T-697-74
Amoco Canada Petroleum Company Ltd.
(Demanderesse)
c.
Texaco Exploration Canada Ltd. (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh—
Ottawa, les 7 et 13 août 1975.
Brevets—Pratique—Requête en radiation d'une partie de la
défense—En supposant qu'elles soient toutes fondées, les allé-
gations constitueraient-elles une «défense raisonnable»?—Loi
sur la Cour fédérale, art. 20—Règle 419(1)a) de la Cour
fédérale—Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C.
1970, c. C-23, art. 39—Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, c.
P-4, art. 66 73.
Dans ses conclusions écrites, la défenderesse a prétendu
qu'une revendication de droit à l'encontre de Texaco Develop
ment Corporation est l'équivalent d'une revendication de droit
à l'encontre de la défenderesse elle-même; elle a en outre
prétendu que les trois brevets couvrent la même invention et ne
peuvent tous être valides et enfin, qu'il y avait un accord entre
la demanderesse et deux autres compagnies visant à restreindre
indûment le commerce en lui exigeant des redevances relative-
ment à chaque brevet. La demanderesse a présenté une requête
pour que soit radiée ladite partie de la défense.
Arrêt: le paragraphe est radié. Pour trancher la question, il
s'agit de décider si, en supposant qu'elles soient toutes fondées,
les allégations constitueraient une «défense raisonnable». Il n'est
pas question de l'acquisition illégale du droit revendiqué par la
demanderesse relativement à ses brevets ni d'une acquisition
par suite de complot; on ne prétend pas non plus que la présente
action de la demanderesse constitue une autre étape du com-
plot. La demanderesse n'est pas tenue de prouver sa participa
tion à un complot illégal sur lequel est fondée sa cause d'action.
L'action est fondée simplement sur son droit de propriété qui
n'a pas été acquis au moyen d'un complot. Il n'existe aucune
preuve que la demanderesse et les détenteurs des deux autres
brevets se soient mis d'accord pour que celle-ci intente une
action pour les trois. Même si aucune n'est prête à admettre
que son brevet est invalide et même si la défenderesse peut faire
l'objet de trois poursuites pour un même fait, cela ne suffit pas
à refuser à l'une ou l'autre d'entre elles l'autorisation d'intenter
une poursuite relative à son brevet; ce dernier doit être présumé
valide jusqu'à preuve du ,contraire. Il ne s'agit pas d'une
question d'intérêt public; si elle réussit à se soustraire au
paiement de redevances, le seul intérêt protégé serait le sien.
Quant à savoir si la demanderesse aurait abusé de son droit de
poursuivre, la Loi ne permet pas de plaider un abus semblable
en défense. La défenderesse ne peut non plus se prévaloir de
l'article 63(2) de la Loi sur les brevets. Cet article porte sur des
procédures servant à établir la priorité d'invention et ne peut
être appliqué de façon à priver la demanderesse de son droit
d'intenter la présente action pour avoir négligé de diriger
d'abord cette mesure contre les deux autres compagnies. Enfin,
la défenderesse a souligné le retard de la demanderesse; cet
argument est irrecevable et ne constitue pas une défense.
Arrêts appliqués: Pepsico Inc. c. Le registraire des mar-
ques de commerce [1976] 1 C.F. 202; Creaghan Estate c.
La Reine [1972] C.F. 732; RBM Equipment Ltd. c. Phi-
lips Electronics Industries Ltd. [1973] C.F. 103; Philco
Products Limited c. Thermionics Limited [1940] R.C.S.
501, [1943] R.C.S. 396; Massie & Renwick Limited c.
' Underwriters' Survey Bureau Limited [1937] R.C.S. 267,
[1940] R.C.S. 218 et Appliance Service Co. Ltd. c. Sarco
Canada Ltd. (1974) 14 C.P.R. (2°) 59. Distinction faite
avec les arrêts: Morton Salt Co. c. G. S. Suppiger Co. 314
US 488 et États-Unis c. Singer Manufacturing Co. 374
US 174.
REQUÊTE.
