T-1147-71
Georgette Larochelle et Maurice Côté en leur
qualité d'exécuteurs de Emile Couture (Deman-
deurs)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Pratte—
Montréal, les 17 et 19 novembre 1975.
Couronne—Les préposés de la Couronne ont-ils, par leur
faute, induit «C» à croire qu'il était autorisé à exploiter une
entreprise de télévision à antenne collective?—Les fonctionnai-
res de la Couronne sont-ils responsables des dommages allé-
gués?—Loi sur la radio, S.R.C. 1952, c. 233 et ses modifica
tions, S.C. 1952-53, c. 48; S.C. 1955, c. 57—Règlement
général sur la radio, Partie II, art. 8(2)—Loi sur la radiodif-
fusion, S.C. 1967-68, c. 25.
Conformément à la Loi sur la radio, C adressa au ministre
des Transports une demande d'autorisation d'exploitation d'une
entreprise de télévision à antenne collective. Le 26 mars 1968, il
reçut deux licences, l'une délivrée le 19 mars 1968 et devant
expirer le 31 mars 1968 et l'autre portant comme «date de
délivrance» le 1" avril 1968 et comme «date d'expiration» le 31
mars 1969. Aux termes de la Loi sur la radiodiffusion, entrée
en vigueur le 1 r avril 1968, C devait obtenir du CRTC une
licence pour exploiter une entreprise de télévision à antenne
collective. Ignorant que le ministre des Transports avait
accueilli la demande de licence (sauf à l'égard de trois sta
tions), les fonctionnaires du CRTC, le 18 avril 1968, écrivirent
à C une lettre dont les termes supposaient qu'aucune licence ne
lui avait été accordée. Lorsqu'ils découvrirent que la demande
de licence avait été accueillie, les fonctionnaires du CRTC
écrivirent de nouveau à C. On affirme que cette lettre datée du
7 mai 1968 avait dissipé les inquiétudes que C entretenait au
sujet de la validité de son permis. Il déboursa alors $154,295.16
pour mettre sur pied le système. Le 24 décembre 1968, le
CRTC rejeta sa demande de licence. Reprenant l'instance
commencée par C, ses exécuteurs affirment que: (1) les prépo-
sés du ministère des Transports ont commis une faute en
adressant une licence pour l'année commençant le Pr avril car
ils auraient dû savoir que la nouvelle loi entrerait en vigueur ce
jour-là, (2) les préposés du ministère des Transports et du
CRTC ont été fautifs en écrivant à C des lettres laissant
entendre que sa licence subsistait toujours et (3) les préposés du
CRTC et du ministère des Transports ont été négligents en
omettant de prévenir C que sa licence était devenue invalide.
Arrêt: la demande est rejetée. (1) Le préposé en questionne
savait pas que la nouvelle loi entrerait en vigueur le 1« avril. (2)
Même si les lettres et circulaires qu'a reçues C après le 1r avril
ne lui avaient pas été adressées, il aurait été victime de la même
erreur car cette dernière n'était pas attribuable à cette corres-
pondance mais au fait qu'on lui avait décerné une licence pour
l'année commençant le Pr avril. (3) S'il est certain que la faute
d'omission peut engendrer la responsabilité, il doit exister un
devoir légal d'agir, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Ni le
ministère des Transports ni le CRTC n'avaient le devoir d'in-
former C de la mise en vigueur de la nouvelle loi et de son effet.
Et ces actes considérés tous ensemble n'engagent pas davantage
la responsabilité de la défenderesse.
Arrêt appliqué: Eaton c. Moore [1951] R.C.S. 470.
ACTION.
AVOCATS:
W. Hesler et L. Y. Fortier pour les
demandeurs.
