T-2411-74
Dame Juliette Tremblay (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Dubé—
Québec, le 17 octobre 1975; Ottawa, le 24 octobre
1975.
Couronne—Délit civil—La demanderesse demande des
dommages-intérêts à la suite du décès de son fils, membre de
la Force de réserve des Forces armées canadiennes—La défen-
deresse demande la radiation de la déclaration—Loi sur la
Cour fédérale, art. 37—Loi sur la défense nationale, S.R.C.
1970, c. N-4, art. 15(3) et Ordonnances et Règlements Royaux
applicables aux Forces canadiennes, volume I (Admin.) art.
2.01—Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, c.
C-38, art. 3 et 4—Loi sur les pensions, S.R.C. 1970, c. P-7,
art. 12(2), 34, 35 et 36—S.R.C. 1970, c. 22 (2e Supplément)
art. 88.
La demanderesse soutient que le décès de son fils, membre de
la Force de réserve des Forces armées canadiennes, était dû à la
conduite négligente du camion militaire dans lequel il se trou-
vait, et elle réclame des dommages-intérêts pour perte de
soutien et pour les frais funéraires. La défenderesse demande la
radiation de la déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune
cause raisonnable d'action.
Arrêt: la requête est accueillie, l'action est rejetée. Alors que
l'article 3(2) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne
rend la Couronne responsable des dommages causés par un
véhicule automobile à sa charge, l'article 4 dispose qu'on ne
peut exercer de recours contre la Couronne là où une pension
ou une indemnité a été payée ou est payable. L'article 88 de la
Loi sur les pensions dispose également que nulle action n'est
recevable contre la Couronne dans tous les cas où une pension
est ou peut être accordée en vertu de cette loi ou de toute autre
loi. Et, en vertu de l'article 12(2) de la même loi, le service
militaire dans l'armée de réserve en temps de paix ouvre droit à
des pensions aux membres qui ont subi une invalidité ou qui
sont décédés. Les articles 34, 35 et 36, prévoient des pensions
en faveur des membres de la famille, l'article 36(6) prévoyant
que chaque enfant célibataire est censé contribuer à l'entretien
des parents pour au moins $10 par mois. Et lorsqu'un père ou
une mère qui n'était pas totalement ou dans une large mesure à
la charge du membre des Forces armées lors du décès de ce
dernier, tombe subséquemment dans un état de dépendance, ce
père ou cette mère peut recevoir une pension s'il est rendu
invalide et si, de l'avis de la Commission, ce membre eut été
totalement ou dans une large mesure le soutien de cette per-
sonne (article 36(3)). Il ne peut donc y avoir recours contre la
Couronne là où une pension (telle que définie à l'article 2 de la
Loi sur les pensions) est payée ou payable comme en l'espèce.
Arrêts appliqués: Le Roi c. Bender [1947] R.C.S. 172;
Oakes c. Le Roi [1951] R.C.É. 133; La Reine c. Houle
[1958] R.C.S. 387; Dame Rainville-Tellier c. LeCorre
[1967] C.S. 704.
ACTION.
AVOCATS:
B. Lesage pour la demanderesse.
Y. Brisson pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Thibaudeau, Lesage, Thibaudeau et Nepveu,
Québec, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DUBÉ: La défenderesse présente une
requête en radiation des plaidoiries conformément
à la Règle 419 de la Cour fédérale au motif que la
déclaration ne révèle aucune cause raisonnable
d'action.
Dans ladite déclaration la demanderesse
réclame $20,000 en perte de soutien et des frais
funéraires à la suite du décès de son fils Christian
Martineau survenu lors d'un accident de la route
dans la région de Charlevoix, P.Q., le 19 juillet,
1973. A cette date le fils était âgé de seize ans. Par
admission déposée à la Cour la demanderesse
admet que son fils était au moment dudit accident
dûment enrôlé dans la Force de réserve des Forces
armées canadiennes. La déclaration allègue que le
lourd camion militaire transportant plusieurs
jeunes cadets avait été conduit de façon négligente
et que cette négligence avait causé la mort du
jeune Martineau.
En fait, quelque neuf poursuites ont été inten-
tées contre la défenderesse donnant lieu à deux
requêtes en radiation de plaidoiries de la part de
cette dernière. Il a été entendu entre les parties en
cause que ces deux requêtes soient entendues en
même temps et que la présente décision s'applique
aux deux, l'autre demandeur étant Jean Rousseau,
un jeune homme de dix-sept ans blessé au cours du
même accident.
