A-135-73
Phil Borden Limited (Appelante)
c.
Uarco Incorporated (Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges
Thurlow et Urie—Ottawa, les 29 et 31 octobre
1975.
Marques de commerce—Demande d'enregistrement d'une
marque de commerce américaine au Canada—Demande anté-
rieure d'un concurrent—S'agit-il d'une marque de commerce
utilisée antérieurement au Canada—Vente d'articles améri-
cains au Canada—Y a-t-il eu »emploi»—Loi sur les marques
de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, art, 2, 4.
L'intimée, une compagnie du Delaware, qui déploie son
activité aux États-Unis depuis 1894, utilise la marque de
commerce «uARCo» en association avec des articles qu'elle
fabrique, savoir de la papeterie et des machines de bureau. Le 5
novembre 1968, elle a demandé l'enregistrement de la marque
de commerce au Canada. L'appelante s'est opposée à la
demande car elle avait déposée une demande d'enregistrement
de la même marque de commerce le 18 juillet 1968. Le
registraire des marques de commerce a rejeté la demande de
l'intimée au motif que cette dernière n'avait pas employé ladite
marque de façon continue au Canada avant la date de sa
demande, au sens de l'article 4 de la Loi sur les marques de
commerce et qu'en conséquence, la marque prêtait à confusion
avec celle demandée par l'appelante. En appel devant la Divi
sion de première instance, l'intimée a établi qu'elle avait vendu
en 1963 une machine portant la marque «UARco» à une compa-
gnie canadienne et qu'en 1967 et 1968, elle avait expédié à des
clients canadiens des articles provenant de ses usines américai-
nes dans des boîtes ou des cartons portant la marque «UARCo».
La Division de première instance a jugé que l'intimée
«employait» la marque au Canada avant le 18 juillet 1968 au
sens des articles 2, 4 et 16 de la Loi sur les marques de
commerce et qu'elle avait donc droit à l'enregistrement de la
marque.
Arrêt: l'appel est rejeté. La marque de commerce de l'intimée
a été employée au Canada au sens de la Loi sur les marques de
commerce en liaison avec les marchandises vendues, et expé-
diées au Canada, à des clients canadiens.
Arrêt confirmé: Uarco Incorporated c. Phil Borden Limi
ted [1973] C.F. 650.
APPEL.
AVOCATS:
J. O'Grady pour l'appelante.
W. Meredith et J. C. Singlehurst pour
l'intimée.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Greenberg, O'Grady,
Morin, Ottawa, pour l'appelante.
Meredith et Finlayson, Ottawa, pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Appel est interjeté
d'une décision du tribunal de première instance'
en matière de marques de commerce; la seule
question en litige entre les parties est de savoir si
l'intimée a prouvé qu'elle a employé au Canada la
marque de commerce «UARCO», avant le 18 juillet
1968, date du dépôt par l'appelante d'une
demande d'enregistrement de la marque de
commerce.
Voici l'extrait des motifs du jugement où le
savant juge de première instance s'est prononcé sur
cette question:
Selon moi, la preuve établit qu'en mai 1963, l'appelante a
vendu et expédié la coupeuse susmentionnée à la Ford Com
pany à Oakville (Ontario) et qu'elle a vendu et expédié d'autres
articles entre 1967 et 1972 partir de ses usines aux États-Unis
pour livraison à ses clients canadiens au Canada, que ces clients
ont payé les articles et que les articles ainsi que leurs emballa-
ges portaient la marque de commerce UARCO, marque de
l'appelante. Il est établi que la Ford Company a reçu cette
coupeuse à Oakville, où elle l'a utilisée puis transférée à
Windsor, et l'on peut raisonnablement estimer que les autres
clients canadiens ont reçu leurs articles au Canada dans le
cours normal du commerce international entre les deux pays. Il
existait à mon avis un réseau direct (voir l'arrêt Manhattan
Industries [4 C.P.R. (2') 6]) de vente et de livraison des
articles, selon les usages commerciaux, partant de l'expédition
des articles des usines de l'appelante aux États-Unis pour se
terminer à la réception réelle de ces articles par les clients
canadiens au Canada. Or l'appelante a effectué nombre d'opé-
rations commerciales portant sur ces articles au Canada avant
et après le 18 juillet 1968, y compris pendant l'année 1972. Vu
cette évaluation des éléments de preuve, on peut dire qu'anté-
rieurement au 18 juillet 1968, l'appelante a «employé» la
marque de commerce au Canada au sens où l'entendent les
articles 2, 4 et 16 de la Loi sur les marques de commerce.
