T-1453-74
La Reine (Demanderesse)
c.
Canadian Vickers Limited (Défenderesse)
et
Canadian General Electric Company Limited
(Tierce partie)
Division de première instance, le juge Addy—
Montréal, le 17 février; Ottawa, le 28 février 1975.
Droit maritime—Pratique—Requête en radiation de l'avis à
tierce partie—La défenderesse construit un navire pour la
demanderesse—La Couronne réclame $3,500,000 pour l'ins-
tallation défectueuse de générateurs—Avis à tierce partie
signifié au fabricant des générateurs—Compétence—Le Parle-
ment peut-il légiférer sur la construction de pièces de navire
lorsqu'il s'agit de sous-contrats—Loi sur la Cour fédérale,
art. 2, 22(2)n)—Acte de l'Amérique du Nord britannique, art.
91(10), 92(13), 101.
La demanderesse réclame $3,500,000 pour l'installation
défectueuse de générateurs dans un navire construit pour la
demanderesse par la défenderesse. Cette dernière soutient que
la tierce partie est tenue de dédommager la défenderesse. La
tierce partie demande la radiation de l'avis pour défaut de
compétence.
Arrêt: la requête est rejetée; le Parlement du Canada a
compétence pour légiférer sur la construction de navires comme
celui dont il est question dans l'action principale et cette
compétence comprend le pouvoir de légiférer sur les droits et les
devoirs respectifs des constructeurs et des propriétaires desdits
navires. Ce pouvoir s'étend aux sous-contrats lorsqu'ils ont pour
objet la construction de parties du navire et ne constituent pas
simplement des étapes éloignées. Pour déterminer si la Cour a
effectivement compétence pour examiner le litige résultant du
sous-contrat entre la défenderesse et la tierce partie, il faut
examiner au fond la compétence quant au litige relatif à la
tierce partie. Puisque le litige porte sur la construction effective
d'une partie intégrante du navire, il est donc né «d'un contrat
relatif à la construction ... d'un navire» au sens de l'article
22(2)n) de la Loi sur la Cour fédérale. Le sens courant et
ordinaire de l'article 22(2)n) n'est aucunement limité ou res-
treint par l'article 22(1); en outre, l'article 2 de la Loi sur la
Cour fédérale indique clairement que «droit du Canada» à
l'article 22(1) a le même sens qu'à l'article 101 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique et, par conséquent, cette
expression est censée comprendre non seulement une loi effecti-
vement adoptée par le Parlement du Canada mais également
une loi que le Parlement serait compétent pour adopter, modi
fier ou amender.
Arrêts appliqués: Renvoi sur la validité de la Loi sur les
relations industrielles et les enquêtes visant les différends
du travail [1955] R.C.S. 529 et The Robert Simpson
Montreal Ltd. c. Hamburg-Amerika Linie Norddeutscher
[1973] C.F. 1356. Arrêts examinés:. La Compagnie du
Grand Tronc de chemin de fer du Canada c. Le procureur
général du Canada [1907] A.C. 65; Le procureur général
de l'Ontario c. Le procureur général du Dominion [1896]
A.C. 348; Ladore c. Bennett [1939] 3 D.L.R. 1; La Reine
c. Finlayson (1895-9) 5 R.C.É. 387; Le Roi c. The Globe
Indemnity Company of Canada (1914-22) 21 R.C.É. 34 et
Bow, McLachlan & Co., Limited c. Le navire «Camosunu
[1909] A.C. 597.
REQUÊTE.
AVOCATS:
La demanderesse n'était pas représentée.
G. Maughan et T. Montgomery, c.r., pour la
défenderesse.
B. Lacombe pour la tierce partie.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Ogilvy, Cope, Porteous, Hansard, Marier,
Montgomery et Renault, Montréal, pour la
défenderesse.
