T-3369-75
In re Le procureur général du Canada et in re une
demande de mandat de main-forte en vertu de la
Loi sur les douanes
Division de première instance, le juge Collier—
Ottawa, le 6 octobre 1975.
Douanes et accise—Demande d'émission d'un mandat de
main-forte à un préposé aux douanes—La Cour ne peut
exercer aucun pouvoir discrétionnaire et doit émettre le man-
dat—Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, c. C-40, art. 139 et
145—Règle 324 de la Cour fédérale.
Lorsque le procureur général du Canada présente une
demande en vertu de l'article 145 de la Loi sur les douanes
visant l'émission d'un mandat de main-forte, le juge de la
présente cour doit émettre ledit mandat conformément à la
demande à la seule condition qu'il soit convaincu que la per-
sonne mentionnée dans la demande est un «préposé». La Cour
ne peut exercer aucun pouvoir discrétionnaire en ce qui con-
cerne l'émission de ces mandats malgré les très vastes pouvoirs
qu'ils confèrent.
Arrêt suivi: Re Mandats de main-forte [1965] 2 R.C.É. 645.
DEMANDE.
AVOCATS:
Demande écrite en vertu de la Règle 324 de la
Cour fédérale.
PROCUREUR:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: En vertu de l'article 145 de
la Loi sur les douanes 1 , le procureur général du
Canada, ex parte, demande l'émission d'un
mandat de main-forte à Gloria Jane MacCabe
[TRADUCTION] «employée à la Division des enquê-
tes des douanes et accise à titre d'enquêteur chargé
de l'application de ...» la Loi sur les douanes.
Comme le permet la Règle 324 de la Cour fédé-
rale, la demande était écrite et non orale. L'affida-
vit de George R. Nicholson est le seul document
présenté à l'appui de la demande. Voici le texte
complet de l'affidavit:
[TRADUCTION] 1. Je suis un préposé aux douanes et occupe
présentement le poste de directeur de la Division des enquêtes
des douanes et accise chargé des enquêtes sur les infractions
possibles à la Loi sur les douanes et, à ce titre, j'ai connaissance
des faits mentionnés ci-après.
S.R.C. 1970, c. C-40.
2. La personne mentionnée dans la présente demande d'émis-
sion de mandat de main-forte est une employée à la Division
des enquêtes des douanes et accise à titre d'enquêteur chargé de
l'application de la Loi sur les douanes.
Le mandat de main-forte demandé se lit comme
suit (j'ai éliminé certaines expressions plus
formelles):
[TRADUCTION] A Gloria Jane MacCabe, préposée aux
douanes;
Par les présentes vous êtes autorisée, en vertu de l'article 145
de la Loi sur les douanes, à tout moment de jour ou de nuit, à
pénétrer dans tout bâtiment ou autre lieu situé dans le ressort
de cette cour, à rechercher, saisir et mettre en sûreté tous effets
que vous avez raisonnablement lieu de croire sujets à confisca
tion en vertu de la Loi sur les douanes et, en cas de nécessité,
dans ce but, à enfoncer les portes et briser les coffres et autres
colis.
Témoin un juge de notre Cour fédérale du Canada.
Comme on peut le constater, ce mandat peut
rester en vigueur pendant plusieurs années. Il ne
vise présentement aucune infraction présumée en
particulier et ne concerne aucune enquête sur les
activités d'une personne précise. Les pouvoirs con-
férés sont très vastes et, s'ils n'étaient consacrés
par la Loi, ils constitueraient une atteinte à la vie
privée, à la propriété et aux droits civils. L'article
145 de la Loi se lit comme suit:
Un juge de la Cour fédérale du Canada peut émettre un
mandat de main-forte à un préposé sur demande du procureur
général du Canada, et pareil mandatreste en vigueur tant que
la personne qui y est nommée demeure un préposé, que ce soit
en la même qualité ou non.
et l'article 139:
Sous l'autorité d'un mandat de main-forte, tout préposé ou
toute personne employée à cette fin, du consentement du gou-
verneur en conseil exprimé soit par un décret spécial ou par une
nomination spéciale, soit par un règlement général, peut, à tout
moment, de jour ou de nuit, pénétrer dans tout bâtiment ou
autre lieu situé dans le ressort de la cour par laquelle est émis
ce mandat, et rechercher, saisir et mettre en sûreté tous effets
qu'il a raisonnablement lieu de croire sujets à confiscation, en
vertu de la présente loi, et, en cas de nécessité, il peut, dans ce
but, enfoncer les portes et briser les coffres et autres colis.
Étant juge de cette cour depuis peu de temps, je
fus d'abord très surpris et j'eus de la difficulté à
croire qu'on puisse demander une chose pareille à
la Cour ou qu'elle doive, à la lumière de données si
ténues et si peu révélatrices, prêter son concours
pour investir un préposé gouvernemental inconnu
de si vastes pouvoirs pour une période
indéterminée.
Je suis content d'apprendre que je ne suis pas le
seul dans cette cour (ou celle qui l'a précédée) à
avoir été surpris et incrédule face à des demandes
sollicitant de tels pouvoirs. Le président Jackett
(maintenant juge en chef) a étudié cet épineux
problème en 1965z. Il a dit aux pages 647 et 648:
[TRADUCTION] Compte tenu des très vastes pouvoirs que la
Loi accorde au détenteur d'un mandat de main-forte et étant
donné qu'en vertu de cette loi, une fois émis, un tel mandat
reste en vigueur pendant toute la carrière du préposé auquel il
est accordé, il, est important d'étudier avec soin les circons-
tances dans lesquelles un de ces mandats devrait être émis ainsi
que la forme de ce mandat.