AVOCATS:
R. S. Smart, c.r., et A. R. Campbell pour la
demanderesse.
G. F. Henderson, c.r., et K. H. E. Plumley
pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Smart & Biggar, Ottawa, pour la
demanderesse.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La demanderesse présente
une requête en vertu de la Règle 419(1)a) pour
que soit radié le paragraphe 12 de la défense dont
voici le texte:
[TRADUCTION] 12. La demanderesse revendique le brevet en
cause à l'encontre de la défenderesse par l'intermédiaire
d'une compagnie liée, Texaco Development Corporation et
allègue aussi la violation du brevet 762,753 (Koch), qui
appartient à Atlantic Refining Company, et le brevet 761,-
263 (Murphree), délivré à Esso Production Research Co. qui
en était aussi le propriétaire; la demanderesse sait cependant
que ces trois brevets ne peuvent tous être valides puisque,
dans les trois cas, il s'agit de la même invention; elle s'est
mise d'accord avec Atlantic Refining Company et Esso Pro
duction Research Co. pour réclamer des redevances à la
défenderesse relativement à chacun de ces trois brevets;
enfin, en accomplissant les actes mentionnés ci-dessus, la
demanderesse cherche à restreindre indûment le commerce
au Canada et, par conséquent, cette cour devrait, dans
l'exercice de son pouvoir discrétionnaire relatif à l'octroi du
redressement demandé par la demanderesse, lui refuser tout
redressement demandé en l'espèce.
Aucune preuve n'est admise aux fins d'une
requête en radiation en vertu de la Règle 419(1)a).
Pour trancher la question, il s'agit de décider si, en
supposant qu'elles soient toutes fondées, les alléga-
tions audit paragraphe constitueraient une défense
«raisonnable». Dans l'affaire Creaghan Estate c.
La Reine', à la page 736, M. le juge Pratte insista
sur l'importance du mot «raisonnable» dans cette
règle quand il dit:
Lorsqu'une demande en radiation d'une déclaration est faite
en vertu de la Règle 419(1)a), la Cour n'a pas à décider si les
allégations contenues dans la déclaration, à supposer qu'elles
soient fondées, font état d'une cause d'action, mais plutôt si
elles font état d'une cause raisonnable d'action.
Un peu plus loin sur la même page, il dit qu'en
fait, il s'agit de présenter des arguments
défendables:
... lorsque cette cour est saisie d'une demande en vertu de la
Règle 419(1)a), la Cour doit simplement décider si, en
supposant que tous les faits allégués dans la déclaration
soient vrais, la réclamation du demandeur est soutenue.
Il s'agissait alors de la radiation d'une déclaration;
le même principe est toutefois applicable à la
radiation d'un seul paragraphe d'une déclaration
ou d'un seul paragraphe d'une défense, comme
dans la présente affaire, si le paragraphe ne fait
pas état d'une défense soutenable. Dans son juge-
ment dans l'affaire Pepsico Inc. c. Le registraire
des marques de commerce [1976] 1 C.F. 202, le
juge Heald s'est reporté à l'arrêt Creaghan et a
affirmé [à la page 211]:
... la jurisprudence de cette cour, relative à la Règle
419(1)a) qui prévoit la radiation d'une plaidoirie au motif
qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action, a des
liens de connexité avec l'expression «une question sérieuse
pour décision» employée à l'article 37(4) de la Loi sur les
marques de commerce.
La défenderesse aurait certainement de la diffi
culté à prouver qu'une revendication de droit à
l'encontre de Texaco Development Corporation est
l'équivalent d'une revendication de droit à l'encon-
tre de la présente défenderesse, Texaco Explora
tion Canada Ltd., et que les trois brevets mention-
nés ci-dessus couvrent la même invention et ne
peuvent donc tous être valides; il lui serait égale-
ment difficile de prouver qu'il y avait effective-
ment un 'accord entre la demanderesse, Atlantic
Refining Company, et Esso Production Research
Co. visant à restreindre indûment le commerce au
Canada en exigeant des redevances de la défende-
resse relativement à chacun des trois brevets en
cause; il est néanmoins nécessaire, aux fins de la
présente requête, de considérer comme acquise
1 [1972] C.F. 732.
l'exactitude de tous ces faits et de décider, dans
cette situation, si cette plaidoirie constituerait une
défense soutenable à l'action de la demanderesse.
