T-4089-74
Morris Jerome Smith (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Addy —
Toronto, le 2 septembre; Ottawa, le 16 septembre
1975.
Couronne—Arrestation du demandeur pour trafic de stupé-
fiants—Saisie d'argent à titre de preuve—Aucun rapport entre
l'argent et l'infraction—Demandeur n'en ayant pas sollicité la
restitution—Ministre refusant maintenant de remettre l'ar-
gent—Y a-t-il confiscation en faveur de la Couronne?—Loi
sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, c. N-1, art. 10(1)(c), (5), (7) et
( 8 ).
Le demandeur fut arrêté pour trafic de stupéfiants et un
montant de $13,110 trouvé en sa possession fut saisi. Aucune
preuve n'établit un rapport entre l'argent et l'infraction. Le
demandeur n'a jamais présenté une demande de restitution de
l'argent; il faut maintenant décider si l'argent a été confisqué
en vertu de l'article 10(7) de la Loi.
Arrêt: le montant en cause est adjugé au demandeur; l'article
10(7) ne prévoit pas la prescription de l'action en restitution.
Pour constituer une restriction à un droit d'action, l'article doit
l'énoncer expressément. Il est conféré au Ministre un simple
pouvoir de garde qui ne permet pas de trancher la question
relative au titre de proprieté. Toute loi en vertu de laquelle la
Couronne déclare la déchéance et l'extinction d'un droit absolu
de propriété, doit le prévoir expressément. En outre, l'article 10
prévoit seulement la confiscation d'argent saisi qui a été «utilisé
pour l'achat d' [ûn] stupéfiant». Le pouvoir discrétionnaire du
Ministre est sujet à tout droit de propriété des personnes
intéressées dans la «chose» saisie. Enfin, une disposition pré-
voyant qu'une somme quelconque d'argent saisie en vertu de la
Loi serait confisquée après un délai de deux mois serait, en fait,
ultra vires puisqu'elle empièterait sur la compétence des pro
vinces en matière de propriété et de droits civils.
Arrêts analysés: Regina c. Ladd (1963) 43 W.W.R. 237 et
Spencer c. La Reine (1974) 26 C.R.N.S. 231.
ACTION.
AVOCATS:
A. S. Price pour le demandeur.
G. R. Garton pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Price & Black, Toronto, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE ADDY: Le demandeur réclame, dans la
présente action, la restitution du montant de
$13,110 saisi par des préposés de la défenderesse et
il allègue que cette dernière retient ce montant
illégalement.
Les faits de l'espèce sont très simples et sont
énoncés dans un exposé conjoint des faits versé au
dossier.
Le demandeur avait été accusé de possession de
stupéfiant pour en faire le trafic, contrairement à
l'article 4(2) de la Loi sur les stupéfiants', et il
reconnut finalement sa culpabilité. Au moment de
l'arrestation du demandeur, on trouva $5,020 sur
lui et $8,090 son domicile. Ces montants furent
saisis par la GRC sous l'autorité d'un mandat de
main'-forte et furent utilisés à titre de preuve puis,
au procès du demandeur, à titre de pièces.
Bien qu'il n'en soit pas spécifiquement fait men
tion dans l'exposé conjoint des faits, les avocats des
deux parties admirent au cours de l'audience tenue
devant moi qu'au moment de la saisie, le deman-
deur était propriétaire des $13,110 susmentionnés.
Il n'a été, aucunement démontré ou décidé que ces
sommes d'argent avaient un rapport quelconque
avec l'infraction dont l'accusé s'est reconnu coupa-
ble ni qu'elles avaient été utilisées à cette fin. Voici
un extrait de l'article 10(1) de la Loi sur les
stupéfiants:
10. (1) Un agent de la paix peut, à toute époque,
a) sans mandat, entrer et perquisitionner dans tout endroit
autre qu'une maison d'habitation, et, sous l'autorité d'un
mandat de main-forte ou d'un mandat délivré aux termes du
présent article, entrer et perquisitionner dans toute maison
d'habitation où il croit, en se fondant sur des motifs raisonna-
bles, qu'il se trouve un stupéfiant au moyen ou à l'égard
duquel une infraction à la présente loi a été commise;
b) fouiller toute personne trouvée dans un semblable endroit;
et
c) saisir et enlever tout stupéfiant découvert dans un tel
endroit, toute chose qui s'y trouve et dans laquelle il soup-
çonne en se fondant sur des motifs raisonnables qu'un stupé-
fiant est contenu ou caché, ou toute autre chose au moyen ou
à l'égard de laquelle il croit en se fondant sur des motifs
raisonnables qu'une infraction à la présente loi a été corn
' S.R.C. 1970, c. N-1.
mise, ou qui peut constituer une preuve établissant qu'une
semblable infraction a été commise. [C'est moi qui souligne.]
