T-3594-74
Les commissaires du havre de Toronto
(Demandeurs)
c.
Le navire Toryoung II et ses propriétaires
(Défendeurs)
Division de première instance, le juge suppléant
Sweet—Toronto, les 24, 25 et 26 juin, le 7 juillet
et le 15 août 1975.
Droit maritime—Sauvetage—Les parties déposent des
minutes de règlement—Demande visant à faire mettre le règle-
ment à exécution au moyen d'un jugement—Existe-t-il un
privilège maritime parce que les parties en ont convenu?
Avant la fin de l'exposé des faits par les demandeurs, les
parties ont déposé des minutes de règlement, après un refus des
défendeurs de reconnaître l'existence d'un privilège maritime.
Les parties demandent à la Cour de statuer qu'il existe en
faveur des demandeurs un privilège maritime parce que les
parties seules ont convenu que les demandeurs jouiraient dudit
privilège, sans égard aux droits des tiers qui pourraient n'être
que des créanciers ordinaires.
Arrêt: on ne doit pas signer un jugement fondé sur les
minutes de règlement. On ne peut créer un privilège maritime à
l'encontre de tiers non consentants seulement en vertu d'une
entente passée entre le présumé sauveteur et le propriétaire du
navire que l'on veut grever du privilège. L'existence d'un privi-
lège maritime ne dépend pas seulement du fait qu'une aide ait
été apportée mais également de la nature de l'aide et des
événements l'ayant motivée. Il existe des cas où on a conclu des
ententes valables à propos d'un montant juste et raisonnable de
sauvetage. Cependant, lorsqu'il existe des ententes quant au
montant de la prime de sauvetage, pour que ces dernières lient
les tiers, il faut se trouver en présence d'une aide qui, par sa
nature et celle des événements l'ayant motivée, puisse entrer
dans la catégorie du sauvetage.
Arrêts analysés: The Elin (1882) 8 P.D. 39; The Inna
(1938) 19 Asp. M.L.C. 203.
DEMANDE.
AVOCATS:
A. J. Stone, c.r., pour les demandeurs.
D. L. D. Beard, c.r., pour les défendeurs.
PROCUREURS:
MacKinnon, McTaggart, Toronto, pour les
demandeurs.
Du Vernet, Carruthers, Toronto, pour les
défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SWEET: Avant la fin de
l'exposé des faits par les demandeurs, les parties
ont déposé des [TRADUCTION] «Minutes de règle-
ment», rédigées dans les termes suivants:
No: T-3594-74
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
DIVISION DE PREMIÈRE INSTANCE
ENTRE
LES COMMISSAIRES DU HAVRE DE TORONTO
DEMANDEURS
ET
LE NAVIRE «TORYOUNG II» ET SES PROPRIÉTAIRES
DÉFENDEURS
MINUTES DE RÈGLEMENT
Les parties en cause, par l'intermédiaire de leurs avocats
respectifs, consentent par les présentes au règlement de la
présente action selon les conditions suivantes:
1. Les demandeurs obtiendront gain de cause contre les défen-
deurs pour une somme de $11,500 avec intérêt au taux annuel
de 6% à compter du 17 septembre 1974 jusqu'au jour du
paiement, plus les dépens de la présente action, dont le montant
convenu par les présentes est de $1,400.
2. IL EST DE PLUS CONVENU que lesdites sommes susmention-
nées sont considérées comme étant des primes de sauvetage et
constituent un privilège maritime contre le navire «TORYOUNG
II» à compter du 17 septembre 1974.
3. IL EST DE PLUS CONVENU que les demandeurs n'intenteront
pas de procédures visant l'évaluation et la vente dudit navire
avant le 15 août 1975 afin de permettre aux défendeurs de
payer lesdites sommes et, dans l'éventualité où ces dernières ne
seraient pas payées à cette date, les demandeurs pourront alors
procéder 4 l'évaluation et à la vente du navire «TORYOUNG II»
conformément aux Règles de la Cour.
4. IL EST DE PLUS CONVENU que, dès le paiement des sommes
fixées au présent jugement, les demandeurs renonceront à leur"
réclamation s'élevant à $6,807.08 titre d'ouvrages et d'amé-
liorations au bassin et ils s'engagent à accorder aux défendeurs
une décharge complète de toutes réclamations, de quelque
nature que ce soit, relativement à toutes dettes pouvant exister
jusqu'à aujourd'hui afférentes au navire «TORYouNG II».
FAIT à Toronto (Ontario), ce 26 juin 1975.
«A. J. Stone»
Avocat agissant pour les
demandeurs
«David Beard»
Avocat agissant pour les
défendeurs
L'avocat a cherché à faire mettre ledit «règle-
ment» à exécution au moyen d'un jugement de
cette cour.
Le «règlement» a suivi un refus de la part des
défendeurs de reconnaître l'existence d'un privilège
maritime.
Selon moi, il serait hors de la compétence de la
Cour de mettre à exécution un «règlement» si ses
clauses dépassent la capacité juridique des parties.
Il me semble que ce que les parties cherchent à
obtenir en vertu du présent règlement pourrait
porter atteinte aux droits d'autres personnes qui ne
sont pas parties à ce règlement. Par conséquent,
selon moi, le redressement que les parties cher-
chent à obtenir dépasse leur capacité juridique.
La principale difficulté que présentent lesdites
«minutes de règlement» découle du paragraphe
numéro 2.
