Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-342-74
In re Harris et in re la Loi sur l'égalité de salaire pour les femmes
Cour d'appel, les juges Thurlow et Urie et le juge suppléant MacKay —Toronto, les 17 et 18 juin; Ottawa, le 8 août 1975.
Examen judiciaire—Arbitre enquêtant sur une plainte en vertu de la Loi sur l'égalité de salaire pote les femmes— Décide implicitement que la plainte était appuyée par la preuve et ordonne à l'employeur de payer une indemnité— L'arbitre a-t-il mal interprété l'article 4?—Le travail des plaignantes est-il identique ou sensiblement identique à celui des autres personnes de la même catégorie salariale?—Loi sur l'égalité de salaire pour les femmes, S.C. 1956, c. 38, art. 4— Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
Les plaignantes, se prétendant lésées par une prétendue violation de la Loi sur l'égalité de salaire pour les femmes (abrogée depuis), ont porté plainte au Ministre qui a renvoyé l'affaire à un arbitre. Celui-ci a décidé implicitement que la plainte était appuyée par la preuve et a rendu une sentence ordonnant à l'employeur de dédommager les plaignantes.
Arrêt: la sentence arbitrale est annulée et l'affaire renvoyée à l'arbitre au motif que la plainte n'est pas appuyée par la preuve. L'interprétation donnée par l'arbitre à l'article 4 est inaccepta- ble. Son point de vue, selon lequel le terme «travail» signifie «un ensemble d'aptitudes» et selon lequel le travail peut être sensi- blement identique même si les besognes, devoirs et services sont différents, n'est pas acceptable. Il faut donner aux mots employés dans cet article leur sens courant et littéral. En prenant les mots dans ce sens, le travail effectué pour un employeur par une employée et celui effectué par un employé sont réputés être exactement ou essentiellement le même travail si les actes qu'ils sont appelés à faire sont exactement, ou essentiellement et sans réserve sérieuse, les mêmes. Les plai- gnantes, ainsi que l'autre personne qui exécutait essentiellement les mêmes tâches, étaient rémunérées sur la même base et aucune preuve ne permet de conclure qu'il y a eu violation de la Loi.
Arrêts appliqués: McLeod c. Egan [1975] 1 R.C.S. 517 et Greÿ c. Pearson (1857) 6 H.L.C. 61, 10 E.R. 1216.
EXAMEN judiciaire. AVOCATS:
B. M. W. Paulin, c.r., et L. Binder pour la requérante:
P. Hyndman, c.r., et R. Arthurs pour les intimées.
PROCUREURS:
Osler, Hoskin et Harcourt, Toronto, pour la requérante.
Blackwell, Law, Treadgold et Armstrong, Toronto, pour les intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE THURLOW: Les faits de cette affaire ont été exposés dans les motifs du juge Urie. Comme lui, je pense que le savant arbitre a donné une interprétation erronée à l'article 4 de la Loi sur l'égalité de salaire pour les femmes et je partage également l'interprétation qu'en a donné le juge Urie.
La Loi sur l'égalité de salaire pour les femmes, adoptée en 1956, abrogée depuis et remplacée par d'autres dispositions, était certainement une légis- lation corrective et doit être interprétée comme telle. Mais l'ampleur du problème auquel il fallait remédier, tel qu'il peut nous apparaître aujour- d'hui, ne peut fournir une meilleure base d'inter- prétation des dispositions correctives de la Loi, que le sens courant des termes employés dans ces dispositions. Le législateur n'y a pas exigé qu'il y ait salaire égal à travail «similaire ou sensiblement similaire», ni non plus salaire égal à travail récla- mant des aptitudes, connaissances ou talents «simi- laires ou sensiblement similaires». Il n'a pas exigé non plus un salaire égal pour un travail de valeur «égale ou sensiblement égale». Il exigeait seulement que le taux de rémunération des employés de sexe féminin ne soit pas inférieur à celui des employés masculins pour un travail «identique ou sensible- ment identique».