L'article 10(5) de la loi susmentionnée se lit
comme suit:
(5) Lorsqu'un stupéfiant ou une autre chose a été saisi en
vertu du paragraphe (1), toute personne peut, dans un délai de
deux mois à compter de la date d'une telle saisie, moyennant
avis préalable donné à la Couronne de la manière prescrite par
les règlements, demander à un magistrat ayant juridiction dans
le territoire où la saisie a été faite de rendre une ordonnance de
restitution prévue au paragraphe (6). [C'est moi qui souligne.]
Les parties admettent qu'il faut interpréter le mot
«chose» à l'article 10(1)c) et l'expression «autre
chose» à l'article 10(5) comme pouvant inclure une
somme d'argent.
Le demandeur n'a jamais présenté une demande
de restitution des sommes d'argent saisies, en vertu
de l'article 10(5) susmentionné, et il s'agit de
déterminer s'il peut maintenant intenter une action
en restitution de ces sommes ou si l'article 10(7)
entraîne effectivement la confiscation des sommes
d'argent en faveur de la Couronne, le Ministre
ayant refusé de s'en dessaisir à la suite de la
demande de restitution présentée par le deman-
deur. L'article 10(7) se lit comme suit:
(7) Lorsqu'il n'a été fait aucune demande concernant la
remise de tout stupéfiant ou autre chose saisie conformément
au paragraphe (1) dans un délai de deux mois à compter de la
date de cette saisie, ou qu'une demande à cet égard a été faite
mais, qu'après audition de la demande, aucune ordonnance de
restitution n'a été rendue, la chose ainsi saisie doit être livrée au
Ministre qui peut en disposer de la façon qu'il juge opportune.
[C'est moi qui souligne.]
En l'espèce, la Cour d'appel fut tout d'abord
saisie, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale, d'une demande d'examen de la décision
du Ministre en vertu de laquelle il avait ordonné le
dépôt des sommes d'argent au compte du Receveur
général du Canada. Par un jugement rendu le 25
octobre 1974 [[1974] 2 C.F. 43], la Cour d'appel
fédérale rejeta cette demande aux motifs que la
directive du Ministre, prise en vertu de l'article
10(7) de la Loi sur les stupéfiants, ne constituait
pas une décision légalement soumise à un proces-
sus judiciaire ou quasi judiciaire et, par consé-
quent, n'était pas sujette à examen en vertu de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale; la Cour
décida en outre que le pouvoir conféré au Ministre
par ce paragraphe et par le paragraphe (8) dont je
ferai mention, constituait un simple pouvoir de
garde et non un pouvoir de trancher une question
relative au titre de propriété.
Il semble manifeste que l'article 10(7) ne prévoit
pas la prescription de l'action en restitution, car,
pour constituer une restriction à un droit d'action,
l'article doit l'énoncer expressément. A cet égard,
l'avocat de la défenderesse admit sans détour que
l'article 10(7) ne constituait pas une disposition
restrictive déclarant prescrit un droit d'action à
d'autres égards valide, mais il prétendit qu'il
eptraînait en fait la déchéance du droit de pro-
priété et de possession du demandeur, si aucune
action n'était intentée dans le délai de deux mois à
compter de la date de la saisie.
Ainsi que l'affirma la Cour d'appel lorsqu'elle
entendit l'affaire, le pouvoir conféré au Ministre
par l'article 10(7) (de même que par l'article
10(8)) constitue un simple pouvoir de garde et ne
permet pas de trancher une question relative à un
titre de propriété.
Si pour opposer une fin de non-recevoir à une
action, une loi doit le prévoir expressément, c'est a
fortiori le cas pour une loi en vertu de laquelle la
Couronne déclare l'extinction et la déchéance à
son profit d'un droit absolu de propriété. Voici les
extraits pertinents de l'article 10(g):
(8) Lorsqu'une personne a été déclarée coupable d'une
infraction à l'article ... 4 ... tout argent ainsi saisi qui a été
utilisé pour l'achat de ce stupéfiant ... sont confisqués au profit
de Sa Majesté et il doit en être disposé ainsi qu'en ordonne le
Ministre.
