Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-3125-75
Pierre P. Montreuil (Demandeur) c.
La Reine aux faits et droits du ministère des Postes du Canada (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Addy— Québec, le 18 novembre; Ottawa, le 9 décembre 1975.
Pratique—Le demandeur cherche à être dédommagé pour perte de salaire—La défenderesse dépose une défense—La défenderesse demande par la suite la radiation des plaidoiries au motif que la déclaration constitue un emploi abusif des procédures et ne révèle aucune cause raisonnable d'action— Règle 419(1)a) à f) de la Cour fédérale.
Le demandeur réclame à la défenderesse des montants d'ar- gent à titre de salaire perdu pour un travail qu'il n'a pas fait, mais qu'il prétend qu'on aurait lui confier. La défenderesse, après avoir plaidé en défense sans soulever d'objections, demande maintenant la radiation des plaidoiries au motif que la déclaration (1) constitue un emploi abusif des procédures et (2) ne révèle aucune cause raisonnable d'action.
Arrêt: la requête est accueillie; la Cour n'a pas la compétence nécessaire et il n'existe pas de cause raisonnable d'action. La défense générale déposée en réponse à la déclaration constitue un obstacle fatal au premier motif qu'invoque la défenderesse. Lorsqu'une partie plaide en réponse aux allégations contenues dans la plaidoirie de la partie adverse sans soulever d'objection à sa forme ni à son contenu, il ne lui est pas loisible par la suite de s'opposer à la plaidoirie sans retirer ou modifier sa propre plaidoirie. Cependant, un tel principe ne peut s'appliquer lors- que la plaidoirie à laquelle on s'oppose ne révèle aucune cause raisonnable d'action. Quant au second motif, la Cour pourrait rejeter la requête puisqu'une partie ne peut demander la radia tion de sa propre plaidoirie lorsqu'il lui est loisible de la retirer ou de la modifier si l'autre partie n'y a pas répondu. Mais puisque le défendeur peut en tout temps demander le rejet de l'action pour ce motif aussi bien qu'en raison du manque de compétence, comme on l'a allégué oralement, il serait inutile d'exiger d'autres procédures et d'engager des frais additionnels. La requête doit être jugée au fond.
Arrêt mentionné: Dominion Sugar Co. c. Newman (1917-18) 13 O.W.N. 38.
REQUÊTE. AVOCATS:
Le demandeur pour lui-même. Y. Brisson pour la défenderesse.
PROCUREUR:
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE ADDY: La défenderesse dans la pré- sente requête demande radiation des plaidoiries pour deux motifs:
1) que la déclaration constitue un emploi abusif des procédures et
2) que la déclaration ne révèle aucune cause raisonnable d'action.
La défenderesse n'inscrivit la présente requête qu'après avoir plaidé en défense à la réclamation sans s'objecter dans sa défense à la forme ou au contenu de la réclamation.
Lors de l'audition de la requête, la Cour demanda au procureur de la défenderesse s'il dési- rait faire une requête orale pour permission de retirer ou de modifier sa défense; sa réponse fut négative. Il pria la Cour de procéder à l'audition de la requête avec les plaidoiries dans leur état actuel.
Tant qu'au premier motif invoqué par le procu- reur de la défenderesse, la défense générale dépo- sée en réponse à la déclaration constitue un obsta cle fatal: lorsqu'une partie plaide en réponse aux allégations contenues dans une plaidoirie de l'ad- versaire sans soulever d'objection en droit à la forme ou au contenu de la plaidoirie à laquelle il répond, il ne lui est pas loisible par la suite de s'objecter à la plaidoirie de l'adversaire sans retirer ou modifier sa propre plaidoirie en réponse à celle à laquelle il s'objecte (voir Dominion Sugar Co. c. Newman'). Les alinéas b) à f) inclusivement du paragraphe (1) de la Règle 419 de la Cour fédé- rale doivent être interprétés à la lumière de ce principe fondamental.