On avait soumis au savant arbitre des preuves lui permettant de conclure que les deux plaignan- tes et une autre employée de sexe féminin de Bell Canada, les trois occupant des postes d'«adjoints- relations du travail», étaient employées pour faire un travail qui était «identique ou sensiblement identique» au sens de la Loi. Cependant il n'y a aucune preuve qu'un employé de sexe masculin, pendant la période qui nous intéresse, a occupé un tel poste ni qu'un employé du sexe masculin a exécuté ou était tenu d'exécuter des fonctions ou a rendu ou était tenu de rendre des services «identi- ques ou sensiblement identiques» à ceux fournis par l'une quelconque des trois employées de sexe féminin exerçant les fonctions d'assistant-relations du travail. J'estime donc qu'on n'a soumis aucune preuve au savant arbitre sur laquelle il pouvait conclure qu'un employé de sexe masculin de Bell Canada était mieux rémunéré que les plaignantes pour un travail identique ou sensiblement identi-
que—d'après l'interprétation que le juge Urie a donnée à cette expression—et que les pièces soumi- ses à l'arbitre ne permettaient pas de conclure que la plainte était étayée par la preuve.
J'annulerais la sentence arbitrale et renverrais l'affaire devant l'arbitre pour qu'il y donne suite en considérant qu'il s'agit d'une plainte sans preuve à l'appui.
* *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: On demande en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, l'examen et l'annulation de la décision d'un arbitre nommé en vertu de l'article 6 de la Loi sur l'égalité de salaire pour les femmes' (ci-après appelée «la Loi») pour enquêter sur les plaintes portées en 1970 par Patri- cia Harris et Elizabeth Kennedy contre leur employeur, Bell Canada.
En vertu de son mandat, l'arbitre devait aussi décider si les plaintes étaient appuyées par la preuve et, dans l'affirmative, rendre toute ordon- nance qu'il estimait nécessaire pour donner effet à sa décision.
La plainte était ainsi libellée:
[TRADUCTION] Montréal (Québec)
le 26 novembre 1970.
L'honorable Bryce Mackasey,
Ministre du Travail,
340 ouest, avenue Laurier,
Ottawa (Ontario).
Cher monsieur,
Les soussignées sont employées dans les services d'adminis- tration de Bell Canada.
Bien que la Loi sur l'égalité de salaire pour les femmes soit en vigueur depuis quatorze ans, nous avions des raisons de croire que nous étions moins bien rémunérées que des employés de sexe masculin faisant un travail «identique ou sensiblement identique», mais il était difficile d'en fournir la preuve.
Il y a deux ans, la compagnie a entrepris un programme de réévaluation des postes d'administration, selon les principes exposés dans la brochure ci-jointe. On peut donc comparer maintenant les postes et il est certain que chacune des soussi- gnées reçoit $110 de moins par mois qu'un employé de sexe masculin occupant un poste «identique ou sensiblement identi- que», d'après les définitions établies par la compagnie, et dans la réalité.
1 S.C. 1956, c. 38.
Nous avons entrepris une correspondance avec les dirigeants de la compagnie pour essayer de régler la question, mais la seule assurance que nous ayons reçue est que nous pouvons espérer que les femmes effectuant le même travail que des hommes obtiendront graduellement un salaire égal, dans un délai probable de cinq ans; on nous a laissé entendre cependant que ce changement graduel dépendait de facteurs tels que «la nécessité pour la compagnie d'établir de nouveaux principes et d'encourager de nouveaux comportements».
Nous déposons donc formellement plainte de ce que nous sommes lésées par suite d'une violation des dispositions de la Loi sur l'égalité de salaire pour les femmes et demandons la désignation d'un préposé du juste salaire pour enquêter sur notre plainte. Nous sommes en mesure de fournir des preuves à l'appui de notre plainte et nous nous ferons un plaisir de fournir au préposé du juste salaire tous autres renseignements et preuves qu'il pourrait nous réclamer.
