A-298-74
Louise Ricard (Appelante)
c.
Commission d'assurance-chômage (Intimée)
et
Le procureur général du Canada (Mis-en-cause)
Cour d'appel, les juges Pratte, Hyde et St-Ger-
main—Ville de Québec, le 25 septembre 1975.
Examen judiciaire—Assurance-chômage—Suppression des
prestations de la requérante—Un conseil arbitral et un juge-
arbitre rejettent l'appel—Sens de l'article 145(9) des Règle-
ments—L'art. 145(9) est-il nul, non avenu et ultra vires en
vertu de l'art. 58j)?—Loi sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-
71-72, c. 48, art. 25, 58j) et art. 145(9) des Règlements—Loi
sur la Cour fédérale, art. 28.
Un conseil arbitral et un juge-arbitre ont tous deux rejeté
l'appel de la requérante portant sur la cessation de ses presta-
tions d'assurance-chômage. Le juge-arbitre a fondé sa décision
sur l'article 145(9) des Règlements; selon la prétention de la
requérante, l'article est invalide et la Commission n'avait pas le
pouvoir de l'édicter en vertu de l'article 58j) de la Loi. La
requérante a demandé un examen judiciaire.
Arrêt: la demande est rejetée. En vertu de l'article 58j), la
Commission n'a pas le pouvoir d'édicter un règlement subor-
donnant la preuve de la réalisation des conditions prescrites par
la Loi à la preuve d'un fait n'ayant aucun lien logique avec la
réalisation de ces conditions. En revanche, l'article 58j) accorde
à la Commission le pouvoir d'adopter un règlement subordon-
nant la preuve de la réalisation des conditions légales à la
preuve d'un fait ayant avec la réalisation de ces conditions une
telle connexité qu'il soit impossible de concevoir que les condi
tions légales soient réalisées sans qu'existe le fait dont le
règlement exige la preuve. L'article 145(9) des Règlements est
un règlement de cette seconde sorte. Suivant l'article 25, un
prestataire qui est capable de travailler est admissible au
service des prestations, non pas à la condition d'être disponible
pour le travail et incapable d'en trouver, mais bien plutôt à la
condition de prouver être disponible et incapable d'obtenir un
emploi. Il est impossible qu'un prestataire satisfasse à cette
condition s'il ne prouve pas avoir fait des démarches raisonna-
bles pour se trouver du travail.
EXAMEN judiciaire.
AVOCATS:
J. Ricard pour la requérante.
Y. Brisson pour l'intimée.
PROCUREURS:
J. Ricard, Matane, pour la requérante.
Le procureur général du Canada pour
l'intimée.
Voici les motifs du jugement de la Cour pro-
noncés oralement en français par
LE JUGE PRATTE: La requérante (qui est erro-
nément désignée sous le nom d'appelante dans
l'intitulé de la cause) était sans emploi et bénéfi-
ciait depuis plusieurs semaines des dispositions de
la Loi sur l'assurance-chômage lorsque la Com
mission décida, à la fin de mars 1974, qu'elle avait
cessé depuis le 24 de ce mois d'être admissible au
bénéfice des prestations prévues par la Loi. La
requérante a d'abord appelé, sans succès, de cette
décision devant un conseil arbitral. Elle a ensuite
fait appel de la décision du conseil devant un
juge-arbitre qui a rejeté son pourvoi. C'est cette
décision du juge-arbitre que la requérante attaque
aujourd'hui en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale.
Suivant l'article 25 de la Loi sur
l'assurance- chômage:
25. Un prestataire n'est admissible au service des prestations
pour aucun jour ouvrable d'une période initiale de prestations
pour lequel il ne peut prouver qu'il était
a) soit capable de travailler et disponible à cette fin et
incapable d'obtenir un emploi convenable ce jour-là,
Le juge-arbitre a fondé sa décision sur le fait
que la requérante n'avait pas prouvé avoir fait des
démarches raisonnables pour se trouver un emploi;
de ce fait il a conclu, suivant l'article 145(9) des
Règlements sur l'assurance-chômage, que la
requérante n'avait pas prouvé satisfaire aux condi
tions prévues à l'article 25a) de la Loi. L'article
145(9) des Règlements se lisait comme suit à
l'époque qui nous intéresse:
145. (9) Aux fins de l'alinéa 25a) de la Loi, un prestataire
ne peut prouver qu'il est disponible pour travailler et incapable
d'obtenir un emploi convenable chaque jour ouvrable d'une
période, s'il ne peut prouver qu'au cours de cette période, il a
fait, de façon habituelle, des démarches raisonnables pour se
trouver un emploi.'
