 1970, les deux compagnies Curtis suspendi-
rent leurs paiements comme les ententes le sti-
pulent, jusqu'à ce que tous les renvois aient été
enregistrés et les crédits déterminés. Les com-
pagnies Curtis payèrent alors à la demanderesse
les soldes dus. Cette preuve fut soumise à l'ap-
pui de la prétention de la demanderesse selon
laquelle au moins une partie de la réserve éta-
blie pour les renvois et les redevances était à
juste titre, déductible à titre de réserve autorisée
par l'article 11(1)e)(i) de la Loi.
11. (1) ... les montants suivants peuvent être déduits
dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année
d'imposition:
e) un montant raisonnable à titre de réserve pour
12 [1912] A.C. 443.
13 Le vicomte Haldane à la page 454.
(i) les créances douteuses qui ont été incluses dans le
calcul du revenu du contribuable pour cette année ou
une année antérieure,
La demanderesse n'a eu aucune difficulté à
recouvrer les sommes dues par les deux compa-
gnies Curtis avant de leur avoir communiqué
son intention d'annuler les ententes, ce qui
arriva l'année suivante. La demanderesse
n'avait pas établi de réserve à cet égard dans les
états financiers de cette année-là.
Un contribuable avec qui la présente deman-
deresse pourrait avoir certains rapports avait
demandé cette déduction lors d'un appel inter-
jeté auprès de la Commission d'appel de l'impôt
à l'égard de ses cotisations à l'impôt sur le
revenu de 1949. Dans cette affaire," le savant
membre de la Commission, R.S.W. Fordham,
c.r., affirmait, à l'égard de l'expression «créan-
ces douteuses» que:
[TRADUCTION] Ces deux mots impliquent qu'il existe une
dette financière certaine que, pour une raison explicable, le
débiteur n'acquittera probablement pas—mais il faut remar-
quer que nous n'utilisons pas les termes «certainement pas».
Je souscris à cette interprétation. Pour qu'une
créance soit douteuse au sens envisagé à l'arti-
cle 11(1)e)(i), il faut qu'il y ait un doute quant à'
son recouvrement, fondé sur des considérations
réelles, et non sur une simple spéculation, ame-
nant à conclure que ledit recouvrement est peu
probable. Une créance douteuse diffère d'une
créance dont le recouvrement tarde. Rien dans
la preuve n'étaye la proposition selon laquelle la
dette payable par les deux compagnies Curtis
était douteuse au 31 décembre 1969.
Enfin la défenderesse s'opposa, sur la base
des plaidoiries, à ce que la Cour traite des
déductions, excepté la déduction de $128,040
réclamée par la demanderesse dans sa déclara-
tion de revenu et la réserve pour créances dou-
teuses. On fit remarquer que la déclaration du
revenu ne réclamait aucune déduction au titre
de la réserve pour les renvois et les redevances
et que l'exposé de la demanderesse n'en faisait
pas mention.
La déclaration soumise à la Cour n'est aucu-
nement cristalline dans sa définition des ques
tions en litige. Cependant, on ne peut remédier à
cette insuffisance après le début de l'instruction.
14 Harlequin Books Limited c. M.R.N. 54 DTC 453.
Vu l'interprétation que de multiples indications
permettent raisonnablement de donner, elle
semble porter sur la déductibilité de la réserve
pour renvois et redevances à un autre titre que
réserve pour créances douteuses.
Dans ces circonstances, la défense n'a évi-
demment pas soulevé la question de savoir si la
déduction pouvait être réclamée lors de cette
action puisqu'elle n'avait pas été réclamée dans
la déclaration de revenu et qu'elle n'était donc
pas visée par la cotisation dont il est interjeté
appel par les présentes. Cependant la défense
n'a pas soulevé ladite objection à l'égard de la
réserve pour créances douteuses réclamée pour
la première fois dans la déclaration. La réserve
pour les renvois et redevances, à la différence
de la réserve pour créances douteuses, apparais-
sait au moins dans les états financiers accompa-
gnant la déclaration de revenu. Toutefois elle
est éliminée une fois qu'on établit le revenu
imposable par rapport aux gains inscrits aux
états financiers.
Il n'est donc pas nécessaire de se prononcer
sur cette objection. Il me semble toutefois que,
puisqu'il s'agit d'un appel d'une cotisation, on
peut discuter la question de savoir si la Cour a
le droit d'examiner en appel une déduction qui
n'a même pas fait l'objet de la cotisation. Je me
dois cependant de ne pas exprimer d'opinion sur
une telle question sans avoir entendu de plaidoi-
ries exhaustives sur ce point; or aucune n'a été
présentée à cet égard dans la présente affaire.
L'appel est rejeté avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.