P. Coderre, c.r., pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Ogilvy, Cope, Porteous, Montgomery,
Renault, Clarke & Kirkpatrick, Montréal,
pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici les motifs du jugement prononcés orale-
ment en français par
LE JUGE PRATTE: Les demandeurs sont les exé-
cuteurs testamentaires de monsieur Emile Cou-
ture, décédé le 11 septembre 1972. Ayant repris
l'instance commencée par monsieur Couture, ils
réclament la somme de $154,295.16 qui serait due
à titre de réparation des dommages qu'aurait subis
monsieur Couture par la faute de préposés de
l'intimée. Ces préposés, des fonctionnaires du
ministère des Transports et du Conseil de la
Radio-Télévision canadienne (CRTC) auraient,
par leur faute, induit monsieur Couture à croire
qu'il était autorisé à exploiter une entreprise de
télévision à antenne collective (i.e., une entreprise
consistant à capter, au moyen d'une antenne, des
émissions de radio et de télévision et à les achemi-
ner ensuite, au moyen de câbles coaxiaux, vers les
postes récepteurs des clients). Cette fausse
croyance aurait amené monsieur Couture à dépen-
ser, pour ériger une antenne et faire mettre en
place un réseau de câbles, la somme qui est récla-
mée. Cette dépense aurait été inutile puisque, con-
trairement à ce qu'on aurait fait croire à monsieur
Couture, le CRTC ne l'avait pas autorisé à exploi
ter son entreprise de télévision à antenne collective
et devait, le 24 décembre 1968, lui refuser cette
autorisation.
A ce stade des procédures, seule la question de
la responsabilité de l'intimée est en litige. En effet,
les parties ont convenu à l'audience que si j'en
venais à une conclusion favorable aux demandeurs
sur cette question, le problème de la détermination
et de l'évaluation des dommages devrait alors faire
l'objet d'une référence suivant les Règles 500 et
suivantes.
Pour être en mesure de comprendre la preuve, il
est nécessaire de connaître certaines des disposi
tions de la Loi sur la radio, telle qu'elle existait
avant le l er avril 1968, et de la nouvelle Loi sur la
radiodiffusion' entrée en vigueur ce jour-là. En
effet, la perte dont les demandeurs réclament répa-
ration n'aurait pas eu lieu si une «licence» octroyée
à monsieur Couture en vertu de la Loi sur la radio
n'avait été privée d'effet par suite de la mise en
vigueur de la nouvelle Loi sur la radiodiffusion.
Avant le 1er avril 1968, la Loi sur la radio 2
exigeait de celui qui voulait établir et exploiter une
«station de radio» qu'il obtienne une licence du
ministre des Transports, licence qui, suivant les
règlements en vigueur, expirait le 31 mars suivant
la date où elle était émise et était, par la suite,
renouvelable d'année en année. (Règlement géné-
ral sur la radio, Partie II, article 8(2)). Cette
exigence relative à l'obtention d'une licence s'ap-
pliquait aussi bien aux stations de radiodiffusion,
expression qui ne désignait que les stations émet-
trices, qu'aux stations de réception comme celle
qui nous intéresse ici. Cette législation fut modifiée
par la nouvelle Loi sur la radiodiffusion qui,
sanctionnée le 7 mars 1968, entra en vigueur le 1er
avril 1968, (date fixée par une proclamation du 25
mars publiée le 30 mars 1968 dans la Gazette du
Canada).
Cette loi créait un nouvel organisme, le Conseil
de la Radio-Télévision canadienne sans l'autorisa-
tion de qui il était désormais interdit d'exploiter
une «entreprise de radiodiffusion», expression que
la loi définissait de façon à comprendre non seule-
ment les stations de radiodiffusion au sens de
l'ancienne loi, c'est-à-dire les stations émettrices de
radio et de télévision, mais aussi les stations de
réception. Ce nouveau Conseil ne pouvait cepen-
dant octroyer de licence de radiodiffusion (au sens
large du terme) qu'à ceux-là qui avaient obtenu du
ministre des Transports, un certificat technique de
construction et de fonctionnement.
'S.C. 1967-68, c. 25.
2 S.R.C. 1952, c. 233, et amendements: S.C. 1952-53, c. 48,
et S.C. 1955, c. 57.
Suivant la loi antérieure, il suffisait, pour exploi
ter une entreprise de télévision à antenne collec
tive, d'obtenir un permis du ministre des Trans
ports. Aux termes de la loi nouvelle, il était
interdit d'établir pareille entreprise sans avoir
obtenu un certificat technique du ministre des
Transports et il était interdit de l'exploiter sans
une licence du CRTC. Dans ces circonstances on
comprend que le législateur ait cru nécessaire d'in-
sérer des dispositions de droit transitoire dans la
nouvelle loi. De ces dispositions, contenues aux
articles 63 et 64, il suffit de dire qu'elles ne
s'appliquaient pas à monsieur Couture qui, en
conséquence, dès le ler avril 1968, se trouvait
immédiatement et sans transition soumis à toutes
les exigences de la loi nouvelle.