Veuillez agréer nos sentiments respectueux,
(Signature) Elizabeth Kennedy (Signature) Patricia Harris (Signature)
Le premier jour d'audience devant l'arbitre, après requête de l'avocat de Bell Canada récla- mant des détails sur le nom de l'employé de sexe masculin visé dans la plainte et sur le travail identique ou sensiblement identique qu'il faisait, l'avocat des plaignantes a exposé leurs doléances comme suit:
[TRADUCTION] Bell Canada a évalué les postes suivant un programme officiel d'évaluation de postes. Bell Canada a utilisé huit facteurs pour déterminer leur valeur respective. Ils sont exposés dans la brochure «Évaluation des postes d'administra- tion». En appliquant ces critères, Bell Canada a déterminé quels postes étaient sensiblement identiques. Au moment de l'évalua- tion des postes des plaignantes, elles furent classées dans la catégorie 14.
Plusieurs postes différents étaient classés dans la catégorie 14 et représentaient différentes fonctions occupées par des hommes et des femmes, comme indiqué à la page 40 du dossier. Après avoir établi une catégorie salariale 14, Bell Canada la subdivisa alors en 14X et 14, d'après le sexe.
Le plus haut taux de salaire pour les hommes de la catégorie 14 était le même quel que soit leur travail. Le plus haut taux de salaire pour les femmes de la catégorie 14X était la même quel que soit leur travail.
La plus haut taux de salaire pour les hommes de la catégorie 14 était plus élevé que celui des femmes de la catégorie 14X.
Les plaignantes remplissaient les conditions pour recevoir le taux le plus élevé de la catégorie 14 mais, parce qu'elles étaient classées dans la catégorie 14X, recevaient un salaire inférieur au taux le plus élevé accordé aux hommes de la catégorie 14.
Dans la - décision qui fait l'objet du présent appel, l'arbitre a décidé implicitement, sans le dire expressément, que la plainte était appuyée par des preuves et il a rendu une sentence ordonnant à Bell
Canada de payer aux plaignantes [TRADUCTION] «toutes les sommes qu'elles ont perdues depuis la date de leur entrée 'en fonctions, en raison du fait que, étant classées dans la catégorie 14X, elles n'ont pas été rémunérées comme si elles apparte- naient à la même échelle de salaire de la catégorie 14». Si cette décision était maintenue, il en résulte- rait que chacune des plaignantes aurait droit, pour 1970, un montant supplémentaire de $110 envi- ron pour les mois postérieurs à février et à des montants supplémentaires légèrement inférieurs pour chaque mois des deux années suivantes au cours desquelles leur salaire n'a pas atteint le maximum accordé aux employés de la catégorie 14 considérés entièrement satisfaisants.
Voici un bref résumé des faits qui me paraissent pertinents:
Pendant quelques années précédant le mois de février 1970, les deux plaignantes et une autre employée étaient au service de Bell Canada dans des postes subalternes d'administration, désignés comme «adjoints-relations du travail». En général elles avaient pour fonction de s'occuper de problè- mes découlant d'une convention collective déterminée.
Comme il y avait des différences entre les diver- ses conventions, les services requis différaient et les fonctions remplies par ces trois employées n'étaient pas exactement les mêmes; mais une description du poste d'«assistant-relations du tra vail», préparée par mademoiselle Kennedy en sep- tembre 1968 et déposée comme pièce au dossier, décrit le travail accompli par ces trois employées et a été adoptée par la compagnie et les deux autres employées comme la description des fonctions de ces trois employées. A l'époque, Bell employait quelque 8,000 personnes dans les postes d'adminis- tration ou de surveillance, y compris quelque 2,000 dans ce qui a été décrit comme «la hiérarchie féminine» parce que la majorité des personnes de ce groupe était à l'origine de sexe féminin. Les 6,000 autres employés étaient dans «la hiérarchie masculine», dont la majorité des titulaires était de sexe masculin. Dans chacune de ces «hiérarchies», aux fins de la rémunération, les employés d'admi- nistration étaient répartis dans des catégories sala- riales. Dans la hiérarchie féminine, ces catégories étaient désignées par des nombres dans la cinquan- taine, tels que 51, 52, 53 etc. Les catégories de la
hiérarchie masculine étaient numérotées de treize à dix-neuf.
