T-730-72; T-3217-73
Xerox of Canada Limited et Xerox Corporation
(Demanderesses)
c.
IBM Canada Limited, IBM Canada Limitée
(Défenderesse)
Division de première instance, le juge Heald—
Toronto, les 20 et 21 août; Ottawa, le 5 septembre
1975.
Brevets—Pratique—Commission rogatoire—Requête solli-
citant des commissions rogatoires adressées à des tribunaux
américains afin de procéder à des interrogatoires préalables en
dehors du Canada—La Cour a-t-elle compétence—Règle
465(5), (12) de la Cour fédérale—Loi sur la preuve au Canada,
S.R.C. 1970, c. E-10, art. 40, 41, 43 et 44.
La défenderesse, se fondant sur la Règle 465(5) et (12), a
cherché à obtenir des ordonnances prévoyant l'émission de
commissions rogatoires permettant de procéder à l'interroga-
toire préalable de 18 inventeurs cédants relevant de cinq dis
tricts judiciaires différents aux États-Unis. Dans chaque cas, la
défenderesse a produit des éléments de preuve suivant lesquels
il existe une chance raisonnable que les ordonnances soient
applicables. La demanderesse allègue que la Cour n'a pas la
compétence pour adresser des commissions rogatoires et que,
même si elle l'avait, il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire qui ne
peut pas être exercé dans le but d'ordonner l'interrogatoire
préalable d'un cédant qui n'est pas partie à l'action. Le deman-
deur affirme que puisque cette cour ne pourrait réciproquement
rendre le service qu'elle cherche à obtenir et que la Cour
suprême de l'Ontario refuserait de le faire dans de telles
circonstances, la Cour ne devrait pas demander à un tribunal
étranger de faire ce qu'en retour les cours canadiennes ne
pourraient ni ne voudraient faire.
Arrêt: les requêtes sont rejetées. A supposer que la Cour soit
compétente, elle ne devrait pas, dans ces cas précis, user du
pouvoir discrétionnaire que lui confère la Règle 465(12) pour
accorder les ordonnances. On n'a pas prouvé qu'il existe une
chance raisonnable que les ordonnances soient applicables.
Chaque personne aurait le droit d'attaquer l'ordonnance
recherchée devant la cour compétente du district judiciaire où
elle habite et il pourrait s'ensuivre des retards de plusieurs
années. La défenderesse ne sera pas lésée si les ordonnances
sont refusées.
Arrêt suivi: Textron Canada Limited c. Rodi & Wienen-
berger Aktiengesellschaft [1973] C.F. 667. Arrêt analysé:
Re Raychem Corp. c. Canusa Coating Systems [1971] 1
O.R. 192.
REQUÊTE.
AVOCATS:
D. F. Sim, c.r., pour la demanderesse.
R. S. Smart, c.r., pour la défenderesse.
PROCUREURS:
D. F. Sim, c.r., Toronto, pour la
demanderesse.
Smart & Biggar, Ottawa, pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Les deux requêtes ont été
entendues ensemble avec le consentement des avo-
cats, car les points de droit soulevés sont identi-
ques. Chaque requête est faite au nom de la défen-
deresse et vise à obtenir [TRADUCTION] «une ou
plusieurs ordonnancés, y compris, si nécessaire, des
ordonnances prévoyant l'émission par la présente
cour de commissions rogatoires adressées à des
tribunaux américains, afin qu'il soit permis aux
avocats de la défenderesse de procéder à l'interro-
gatoire préalable de chacun des inventeurs cédants
des brevets sur lesquels les demanderesses s'ap-
puient en l'espèce et qui sont énumérés à l'annexe
A de l'avis de requête, en présence de la personne
respectivement désignée à ladite annexe comme
l'examinateur spécial devant procéder audit
interrogatoire.»
On allègue, en l'espèce, que la défenderesse a
contrefait environ 11 brevets canadiens. La défen-
deresse nie la contrefaçon et met également en
doute la validité desdits brevets. Conformément à
la Règle 465(5) de la Cour fédérale, la défende-
resse souhaite procéder à l'interrogatoire préalable
d'environ 18 inventeurs, dont 12 sont présentement
employés aux États-Unis chez la demanderesse, la
Xerox Corporation. Lesdits inventeurs relèvent
actuellement de cinq districts judiciaires différents
aux États-Unis (les états de New York et du
' Règle 465. (5) Le cédant d'un brevet d'invention, d'un
droit d'auteur, d'une marque de commerce, d'un dessin indus-
triel ou de tout bien, droit ou intérêt peut être interrogé au
préalable par une partie qui est opposée à tout cessionnaire.
