T-838-75
Canadien Pacifiqûe Limitée et Incan Ships Limi
ted (Demanderesses)
c.
Quebec North Shore Paper Company et Quebec
and Ontario Transportation Company Limited
(Défenderesses)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 28 avril; Ottawa, le 2 mai 1975.
Pratique—Compétence—Les défenderesses demandent une
ordonnance les autorisant à déposer un acte de comparution
conditionnelle pour alléguer une exception d'incompétence et
pour demander la suspension des procédures—Les demande-
resses prétendent que la question de compétence devrait être
tranchée par le juge de première instance qui connaîtra du
fond de l'affaire—Un acte de comparution conditionnelle pour
contester la compétence de la Cour est-il nécessaire lorsqu'il
est question de la compétence ratione materiae?—Loi sur la
Cour fédérale, art. 22(2)(i), 23.
Les défenderesses soutiennent qu'il s'agit d'une action pour
rupture de contrat et qu'elle ne relève pas de la compétence de
cette cour; elles demandent donc une ordonnance les autorisant
à déposer un acte de comparution conditionnelle pour alléguer
une exception d'incompétence et pour demander la suspension
des procédures jusqu'à ce que cette exception soit tranchée. Les
demanderesses prétendent qu'un acte de comparution condi-
tionnelle pour contester la compétence de la Cour n'est néces-
saire que lorsque sa compétence ratione personae est en litige,
et non quand il s'agit d'une question de compétence ratione
materiae qui peut être soulevée à tout stade des procédures.
Arrêt: le dépôt d'un acte de comparution conditionnelle est
autorisé et la suspension des procédures accordée. Rien n'indi-
que que la question de la compétence ratione materiae de la
Cour ne peut ni ne doit être soulevée par une telle requête. Les
défenderesses ont le droit de soulever la question à ce stade des
procédures; la décision relève du pouvoir discrétionnaire de la
Cour et les facteurs déterminants devraient en être l'opportu-
nité et la rapidité. Il n'est pas souhaitable de commencer un
procès qui s'annonce long, coûteux et à l'issue duquel la Cour
pourrait conclure à son défaut de compétence. S'il existe des
doutes sérieux quant à la compétence, la question doit être
tranchée dès que possible; en l'espèce, il y a un doute suffisant
pour que la question soit tranchée avant le procès.
Arrêt examiné: Mulvey c. The Barge «Neosho» (1915-20)
19 R.C.Ê. 1.
REQUÊTE.
AVOCATS:
A. Gadbois pour les demanderesses.
L. A. Poitras, c.r., et M. Cuddihy pour les
défenderesses.
PROCUREURS:
Gadbois, Joannette & Durand, Montréal,
pour les demanderesses.
Laing, Weldon, Courtois, Clarkson, Parsons,
Gonthier & Tétrault, Montréal, pour les
défenderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Les défenderesses demandent
une ordonnance les autorisant à déposer un acte de
comparution conditionnelle en vue d'alléguer une
exception d'incompétence à l'égard de la Cour et
elles demandent en outre la suspension des procé-
dures pour pouvoir soulever et trancher cette
exception.
Les demanderesses s'opposent à cette requête au
motif qu'une telle ordonnance relève du pouvoir
discrétionnaire de la Cour et qu'en l'espèce, la
question de la compétence ne devrait pas être
tranchée à l'occasion d'une requête préliminaire
mais devrait l'être par le juge de première instance
qui connaîtra du fond de l'affaire.
Sans pour autant examiner le fond du litige à
l'occasion de la question de la compétence, ce que
fera la Cour lorsqu'elle entendra la requête préli-
minaire si j'accorde la permission de déposer un
acte de comparution conditionnelle, ou, sinon, par
le juge de première instance qui jugera l'affaire au
fond, il convient de rappeler que le présent litige
porte sur une série de contrats conclus entre les
parties. La demanderesse Canadien Pacifique
Limitée souhaite fournir, pour une période de
quinze ans, un service de transport direct du
papier-journal expédié par la Quebec North Shore
Paper Company, de Baie Comeau (Québec) à
New-York et Chicago (États-Unis), y compris
l'entreposage des marchandises et leur transport
par camions jusqu'à New-York. Ledit papier-jour
nal devrait être transporté par bateau de Baie
Comeau à Québec, puis par chemin de fer à leurs
destinations aux Etats-Unis. La défenderesse
Quebec and Ontario Transportation Company
Limited et la demanderesse Incan Ships Limited
se sont associées dans le but précis d'exploiter un
navire particulier, appelé navire transbordeur, dont
la construction a déjà été confiée par contrat à la
Incan, et de louer des wagons en nombre suffisant
pour transporter le papier-journal. La demande-
resse Inean devait construire une gare maritime à
Québec et la mettre en service à partir du 15 mai
1975; les défenderesses devaient construire la gare
maritime de Baie Comeau et la mettre en service à
la même date. Quebec and Ontario et Incan con-
vinrent d'exploiter le navire transbordeur au nom
de Canadien Pacifique Limitée, qui ferait une
offre pour toutes les marchandises et les achemine-
rait à destination sous connaissement direct. On
prétend que Canadien Pacifique Limitée a fait les
démarches nécessaires pour l'entreposage et le
transport par camions du papier-journal à New-
York à partir du 15 mai 1975; Incan a commencé
la construction de la gare maritime de Québec eta
en outre commandé 175 wagons spéciaux actuelle-
ment en construction pour la première année de
l'entreprise, et 225 wagons supplémentaires devant
être mis en service entre le 15 mai 1976 et le 14
mai 1990. Par contre, les défenderesses n'auraient
pas encore commencé la construction de la gare
maritime de Baie Comeau, qui ne sera donc pas
mise en service comme prévu le 15 mai 1975. Les
dommages-intérêts demandés s'élèvent à $35,987,-
385 plus un intérêt de 10%.