Martineau, Walker, Allison, Beaulieu, Mac -
Kell et Clermont, Montréal, pour la tierce
partie.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE ADDY: Avant de soumettre une
défense, la tierce partie demande par 'voie de
requête la radiation de l'avis à tierce partie pour
défaut de compétence de la Cour à l'égard du
redressement demandé contre elle. Les ° motifs
avancés à l'audience par la requérante consistent à
dire qu'une telle réclamation, aux termes de l'Acte
de l'Amérique du Nord britannique, relève exclu-
sivement de la compétence de la Cour supérieure
de la province de Québec et, subsidiairement, que
de toute façon ni l'article 22(2)n) ni aucune autre
disposition de la Loi sur la Cour fédérale ne
confère à la Cour la compétence pour l'entendre.
L'action principale consiste en une réclamation
de plus de $3,500,000 pour l'installation défec-
tueuse par la défenderesse de neuf générateurs
faisant partie du système de propulsion électrique
du brise-glace Louis S. Saint-Laurent au cours de
sa construction pour la demanderesse par la
défenderesse.
La défenderesse dans son avis à tierce partie
soutient que lesdits générateurs, qui font l'objet de
l'action principale, ont été construits, fournis et
installés sur le navire par la tierce partie, Canadi-
an General Electric Company Limited, et qu'en
conformité d'une garantie couvrant les plans, les
pièces et les travaux, la tierce partie est tenue de
dédommager la défenderesse à l'égard de la récla-
mation de la demanderesse.
La requérante et tierce partie soutient d'abord
que le Parlement n'a pas compétence pour légifé-
rer sur les matières couvertes par l'avis à tierce
partie; cet argument dépend de l'interprétation du
paragraphe 10 de l'article 91 de l'Acte de l'Améri-
que du Nord britannique, qui prévoit que le
Parlement a le droit de légiférer sur toutes ques
tions de navigation et de marine marchande (ship-
ping). Plus précisément la question est de savoir si,
dans l'exercice de sa compétence sur la navigation
et la marine marchande, le Parlement du Canada
peut légiférer sur la construction de pièces de
navire, lorsqu'il s'agit de sous-contrats.
A l'audience, l'avocat de la requérante, s'écar-
tant de l'énoncé plus général de l'avis de requête, a
admis que le Parlement du Canada avait en fait
compétence sur les contrats conclus pour la répa-
ration et la construction de navires, mais a nié qu'il
avait compétence sur les sous-contrats.
Puisque la compétence ne peut être conférée par
consentement et puisque la question a été initiale-
ment soulevée dans l'avis de requête, il est souhai-
table de donner des conclusions sur l'ensemble du
problème.
En 1955, la Cour suprême du Canada, dans le
Renvoi sur la validité de la Loi sur les relations
industrielles et les enquêtes visant les différends
du travail,' a étudié à fond l'étendue des pouvoirs
conférés par le Parlement sous la rubrique «la
navigation et les bâtiments ou navires (shipping)»
et examiné dans quelle mesure ces pouvoirs l'em-
portent sur les dispositions de l'Acte de l'Amérique
du Nord britannique portant sur la propriété et les
droits civils. Il ressort clairement de cette affaire
que le pouvoir de légiférer en matière de naviga
tion et de marine marchande doit être interprété
dans son sens large. Cette question fut examinée
plus récemment par la Division d'appel de cette
[1955] R.C.S. 529.
cour dans l'affaire The Robert Simpson Montreal
Ltd. c. Hamburg-Amerika Linie Norddeutscher 2 .
Dans cette affaire, on examina aussi la nature et la
portée de la compétence conférée à cette cour par
l'article 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale et il
fut décidé que ce paragraphe avait une portée très
large et qu'en outre, il était constitutionnel. On
affirma aussi que l'article 22(1) conférait cette
compétence par le truchement de toute loi portant
sur une matière relevant de la catégorie de sujet
«navigation et marine marchande» que le Parle-
ment du Canada serait compétent pour adopter, ou
qu'il conférait une compétence sur une action ou
poursuite relative à un sujet quelconque relevant
de la catégorie «navigation et marine marchande»
qui appartient au domaine de compétence législa-
tive du Parlement canadien, (voir la page 1361 du
jugement susmentionné). En d'autres termes, il
n'est pas nécessaire que le Parlement ait effective-
ment légiféré sur un sujet pour que la Cour fédé-
rale du Canada ait compétence à son égard en
vertu de l'article 22(1) de la Loi sur la Cour
fédérale.