Je suis d'accord avec cette partie des motifs du
jugement du savant juge de première instance et je
serais prêt à rejeter l'appel, sans plus.
Cependant, pour éviter tout malentendu quant à
mon opinion à l'égard de l'article 4 de la Loi sur
les marques de commerce, et par respect pour la
plaidoirie de l'avocat de l'appelante, je crois oppor-
tun de faire quelques commentaires sur le point de
' [1973] C.F. 650.
droit soulevé devant cette cour.
Aux fins de cet examen, il suffira de citer les
dispositions suivantes de la Loi sur les marques de
commerce:
2. Dans la présente loi
«marque de commerce» signifie
a) une marque qui est employée par une personne aux fins ou
en vue de distinguer des marchandises fabriquées, vendues,
données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés,
par elle, de marchandises fabriquées, vendues, données à bail
ou louées ou de services loués ou exécutés, par d'autres,
b) une marque de certification,
e) un signe distinctif, ou
d) une marque de commerce projetée;
«emploi» ou «usage», à l'égard d'une marque de commerce
signifie tout emploi qui, selon l'article 4, est réputé un emploi
en liaison avec des marchandises ou services;
4. (1) Une marque de commerce est censée employée en
liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la pro-
priété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique
normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises
mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont
distribuées ou si elle est, de quelque autre manière, liée aux
marchandises au point qu'avis de liaison est alors donné à la
personne à qui la propriété ou possession est transférée.
(2) Une marque de commerce est censée employée en liaison
avec des services si elle est employée ou montrée dans l'exécu-
tion ou l'annonce de ces services.
(3) Une marque de commerce mise au Canada sur des
marchandises ou sur les colis qui les contiennent est censée,
quand ces marchandises sont exportées du Canada, être
employée dans ce pays en liaison avec lesdites marchandises.
D'après l'interprétation habituelle de l'article
4(1), en corrélation avec la définition d'uemploi» à
l'article 2, il faut qu'il y ait eu transfert de pro-
priété ou de possession des marchandises en ques
tion au Canada pour pouvoir conclure qu'une
marque de commerce a été employée au Canada.
Cette interprétation des dispositions en cause est
certes défendable; si elle est exacte, je suis d'avis
que les conclusions de faits du savant juge de
première instance justifient le rejet de l'appel pour
les motifs qu'il a donnés. Cependant, je ne me
prononcerai pas sur l'exactitude de cette interpré-
tation, car l'issue de cet appel demeurerait inchan-
gée même si l'autre interprétation possible de l'ar-
ticle 4 s'avérait la meilleure. Je résume l'autre
interprétation possible qui, à mon avis, devra être
examinée en temps opportun.
1. L'«emploi» d'une marque de commerce au
sens de la Loi et selon la définition de l'expres-
sion «marque de commerce», est l'utilisation de
la marque de commerce par le propriétaire «aux
fins ou en vue de distinguer» ses marchandises
ou services de ceux des autres;
2. cependant, lorsque le mot «emploi» est utilisé
dans la Loi en relation avec une marque de
commerce, sa définition en limite l'application
aux modes d'utilisation de la marque, en liaison
avec des marchandises ou des services, dont il
est question à l'article 4;
3. l'article 4(1) stipule notamment qu'une
«marque de commerce est censée employée en
liaison avec des marchandises si ... elle est
apposée sur les marchandises mêmes». 2
Si l'on s'en tenait à cela, il faudrait conclure que
lorsque la Loi parle d'emploi d'une marque de
commerce en liaison avec des marchandises, il faut
comprendre toute utilisation prévue à l'article 4(1)
dans le but précisé dans la définition de «marque
de commerce», c'est-à-dire, dans le but de distin-
guer les marchandises produites par le propriétaire
de la marque de commerce, des marchandises
produites par quelqu'un d'autre; d'après cette
interprétation qui, je crois, a une certaine valeur, il
serait fait droit à l'intimée dans la présente affaire,
dans la mesure où la marque de commerce est
apposée, après leur entrée au Canada, sur les
marchandises qu'elle a vendues à des clients cana-
diens et dans la mesure où il s'agit de l'usage
normal d'une marque de commerce pour indiquer
la provenance des marchandises.
