T-4878-73
L'Administration de pilotage des Laurentides
(Demanderesse)
c.
Shell Canada Limited (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Dubé—
Montréal, les 3 et 10 octobre 1975; Ottawa, le 10
décembre 1975.
Droit maritime—Pilotage—La demanderesse réclame des
frais de pilotage relativement à un deuxième pilote—La
défenderesse allègue qu'elle s'est opposée à l'affectation d'un
deuxième pilote et que les règlements en vertu desquels les
tarifs en question sont exigés étaient abrogés—Loi sur le
pilotage, S.C. 1970-71-72, c. 52, art. 3, 12 et 43(4),(6),(7) et
ses modifications S.C. 1973-74, c. 1—Loi sur la marine
marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, art. 307 et 330—
Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, art. 36f),g),h).
La demanderesse réclame à la défenderesse des frais de
pilotage relativement à un deuxième pilote à bord du navire de
la défenderesse en avril, mai et juin 1973. La défenderesse
allègue qu'elle s'est opposée à l'affectation d'un deuxième pilote
et que les règlements en vertu desquels les tarifs ont été exigés
étaient abrogés.
Arrêt: la défenderesse est responsable du paiement. La Loi
sur le pilotage qui remplace la Partie VI de la Loi sur la
marine marchande du Canada maintient en vigueur (article
43(4)) les règlements établis sous la Loi sur la marine mar-
chande du Canada pendant une année, soit jusqu'au 1°" février
1973. Subséquemment, lesdits règlements ont été maintenus en
vigueur jusqu'au 1" février 1974. En vertu de l'article 43(4), le
Règlement général de la circonscription de pilotage de Québec,
dans sa forme modifiée est demeuré en vigueur jusqu'au 1"
février 1974. L'article 43(6) de la Loi sur le pilotage permet à
une Administration d'annuler tout règlement dans sa région.
L'article 43(7) maintient en vigueur les zones de pilotage
obligatoires de la Partie VI de la Loi sur la marine marchande
du Canada; l'article 307 de cette loi définit la circonscription de
pilotage de Québec et l'article 330 rend obligatoire le paiement
des droits de pilotage dans les limites d'une circonscription.
L'article 15 du Règlement général a été modifié en 1970 et
prévoit au paragraphe (9) l'affectation de deux pilotes. En
1972, l'article 6(1) a été adopté, autorisant le paiement de deux
pilotes, ainsi qu'il est exposé à l'annexe A. En 1973, l'annexe A
a été annulée; cependant, la circonscription en question n'a pas
été touchée. En 1973 également, on a introduit un tarif nou-
veau pour la circonscription n° 2 (annexe C). La défenderesse
allègue que l'annulation de l'annexe A abroge par le fait même
l'article 6(1), lequel prescrivait les droits de pilotage pour deux
pilotes. Cependant, la modification annulant l'annexe A
n'abroge que cette dernière; elle n'annule pas l'article 6(1). Cet
article reste en vigueur et renvoie encore à l'annexe A qui est
annulée, plutôt qu'à la nouvelle annexe C. Attendu que l'article
6(1) autorisant le paiement du deuxième pilote n'a jamais été
abrogé, il demeure en vigueur et renvoie maintenant à l'annexe
C. Le paiement du double pilotage établi par l'annexe C est
toujours exigible suivant l'article 6(1). L'Administration a
imposé deux pilotes par mesure de sécurité, et il n'appartient
pas au tribunal de déterminer si l'affectation de deux pilotes
était nécessaire pour cette raison. Par le biais de la Loi sur le
pilotage, le législateur a autorisé l'Administration à faire fonc-
tionner un service de pilotage efficace pour sa région et à
imposer des frais de pilotage. Le navire qui s'engage dans cette
région est assujetti aux règlements en vigueur, aux décisions de
l'Administration qui reposent sur ces règlements et aux frais
qui en découlent.
Arrêt approuvé: Brown c. Martineau [1966] R.L. 1.
ACTION.
AVOCATS:
G. P. Major pour la demanderesse.
J. Laurin et S. Hyndman pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Guy P. Major, Montréal, pour la
demanderesse.