L'avocat de la requérante prétend que le règle-
ment 145(9) est nul. C'est un règlement que la
Commission, dit-il, n'avait pas le pouvoir d'édicter.
Les mots «il a fait,. de façon habituelle, des démarches
raisonnables» sont une traduction maladroite des mots «he
made reasonable and customary efforts».
Le seul texte législatif pouvant habiliter la Com
mission à adopter ce règlement est contenu à
l'article 58j) de la Loi:
58. La Commission peut, avec l'approbation du gouverneur
en conseil, établir des règlements
j) concernant la preuve de la réalisation des conditions à
remplir pour recevoir ou continuer de recevoir des
prestations ....
Le règlement 145(9), soutient l'avocat de la
requérante, n'est pas un règlement «concernant la
preuve de la réalisation des conditions à rem-
plir ... pour recevoir ou continuer de recevoir des
prestations», c'est plutôt un règlement qui, aux
conditions exigées par la Loi, (savoir, la disponibi-
lité pour le travail et l'incapacité d'obtenir un
emploi) en ajoute une autre (savoir, l'accomplisse-
ment de démarches raisonnables pour se trouver
un emploi). C'est donc, conclut-il, un règlement
qui est ultra vires et sur lequel le juge-arbitre
n'aurait pas dû fonder sa décision.
Le règlement 145(9) édicte en substance que
pour prouver l'existence de certains faits, un récla-
mant doit prouver l'existence d'un autre fait. Une
pareille disposition, bien sûr, concerne les faits à
prouver et non seulement la façon de les prouver.
Mais il n'en résulte pas nécessairement que, en
l'adoptant, la Commission ait excédé le pouvoir
que lui accorde l'article 58j) d'établir des règles de
preuve. Les règles légales relatives aux présomp-
tions, pour ne prendre qu'un exemple, sont des
règles de preuve même si elles régissent autant
l'objet de la preuve que la façon de la faire.
En vertu de l'article 58j), la Commission, à
notre avis, n'a pas le pouvoir d'édicter un règle-
ment subordonnant la preuve de la réalisation des
conditions prescrites par la Loi à la preuve d'un
fait n'ayant aucun lien logique avec la réalisation
de ces conditions. Pareil règlement ajouterait une
condition à celles que prescrit la Loi. En revanche,
l'article 58j), à notre sens, accorde à la Commis
sion le pouvoir d'adopter un règlement subordon-
nant la preuve de la réalisation des conditions
légales à la preuve d'un fait ayant avec la réalisa-
tion de ces conditions une telle connexité qu'il soit
impossible de concevoir que les conditions légales
soient réalisées sans qu'existe le fait dont le règle-
ment exige la preuve. Le règlement 145(9) nous
apparaît être un règlement de cette seconde sorte.
Suivant l'article 25, un prestataire qui est capa
ble de travailler est admissible au service des pres-
tations, non pas à la condition d'être disponible
pour le travail et incapable de trouver un emploi,
mais bien plutôt à la condition de prouver être
disponible et incapable d'obtenir un emploi. Or, il
nous semble impossible qu'un prestataire satisfasse
à cette condition s'il ne prouve pas avoir fait, pour
se trouver un emploi, des démarches qui étaient
raisonnables dans lès circonstances.
Pour ces motifs, nous sommes d'opinion que la
Commission, en adoptant le règlement 145(9), n'a
pas excédé les pouvoirs que lui accorde l'article
58j).
L'avocat de la requérante a aussi prétendu que
la décision du juge-arbitre était contradictoire et
discriminatoire. Comme nous l'avons laissé enten-
dre à l'audience, ces deux arguments nous sem-
blent dénués de tout fondement. Il faut se rappeler
qu'il s'agit ici d'une demande en vertu de l'article
28 et non d'un appel où la Cour puisse reviser les
constatations de fait du premier juge.
Pour ces motifs la demande sera rejetée.
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