Je juge bon de répéter ses conclusions parce
qu'elles indiquent que cette cour se plie avec réti-
cence aux exigences de la Loi et qu'elle ne peut ni
exprimer son avis ni exercer un pouvoir discrétion-
naire en ce qui concerne l'émission de ces mandats
qui sont alors confiés à des personnes qui, dans des
cas particuliers, pourraient abuser gravement de
ces pouvoirs de perquisition illimités:
[TRADUCTION] Il faut remarquer que, même si la Loi sur les
douanes prévoit qu'un juge de la Cour de l'Échiquier «peut
émettre» un mandat de main-forte sur demande du procureur
général du Canada, les autres lois résumées ci-dessus prévoient
qu'un juge de la Cour de l'Échiquier du Canada «doit émettre»
un mandat de main-forte sur demande soit du procureur géné-
ral du Canada soit du ministre de la Santé nationale et du
Bien-être social. Par conséquent, il faut d'abord décider si le
mot «doit», dans ces trois lois, oblige un juge de la Cour de
l'Échiquier à émettre le mandat de main-forte sur réception de
la demande prescrite, sans aucun autre document, sauf ceux qui
sont nécessaires pour prouver que la personne à laquelle le
mandat doit être émis est le préposé compétent, si la loi précise
que le mandat ne doit être émis qu'à une catégorie particulière
de préposés. Si tel est le cas, et c'est la conclusion qui s'impose,
il me faut alors décider si le mot «peut» dans les dispositions
correspondantes de la Loi sur les douanes signifie que la Loi a
accordé à la Cour un pouvoir discrétionnaire qui doit être
exercé de façon judiciaire et implique, par conséquent, que la
demande doit être appuyée de documents qui permettront à la
Cour de décider, pour chaque demande, si les faits justifient
l'émission d'un mandat de main-forte. Étant donné que le
mandat de main-forte donne le droit à la personne désignée
d'exercer les vastes pouvoirs de perquisition pendant toute sa
carrière et sans restriction de lieu, il m'est difficile, sinon
impossible, d'imaginer un élément quelconque qui pourrait
faire l'objet de l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour.
Est-il vraiment avantageux de déterminer, au moment de
l'émission du mandat, si le préposé est la personne compétente
qui peut être investie de ces pouvoirs extraordinaires alors
qu'aux termes mêmes de la Loi il peut conserver ces pouvoirs
pendant vingt ou trente ans? En outre, il est impossible à la
Cour d'exercer un certain pouvoir discrétionnaire pour décider
si les circonstances particulières dans lesquelles on se servira
des pouvoirs de perquisition justifient vraiment l'exercice de si
vastes pouvoirs. Compte tenu de l'extrême difficulté, sinon
l'impossibilité, d'exercer un pouvoir discrétionnaire de nature
judiciaire relativement à l'émission d'un mandat de main-forte
en vertu de la Loi sur les douanes dans le cas d'une demande
précise, et étant donné que l'émission de tels mandats en vertu
des trois autres lois mentionnées ci-dessus est obligatoire dans
le cas de la demande prescrite et étant donné que je suis
2 Re Mandats de main-forte [1965] 2 R.C.É. 645.
incapable d'établir une distinction entre l'opportunité d'émettre
de tels mandats en vertu de la Loi sur les douanes et l'opportu-
nité de les émettre en vertu des autres lois, je conclus que
lorsqu'un juge de la Cour de l'Échiquier reçoit une demande du
procureur général du Canada en vertu de l'article 143 de la Loi
sur les douanes visant l'émission d'un mandat de main-forte il
doit émettre ledit mandat conformément à la demande à la
seule condition qu'il soit convaincu que la personne mentionnée
dans la demande est un «préposé». (Pages 650 et 651.)
Dans le premier cas, si j'interprète correctement le texte de
loi, on remarquera que, lorsqu'un détenteur d'un mandat de
main-forte exerce les pouvoirs que lui confère ce mandat, il
exerce des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi par suite de
sa désignation par le procureur général du Canada ou le
ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, selon le
cas; il n'exécute pas une ordonnance ou un jugement de la Cour
de l'Échiquier du Canada ou de l'un de ses juges. Dans sa
sagesse, le Parlement a ordonné que l'attribution du pouvoir à
ce préposé sera attestée par un mandat émanant de la Cour de
l'Échiquier du Canada et la Cour doit se soumettre à ces
directives imposées par la loi. (Pages 651 et 652.)
Je suis d'accord avec les conclusions du juge en
chef. Je me soumets aux directives imposées par la
loi et accède donc à cette demande du procureur
général du Canada.
Étant donné la décision très bien motivée du
juge en chef en 1965, certains diront que j'aurais
dû, moi, un novice en 1975, me contenter de signer
(au nom de la Cour) ce mandat précis. D'après les
motifs du juge en chef, je crois cependant qu'il
faisait des réserves sur les très vastes pouvoirs
conférés par ces mandats et sur l'impossibilité dans
laquelle se trouvait la Cour d'exercer un pouvoir
discrétionnaire relativement au nombre de man-
dats émis, aux aptitudes de celui qui sera investi de
ces pouvoirs et à la durée de ces mandats. Dix ans
après, on demande toujours ces mandats illimités. 3
Pour ce motif et parce que je suis conscient des
abus récents du pouvoir exécutif aux États-Unis,
j'ai décidé de présenter une autre fois, par écrit,
l'opinion exprimée par le président Jackett.
3 Je ne veux pas dire que de tels mandats ne devraient jamais
être demandés ni accordés. Il peut y avoir des fondements
moraux, politiques ou sociaux. Par exemple, les documents à
l'appui de cette demande ne mentionnent absolument aucun
fait qui pourrait indiquer qu'il existe une raison quelconque
d'ordre politique, moral, social, économique ou administratif
justifiant l'attribution des pouvoirs demandés à cette personne
en particulier.
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