En 1968 et 1969, Bell Canada procéda à une révision et à une évaluation complètes des fonc- tions de son personnel d'administration, après quoi elle les classa par catégories au même niveau ou à des niveaux différents, fixant un salaire maximum pour chaque niveau. Peu après l'introduction du système d'évaluation, la compagnie décida de l'uti- liser pour fusionner les deux hiérarchies. L'an- cienne hiérarchie masculine étant numériquement la plus importante, le plan prévoyait qu'elle absor- berait la hiérarchie féminine.
D'après l'ancien système, les plaignantes étaient dans la catégorie 54. La catégorie 14 comprenait des postes occupés principalement par des hommes et, après l'évaluation et d'autres procédures, le salaire maximum des employés, estimés pleine- ment satisfaisants, occupant des postes du groupe 14, a été fixé à $880 par mois pour l'année com- mençant au 9 février 1970. A la même époque, les postes des plaignantes furent classés dans le groupe 14X dont le salaire maximum des employés compétents était fixé à $770 par mois pour la même période. Ce groupe comprenait onze cadres ou surveillants masculins. Tous les employés du groupe 54 furent classés dans le groupe 14X au taux de rémunération qu'ils recevaient dans la catégorie 54. Tous reçurent alors une augmenta tion dont le montant dépendait de plusieurs fac- teurs. L'augmentation maximale pour les employés compétents masculins ou féminins du groupe 14X était de $85 par mois.
Les principaux facteurs en jeu dans la fixation du salaire de ces groupes étaient le nombre de points réalisés sur la base de la valeur comparée à laquelle la compagnie estimait les services rendus par les employés, les salaires payés pour des postes semblables dans d'autres industries et enfin l'ap- préciation par la haute direction de la valeur des fonctions pour réduire les inégalités quant à leur importance, qui pouvaient découler du système d'évaluation. Quand, trois ans plus tard, le salaire maximum des employés du groupe 14X eut atteint, par augmentations successives, la parité avec celui du groupe 14 et qu'on eut atteint le but pour lequel le groupe 14X avait été créé, cette catégorie fut abandonnée et les postes des employés qui y figu- raient, classés dans la catégorie '14.
Le savant arbitre a décidé que les postes du groupe 14X avaient été ainsi classés parce que la majorité des titulaires en étaient de sexe féminin et que cela était contraire à la Loi. L'avocat des intimées a soutenu en outre qu'elles avaient été jugées pleinement compétentes dans leurs postes, et avaient été rémunérées au taux maximum de salaire du groupe 54, et avaient donc droit au salaire maximum du groupe 14 dans lequel leurs postes avaient été classés.
De son côté, l'avocat de la requérante a soutenu qu'en vertu de la politique de la compagnie, aucun employé de l'un ou l'autre sexe n'a eu droit à une augmentation supérieure à $85 par mois ni reçu une telle augmentation à la suite de l'intégration, et qu'aucun employé, changeant de catégorie, n'a eu droit de passer du maximum de son ancienne catégorie au maximum de la nouvelle.
Il semble certain que, pour justifier la sentence du savant arbitre, il faut tout d'abord admettre qu'il a bien interprété l'article 4 2 de la Loi. Si j'ai bien compris, l'avocat de la requérante n'a pas contesté dans les débats le droit de cette cour de contrôler elle-même la justesse de cette interpréta- tion; sans aucun doute cette cour n'a pas seule- ment le droit mais l'obligation de ce faire. Dans l'arrêt McLeod c. Egan 3 , le juge en chef du Canada Laskin expose brièvement la question à la page 519:
f 4. (1) Nul patron ne doit engager une employée pour du travail à un taux de rémunération moindre que celui auquel un employé est embauché par ledit patron pour un travail identi- que ou sensiblement identique.