A l'appui de sa requête en radiation, la deman-
deresse prétend qu'il est évident qu'il n'est inter-
venu aucun accord pour exiger des redevances
relativement à chacun des trois brevets parce que
la demanderesse n'aurait pas alors intenté la pré-
sente action. Elle convient cependant que s'il y
avait complot entre les trois compagnies, il daterait
de la conclusion de l'accord. La demanderesse
prétend cependant que, même si un tel complot
était réel, il s'agirait là d'une question accessoire
qui n'est pas pertinente puisqu'il n'est pas allégué
que l'introduction de la présente action fasse partie
du complot. Elle affirme en outre qu'on n'a nulle
part allégué que la prétendue tentative d'exiger des
redevances de la défenderesse relativement à
chacun de ces trois brevets à une date antérieure
indéterminée avait trait à l'usage par la défende-
resse du procédé protégé par le brevet 763,247 ou
par le nouveau brevet 894,605 mentionné dans les
paragraphes 5, 6 et 7 de la déclaration. La deman-
deresse soutient aussi que la défenderesse n'a pas
allégué expressément. que cette prétendue atteinte
indue à la liberté de commerce au Canada privait
la demanderesse de son droit de poursuivre la
défenderesse pour empêcher la contrefaçon de son
brevet. Enfin, elle prétend que la défense de com-
plot est prévue à la Partie V de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions 2 dont l'article 39 se lit
comme suit:
39. Rien dans la présente Partie ne doit s'interpréter comme
privant une personne d'un droit d'action au civil.
La Partie IV, qui traite des recours spéciaux,
établit à l'article 29 les pouvoirs de la Cour fédé-
rale pour les cas où des brevets sont utilisés pour
restreindre le commerce et exige que l'action soit
intentée «sur une plainte exhibée par le procureur
général du Canada». Par conséquent, s'il y a eu
complot, rien dans la Loi relative aux enquêtes sur
les coalitions ne priverait la demanderesse de son
droit de réclamer le redressement présentement
demandé à l'encontre de la défenderesse et décou-
lant de la prétendue contrefaçon desdits brevets; en
outre, la défenderesse ne pourrait pas invoquer
elle-même, à titre de défense à cette action, le fait
que la demanderesse aurait été partie à un complot
2 S.R.C. 1970, c. C-23.
en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions.
Le jugement du juge Thurlow dans l'affaire
RBM Equipment Ltd. c. Philips Electronics
Industries Ltd.' fait jurisprudence en la matière; il
y analyse la jurisprudence antérieure de la Cour
suprême dans les affaires Philco Products Limited
c. Thermionics Limited 4 et Massie & Renwick
Limited c. Underwriters' Survey Bureau Limited 5 .
On dit à la page 109:
[TRADUCTION] Il se peut que dans certaines circonstances,
l'existence d'un complot illégal visant à restreindre le commerce
puisse constituer une défense à une action en contrefaçon d'un
dessin étant donné qu'une action ne peut être fondée sur une
fraude. Toutefois, la jurisprudence indique clairement qu'un tel
principe ne s'applique à une action en contrefaçon qu'au seul
cas où le demandeur doit nécessairement démontrer, pour
établir son droit d'action, qu'il était partie à un complot illégal
sur lequel est fondée sa cause d'action.
et à la page 116:
Je ne pense pas qu'il découle de ce passage, dont le juge de
première instance a cité un extrait à l'appui de son interpréta-
tion du droit, que dans une action en contrefaçon, on ne peut
fonder une exception sur l'illégalité de l'accord ou des opéra-
tions par lesquels la demanderesse a acquis le droit qu'elle
prétend détenir ou sur celle de l'intention qui a présidé à cet
accord ou à ces opérations. Je pense plutôt que, comme l'indi-
quent les décisions antérieures de la Cour suprême, il existe
toujours une possibilité de fonder une exception sur une illéga-
lité de ce genre.