Monsieur Couture était un homme d'affaires de
Thetford Mines qui exploitait autrefois deux com-
merces, l'un de distribution de bière, l'autre d'em-
bouteillage d'eau gazeuse. En 1965, il souffrit de
troubles cardiaques; son médecin lui recommanda
de réduire ses activités. Il songea alors à se dépar-
tir de ses commerces et à établir et exploiter une
entreprise de télévision à antenne collective; il
croyait aussi pouvoir, tout en suivant les conseils
d•� son médecin, s'assurer le revenu dont il avait
besoin. Il entreprit des démarches pour s'assurer
de la possibilité de mener à bien son projet. Cela
avec le résultat que, le 22 janvier 1968, il adressa
au ministre des Transports une «demande d'autori-
sation d'établissement d'une station terrestre assu-
rant un service récepteur commercial de radiodif-
fusion». Dans cette demande, monsieur Couture
sollicitait l'autorisation de capter (pour les retrans-
mettre par câble) les émissions de dix stations de
télévision et de douze stations de radio.
Le 19 mars 1968, le chef de la Division des
règlements sur la radio du ministère des Trans
ports écrivait à monsieur Couture pour lui annon-
cer que sa demande était partiellement accueillie:
on l'autorisait à capter et à retransmettre par câble
dix-neuf des vingt-deux stations de télévision et de
radio mentionnées dans sa demande et, quant aux
trois autres stations, on l'assurait que sa demande
était toujours à l'étude; cette lettre soulignait aussi
à monsieur Couture que la réglementation en
vigueur l'obligeait, sous peine d'annulation de sa
licence, à entreprendre la construction de sa sta
tion de réception dans les trois mois, de façon à ce
qu'elle puisse être mise en service dans les neuf
mois suivant la date de sa licence.
Le 26 mars 1968, le ministère des Transports
écrivait à monsieur Couture pour lui transmettre
«la licence n° 508-400423 autorisant l'exploitation
d'une station terrestre assurant un service de
réception commercial de radiodiffusion à Thetford
Mines, Black Lake (Qué.)». A cette lettre, qui
était signée par un monsieur Harold Corbett dont
j'aurai l'occasion de reparler, étaient jointes, sem-
ble-t-il, deux «licences de station radio» qui por-
taient l'une et l'autre le n° 508-400423; 3 l'une de
ces licences portait comme «date de délivrance» le
19 mars 1968 et comme «date d'expiration» le 31
mars 1968; quant à l'autre, elle portait comme
«date de délivrance» le 1 e1 avril 1968 et comme
«date d'expiration» le 31 mars 1969. Si l'on se
souvient que, aux termes de la nouvelle Loi sur la
radiodiffusion (qui, suivant une proclamation
lancée le 25 mars, devait entrer en vigueur le 1 e1
avril 1968), le ministre des Transports n'avait plus
le pouvoir d'autoriser l'exploitation d'entreprises
de radiodiffusion, on peut se demander comment il
se fait que, le 26 mars 1968, le ministère des
Transports ait ainsi transmis au requérant une
licence qui était datée du l e ` avril 1968. Interrogé
à ce sujet, monsieur Corbett a affirmé qu'il igno-
rait, le 26 mars, la date à laquelle la nouvelle loi
devait entrer en vigueur; personne au ministère ne
l'avait su, a-t-il dit, avant que la proclamation ne
fut publiée dans la Gazette du Canada le 30 mars.
Monsieur Couture a affirmé que, après avoir
reçu ces deux lettres, il s'était empressé de faire le
nécessaire pour que sa station de réception puisse
être exploitée dans le délai de neuf mois qu'on lui
avait imparti. A ce moment, il savait qu'une nou-
velle loi sur la radiodiffusion entrerait en vigueur
mais, suivant son témoignage, il ignorait tout de
3 Je dis qu'il «semble» que ces deux licences aient été jointes à
la lettre du 26 mars 1968, car il n'est pas impossible que la
licence du 19 mars ait été jointe à la lettre du 19 mars plutôt
qu'à celle du 26.