McMaster, Meighen, Minnion, Patch, Cor-
deau, Hyndman & Legge, Montréal, pour la
défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DuBÉ: La demanderesse, une corpora
tion établie en vertu de l'article 3 de la Loi sur le
pilotage' réclame un montant de $1,869.06 de la
part de la défenderesse pour frais de pilotage
relativement à un deuxième pilote à bord du vais-
seau Eastern Shell au cours de l'année 1973 pour
des voyages Québec-Chicoutimi.
Au cours de l'audition un amendement en vertu
de la Règle 425 a été permis aux fins de corriger le
nom de la défenderesse. Il est apparu qu'en fait la
corporation Shell Canada Limited avait une
entente écrite avec Shell Canadian Tankers (1964)
Limited selon laquelle la première corporation
agissait comme affréteuse et la seconde comme
propriétaire de certains vaisseaux dont le Eastern
Shell. Cette entente en date du l er juillet 1972 et
déposée par la défenderesse (pièce D-12) est signée
par le même président et le même secrétaire pour
les deux corporations. Il a également été établi que
les deux corporations habitaient sous un même
toit. Le procureur de la défenderesse a consenti à
l'amendement et pour les fins de ce jugement le
nom de la défenderesse devient Shell Canadian
Tankers (1964) Limited.
S.C. 1970-71-72, c. 52.
La défenderesse allègue qu'elle s'est objectée à
l'affectation d'un deuxième pilote au cours des
voyages en question, soit entre Québec et Chicou-
timi, les 17 avril, 2, 25 et 26 mai, 12 juin, 11 et 13
juillet 1973. Elle prétend que cette imposition d'un
deuxième pilote n'était pas une précaution sécuri-
taire mais plutôt pour satisfaire à une convention
collective entre la demanderesse et la Corporation
des pilotes du bas St-Laurent. Elle allègue égale-
ment que les Règlements en vertu desquels les
tarifs en question sont exigés étaient abrogés par
ordre-en-conseil.
Il appert qu'il s'agit ici d'une cause type dont la
décision affectera d'autres réclamations de la
demanderesse à l'endroit d'autres propriétaires de
vaisseaux qui se sont vus imposer un deuxième
pilote dans des circonstances semblables.
La Loi sur le pilotage proclamée le 1 er février
1972, remplace la Partie VI sur le pilotage de la
Loi sur la marine marchande du Canada 2 et
établit par l'article 3 quatre Administrations de
pilotage désignées dans l'Annexe, soit l'Adminis-
tration de pilotage de l'Atlantique, celle des Lau-
rentides comprenant toutes les eaux sises dans la
province de Québec moins certaines exceptions,
celles des Grands Lacs et du Pacifique. La Loi
établit à l'article 43 des dispositions transitoires,
abrogatives et résultantes. Le quatrième paragra-
phe maintient les Règlements établis sous la Loi
sur la marine marchande du Canada en vigueur
pendant une année à compter de l'entrée en
vigueur de la présente Loi, soit jusqu'au 1 e1 février
1973, à moins d'être annulés par une
Administration.
43. (4) Tout règlement qui a été établi ou déclaré avoir été
établi par une autorité de pilotage telle qu'elle est définie dans
la Loi sur la marine marchande du Canada et tout règlement
établi en application de la Partie VIA de cette loi et en vigueur
ou censé être en vigueur lors de l'entrée en vigueur de la
présente loi, demeurent exécutoires pendant une année à comp-
ter de l'entrée en vigueur de la présente loi, à moins d'être
annulés par une Administration.
Cet article 43(4) a été amendé subséquem-
ment 3 . Sanctionné le 31 janvier 1973, l'amende-
ment maintient lesdits Règlements en vigueur jus-
qu'au ler février 1974, moins d'être annulés par
2 S.R.C. 1970, c. S-9.
3 S.C. 1973-74, c. 1.
une Administration.
Le Règlement général de la circonscription de
pilotage de Québec 4 établi en vertu de la Loi sur
la marine marchande du Canada est entré en
vigueur le 7 février 1957 et en vertu de l'article
43(4) est donc demeuré en vigueur tel qu'amendé
au cours des années, jusqu'au ler février 1974, à
moins d'être annulé par une Administration.