(Lorsque le contexte le permet, la mention faite dans cette règle
d'un individu qui doit être interrogé ou d'un individu qui est
interrogé comprend un tel concessionnaire).
Connecticut; deux districts en Californie et
Hawaii). La défenderesse s'appuie sur la Règle
465(5) susmentionnée et sur la Règle 465(12) 2
lesquelles, selon elle, confèrent à la présente cour
la compétence pour rendre les ordonnances
demandées.
La défenderesse s'appuie également sur le juge-
ment du juge Kerr rendu dans l'affaire Textron
Canada Limited c. Rodi & Wienenberger Aktien-
gesellschaft 3 . Dans ladite affaire, la demanderesse
voulait obtenir la permission de procéder au Japon
à l'interrogatoire préalable de l'inventeur cédant
d'un brevet et en Allemagne, à l'interrogatoire
préalable d'un autre inventeur cédant d'un brevet.
A la page 668 de son jugement, le juge Kerr
déclarait:
Cependant, j'estime qu'en l'absence de dispositions précises
sur la manière dont doit se dérouler l'interrogatoire préalable
de cédants de brevet situés hors du Canada, la Règle 465(12)
autorise la Cour à rendre des ordonnances pour interrogatoire
préalable sur le même modèle que les ordonnances prévues par
la Règle 477(1) ou même, mais ceci est moins souhaitable,
d'instituer, avec les modifications qui s'imposent, des commis
sions rogatoires devant procéder aux interrogatoires. Je n'ai pas
à préjuger à ce stade de l'usage qui pourra être fait de
l'interrogatoire si celui-ci a lieu; il se peut fort bien qu'il se
révèle utile même si ce n'est que pour renseigner la demande-
resse. Je n'ai pas non plus à me demander si les cédants se
soumettront à cet interrogatoire et, dans la négative, quels
recours pourrait alors avoir la demanderesse.
Et, à la page 669, le dernier paragraphe du juge-
ment se lit comme suit:
Je suis disposé à rendre dans les termes appropriés une
ordonnance prévoyant l'interrogatoire préalable des cédants au
Japon et en Allemagne, ou selon ce qui sera jugé approprié,
mais auparavant je voudrais être assuré qu'il existe des chances
raisonnables qu'une telle décision soit applicable selon le droit
2 Règle 465. (12) Lorsqu'un individu qui doit être interrogé
au préalable est hors du ressort de la Cour, temporairement ou
d'une façon permanente, la Cour pourra ordonner, ou les
parties pourront convenir, que l'interrogatoire préalable soit
tenu à un endroit, et de telle manière, qui sera considérée
comme juste et convenable.
3 [1973] C.F. 667—REMARQUE: les avocats m'ont signalé que
l'affaire Textron a été réglée peu après que le juge Kerr eut
prononcé le jugement précité. En conséquence, on n'a plus
donné suite à la demande.
de ces pays. En conséquence, j'attendrai un mois avant de
rendre ma décision sur la requête, afin de laisser à l'avocat de
la demanderesse le temps d'apporter toutes précisions sur ce
point et, dans l'éventualité de la poursuite de la requête, je
l'invite à rédiger l'ordonnance requise. A ces fins, j'entendrai
les parties sur nouvel avis de requête.
Se référant à l'opinion ainsi exprimée par le juge
Kerr selon laquelle il devrait être convaincu qu'il
existe une chance raisonnable que l'ordonnance
serait applicable selon le droit du Japon et de
l'Allemagne, l'avocat de la défenderesse dans l'af-
faire en cause, a soumis en preuve des affidavits
émanant des cinq districts judiciaires en question.
Dans chaque cas, la défenderesse a produit l'affi-
davit d'un avocat, décrivant la pratique et la procé-
dure en vigueur devant lesdits tribunaux améri-
cains et affirmant que, selon lui, il était
raisonnablement probable que le tribunal dont il
parle accepterait une commission rogatoire corres-
pondant au modèle joint à son, affidavit, pour
permettre à la défenderesse de procéder à l'interro-
gatoire préalable de l'inventeur cédant en question.
En réponse, les demanderesses ont produit
quatre affidavits. Leurs auteurs, Me Utecht et Me
Haas, deux avocats californiens .de grande expé-
rience, ont affirmé que les tribunaux de la Califor-
nie n'accepteraient pas les commissions rogatoires
demandées en l'espèce parce que les témoignages
recherchés ne seraient pas admissibles en preuve
dans l'action en cause, mais auraient pour seule fin
de permettre à une partie d'obtenir des renseigne-
ments. Leurs témoignages ont été réfutés par les
affidavits de Me Bobb et Me Thelen, produits par
la défenderesse, en désaccord avec l'opinion précé-
dente émise par Me Utecht et Me Haas, au motif
que les tribunaux californiens autoriseraient la
tenue des interrogatoires préalables car la preuve
en découlant pourrait être utilisée aux fins
suivantes:
a) la récusation du déposant en tant que témoin;
b) la communication de témoignages admissi-
bles;
c) l'identification et l'authentification de livres,
documents et autres pièces; et
d) lors de la déposition d'un témoin d'une - partie
afin d'obtenir des témoignages ou authentifier
des livres, documents ou autres pièces.