Je veux mentionner ici, pour ne pas avoir à y revenir, que
l'avocat des demandeurs a prétendu, à la fin de sa plaidoirie,
que la licence datée du 1w avril 1968 n'avait peut-être été
adressée à monsieur Couture que dans le courant du mois de
mai. Cette possibilité, conciliable avec les documents produits,
ne saurait être envisagée. Elle est contraire à une allégation de
la déclaration qu'a admise la défenderesse et elle est contredite
par le témoignage de monsieur Couture lui-même.
son contenu et ne soupçonnait pas que, en fait, elle
anéantirait la valeur de la licence qui venait de lui
être attribuée.
Le 8 avril 1968, un fonctionnaire du ministère
des Transports, monsieur Foucault, écrivait la
lettre suivante à monsieur Couture:
Le but de cette lettre est de vous informer que la nouvelle Loi
sur la radiodiffusion (Chapitre 25—Statuts de 1967/68), com-
prenant des modifications à la Loi sur la radio, a été proclamée
en vigueur le 1r avril 1968. En vertu de cette législation, les
licences pour les systèmes de télévision à antenne collective
(CATV) seront accordées par une nouvelle administration, le
Conseil de la Radio-Télévision Canadienne.
L'article 63 de la dite Loi sur la radiodiffusion, un exem-
plaire ci-joint, prévoit une période de transition pour les systè-
mes de télévision à antenne collective. En conséquence, si vous
désirez continuer l'exploitation de votre ou vos système(s) vous
devrez dans une période de 90 jours à compter du ler avril 1968
déposer auprès du Conseil une demande de licence de radiodif-
fusion pour chaque système concerné.
L'adresse du Conseil de la Radio-Télévision Canadienne est
48 rue Rideau, Ottawa, Ontario.
Dans l'intérim et sur réception des taxes de renouvellement
exigibles, nous émettrons comme par le passé les licences de
stations terrestres assurant un service récepteur commercial de
radiodiffusion, avec date de délivrance du 1°r avril 1968, pour
les systèmes dont les licences expiraient le 31 mars 1968.
Vu ce qui précède, si vous avez l'intention de continuer
l'exploitation de votre ou vos système(s) de télévision à antenne
collective durant l'exercice financier 1968/69 et si vous n'avez
pas encore payé les taxes de renouvellement, veuillez faire
parvenir aussitôt que possible à notre bureau des Règlements
sur la radio le plus prés de chez-vous, la taxe de $25.00 pour
chaque système en cause.
Cette lettre était adressée à monsieur Couture
dans le but de le renseigner sur le contenu de la
nouvelle loi et de lui faire savoir qu'il ne pourrait
exploiter son entreprise sans avoir obtenu préala-
blement une licence du CRTC. Cela étant, on peut
regretter qu'elle n'ait pas été rédigée plus claire-
ment et s'étonner que le ministère des Transports y
ait manifesté son intention de continuer à émettre
des licences que, suivant la nouvelle loi, il n'avait
plus le pouvoir d'octroyer. En tout cas, il semble
que cette lettre, dans la mesure où monsieur Cou-
ture était concerné, n'ait pas atteint son but. En
effet, monsieur Couture a affirmé que sa lecture
l'avait laissé indifférent, tellement il était con-
vaincu de la validité de la licence que venait de lui
décerner le ministre des Transports. Toutefois,
monsieur Couture, en lisant cette lettre du 8 avril
1968, a bien compris qu'il devait demander le
renouvellement de sa licence puisque, le 19 avril, il
a adressé la lettre suivante au ministère des
Transports:
J'ai été informé par le surintendant régional des règlements
sur la radio, que je devais déposer une nouvelle demande de
licence de radiodiffusion.
La présente est donc pour me conformer à cette nouvelle loi,
et je vous demande le renouvellement de ma licence.
P.S. Ci-joint, un chèque de $25.00, pour renouvellement de
licence n° 508/400423.