L'article 43(6) de la Loi permet à une Adminis
tration avec l'approbation du gouverneur en con-
seil d'annuler tout Règlement dans sa région:
43. (6) Une Administration peut, avec l'approbation du
gouverneur en conseil, annuler tout règlement maintenu en
vigueur par le paragraphe (4) et qui a effet dans toute partie de
la région indiquée dans l'annexe en ce qui concerne cette
Administration.
L'article 43(7) maintient en vigueur sous la
présente loi les zones de pilotage obligatoires de la
Partie VI de la Loi sur la marine marchande du
Canada et l'article 307 de cette Loi définit la
circonscription de pilotage de Québec comme com-
prenant le fleuve St-Laurent de l'extrémité ouest
du port de Québec jusqu'au large de Pointe-au-
Père, y compris la rivière Saguenay. L'article 330
rend obligatoire le paiement des droits de pilotage
dans les limites d'une circonscription.
L'article 15 du Règlement général précité traite
de l'affectation des pilotes et le paragraphe (6) se
lit comme suit:
15. (6) Il n'est pas affecté plus d'un pilote à un navire mais,
dans le cas d'un remorqueur et d'une remorque, il peut en être
affecté un à chaque bâtiment; le Surintendant indique alors
lequel des pilotes est responsable.
Cet article 15 a été modifié le 24 novembre 1970
par le Règlement DORS/70-513 qui se lit comme
suit:
15. (9) Nonobstant le paragraphe (6), lorsqu'il faut deux
pilotes pour assurer la navigation sûre d'un navire, le Surinten-
dant peut affecter deux pilotes au navire et il doit, dans ce cas,
déterminer lequel de ces deux pilotes en aura la conduite.
Le droit du Surintendant d'affecter deux pilotes
est fondé sur l'article 12 de la Loi qui décrit les
objets et pouvoirs de l'Administration:
12. Une Administration a pour objets d'établir, de faire
fonctionner, d'entretenir et de gérer, pour la sécurité de la
navigation, un service de pilotage efficace dans la région indi-
quée dans l'annexe en ce qui concerne cette Administration.
DORS/57-51, C.P. 1957-191.
L'affectation de deux pilotes étant autorisée par
le Règlement DORS/70-513, le paiement en était
autorisé par le DORS/72-5 en date du 13 janvier
1972, soit:
6. (1) Sauf tout cas d'exemption prévu par la Loi ou par le
présent règlement, les droits de pilotage établis à l'annexe A
doivent être payés pour les services de chaque pilote dont les
services sont retenus pour un navire.
Il est à remarquer que ce dernier Règlement est
entré en vigueur quelque deux semaines avant que
l'Administration prenne existence en vertu de la
proclamation de la Loi le ler février 1972.
Le 8 mars 1973, par le biais du DORS/73-136,
l'Administration annule les alinéas 2(1)e),g) et h),
le paragraphe 2(2), les articles 7, 8 et 9 et l'An-
nexe A du Règlement.
Ladite Annexe A se retrouve au DORS/72-388
et prescrit les tarifs des droits de pilotage devant
être payés à l'Administration de pilotage des Lau-
rentides pour la circonscription n° 1. Le port de
Québec et les eaux du St-Laurent à l'est ainsi que
la rivière Saguenay formant la circonscription n° 2,
cette circonscription n'est donc pas affectée par
l'annulation de l'Annexe A.
Par contre, DORS/73-135, également en date
du 8 mars 1973, introduit un tarif nouveau pour la
circonscription n° 2, celle de Québec et du Sague-
nay, une structure de tarifs semblable à l'Annexe
A intitulée Annexe C, avec majoration des droits.
La défenderesse allègue que le DORS/73-136
annulant l'Annexe A de l'ancien tarif annule par le
fait même le DORS/72-5 du 13 janvier 1972
lequel prescrivait que les droits de pilotage établis
à l'Annexe A doivent être payés.