Le principe ne peut cependant s'appliquer à une requête intentée sous l'empire de l'alinéa a) de la Règle 419(1), traitant de la situation la plaidoi- rie à laquelle s'objecte le requérant ne révèle aucune cause raisonnable d'action ou de défense, puisqu'une telle requête s'attaque à la nature même de l'action ou de la défense et à son droit fondamental et essentiel d'être considéré par le tribunal. Aussi lorsqu'une telle requête a été accueillie par la Cour, la plaidoirie, ou la partie de la plaidoirie faisant l'objet de l'attaque, est de fait frappée de nullité en droit.
(1917-18) 13 O.W.N. 38.
Ceci m'amène maintenant à considérer la deuxième partie de la présente requête en radia tion des plaidoiries, c'est-à-dire, le motif invoqué par la requérante que la déclaration ne révèle aucune cause raisonnable d'action. La Cour pour- rait rejeter la requête puisqu'il n'est pas permis à une partie de faire une demande en radiation de sa propre plaidoirie, en l'occurrence, la défense, lors- qu'il est loisible à cette partie de retirer ou de modifier sa plaidoirie, en vue du fait que l'autre partie n'y a pas répondu. Mais puisqu'il est tou- jours loisible à un défendeur de demander en tout temps, soit avant le procès ou au procès même, le rejet d'une action pour ce motif, aussi bien que pour le motif invoqué oralement lors de l'audition de la présente requête à l'effet que la Cour n'a pas de juridiction, j'en suis venu à la conclusion qu'il serait inutile et injuste d'induire les parties à inten- ter d'autres procédures et à encourir des frais additionnels au cas les objections soulevées par la défenderesse seraient de toute façon fatales à l'action du demandeur. La requête doit donc être considérée au fond quant à l'attaque basée sur une allégation de manque de cause raisonnable d'ac- tion et aussi de manque de juridiction.
Le demandeur, à titre d'employé au Ministère des Postes du Canada, réclame en vertu d'un contrat collectif que la défenderesse lui verse des montants d'argent à titre de salaire perdu pour du travail qu'il n'a pas fait mais qu'il prétend que son employeur aurait lui confié plutôt qu'à d'autres employés.
Il n'a pas allégué de faute. La réclamation n'est donc pas fondée sur un délit de la part de la Couronne. Le travail n'ayant pas été accompli par le demandeur, il ne peut fonder sa réclamation sur un droit en compensation pour des services fournis à la Couronne, à la demande de cette dernière, et sa réclamation doit donc se fonder sur une relation contractuelle. Il n'existe pas en droit de relation contractuelle au sens strict du mot entre la Cou- ronne et son fonctionnaire (voir Reilly c. Le Roi 2 ; Zamulinski c. Li Reine 3 ; et Peck c. La Reine 4 ). La réclamation ne peut être fondée que sur le
2 [1932] R.C.S. 597 la page 600.
3 (1957) 10 D.L.R. (2°) 685 aux pages 693 et 694.
4 [1964] R.C.É. 966.
contrat collectif. Une procédure complète de redressement de griefs est prévue dans ce contrat. Le demandeur s'est prévalu de cette procédure jusqu'au dernier pallier inclusivement et n'a pas réussi à obtenir gain de cause. Le contrat collectif à l'article 9.23 prévoit que la procédure de règle- ment des griefs est définitive et obligatoire pour l'employé à moins que le grief ne soit d'un type qui peut être renvoyé à l'arbitrage.
Le demandeur n'a pas tenté de s'en remettre à l'arbitrage. Il n'est pas utile en l'occurrence de trancher la question à savoir si le grief en est un qui lui permettrait de s'en remettre à l'arbitrage puisqu'il est évident que cette Cour n'aurait pas juridiction de toute façon; au cas l'arbitrage lui serait permis, la Cour n'aurait pas juridiction puis- qu'elle ne doit pas s'immiscer dans un contrat collectif lorsqu'une procédure est prévue pour que le grief soit réglé et, au cas le demandeur n'aurait pas droit à un arbitrage, le contrat collec- tif lui-même prévoit que la procédure de grief est finale entre les parties.
Cette Cour n'a donc pas juridiction et de plus le demandeur n'a pas de cause d'action. La requête est accueillie et l'action est rejetée avec dépens contre le demandeur en faveur de la défenderesse.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.