Je peux dire tout de suite que ce n'est que le 19
juin que le ministère des Transports accusa récep-
tion de cette demande et, cela, dans les termes
suivants:
Je me reporte à votre lettre du 19 avril 1968 dans laquelle
vous demandez une nouvelle licence vous autorisant à poursui-
vre l'exploitation de votre système de télévision à antenne
collective, à Thetford Mines, Black Lake (Qué.).
Vous savez sans doute que la nouvelle loi sur la radiodiffu-
sion est entrée en vigueur le 1" avril 1968. En vertu de cette loi,
la question des licences d'entreprises de réception de radiodiffu-
sion (STAC) relève de la compétence du Conseil de la Radio-
Télévision canadienne, au 48, rue Rideau, Ottawa. La lettre
susmentionnée a, par conséquent, été transmise au Conseil.
Je désire vous informer que la somme de $25, représentant la
taxe de renouvellement de licence, qui accompagnait la lettre
susmentionnée, a été appliquée à la licence n° 508-400423,
délivrée le 1 ff avril 1968.
Revenons-en au mois d'avril 1968. Après que
monsieur Couture eut répondu comme je l'ai indi-
qué à la lettre que le ministère des Transports lui
avait adressée le 8 avril, il reçut une lettre du
CRTC datée du 18 avril 1968. Cette lettre éma-
nait du secrétaire du Conseil, F. K. Foster, et était
signée par Harold Corbett qui, le ler avril 1968,
avait été muté du ministère des Transports au
CRTC; elle se lisait ainsi:
Nous nous reportons à votre demande datée du 22 janvier
1968 en vue d'obtenir l'autorisation pour l'établissement et
l'exploitation d'un système de télévision à antenne collective à
Thetford Mines et Black Lake (Qué.) que vous avez soumise au
ministère des Transports.
Avec l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur la radiodiffu-
sion, le 1" avril 1968, le ministère a transmis votre demande au
Conseil de la radio-télévision canadienne. Une copie de la loi
sur la radiodiffusion (1968) et les règlements de procédure
peuvent être obtenus de l'imprimeur de la Reine, Ottawa,
Ontario.
Deux faits expliquent que cette lettre ait été
adressée à monsieur Couture. Le premier, c'est
que le signataire de la lettre ignorait que le minis-
tre des Transports avait déjà, en mars 1968,
accordé au requérant la licence qu'il avait sollici-
tée le 22 janvier, sauf à l'égard de trois des vingt-
deux stations mentionnées dans sa demande. Le
second, c'est que les fonctionnaires du ministère
des Transports avaient décidé de transmettre au
CRTC, pour qu'il y donne suite, toutes les deman-
des de licence dont le ministre des Transports était
saisi, le l er avril 1968, lors de la mise en vigueur de
la nouvelle loi.
Lorsque monsieur Couture reçut cette lettre,
dont les termes supposaient qu'aucune licence ne
lui avait été accordée, il fut, a-t-il dit, troublé et
inquiet. Il aurait même communiqué avec des
représentants de Bell Canada (la compagnie qui
devait mettre en place le réseau de câbles coaxiaux
dont il avait besoin) qui aurait, alors, suspendu les
travaux préliminaires qu'elle avait commencés.
Mais, si étonnant que cela puisse paraître, il ne se
serait renseigné ni auprès du CRTC ni auprès d'un
avocat sur la valeur de la licence qu'il avait déjà
obtenue.
Les choses en restèrent là jusqu'à ce que, au
début du mois de mai 1968, les fonctionnaires du
CRTC découvrent que la demande de licence faite
par monsieur Couture le 22 janvier avait été
accueillie par le ministre des Transports sauf à
l'égard de trois des stations mentionnées dans la
demande. Cette erreur ayant été découverte, une
nouvelle lettre datée du 7 mai 1968 et signée par
Harold Corbett pour le secrétaire du CRTC, F. K.
Foster, fut adressée à monsieur Couture. Cette
lettre se lit comme suit:
Nous nous reportons à notre lettre datée du 18 avril 1968 au
sujet de votre demande datée du 22 janvier 1968 en vue
d'obtenir l'autorisation pour l'établissement et l'exploitation
d'un système à antenne collective à Thetford Mines et Black
Lake (Qué.).