Si la question de la compétence est soulevée,
l'avocat des demanderesses déclare qu'il soutiendra
que cette cour a compétence en vertu de l'article
23 de la Loi sur la Cour fédérale, car les contrats
en cause sont des «entreprises reliant une province
à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une
province», et subsidiairement qu'en vertu de l'arti-
cle 22(2)(i), l'action est une «demande née d'une
convention relative au transport de marchandises à
bord d'un navire, à l'utilisation ou au louage d'un
navire soit par charte-partie, soit autrement». En
revanche, les défenderesses soutiendront que l'ac-
tion résulte d'une rupture de contrat, plus précisé-
ment le manquement des défenderesses à cons-
truire la gare maritime de Baie Comeau dans les
délais prévus. Une telle action aurait par consé-
quent dû être introduite devant la Cour supérieure
de la Province du Québec, la présente cour n'ayant
pas compétence en la matière.
Sans préjuger de l'issue des procédures, il
semble que les défenderesses ont soulevé un argu
ment très sérieux et qu'elles étaient tout à fait en
droit de le faire.
L'avocat des demanderesses prétend que la
demande d'autorisation de déposer un acte de
comparution conditionnelle pour contester la com-
pétence de la Cour est nécessaire que lorsque sa
compétence ratione personae est en litige. Par
contre, la question de la compétence ratione mate-
riae peut être soulevée à tout stade des procédures
et éventuellement par la Cour elle-même, de sorte
que le fait de ne pas la soulever par une exception
préliminaire ne signifie pas que l'on renonce à ce
droit ni que l'on admet la compétence de la Cour.
J'ai examiné la jurisprudence et la doctrine citée
par l'avocat et en particulier Johnson: Conflict of
Laws, 1937 ed., vol. 3, page 605, et l'arrêt Mulvey
c. The Barge «Neosho»' qui appuient cette propo
sition. Rien n'indique toutefois que la question de
la compétence ratione materiae de la Cour ne peut
ni ne doit être soulevée par requête, savoir, comme
en l'espèce, par une demande d'autorisation de
déposer un acte de comparution conditionnelle afin
de soulever la question par requête préliminaire.
Les défenderesses ont choisi de le faire à ce stade
des procédures et elles en avaient le droit, même si,
dans le cas contraire, rien ne les aurait empêché de
soulever la question par la suite. Puisque la déci-
sion relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour,
l'opportunité et la rapidité d'une telle procédure en
seront les facteurs déterminants.
L'avocat des demanderesses soutient que le con-
trat portait essentiellement sur le transport des
marchandises par eau sur une partie du trajet, de
la province de Québec aux Etats-Unis, et que,
compte tenu des sommes considérables en jeu dans
l'action et du fait que le dommage augmente avec
le temps, il y a urgence à entendre l'affaire au
fond. Il suggère en effet que, si la Cour se déclare
incompétente en la matière, l'affaire sera immé-
diatement portée en appel jusqu'en Cour suprême,
et qu'au cas où la décision définitive à cet égard
maintient la compétence de la Cour, l'ensemble de
ces procédures aura considérablement retardé le
jugement de l'affaire au fond, d'autant que le
résultat de ce jugement pourra fort bien mener à
un nouveau pourvoi devant la Cour suprême. En
revanche, si le juge de première instance tranche la
question de la compétence après avoir entendu
toute la preuve, il ne pourra y avoir qu'un appel au
(1915-20) 19 R.C.É. 1.
plus. Je ne peux admettre cet argument. J'estime
qu'il n'est certainement pas souhaitable de com-
mencer un procès qui s'annonce long et coûteux et
à l'issue duquel la Cour pourrait conclure à son
défaut de compétence. S'il existe des doutes
sérieux quant à la compétence de la Cour, la
question doit être tranchée dès que possible, et il
semble, en l'espèce, qu'il y ait un doute suffisant
pour que les défenderesses soient justifiées à
demander une décision sur la question avant que
l'affaire ne soit jugée au fond. Je ne pense pas que
la requête des défenderesses soit futile ou ait pour
seul but de retarder l'instruction de l'action. Elle
est donc accueillie.
ORDONNANCE
Les défenderesses sont autorisées à déposer un
acte de comparution conditionnelle pour soulever
une exception d'incompétence à l'égard de la Cour,
et les procédures dans cette action sont suspendues
jusqu'à ce que cette exception ait été soulevée et
tranchée. Les défenderesses déposeront un acte de
comparution conditionnelle et demanderont à être
entendues à une date prévue pour l'audition des
requêtes, dans les trente jours de la présente
ordonnance ou à toute autre date ultérieure, fixée
d'un commun accord entre les parties ou éventuel-
lement par un juge de la Cour.
Compte tenu du litige, j'accorde aux défenderes-
ses leurs dépens dans la requête.
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