Il ne fait aucun doute que ce paragraphe témoi-
gne de l'intention des parties de considérer la
somme de $11,500 mentionnée au premier para-
graphe des minutes comme étant une prime de
sauvetage. On y reconnaît également que les
demandeurs ont un privilège maritime contre le
navire Toryoung II pour ld paiement de cette
prime ainsi que des intérêts et dépens mentionnés
au paragraphe 1 et que le privilège maritime- en
question existe depuis le 17 septembre 1974.
J'ai suggéré d'ajouter au deuxième paragraphe
des minutes de règlement les mots suivants: «mais
seulement entre les parties à la présente action».
Le second paragraphe, avec son rajout, se lirait
donc comme suit:
2. Il est de plus convenu que lesdites sommes susmentionnées
sont considérées comme étant des primes de sauvetage et
constituent un privilège maritime contre le navire Toryoung II
à compter du 17 septembre 1974, mais seulement entre les
parties à la présente action.
Selon la copie des débats, Me Stone, l'avocat
représentant les demandeurs, a dit au sujet de ma
suggestion:
[rxnnucrtoN] Je crois que cela créerait un problème aux
demandeurs parce qu'il existe d'autres demandeurs en puis-
sance et nous ne voudrions pas obtenir un jugement qui ne
serait exécutoire entre les parties que relativement au privilège
maritime.
Il semble donc que les «minutes de règlement»
qu'on veut rendre exécutoires par un jugement de
cette cour, visent à créer lune conjoncture qui
pourrait porter atteinte aux droits des tiers.
Selon moi, à ce stade-ci du procès, les parties
demandent à la Cour de statuer qu'il existe en
faveur des demandeurs un privilège maritime, avec
tous les avantages et droits particuliers y attachés,
en arguant que les parties en cause, et elles seules,
ont convenu que les demandeurs jouiraient dudit
privilège et ce, sans égard aux sûretés auxquelles
d'autres parties pourraient avoir droit et sans
égard aux droits des tiers qui pourraient n'être que
des créanciers ordinaires.
A mon avis, on ne peut créer un privilège mari
time à l'encontre de tiers non consentants seule-
ment en vertu d'une entente passée entre le pré-
sumé sauveteur et le propriétaire du navire que
l'on veut grever du privilège. Toute aide apportée à
un navire n'est pas nécessairement un sauvetage.
L'existence d'un privilège maritime ne dépend pas
seulement du fait qu'une aide ait été apportée, elle
dépend également de la nature de l'aide et des
événements l'ayant motivée.
Naturellement, le présumé sauveteur et le pro-
priétaire du navire peuvent s'engager mutuelle-
ment (à l'exclusion de tiers) au moyen d'une
entente selon laquelle le présumé sauveteur aura
tous les recours contre le navire comme s'il était de
fait un sauveteur. C'est évidemment différent du
cas où deux parties, pour une raison ou pour une
autre, parviennent à une entente accordant à l'une
d'entre elles un avantage ou un privilège au détri-
ment de tiers non consentants, lorsque les faits
peuvent ne pas justifier un tel avantage ou un tel
privilège.
Je considère qu'on ne m'a pas demandé de
rendre un jugement fondé sur la preuve, mais
plutôt sur l'entente des parties en cause. A mon
avis, on n'a pas demandé à la Cour de statuer sur
l'existence ou l'absence d'un privilège maritime
mais uniquement de décider qu'il en existe un
parce que les parties en l'espèce en ont convenu. Je
n'ai pas oublié les allusions de Me Beard à la
preuve sur ce sujet mais je ne trouve pas que ces
allusions constituent une demande sollicitant une
décision fondée sur la preuve relativement à un
privilège maritime.
Quoiqu'il en soit, si je comprends bien, on n'a
pas encore présenté toutes les preuves qu'on vou-
lait fournir; les demandeurs avaient l'intention de
présenter d'autres preuves et les défendeurs, qui
n'en ont encore fourni aucune, projetaient de le
faire.
Je sais qu'il existe des cas où on a conclu des
ententes valables à propos d'un montant juste et
raisonnable de sauvetage. A mon avis cependant,
même lorsqu'il existe des ententes quant au mon-
tant de la prime de sauvetage, pour que ces derniè-
res lient les tiers, il faut tout de même se trouver
en présence d'une aide qui, par sa nature et celle
des événements l'ayant motivée, puisse entrer dans
la catégorie du sauvetage.
On m'a renvoyé aux affaires suivantes: The Elin
(1882) 8 P.D. 39, et The Inna (1938) 19 Asp.
M.L.C. 203. Selon moi, le point en litige et l'objet
du jugement en l'espèce ne sont pas les mêmes que
ceux dans les affaires susmentionnées.
Pour les raisons que j'ai données, je ne crois pas
devoir signer un jugement fondé sur les «minutes
de règlement».
Il me vient à l'esprit que les paragraphes numé-
ros 3 et 4 ne pourraient être inclus dans le juge-
ment si je devais en signer un.
M° Stone a manifesté son intention de continuer
le procès si la Cour refusait de rendre un jugement
confirmant l'entente à propos du privilège mari
time. En conséquence, on pourra décider de la date
de sa reprise. De plus, si les parties veulent faire un
plaidoyer touchant la preuve du droit à un privi-
lège maritime en se fondant sur les témoignages
déjà entendus, elles peuvent présenter une
demande visant la fixation d'une date pour la
présentation de ce plaidoyer.
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