Notre attention a été attirée sur le fait que votre demande a
été approuvée par le ministère des Transports dans une lettre
datée du 19 mars 1968. Cependant, le ministère vous a informé
que votre projet de recevoir et de distribuer les émissions des
stations WPTZ-TV de Plattsburg (N.Y.), CFCF-TV de Mont-
réal et CKVL-FM de Verdun (Qué.) était toujours à l'étude.
Dans ces circonstances, notre lettre datée du 18 avril 1968
aurait dû vous informée (sic) que la partie de votre demande
datée du 22 janvier 1968 qui précède a été transmise au Conseil
de la Radio-Télévision canadienne.
Monsieur Couture a affirmé que la lecture de
cette lettre avait dissipé les inquiétudes qu'il entre-
tenait depuis le 18 avril au sujet de la validité de
son permis; cela, a-t-il dit, parce qu'on lui disait
d'ignorer la lettre du 18 avril. Il aurait alors
communiqué de nouveau avec Bell Canada, qui
aurait alors repris les travaux préliminaires qu'elle
venait d'abandonner, et il aurait continué ses
démarches et ses travaux de façon à assurer que sa
station de réception puisse être mise en service
dans le délai de neuf mois fixé par les règlements.
Monsieur Couture, s'il faut l'en croire, aurait
été si convaincu de la validité du permis que lui
avait octroyé le ministre des Transports qu'il n'au-
rait pas prêté attention aux communications que le
CRTC lui a adressées à la fin de mai et en août
1968. Il ne s'agissait pas là, d'ailleurs, de lettres
qui lui étaient adressées personnellement, mais de
simples circulaires, sur lesquelles son nom n'appa-
raissait pas, et qui étaient vraisemblablement
adressées à tous ceux qui exploitaient des entrepri-
ses de «câblevision». Ainsi, monsieur Couture a
témoigné qu'il avait cru que la lettre circulaire du
CRTC datée du 24 mai ne le concernait pas, lui
qui était titulaire d'une licence, mais qu'elle tou-
chait seulement les exploitants qui «n'étaient pas
en loi». Cette lettre circulaire du 24 mai 1968 était
ainsi rédigée:
Vous trouverez sous ce pli une provision de formules de
demande de licence en vue de l'établissement et de l'exploita-
tion d'une entreprise réceptrice de radiodiffusion.
Ces formules remplies, ainsi que toutes les annexes et tous les
documents connexes, doivent être envoyés en quinze exemplai-
res. Les demandes incomplètes pourront être renvoyées au
requérant avec prière de les compléter.
En vertu de l'article 63 de la Loi sur la radiodiffusion tous les
exploitants de système de télévision à antenne collective doivent
déposer auprès du Conseil, au plus tard le 29 juin 1968, une
demande de licence en vue de l'établissement et de l'exploita-
tion d'une entreprise réceptrice de radiodiffusion. Ces deman-
des doivent être envoyées à M. F. K. Foster, secrétaire du
Conseil de la Radio-Télévision canadienne, 48, rue Rideau,
Ottawa (Ont.).
Monsieur Couture, malgré qu'il ait cru que cette
circulaire ne s'appliquait pas à lui, y a quand
même donné suite en adressant au CRTC, le 28
juin 1968, 15 exemplaires d'une «demande de
licence pour l'établissement et l'exploitation d'une
station de réception de radiodiffusion au Canada».
Lorsqu'on lui rappela ce fait, monsieur Couture a
tenté d'expliquer sa conduite de deux façons: il a
d'abord dit (voir «Preuve du Demandeur recueillie
hors de cour», page 20) qu'il croyait que cette
demande ne se rapportait qu'aux trois postes que le
ministre des Transports ne l'avait pas autorisé à
capter; il a ensuite affirmé qu'il croyait, en faisant
cette demande, expliquer tout simplement ce qu'il
faisait. De ces deux explications, la première est
peu vraisemblable puisque, dans la demande de
licence qu'il adressait au CRTC le 27 juin 1968, le
requérant ne mentionnait qu'un seul des trois
postes que le ministre des Transports ne l'avait pas
autorisé à capter.