Dans la présente affaire, il n'est pas question de
l'acquisition illégale du droit revendiqué par la
demanderesse relativement à ses brevets ni d'une
acquisition par suite de complot; rien n'indique,
non plus, que la présente action de la demande-
resse résultant d'une prétendue contrefaçon de ses
brevets par la défenderesse, constitue une autre
étape du complot. Ce n'est certes pas une situation
à laquelle s'appliquerait l'opinion incidente expri-
mée par le juge en chef Duff dans l'affaire Philco
Products Limited c. Thermionics Limited (pré-
cité) à la page 503:
[TRADUCTION] Si le droit du demandeur repose sur une
convention équivalant à un complot criminel, à laquelle il est
partie et dont il doit prouver l'existence pour établir son
droit, il ne peut obtenir gain de cause.
ni d'ailleurs une affirmation semblable du juge en
chef Duff dans l'affaire Massie & Renwick Lim
ited c. Underwriters' Survey Bureau Limited (pré-
cité) à la page 244:
[1973] C.F. 103.
4 [1940] R.C.S. 501, [1943] R.C.S. 396.
5 [1937] R.C.S. 265 et [1940] R.C.S. 218.
[TRADUCTION] Si, dans une action en violation d'un droit
d'auteur, le demandeur est contraint, pour établir son droit,
d'invoquer une entente, que cette entente constitue un com-
plot criminel et que son droit découle de cette entente ainsi
que d'actes auxquels leur rattachement à cette entente con-
fère un caractère criminel, je comprends mal, étant donné les
principes fondamentaux du droit, comment une telle action
pourrait prospérer.
Dans l'affaire Philco Products Limited c.
Thermionics Limited (précité), le juge en chef
Duff a également dit à la page 503:
[TRADUCTION] Il est un principe qui pourrait justifier l'ex-
ception qui a fait l'objet du débat, si elle était rigoureusement
soutenue et établie; il s'agit de l'axiome: ex dolo malo non
oritur actio. Ce principe est énoncé en ces termes dans le
jugement de lord Buckley dans l'arrêt Gordon c. Chief Com
missioner of Metropolitan Police ([1910] 2 K.B. 1080 à la
page 1098):
Il est de droit incontesté qu'un tribunal ne peut exiger
l'exécution d'un contrat illégal ou d'obligations résultant d'un
contrat illégal; et je conviens que ce principe ne se limite pas
au domaine des contrats. Un demandeur qui ne peut démon-
trer l'existence d'une cause d'action sans invoquer une opéra-
tion illégale ne peut obtenir gain de cause; ceci vaut même si
le défendeur ne lui oppose pas l'illégalité de cette opération.
Si la Cour a connaissance de l'illégalité, elle doit refuser
d'intervenir. Le fondement de cette règle ne réside pas dans
la possibilité pour l'une et l'autre des parties de se prévaloir
de cette illégalité, comme par exemple en soulevant une
exception d'illégalité. C'est une règle d'ordre public. Lord
Mansfield a déclaré dans l'arrêt Holman c. Johnson ((1775)
1 Cowp. 341 la page 343) «Ex dolo malo non oritur actio.
Un tribunal ne saurait porter secours à qui fait reposer sa
cause d'action sur un acte immoral ou illégal.»
Ce passage a été repris par le maître des rôles, lord Wright,
dans l'arrêt Berg c. Sadler ((1937) 2 K.B. 158 aux pages 166-7).
Je ne vois pas pourquoi ce principe ne s'appliquerait pas dans
une situation où un demandeur doit, pour démontrer sa cause
d'action, prouver qu'il est partie à un complot illégal sur lequel
repose cette cause d'action; je ne vois pas non plus pourquoi ce
principe ne s'appliquerait pas dans une action en contrefaçon
d'un brevet.