(2) Sous réserve du paragraphe (3), aux fins du paragraphe (1), le travail pour lequel une employée est engagée et le travail pour lequel un employé est embauché sont réputés identiques ou sensiblement identiques si la besogne, les devoirs ou les services que les employés sont appelés à accomplir se trouvent être identiques ou sensiblement identiques.
(3) Le paiement à une employée d'une rémunération à un taux moindre que celui auquel un employé est embauché ne constitue pas une inobservation du présent article si la diffé- rence entre les taux de rémunération repose sur la durée du service ou l'ancienneté, sur le lieu ou la région géographique de l'emploi, ou sur un facteur autre que des considérations de sexe et lorsque, suivant l'opinion du préposé du juste salaire, de l'arbitre, de la cour, du juge ou du magistrat, le facteur sur lequel repose la différence justifierait normalement cette diffé- rence dans les taux de rémunération.
3 [1975] 1 R.C.S. 517.
Il n'y a pas de doute qu'une loi, comme une convention collective ou n'importe quel autre document, peut présenter des difficultés d'interprétation, peut être ambiguë et peut se prêter à deux interprétations différentes dont ni l'une ni l'autre peut être considérée déraisonnable. Si tel est le cas, il n'en n'appar- tient pas moins aux tribunaux, et en définitive à cette Cour, de décider du sens à donner à la loi. Cela ne revient pas à dire qu'un arbitre, dans le cours de ses fonctions, devrait s'abstenir d'interpréter une loi qui est reliée aux questions qui lui sont soumises. A mon avis, il doit l'interpréter, mais au risque de voir son interprétation infirmée par un tribunal comme étant erronée.
Il est donc nécessaire d'examiner l'interprétation que l'arbitre a donnée à l'article. Aux pages 18 et 19 de sa sentence arbitrale, il interprète l'article comme suit:
[TRADUCTION] La vraie question est alors de savoir si le mot «travail», aux fins de la Loi, vise les tâches dont s'occupe l'employé ou l'évaluation de l'ensemble des aptitudes que l'em- ployé en question applique à ce travail. Sur ce point la compa- gnie met l'accent sur le premier sens et déclare que celui-ci est confirmé par l'article 4(2) de la Loi qui parle de «devoirs et services» et par le but prétendu du programme qui n'a rien à voir avec l'identification des tâches mais constitue seulement une échelle de salaire simplifiée (du point de vue administratif). De leur côté, les plaignantes font état du caractère réformateur de la Loi et de l'intention de la compagnie quand elle a adopté ce barème de salaire.
Après des recherches approfondies et un examen encore plus approfondi de la question, j'estime que la compagnie ne pouvait pas choisir de retarder la fusion des deux hiérarchies. A mon avis le mot «travail» est extrêmement imprécis, ce que même l'avocat de la compagnie reconnaît. Ainsi, il est possible de l'envisager sous l'angle de l'ensemble des aptitudes. En consé- quence, je considère cette interprétation comme acceptable en vertu de la Loi, d'autant plus que celle-ci revêt nettement un caractère réformateur et, comme l'a souligné l'avocat des plai- gnantes, doit être interprétée d'une manière large pour qu'elle puisse s'attaquer aux maux auxquels elle veut remédier. Natu- rellement on obtient ce résultat avec l'interprétation que j'ai donnée à cette disposition. En outre, contrairement aux alléga- tions de la compagnie, je crois que l'article 4(2) de la Loi, loin d'appuyer la thèse de la compagnie, renforce celle des plaignan- tes puisqu'il indique que le travail comporte d'autres aspects que «les devoirs ou les services». De même, il est significatif que l'on accepte des programmes similaires, quoique pas toujours identiques à celui que la compagnie a utilisé en l'espèce, comme base pour fixer les salaires dans l'industrie. Cela confirme naturellement l'opinion que, pour bien des gens, le mot «travail» se définit comme le soutiennent les plaignantes. Enfin, accepter l'interprétation de l'article 4(1) proposée par la compagnie équivaudrait à n'en réserver l'application qu'aux emplois les plus inférieurs. Ce serait absurde de prêter une telle intention au législateur.