Mais en fait, ledit DORS/73-136 n'abroge que
l'Annexe A, il n'annule pas l'article 6(1) qui
permet le paiement d'un autre pilote. Et l'Annexe
A est remplacée le même jour par l'Annexe C.
Cependant, l'article 6(1) demeure toujours et
réfère encore à l'Annexe A qui est annulée au lieu
de la nouvelle Annexe C de la même date.
L'article 36 de la Loi d'interprétations traite
d'abrogation et de remplacement et les alinéas
5 S.R.C. 1970, c. I-23.
1),g) et h) sont d'intérêt particulier dans cette
cause.
36. Lorsqu'un texte législatif (au présent article appelé
«texte antérieur») est abrogé et qu'un autre texte législatif (au
présent article appelé «nouveau texte») y est substitué,
J) sauf dans la mesure où les dispositions du nouveau texte
ne sont pas, en substance, les mêmes que celles du texte
antérieur, le nouveau texte ne doit pas être réputé de droit
nouveau; il doit s'interpréter comme une codification et une
manifestation de la loi que le texte antérieur renfermait et
avoir l'effet d'une semblable codification et manifestation;
g) tous les règlements établis aux termes du texte législatif
abrogé restent en vigueur et sont réputés avoir été établis
d'après le nouveau texte, dans la mesure où ils ne sont pas
incompatibles avec ce dernier, jusqu'à ce qu'ils soient abrogés
ou remplacés par d'autres; et
h) toute référence, dans un texte législatif non abrogé, au
texte antérieur doit, en ce qui concerne une opération, affaire
ou chose subséquente, être considérée et interprétée comme
une référence aux dispositions du nouveau texte portant sur
le même sujet que le texte antérieur; mais s'il n'existe, dans le
nouveau texte, aucune disposition sur le même sujet, le texte
antérieur doit s'interpréter comme n'étant pas abrogé dans la
mesure nécessaire pour maintenir le texte législatif non
abrogé ou y donner effet.
Dans l'arrêt Brown c. Martineau 6 , la Cour
Supérieure de la province de Québec décidait [à la
page 1] que «l'abrogation d'une loi par voie de
modification, de revision ou de codification n'a pas
pour effet d'abroger les règlements ou ordonnances
adoptées en vertu de la loi abrogée tant et aussi
longtemps que ces ordonnances ou règlements ne
sont pas incompatibles avec la loi substituée ou
annulés ou remplacés par d'autres».
Attendu que l'article 6(1) autorisant le paie-
ment du deuxième pilote n'a jamais été abrogé, il
demeure en vigueur et réfère maintenant à la
nouvelle Annexe C. Donc le paiement du double
pilotage établi par l'Annexe C du 8 mars 1973, est
toujours exigeable suivant l'article 6(1).
En vertu de ses pouvoirs, l'Administration a
décidé d'imposer deux pilotes pour les trajets de
longue durée, soit de treize heures et plus, ce qui
est le cas des trajets Québec-Chicoutimi, qui font
l'objet de la réclamation de la demanderesse dans
cette cause. L'Administration prétend qu'il n'est
pas sécuritaire d'affecter un seul pilote pour un
trajet de plus de treize heures et ses témoins
6 [1966] R.L. 1.
s'appuient sur leur propre expérience de capitaine
pour le démontrer. La défenderesse prétend le
contraire et ses prétentions sont également soute-
nues par ses propres témoins. Il n'appartient pas
au tribunal de déterminer si l'affectation de deux
pilotes est nécessaire à la sécurité d'un tel voyage.
Cette décision relève de l'Administration en vertu
des pouvoirs que lui accordent la Loi et les
Règlements.
Par le biais de la Loi sur le pilotage, le législa-
teur a autorisé l'Administration à faire fonctionner
un service de pilotage efficace pour sa région et à
imposer des frais de pilotage. Le navire qui s'en-
gage dans les eaux de cette région est assujetti aux
Règlements en vigueur, aux décisions de l'Admi-
nistration qui reposent sur ces Règlements et aux
frais qui en découlent.
La défenderesse est donc responsable du paie-
ment des droits de pilotage réclamés par la deman-
deresse. Jugement en faveur de la demanderesse
pour le montant de $1,869.06 avec dépens.
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