Il est manifeste que l'article 10(8), en plus de
prévoir qu'il peut être disposé de l'argent saisi ainsi
qu'en ordonne le Ministre, stipule expressément
que tout argent saisi ayant été utilisé pour l'achat
.d'un stupéfiant est confisqué au profit de Sa
Majesté. C'est le seul cas prévu pour la confisca
tion de sommes d'argent et il ressort clairement
des faits admis en l'espèce, que les sommes d'ar-
gent en cause n'ont pas été utilisées à cette fin. Mis
à part le principe suivant lequel une loi ayant pour
objet la déchéance d'un droit de propriété, doit
l'énoncer expressément, je dois conclure, compte
tenu des dispositions spécifiques du paragraphe (8)
relatives à la confiscation que le paragraphe (7) ne
prévoit aucunement la déchéance d'un droit de
propriété ou d'un droit de possession puisqu'il n'en
fait pas mention. Ainsi, le pouvoir discrétionnaire
du Ministre en vertu dudit paragraphe est sujet à
tout droit de propriété des personnes intéressées
dans la «chose» saisie.
Au cours des plaidoiries, les deux avocats ont
cité les arrêts de Regina c. Ladd 2 et Spencer c. La
Reine'.
Dans la première affaire, après avoir jugé deux
accusés et déclaré l'un d'eux non coupable, le juge
de la Cour de comté décida, lorsqu'une demande
lui fut adressée au nom de cet accusé à l'issue du
procès criminel et bien après l'expiration du délai
de deux mois, qu'il n'avait pas compétence pour
ordonner la restitution de l'argent puisqu'aucune
demande n'avait été faite à un magistrat confor-
mément à l'article 10(5) de la Loi sur les stupé-
fiants. A mon avis, la décision du savant juge était
tout à fait justifiée, mais l'affaire, bien sûr, ne
portait aucunement sur la question soumise en
l'espèce. De même, dans la seconde affaire, après
avoir interjeté appel de sa condamnation et de sa
sentence pour possession de haschisch aux fins de
trafic, l'accusé demanda à la Division criminelle de
la Cour d'appel la restitution de certaines sommes
d'argent qui avaient été saisies au moment de la
descente de police. La Cour d'appel décida qu'elle
n'avait pas compétence pour ordonner la restitu
tion des sommes d'argent puisqu'aucune demande
n'avait été faite à un magistrat dans le délai de
deux mois à compter de la date de la saisie. Dans
cette affaire, la Cour d'appel siégeait bien sûr à
titre de tribunal de juridiction criminelle et ne
pouvait trancher une question relative à la pro-
priété; elle ne pouvait avoir le droit d'ordonner la
restitution de l'argent que si cette question relevait
de la compétence du tribunal inférieur.
Il convient toutefois de citer le juge en chef
MacKeigan de la Nouvelle-Écosse qui, en pronon-
çant oralement la décision de la Cour, déclara à la
page 233:
[TRADUCTION] Selon la preuve soumise au procès, le consta
ble Arsenault avait versé $300 des $1,930 pour l'achat de
haschisch à un certain Philip Wills qui les remit alors à Spencer
peu de temps avant la perquisition. Le Ministre remettra sans
doute ces $300 à la G.R.C. d'où ils provenaient. Ce montant est
cependant susceptible de confiscation en vertu de l'article
10(8), puisqu'il s'agit d'argent utilisé pour l'achat de stupé-
fiants se trouvant dans la maison de Spencer. Il semblerait que
2 (1963) 43 W.W.R. 237.
3 (1974) 26 C.R.N.S. 231.
le solde appartienne à Spencer qui pourra en demander la
restitution. [C'est moi qui souligne.]
Cet extrait montre très clairement que la Cour
ne considérait d'aucune façon la question du titre
de propriété ni la question de savoir si l'article
10(7) constituait une fin de non-recevoir à une
action en possession.
Il me parait évident que les paragraphes (5) et
(7) de l'article 10 portent, sur de simples questions
de procédure et ne prévoient qu'un pouvoir de
garde. Ils assurent à un individu un mécanisme
commode pour obtenir, par une nouvelle demande,
la restitution d'une chose saisie et ils prévoient en
outre la garde de cette chose au cas où aucune
demande n'est présentée ou lorsqu'une demande
est rejetée. Ils n'entraînent ni explicitement ni
implicitement la déchéance d'un droit de propriété.
Je pourrais ajouter que si le législateur avait
voulu prévoir, en adoptant ces paragraphes, qu'une
somme d'argent quelconque, saisie au cours d'une
descente de police en vertu de la Loi sur les
stupéfiants, y compris l'argent qui s'avérerait ne
pas être relié à la perpétration d'une infraction
criminelle,‘serait confisquée au profit de la Cou-
ronne du chef du Canada au cas où aucune
demande de restitution n'était présentée dans un
délai de deux mois, ces dispositions seraient alors
ultra vires puisqu'elles empièteraient sur la compé-
tence des provinces en matière de propriété et de
droits civils.
Pour ces motifs, je conclus que le demandeur a
droit au redressement réclamé et j'accorde un
jugement contre la Couronne pour le montant de
$13,110 et les dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.