A mon avis donc, on peut se servir d'un programme, comme celui de la compagnie en l'espèce, pour déterminer si des «travaux» sont «identiques» ou «sensiblement identiques». Dans les circonstances présentes, on ne peut donc soutenir que les
plaignantes ne faisaient pas «un travail identique ou sensible- ment identique» à celui des employés masculins de la catégorie 14; ainsi le principal argument de la thèse des plaignantes doit triompher.
En toute déférence, je ne peux partager cette interprétation de l'article. D'après une règle très connu d'interprétation, [TRADUCTION] «il faut s'en tenir au sens grammatical et courant des mots [d'une loi], à moins que cela ne conduise à une absurdité, à une contradiction ou à une incompati- bilité avec le reste du texte, auquel cas on peut écarter le sens grammatical et courant des mots pour éviter la contradiction et l'incompatibilité, mais sans aller plus loin». 4 A mon avis, les termes de l'article en question, replacés dans le contexte de la Loi, peuvent être pris dans leur sens littéral, courant et grammatical sans entraîner une incom- patibilité ou une absurdité.
Le paragraphe 1 stipule en fait que les femmes doivent être rémunérées au même taux que leurs collègues masculins si elles font un travail identi- que ou sensiblement identique. Le paragraphe 2 stipule que le travail des employés de sexe mascu- lin et celui des employés de sexe féminin sont réputés identiques ou sensiblement identiques «si la besogne, les devoirs ou les services que les employés sont appelés à accomplir se trouvent être identiques ou sensiblement identiques». Il est donc, évident qu'en utilisant la conjonction disjonctive «ou» dans l'expression «la besogne, les devoirs ou les services», le deuxième paragraphe stipule que le «travail» des employés sera réputé identique ou sensiblement identique si l'un quelconque des trois éléments de comparaison est commun au travail des employés masculins et féminins. A mon avis, ces trois mots ne sont pas des termes techniques mais plutôt d'usage courant et univoques, qui dans le contexte du paragraphe peuvent être pris dans leur sens ordinaire et littéral.
S'agissant de mots non définis par la Loi et d'usage courant, on peut, pour déterminer leur sens, avoir recours aux dictionnaires faisant autori- té. 5 On trouve dans The Shorter Oxford Diction ary, 3 e éd., les définitions suivantes des mots clés de l'article 4:
4 Grey c. Pearson (1857) 6 H.L.C. 61, la page 106; 10 E.R. 1216 la page 1234.
5 Craies on Statute Law, 7' éd. page 161.
[TRADUCTION]
Besogne 1. Tâche; spécialement, petit travail bien
(Job) déterminé du métier.
2. Tâche ou ouvrage fait contre rémuné-
ration ou en vue d'un profit.
4. Ce que l'on doit faire.
5. Affaire, entreprise, événement, état de choses.
Devoir Action ou acte que l'on doit accomplir
(Duty) en vertu d'une obligation morale ou juridique;
L'action ou la conduite à laquelle on est tenu envers un supérieur.
Service Accomplissement de tâches de domesti- que; action de servir; travail effectué sur l'ordre et au profit d'un maître.
Travail I 1. Ce qui est fait ou a été fait; ce
(Work) qu'une personne fait ou a fait; acte, action, procédé, entreprise.
2. Ce qui doit être fait ou ce que l'on a à faire; occupation, affaire, tâche, fonction.
Identique 1. Le même; exactement le même.
(Identical) 2. Parfaitement semblable en substance, constitution, propriétés, qualités ou signification.