Toujours convaincu, suivant ses dires, de la vali-
dité de sa licence, monsieur Couture aurait conti-
nué pendant tout l'été 1968 faire faire les tra-
vaux nécessaires à l'établissement de son
entreprise. Le 16 ou le 20 août, il reçut une
seconde circulaire du CRTC dont la version fran-
çaise (si on peut s'exprimer ainsi) se lisait comme
suit:
AVIS PUBLIQUE (sic)
1" août 1968
Le Conseil de la Radio-Télévision canadienne désire mettre
en garde certains exploitants de systèmes d'antennes commu-
nautaires de télévision (CATV) contre le danger d'interpréter
faussement la nouvelle loi sur la radiodiffusion.
Certains exploitants, parmi ceux qui détenaient une licence
du Ministère des Transports au 30 mars 1968, procèdent
présentement à la mise en place ou à l'expansion de leurs
installations en prenant pour acquis qu'une licence, en vertu de
la nouvelle loi sur la radiodiffusion, leur sera automatiquement
accordée par le Conseil de la Radio-Télévision canadienne.
Ceci est faux. Le Conseil n'a pas autorisé la mise en place ou
l'expansion d'installations depuis le 1" avril 1968.
Conformément à l'article 63(2) de la Loi sur la radiodiffu-
sion, le Conseil se voit dans l'obligation de prévenir les person-
nes concernées que toute mise en place ou expansion de système
effectuée après le 1" avril 1968, ne sera pas nécessairement
reconnue, sur le plan légal, par le Conseil.
Elles seront considérées comme non existantes en dépit des
licences émises antérieurement jusqu'à ce que le Conseil ait pris
une décision à la suite d'une audience publique.
Toute demande concernant les installations ou expansions qui
pourraient déjà avoir été réalisées pourront se heurter à l'oppo-
sition des parties intéressées.
Trois audiences publiques du CRTC ont déjà été annoncées
pour 1968. L'une à Moncton le 25 septembre, la seconde à
Regina le 22 octobre, et enfin la troisième à Ottawa le 19
novembre.
Monsieur Couture a nié que la lecture de cet
«Avis» lui ait appris que la licence qu'il détenait ne
lui permettait pas d'exploiter son entreprise; son
erreur aurait persisté jusqu'à la fin du mois de
septembre 1968. A ce moment-là, la construction
de la station de réception et du réseau de câbles
étant terminée, monsieur Couture avait, lors d'une
conférence de presse, annoncé le début prochain de
l'exploitation de son entreprise. Cette nouvelle par-
vint aux oreilles des fonctionnaires du CRTC qui
le prévinrent alors qu'il ne pouvait commencer
cette exploitation avant que le CRTC ne lui ait
octroyé le permis qu'il avait demandé. Il est cons
tant que le CRTC lui a, par la suite, refusé ce
permis.
Il ressort de toute cette preuve que monsieur
Couture a cru erronément être autorisé, après le
l er avril 1968, établir et exploiter une entreprise
de télévision à antenne collective et que, à cause de
cette fausse croyance, il a fait des dépenses inuti-
les. Les demandeurs prétendent, et c'est là le seul
fondement de leur réclamation, que l'erreur dont
monsieur Couture a été la victime a été causée par
la faute de préposés de la défenderesse agissant
dans l'exécution de leurs fonctions. L'action ne
peut donc réussir à moins qu'il ne soit prouvé,
d'abord, qu'au moins l'une des fautes alléguées a
été commises et, ensuite, que cette faute a un lien
de causalité avec le dommage dont réparation est
demandée.
Les fautes que les demandeurs reprochent aux
préposés de la défenderesse sont les suivantes:
(1) Les préposés du ministère des Transports,
en particulier monsieur Corbett, auraient
commis une faute en adressant à monsieur Cou-
ture, le 26 mars 1968, une licence pour l'année
commençant le l er avril suivant. En effet, à ce
moment-là, suivant les demandeurs, monsieur
Corbett devait savoir que la nouvelle loi entre-
rait en vigueur le l el avril et que, par le fait
même, la licence qu'il adressait à monsieur Cou-
ture était diminuée de valeur.