Il est évident que la réglementation et la déter-
mination des droits et devoirs existant entre un
constructeur de navire et un propriétaire de navire
relèvent effectivement de la catégorie de la naviga
tion et de la marine marchande mais sans en
constituer une partie essentielle ou intégrante.
L'existence d'un lien aussi étroit n'est pas néces-
saire pour fonder la compétence de la Cour; si un
pouvoir subordonné ou accessoire est raisonnable-
ment nécessaire à l'exercice régulier du pouvoir
principal ou s'il est nécessaire pour empêcher que
ce pouvoir principal soit considérablement retardé
ou gêné, il y a compétence sur ce sujet accessoire
lorsqu'il y a compétence sur le sujet principal. A
mon avis, le pouvoir de contrôle sur la construction
des navires, tout du moins des navires de long
cours (comme le navire en cause) est nécessaire-
ment incident ou réellement accessoire, ou encore
raisonnablement nécessaire, à l'exercice régulier de
la compétence et du pouvoir de contrôle sur la
navigation et la marine marchande; le pouvoir de
contrôle sur les droits et devoirs existant entre le
propriétaire et le constructeur de navires de ce
genre est le moyen le plus direct et le plus efficace
2 [1973] C.F. 1356.
d'exercer un contrôle sur la construction de ces
navires. (Voir les expressions «vraiment accessoire»
dans l'affaire La Compagnie du Grand Tronc de
chemin de fer du Canada c. Le procureur général
du Canada 3 ; l'expression «nécessairement inci-
dente» dans l'affaire des prohibitions locales, Le
procureur général de l'Ontario c. Le procureur
général du Dominion 4 ; ainsi que le terme «inci-
demment» dans l'affaire Ladore c. Bennett') Bien
sûr je ne parle pas de la fabrication de tous les
types de bâtiments car il ne serait pas trop difficile
alors d'imaginer une situation où il serait impossi
ble en droit de conclure à la compétence du Parle-
ment du Canada plutôt qu'à celle des provinces.
Je conclus donc que le Parlement du Canada a
effectivement compétence pour légiférer sur la
construction des navires du type du navire en cause
dans l'action principale et que cette compétence
inclut le pouvoir de légiférer sur les droits et
devoirs respectifs des constructeurs et des proprié-
taires desdits navires.
Si le Parlement a le pouvoir de légiférer en
matière de contrats pour la construction de navi-
res, ce pouvoir doit alors s'étendre aux sous-con-
trats aussi bien qu'au contrat principal lorsque ces
sous-contrats ont pour objet la construction de
parties du navire et ne constituent pas simplement
des étapes éloignées, commme par exemple dans le
cas de contrats de fourniture de matériaux. Il
s'agit d'un pouvoir de légiférer sur la construction
et il importe peu que cette construction soit effec-
tuée en vertu d'un contrat principal ou de plusieurs
sous-contrats subordonnés à un contrat principal.
La question précise soulevée à l'audience est la
suivante: en ce qui concerne la construction d'un
navire, même si la Cour a compétence pour tran-
cher le litige résultant du contrat principal entre
demandeur et défendeur, elle n'est pas pour autant
compétente pour trancher le litige résultant du
sous-contrat entre le défendeur et la tierce partie.
A cet égard, la requérante a cité les affaires La
Reine c. Finlayson 6 , Le Roi c. The Globe Indem
nity Company of Canada' et Bow, McLachlan &
3 [1907] A.C. 65.
4 [1896] A.C. 348, la page 360.
5 [1939] 3 D.L.R. 1.
6 (1895-9) 5 R.C.É. 387.
7 (1914-22) 21 R.C.É. 34.
Company, Limited c. Le navire HCamosun» 8
comme précédents établissant le défaut de compé-
tence de la Cour à ce sujet.