Le Black's Law Dictionary, 4 e éd. (revisée) défi- nit le mot «sensiblement» (substantially) ainsi: [TRADUCTION] «essentiellement; sans restriction sérieuse; en général; pour l'essentiel; matérielle- ment; d'une manière sensible.»
Ainsi, en prenant les termes de l'article 4 dans leur sens littéral, courant et grammatical, le travail effectué pour un employeur par une employée et celui effectué par un employé sont réputés être exactement, ou essentiellement et sans restriction sérieuse, le même travail, si les tâches, les actes et les actions qu'on demande aux employés d'exécu- ter, ou ce qu'ils font pour l'employeur, sont exacte- ment, ou essentiellement et sans réserve sérieuse, les mêmes. Quand les exigences de la Loi sont exposées de cette façon, il n'est pas possible, à mon avis, de considérer le terme «travail» comme signi- fiant «un ensemble d'aptitudes» ainsi que l'a fait l'arbitre. Il a alors décidé implicitement, sinon d'une manière explicite, que le travail peut être sensiblement identique même si les besognes,
devoirs et services sont tout à fait différents.
Le caractère réformateur de cette loi n'affecte en rien le principe selon lequel on doit attribuer aux mots employés dans un article leur sens normal, littéral et grammatical, en particulier si, en s'écartant de ce principe, le sens des mots devient vague, inexact et difficile à appliquer à des situations de fait. En outre, je n'arrive pas à comprendre pourquoi mon interprétation de l'arti- cle «équivaudrait à n'en réserver l'application qu'aux emplois les plus inférieurs». Le travail des intimées ne peut certainement pas être considéré comme inférieur et pourtant elles-mêmes recon- naissent que leur travail est sensiblement identique à celui de l'autre assistant aux relations du travail, au sens restreint de ce terme dans mon interpréta- tion de cet article. Le commentaire de l'arbitre est certainement sans fondement.
D'après mon interprétation de l'article 4, le savant arbitre a-t-il commis une erreur en décidant que la requérante a violé ledit article dans sa façon de rémunérer les intimées? Strictement parlant, il n'est pas nécessaire de statuer sur ce point en raison de la décision que je me propose de prendre sur la requête; je suis cependant d'accord avec l'arbitre que l'argument de la requérante, selon lequel les précisions fournies par les intimées au début de l'audience devant l'arbitre ont modifié la nature de plaintes individuelles présentées initiale- ment au Ministre, en une plainte générale s'atta- quant au programme d'évaluation des postes de la requérante, est sans fondement puisque, comme l'arbitre le souligne, [TRADUCTION] «les plaintes portent essentiellement sur le fait que la mise en application de ce programme dénote l'attitude de la compagnie vis-à-vis de l'égalité de salaire entre hommes et femmes ...».
L'avocat des intimées a soutenu que, selon la preuve, elles ont été classées d'après les huit fac- teurs des trois grandes échelles d'évaluation, après la réalisation du programme d'évaluation des postes. Ayant été jugées «entièrement satisfaisan- tes» dans l'exécution de leur travail, elles avaient droit au salaire maximum du groupe dans lequel leurs postes étaient classés, c'est-à-dire le groupe 14, parce qu'elles avaient atteint le niveau maxi mum de leur ancien groupe 54. En l'absence de
l'un des facteurs permettant des exceptions à l'éga- lité de salaire, prévus au paragraphe 3 de l'article 4, il n'y avait aucune justification à créer, à l'inté- rieur du groupe 14, la catégorie X, dotée d'un salaire différent de celui de l'ensemble du groupe
14. Les intimées soutiennent et l'arbitre a conclu que cette subdivision et la différence de salaire étaient fondées sur le sexe de la majorité des personnes qui relevaient du groupe 54 avant la mise en application de ce programme.