Il est évident que ce n'est pas la situation dans la
présente affaire; en effet, pour établir sa cause
d'action, la demanderesse n'est pas tenue de prou-
ver sa participation à un complot illégal sur lequel
est fondée sa cause d'action; bien au contraire,
l'action est fondée simplement sur son droit de
propriété du brevet qui n'a pas été acquis au
moyen d'un complot.
Dans son argumentation, l'avocat de la défende-
resse prétend que la question soulevée au paragra-
phe 12 est celle du mauvais usage que la demande-
resse aurait fait de son brevet plutôt que de
l'emploi abusif des procédures de cette cour ou
encore d'une infraction à la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions. Il souligne qu'en vertu
de l'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale, la
Division de première instance a compétence con-
currente [TRADUCTION] «dans tous les autres cas
où l'on cherche à obtenir un redressement en vertu
d'une loi du Parlement du Canada, ou de toute
autre règle de droit ou d'equity 6 relativement à un
brevet d'invention, un droit d'auteur, une marque
de commerce ou un dessin industriel» et soutient
qu'indépendamment des dispositions ,de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions, il y avait
complot suivant la common law et que la Cour
devrait appliquer les principes d'equity. La défen-
deresse invoque deux affaires américaines; dans la
première, Morton Salt Co. c. G. S. Suppiger Co.',
une compagnie, propriétaire d'un brevet pour une
machine qui dépose des tablettes de sel pendant
l'opération de mise en conserve, avait l'habitude
d'accorder une licence à des exploitants de conser-
veries pour l'usage de ses machines à condition
qu'ils achètent les tablettes de sel de sa filiale. Le
tribunal a décidé qu'il était contraire à l'ordre
public d'utiliser le monopole du brevet pour res-
treindre la concurrence dans la commercialisation
des tablettes non brevetées et destinées à être
utilisées avec les machines brevetées. Le jugement
dit à la page 490:
[TRADUCTION] Il ne s'agit pas nécessairement de décider si
l'intimée a violé la Clayton Act mais plutôt si un tribunal
d'equity lui viendra en aide pour protéger le monopole du
brevet quand elle l'utilise en fait comme moyen de restrein-
dre la concurrence pour la vente d'un article non breveté.
et à la page 492:
[TRADUCTION] C'est un principe d'application générale que
les tribunaux, et spécialement les tribunaux d'equity, peuvent, à
bon droit, refuser leur aide lorsque la partie demanderesse
utilise le droit revendiqué d'une façon contraire à l'intérêt
public.
Les faits de cette affaire diffèrent de ceux en
l'espèce au point de lui laisser peu de valeur
comme précédent; cependant, on peut retenir le
principe général suivant: si la partie demanderesse
utilise un droit de façon contraire à l'intérêt
public, les tribunaux peuvent refuser leur aide. On
6 C'est moi qui souligne.
7 314 US 488.
a mentionné une autre affaire américaine, United
States c. Singer Manufacturing Co. 8 ; il s'agit d'un
accord entre trois parties pour déterminer laquelle
d'entre elles obtiendrait la cession d'un brevet pour
le revendiquer à l'encontre de la défenderesse. On
a décidé que, bien qu'il n'y ait pas eu complot, il y
avait intention commune. Cependant, il s'agissait
d'une affaire portant sur les coalitions, complète-
ment différente de la présente situation; en effet,
les plaidoiries ne signalent aucunement l'existence
d'un accord entre la demanderesse et les déten-
teurs des deux autres brevets en vertu duquel
celle-ci intenterait pour tous une action en contre-
façon de brevet contre la défenderesse; bien au
contraire, on a fait remarquer au cours des plaidoi-
ries que Exxon, une compagnie associée avec le
propriétaire d'un des autres brevets, a intenté,
seule, une action en contrefaçon de brevet devant
cette cour.