Ces affaires établissent simplement le principe
que la compétence pour examiner le litige princi
pal ne crée pas d'elle-même la compétence pour
examiner les litiges entre une tierce partie et un
défendeur dans l'action principale, pour la simple
raison que la question relative à la tierce partie ne
peut être soulevée qu'au cas où on établit la res-
ponsabilité dans l'action principale. La compétence
quant au litige relatif à la tierce partie doit être
examinée à fond et, si la Cour n'est pas compé-
tente pour examiner le litige à titre d'action dis-
tincte, indépendante de l'action principale, elle
n'est pas compétente à son égard pour la simple
raison qu'il s'agit d'un litige entre un tiers et un
défendeur à une action portée à juste titre devant
la Cour, en dépit des arguments convaincants et
logiques que l'on pourrait avancer à l'appui d'une
telle compétence du point de vue des coûts, de
l'économie de temps, de l'unité de juridiction et de
la nécessité d'éviter des décisions contraires sur les
mêmes faits, etc. Il nous faut donc déterminer si,
en l'espèce, la Cour a effectivement compétence
pour examiner le litige entre la défenderesse et la
tierce partie, indépendamment de l'action princi-
pale. Le sous-alinéa n) de l'article 22(2) de la Loi
sur la Cour fédérale se lit comme suit:
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), il
est déclaré pour plus de certitude que la Division de première
instance a compétence relativement à toute demande ou à tout
litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:
n) toute demande née d'un contrat relatif à la construction, à
la réparation ou à l'équipement d'un navire;
En supposant que les allégations de l'avis à
tierce partie sont exactes, comme nous sommes
obligés de le faire à ce stade des procédures puis-
que nous examinons la question de la compétence,
il est évident que la tierce partie a non seulement
établi les plans et construit les machines mais les a
installées sur le navire et a engagé sa responsabi-
lité à l'égard de la défenderesse pour ces travaux.
Le litige relatif à la tierce partie porte donc sur la
construction effective d'une partie intégrante du
s [1909] A.C. 597.
navire, savoir, la construction et l'installation de
son système de propulsion. Si l'on compare la
situation de fait décrite dans l'avis à tierce partie à
l'article 22(2)n), il me semble tout à fait évident
que la réclamation est une demande «née d'un
contrat relatif à la construction ... d'un navire.» Il
est sans doute vrai qu'il ne s'agit pas d'un contrat
de construction de navire, ni d'un contrat pour la
construction d'un navire, puisqu'il s'agit simple-
ment de la fourniture et de l'installation d'un
système de propulsion; la fourniture et l'installa-
tion de ce système constituent cependant une
partie intégrante de la construction et sont donc
certainement «relatives» à la construction d'un
navire et seul un contrat pour la construction de
l'ensemble du navire serait plus directement relatif
à ces travaux. Suivant le sens courant et ordinaire
de cet alinéa, le Parlement a conféré à cette cour
une compétence sur des litiges similaires aux ques
tions soulevées dans l'avis à la tierce partie et ce
sens courant et ordinaire n'est aucunement limité
ou restreint par le paragraphe (1) de l'article 22
qui confère une compétence générale concurrente,
tant entre sujets qu'autrement, sur toute question
en matière de navigation ou de marine marchande.
Comme nous l'avons déjà mentionné, la portée
générale de la compétence conférée par l'article
22(1) a été examinée à fond dans l'affaire susmen-
tionnée, The. Robert Simpson Montreal Ltd. c.
Hamburg-Amerika Linie Norddeutscher et plus
particulièrement à la page 1361 du recueil; il
ressort très clairement de cette décision que ni
l'article 22(1) ni aucun autre article de la Loi sur
la Cour fédérale n'apportent de restrictions à l'ar-
ticle 22(2)n).
En outre, l'article 2 de la Loi sur la Cour
fédérale indique clairement que «droit du Canada»
à l'article 22(1) a le même sens qu'à l'article 101
de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et
que, par conséquent, cette expression est censée
comprendre non seulement une loi effectivement
adoptée par le Parlement du Canada mais égale-
ment une loi que le Parlement du Canada serait
compétent pour adopter, modifier ou amender.
Je conclus donc que cette cour a compétence
concurrente avec celle de la Cour supérieure de la
province de Québec pour trancher le litige entre la
tierce partie et la défenderesse. La demande de
radiation de l'avis à tierce partie est donc rejetée
avec dépens.
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