A la page 18 de sa sentence, l'arbitre déclarait: [TRADUCTION] «il semble indiscutable que la raison pour laquelle certains postes, y compris ceux des plaignantes avaient reçu la désignation «X», était que la grande majorité de leurs titulaires était de sexe féminin». En toute déférence, il s'agit d'une conclusion qui, à mon avis, n'est pas étayée par des preuves. Les preuves claires et non réfutées indiquaient que cette désignation était motivée par le fait que la fusion des deux anciennes «hiérar- chies», masculine et féminine, devait avoir lieu sur une période de cinq ans, quoiqu'en réalité elle fut réalisée en deux ans environ. En classant ainsi ces personnes, de sexe masculin ou féminin, qui prove- naient de l'ancienne hiérarchie féminine, on vou- lait, du point de vue administratif, faciliter leur identification pendant la période de transition. Une telle identification était nécessaire d'après le témoignage de Bagnall, vice président adjoint pour les salaires et les avantages sociaux, pour faciliter la réalisation de modifications ultérieures au pro gramme, qui pourraient s'avérer nécessaires.
Que ce soit ou non le cas, n'a pas d'importance à mon avis. La seule question est de savoir si le travail effectué par les intimées était identique ou sensiblement identique à celui des autres personnes du groupe 14. Autrement dit, les besognes, devoirs ou services qu'elles étaient appelées à accomplir étaient-ils les mêmes ou essentiellement les mêmes que ceux de l'un quelconque des employés mascu- lins du groupe 14 n'appartenant pas à la catégorie «X»?
On trouve au dossier un organigramme indi- quant les différents postes du personnel d'adminis- tration du siège social, relevant des groupes 14 et
15. Il révèle que le poste d'«adjoint-relations du travail» figure sous la rubrique «siège social- autres», avec un certain nombre d'autres assistants
affectés à d'autres services ou agences, les commis en chef, le bibliothécaire et technicien d'exposi- tions. On trouve aussi au dossier les descriptions de postes de certains employés compris sous la rubri- - que «siège social-autres» ainsi que de 1'«adjoint- budget et résultats» dont le poste figure sous la rubrique «commercial» de l'organigramme.
Un examen rapide des fonctions et responsabili- tés de chaque poste ainsi décrit révèle de grandes différences dans les tâches remplies et les respon- sabilités assumées par chacun. Par exemple, le poste d'«assistant-relations du travail» n'a pas de responsabilité de surveillance, alors que les postes d'adjoints techniques et de techniciens d'exposi- tions, qui ne sont pas classés dans la catégorie «X», en ont de même que le poste d'«adjoint-budget et résultats» qui, lui, est désigné «X».
Il ressort de la preuve que ces postes et d'autres compris dans la catégorie 14 ont été regroupés, pour faire cadrer le salaire des personnes occupant ces postes avec celui des employés qui fournissent à la direction un travail similaire et pour les rémunérer sur une base comparable au barèmes de salaires utilisés dans d'autres industries pour des postes similaires.
Le travail accompli par le titulaire de chaque poste pouvait ne pas être identique mais pouvait bien être sensiblement identique, c'est-à-dire essentiellement le même, à celui d'autres employés occupant le même poste. Mais il est évident, d'après les descriptions de postes, que les employés occupant d'autres fonctions au sein du groupe accomplissaient des tâches et des services sensible- ment différents; cependant la compagnie jugeait que ces divers services et les rémunérations en découlant étaient équivalents. Ces employés étaient donc classés dans la même catégorie de salaire.
Donc la conclusion de l'arbitre, décidant que les intimées ne recevaient pas un salaire égal pour un travail égal, n'est pas fondée, à mon avis. Celles-ci ainsi que l'autre personne qui exécutait essentielle- ment les mêmes tâches étaient rémunérées sur la même base et aucune preuve ne permet de con- clure qu'il y a eu violation des dispositions de la Loi.
En conséquence la sentence de l'arbitre devrait être annulée et l'affaire renvoyée à l'arbitre pour y
donner suite en partant du principe que les plaintes ne sont pas appuyées par les preuves.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY a souscrit à l'avis.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.