La défenderesse soutient qu'il est inéquitable et
contraire à l'intérêt public que trois brevetés diffé-
rents lui réclament des redevances relativement à
des brevets dont deux doivent être invalides parce
que, selon l'allégation du paragraphe 12, ils cou-
vrent tous la même invention. Elle prétend que
l'intérêt public exige la libre concurrence, ce qui
est indéniable, et que, si la défenderesse devait
payer de triples redevances, ce serait contraire à
l'intérêt public. Peut-être bien, mais, en fait, la
défenderesse n'aura pas à payer des redevances à
la demanderesse ainsi qu'à Atlantic Refining
Company et à Esso Production Research Co.,
même si les trois ont pu, même simultanément et
d'un commun accord, revendiquer leurs droits à de
telles redevances. Il est évident que les trois se
prétendent propriétaires des brevets dont la défen-
deresse ferait usage; même si aucune d'entre elles
n'est prête à admettre à ce stade que son brevet
pour le procédé en question est invalide et même si
la défenderesse peut faire l'objet de trois poursui-
tes pour un même fait, cela ne suffit pas à refuser
à l'une ou l'autre d'entre elles l'autorisation d'in-
tenter une poursuite relative à son brevet; ce der-
nier doit être présumé valide jusqu'à ce qu'inter-
vienne une décision contraire, à la suite d'une
contestation de sa validité. La défenderesse peut la
contester en défense à une action intentée par l'un
des brevetés; elle l'a d'ailleurs fait en l'espèce dans
8 374 US 174.
d'autres paragraphes de sa plaidoirie. Par consé-
quent, si la défenderesse peut faire l'objet de trois
poursuites, c'est uniquement à cause d'une possibi-
lité d'actions multiples; on peut cependant remé-
dier partiellement à la situation en les entendant
en même temps et, de toute façon, il y a pôssibilité
de dédommagement par le truchement des dépens
dans les actions où sa contestation sera accueillie.
La défenderesse admet que chacun des brevetés
peut intenter une action séparée en contrefaçon de
son brevet; elle prétend toutefois que l'accord
conclu entre les trois et en vertu duquel chacun
réclamerait des redevances de la défenderesse pour
usage de son brevet (la défenderesse a d'ailleurs
refusé de payer ces redevances) les prive tous du
droit d'intenter une action en contrefaçon de
brevet. L'avocat de la défenderesse ne nie pas que
si cet argument est accueilli, c'est-à-dire si la
demanderesse par suite du prétendu complot a
utilisé ses brevets de façon à perdre le droit au
redressement réclamé, alors la même conclusion
serait applicable aux propriétaires des deux autres
brevets, Atlantic Refining Company et Esso Pro
duction Research Co.; ainsi, la défenderesse aurait
le droit d'utiliser un ou plusieurs des brevets sans
payer de redevances à qui que ce soit. Il est évident
qu'à moins que les trois brevets soient déclarés
invalides, la défenderesse devrait payer des rede-
vances pour usage de l'invention à l'un des brevetés
et il m'est impossible de conclure qu'il s'agit d'une
question d'intérêt public; en effet, si elle réussit à
se soustraire au paiement de toute redevance, il me
semble que le seul intérêt protégé serait le sien.