(2) Les préposés du ministère des Transports et
du CRTC auraient également été fautifs en
écrivant à monsieur Couture, après le l er avril
1968, les lettres que j'ai citées. Ces lettres
étaient rédigées, disent les demandeurs, de telle
façon qu'elles étaient de nature à faire voir à
leur destinataire que, malgré la mise en vigueur
de la nouvelle loi, la licence que lui avait décer-
née le ministre des Transports subsistait
toujours.
(3) Les préposés du CRTC et du ministère des
Transports auraient été négligents, enfin, en
omettant de prévenir monsieur Couture, après le
ler avril 1968, que la licence qu'on lui avait
adressée à la fin de mars était devenue invalide.
Je veux considérer chacune de ces allégations en
commençant par la dernière.
Supposant prouvé qu'aucun préposé de la défen-
deresse n'a informé monsieur Couture que la mise
en vigueur de la nouvelle loi avait eu pour effet
d'annuler la licence qu'on lui avait octroyée quel-
ques jours plus tôt, je dois dire que pareille omis
sion ne me semble pas constituer une faute suscep
tible d'engager la responsabilité de la défenderesse.
Si la licence déjà accordée à monsieur Couture
était privée d'effet, cela résultait ni du ministère
des Transports ni du CRTC, mais seulement de la
mise en vigueur de la nouvelle loi. A mon avis, ni
le ministère des Transports ni le CRTC n'avaient
le devoir d'informer monsieur Couture de la mise
en vigueur de la nouvelle loi et de son effet. S'il est
certain que la faute d'omission peut engendrer la
responsabilité, il faut, comme le rappelait le juge
Taschereau dans Eaton c. Moore [1951] R.C.S.
470, à la page 479, que la négligence d'agir corres-
ponde à un devoir légal d'agir. Ici, à mon sens, il
n'y avait pas de devoir légal d'agir.
Quant à la seconde espèce de faute que les
demandeurs ont imputée aux préposés de la défen-
deresse, c'est d'avoir écrit à monsieur Couture,
après le l ei avril 1968, des lettres représentant
faussement que, malgré l'adoption de la loi nou-
velle, la licence qu'on lui avait accordée aupara-
vant était toujours en vigueur. Il n'est pas néces-
saire de décider si cette allégation de faute est
prouvée car, à mon avis, même si elle l'était, la
responsabilité de la défenderesse ne s'en trouverait
pas pour autant engagée. Il m'apparaît, en effet,
que les fautes que les préposés de la défenderesse
ont pu commettre en écrivant à monsieur Couture
après le ler avril 1968 n'ont pas été la cause du
dommage dont les demandeurs réclament répara-
tion. A mon avis, la preuve révèle clairement que
même si les lettres et circulaires qu'a reçues mon
sieur Couture après le l ei avril ne lui avaient pas
été adressées, il aurait été, malgré tout, victime de
la même erreur, car son erreur n'était pas attribua-
ble à cette correspondance mais bien plutôt au fait
qu'on lui avait décerné, à la fin de mars, une
licence pour l'année commençant le Z ef avril 1968.
Cela m'amène à parler de la première des fautes
reprochées à la défenderesse, savoir que ses prépo-
sés, plus précisément monsieur Corbett, auraient
commis une faute en adressant à monsieur Cou-
ture, en mars 1968, une licence pour l'année com-
mençant le let avril suivant. Cette allégation est
fondée sur l'hypothèse que monsieur Corbett savait
à ce moment-là que la nouvelle loi serait mise en
vigueur le 1 e1 avril. Or cette hypothèse est inconci-
liable avec le témoignage non contredit de mon
sieur Corbett, témoignage dont je ne peux, malgré
ce qu'en a dit l'avocat des demandeurs, mettre la
véracité en doute.
L'avocat des demandeurs a prétendu, enfin, que
même si chacun des actes reprochés aux préposés
de la défenderesse ne pouvait, isolément, engager
la responsabilité de cette dernière, il en allait
différemment si on considérait ces actes, non pas
isolément, mais tous ensemble, comme constituant
un tout. J'avoue ne pas bien comprendre cet argu
ment. Il me semble que les malades traités dans un
hôpital ne recouvrent pas miraculeusement la
santé si, au lieu de les considérer individuellement,
on les envisage comme constituant une collectivité.
Pour ces motifs, l'action sera rejetée avec
dépens.
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