Il est clair que les avocats Kier et Kaufman,
auteurs des affidavits produits par la demande-
resse, sont d'avis que les tribunaux des états de
New York et du Connecticut ne donneraient pas
suite aux commissions rogatoires de la présente
cour, étant donné que la Cour fédérale du Canada
ne pourrait réciproquement rendre le même ser
vice 4 . Cependant, la défenderesse a produit en
réplique des affidavits signés par Me Murphy et
Me Hansen, dans lesquels ces derniers expriment
et motivent une opinion opposée à la précédente.
Les demanderesses n'ont produit aucune preuve
quant au droit applicable dans l'état d'Hawaii.
L'avocat des demanderesses s'oppose auxdites
requêtes pour deux raisons. Premièrement, il allè-
gue que la présente cour n'a en aucune circons-
tance la compétence pour adresser des commis
sions rogatoires à un tribunal étranger.
Deuxièmement, il prétend que même si la présente
cour a cette compétence, il s'agit d'un pouvoir
discrétionnaire qui ne devrait pas être exercé dans
le but d'ordonner l'interrogatoire préalable d'un
cédant qui n'est pas partie à l'action. Il affirme par
là que puisque la Cour fédérale du Canada ne
pourrait réciproquement rendre le service qu'elle
cherche à obtenir et que la Cour suprême de
l'Ontario refuserait de le faire dans de telles cir-
constances', la présente cour ne devrait pas
demander à un tribunal étranger de faire ce qu'en
retour les cours canadiennes ne pourraient ni ne
voudraient faire.
Vu les conclusions auxquelles je suis parvenu, je
n'ai pas à me prononcer sur la question de la
compétence. A supposer que la présente cour soit
compétente, sans en décider expressément, j'ai
conclu, en m'appuyant sur les faits de l'espèce, que
la présente cour ne devrait pas, dans ces cas précis,
user de sa discrétion pour accorder les ordonnances
recherchées. Selon l'expression du juge Kerr dans
l'affaire Textron (précitée), je ne suis pas con-
vaincu qu'il existe une chance raisonnable que les
ordonnances recherchées soient applicables. Les
4 Il semble évident que la présente cour n'a pas la compétence
pour donner suite à des commissions rogatoires émises par un
tribunal étranger. Voir: la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C.
1970, c. E-10, art. 40, 41, 43 et 44.
5 Voir: Re Raychem Corp. c. Canusa Coating Systems
[1971] 1 O.R. 192, Cour d'appel de l'Ontario, le juge Brooke,
aux pages 197 et 198.
témoignages des avocats des diverses juridictions
susmentionnées sont très contradictoires et équiva-
lent à des opinions juridiques opposées. On n'a pas
prouvé à ma satisfaction que la défenderesse a
établi l'existence d'une chance raisonnable. Dans
l'affaire en cause, nous sommes en présence de
quelque 18 personnes distinctes ressortissant à cinq
juridictions différentes. Il n'était pas contesté par
les avocats que chacune desdites personnes aurait
le droit de comparaître devant la cour compétente
du district judiciaire où elle habite et d'attaquer
devant ladite cour la validité de l'ordonnance
recherchée par la défenderesse, visant à donner
force exécutoire auxdites commissions rogatoires
émises par la présente cour. Il est à supposer que
les personnes en question pourraient également se
prévaloir des procédures d'appel usuelles du sys-
tème judiciaire américain. Il pourrait s'ensuivre
des retards de plusieurs années avant que lesdites
actions soient soumises à la présente cour. Je ne
suis pas convaincu que la défenderesse sera lésée si
les ordonnances recherchées lui sont refusées. Elle
peut toujours recourir, conformément à la Règle
465, aux procédures usuelles d'interrogatoire préa-
lable de la partie; elle a également le droit à la
communication et à l'examen des documents perti-
nents ainsi que nos règles le prévoient.
En raison de ce qui précède, j'ai conclu qu'en
l'espèce, le pouvoir discrétionnaire conféré à la
Cour en vertu de la Règle 465(12) ne devrait pas
s'exercer au profit de la défenderesse.
En conséquence, les requêtes présentées par la
défenderesse sont rejetées avec dépens.
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