La demanderesse présente une autre réponse à
l'argument de la défenderesse suivant lequel la
demanderesse a perdu le droit d'intenter une pour-
suite en vertu de son brevet parce qu'elle en a fait
un usage abusif par suite du prétendu complot
avec les propriétaires des deux autres brevets qui,
allègue-t-on, concernent la même invention, et
selon lequel, ceci étant établi, aucun des trois
propriétaires ne peut jamais plus faire respecter les
brevets; en réponse, donc, la demanderesse souli-
gne que les articles 66 73 de la Loi sur les
brevets 9 énumèrent les conditions relatives à
l'usage abusif de brevets et aux concessions de
licences relatives à leur usage et que le prétendu
9 S.R.C. 1970, c. P-4.
abus allégué par la défenderesse dans la présente
affaire n'est visé par aucun de ces articles. De
toute façon, l'article 68 énumère les pouvoirs que
peut exercer le commissaire lorsqu'un abus a été
établi. On prévoit que les décisions du commissaire
sont sujettes à appel à la Cour fédérale. Aucun de
ces articles n'a pour but de permettre au défendeur
dans une action en contrefaçon de plaider en
défense le fait que le demandeur aurait abusé de
son brevet; ces articles voient à la protection de
l'intérêt public. A la page 249 de l'affaire Therm-
ionics Limited c. Philco Products Limited 10 , le
juge Maclean dit:
[TRADUCTION] Si certains titulaires de brevet formaient une
coalition contrairement à l'intention et à l'esprit des disposi
tions pertinentes de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions et du Code criminel, hypothèse tout à fait conceva-
ble, la procédure à utiliser serait celle qu'énoncent ces lois, et
non pas une exception dans une action en contrefaçon d'un
brevet ou de plusieurs brevets; je ne pense pas qu'on ait
jamais eu l'intention qu'il en aille autrement. Même si l'on
établit l'existence d'une coalition ou d'un complot concernant
un certain article breveté, il n'en découlerait pas nécessaire-
ment, d'après moi, l'impossibilité de contrefaire cet article ou
la nullité de ce brevet. Ce cas n'est envisagé ni par la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions ni par le Code
criminel; il semblerait déraisonnable qu'il le soit. La contre-
façon d'un brevet est une chose, et le fait de savoir si les
titulaires de ce brevet ont mis sur pied une coalition ou un
complot restrictif du commerce en est une autre. J'en conclus
que les amendements que l'on veut apporter à la défense ne
peuvent constituer une exception dans une action en contre-
façon et doivent être rejetés avec dépens aux demanderesses.
Portée en appel, cette conclusion a été confirmée
par la Cour suprême"; le juge en chef Duff disait
à la page 407:
[TRADUCTION] La coalition illégale, en supposant qu'il s'agit
bien de cela, dont ces compagnies faisaient partie n'a pas
entraîné la déchéance des droits découlant des brevets. En
supposant que les transactions entre ces compagnies et la
Thermionics Ltd. étaient illégales et nulles, elles détenaient
encore les brevets et j'estime qu'elles sont fondées à faire
respecter ces droits.
Cette décision s'applique très bien aux faits de la
présente affaire.
La défenderesse invoque aussi l'article 63(2) de
la Loi sur les brevets; il s'agit du rejet par le
commissaire d'une demande de brevet à moins que
la demanderesse n'intente, dans le délai que fixe le
'0 [1941] R.C.É. 209.
�� [1943] R.C.S. 396.
commissaire, une action pour écarter le brevet
relatif à l'invention qui a été antérieurement déli-
vré en vertu de la Loi. Cependant, cet article ne
parle que des procédures servant à établir la prio-
rité d'invention. Il ne permet certes pas de con-
clure, comme le voudrait la défenderesse, que la
demanderesse, aurait perdu son droit d'intenter la
présente action en contrefaçon de son brevet parce
qu'elle a négligé d'intenter elle-même une action
pour écarter les brevets appartenant à Atlantic
Refining Company et Esso Production Research
Co. qui, prétend-on, couvrent la même invention.
En fait, cet argument constitue une autre attaque
contre la validité du brevet de la demanderesse;
cette question est d'ailleurs soulevée dans d'autres
paragraphes de la plaidoirie.
La défenderesse a également soulevé la question
du retard de la demanderesse à intenter les présen-
tes procédures; cet argument est aussi irrecevable
dans le cadre de la présente requête en radiation.
On a déjà décidé que le retard du demandeur à
intenter une action après avoir appris que le défen-
deur aurait contrefait ses brevets ne constitue pas
une défense; cependant, un tel retard peut empê-
cher le demandeur d'obtenir un / h injonction interlo-
cutoire ou encore, le priver de dommages-intérêts
même s'il réussit dans son action au fond. Voir par
exemple Appliance Service Co. Ltd. c. Sarco
Canada Ltd. 12 la page 77.
Pour tous ces motifs, je suis d'avis que le para-
graphe 12 de la défense ne présente pas une
défense soutenable à l'action de la demanderesse
et, dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire,
j'ordonne, en vertu des dispositions de la Règle
419(1)a), qu'il soit radié, avec dépens.
12 (1974) 14 C.P.R. (29 59.
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