Cependant, je ne veux pas me prononcer inutile-
ment sur cette interprétation à ce moment-ci, car il
faudrait alors résoudre le problème que posent, à
l'article 4(1), les mots «lors du transfert de la
propriété ou de la possession de ces marchandises,
dans la pratique normale du commerce». Je dois
admettre qu'il m'est très difficile, du point de vue
grammatical, de faire accorder ces mots avec le
reste de l'article 4(1) et de leur donner un effet
utile à l'économie générale de la Loi sur les mar-
2II existe deux méthodes possibles, qu'il n'est pas nécessaire
de mentionner.
ques de commerce telle que je la comprends. 3 Il
me semble évident que les expressions en question
exigent que la marque de commerce soit apposée
sur les marchandises au moment de la vente ou du
transfert de possession par le propriétaire de la
marque de commerce. Ces mots ne semblent pas
exiger que la vente ou le transfert ait lieu au
Canada pour qu'il y ait «emploi» au Canada.
Cependant, je ne suis pas vraiment certain du but
de cette exigence et par conséquent, je préfère ne
pas me prononcer sur la signification exacte de
l'article 4(1) avant qu'il soit nécessaire de le faire.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés oralement par
LE JUGE THURLOW: Je suis d'accord avec les
conclusions et les motifs du savant juge de pre-
mière instance, selon lesquels la marque de com
merce de l'intimée était employée au Canada au
sens de la Loi sur les marques de commerce en
liaison avec les marchandises vendues et expédiées
à des clients canadiens.
D'après le droit en matière de vente, le transfert
de propriété des marchandises dans de telles cir-
constances peut avoir lieu aux États-Unis et la
livraison des biens aux États-Unis par le fabricant
à un transporteur pour leur expédition aux clients,
peut constituer livraison des marchandises aux
clients. Dans la présente affaire, cependant, je
crois qu'il n'est pas question de théories ou de
raisonnements juridiques sur la vente de biens. Il
s'agit de l'emploi d'une marque de commerce sur
le marché lors d'une opération à caractère
international.
Dans chaque cas, lorsque l'intimée vendait des
marchandises à des acheteurs canadiens, il y avait
une opération commerciale qui, du point de vue de
l'emploi d'une marque de commerce, commençait
au Canada par une commande à un fabricant
américain qui répondait à cette commande en
3 Je n'ai pas encore compris pourquoi l'utilisation de marques
de commerce sur des marchandises, avant la vente ou la
livraison, ne constituerait pas, dans certains cas, un emploi
approprié (par exemple, à des foires commerciales, sur des
comptoirs d'étalage, etc.), ni pourquoi l'emploi de la marque de
commerce sur des marchandises ne serait pas approprié si elle
n'était pas apposée au moment de la vente ou de la livraison
(dans le cas par exemple, des ventes en bloc, où l'on stipule que
l'acheteur apposera la marque de commerce après la vente).
expédiant aux clients canadiens des marchandises
portant sa marque de commerce; les marchandises
sur lesquelles était apposée la marque de com
merce étaient alors livrées aux clients, au Canada.
D'après moi, cela constituait un emploi de la
marque au Canada au sens de l'article 4 de la Loi.
A mon avis, cela suffit pour trancher la présente
affaire et, comme le juge en chef, je ne me pronon-
cerai pas sur les problèmes d'interprétation de
l'article 4 de la Loi, dont il a été question dans les
plaidoiries.
L'appel devrait être rejeté.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés oralement par
LE JUGE URIE: Je souscris aux motifs et aux
jugements du juge en chef et du juge Thurlow. Je
tiens à souligner mon accord avec l'opinion du juge
Thurlow sur les liens entre le droit en matière de
vente de marchandises et les questions en litige
dans cette affaire de marque de commerce.
Dans ses motifs, le juge en chef a brièvement
fait état de certains problèmes qu'implique l'inter-
prétation de l'article 4 de la Loi sur les marques
de commerce. Je n'ai pas d'opinion bien arrêtée sur
cette question mais, compte tenu des conclusions
du juge de première instance, je n'ai pas à le faire.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.