La requérante a également déposé à la Cour
l'autorisation des parents à l'enrôlement ainsi que
le consentement de Christian Martineau et de Jean
Rousseau à s'enrôler dans la Réserve primaire des
Forces armées canadiennes.
Aux fins de déterminer la responsabilité dans
toute action engagée contre la Couronne, l'article
37 de la Loi sur la Cour fédérale établit que toute
personne qui, à un moment quelconque, était
membre des Forces canadiennes, est censée avoir
été à ce moment un préposé de la Couronne.
L'article 15(3) de la Loi sur la défense nationa-
le' décrit la Force de réserve comme étant un
élément constitutif des Forces canadiennes. L'Or-
donnance 2.01 2 décrit les éléments des Forces
canadiennes comme étant la Force régulière, la
Force de réserve et la Force spéciale.
L'article 3 de la Loi sur la responsabilité de la
Couronne 3 rend la Couronne responsable des dom-
mages dont elle serait responsable si elle était un
particulier majeur et capable à l'égard d'un délit
civil (tort), d'un manquement au devoir et plus
particulièrement au paragraphe (2) des dommages
causés par un véhicule automobile à sa charge.
Cependant, l'article 4 de la même loi établit une
exception à savoir qu'on ne peut exercer de recours
contre la Couronne en raison de décès, blessures,
dommages ou autres pertes, là où une pension ou
une indemnité a été payée ou est payable.
L'article 88 de la Loi sur les pensions 4 établit
également que nulle action n'est recevable contre
Sa Majesté relativement à une blessure ou décès
dans tous les cas où une pension est ou peut être
accordée en vertu de la présente ou de toute autre
loi.
Selon l'article 12(2) 5 de la même loi le service
militaire dans l'armée de réserve en temps de paix
ouvre droit à des pensions. Pensions aux membres
des Forces qui ont subi une invalidité d'après les
taux indiqués à l'annexe A et pensions relative-
ment à ceux qui sont morts d'après les taux indi-
qués à l'annexe B.
Dans les cas de décès les articles 34 45 et 35 5
établissent les pensions aux veuves, l'article 36 4,5
les pensions au père ou à la mère et l'article 37 5 au
frère ou à la sœur.
S.R.C. 1970, c. N-4.
2 Ordonnances et Règlements Royaux Applicables aux
Forces canadiennes, Volume 1 (Administration).
S.R.C. 1970, c. C-38.
4 S.R.C. 1970, c. 22 (24 Supp.).
S.R.C. 1970, c. P-7.
L'article 36(6) 5 stipule que chaque enfant céliba-
taire est censé contribuer à l'entretien des parents
pour au moins dix dollars par mois.
L'article 36(3) 5 stipule que lorsqu'un père ou une
mère qui n'était pas totalement ou dans une large
mesure à la charge du membre des Forces armées
lors du décès de ce dernier, tombe subséquemment
dans un état de dépendance, ce père ou cette mère
peut recevoir une pension s'il est rendu incapable
par suite d'infirmité de gagner sa vie et si de l'avis
de la Commission ce membre eut été totalement
ou dans une large mesure le soutien de cette
personne.
Dans sa déclaration la demanderesse soutient
que la perte de son fils a été particulièrement
lourde parce qu'il s'agissait de son dernier garçon
célibataire demeurant avec elle, qu'il était très
attaché à sa mère, qu'il aidait dans toute la mesure
du possible, qu'il réussissait fort bien aux études et
qu'il était promis à une carrière rémunératrice qui
lui aurait apporté à la retraite un secours bien
naturel, indépendamment de toute infirmité physi
que ou mentale qui pourrait survenir.
Il appert donc qu'il ne peut y avoir recours
contre la Couronne là où une pension est payée ou
payable et que dans les circonstances devant nous
une pension est payable. A l'article 2 de la Loi sur
les pensions'', le mot «pension» est défini de la
façon suivante:
«pension» signifie une pension payable en vertu de la présente
loi en raison du décès ou de l'invalidité d'un membre des
forces et s'entend également d'une pension supplémentaire,
d'une pension temporaire ou d'un paiement définitif payable
en vertu de la présente loi à un membre des forces ou à son
égard;
La situation était différente avant l'introduction
des amendements abolissant le double recours tel
qu'en fait foi la jurisprudence: Le Roi c. Bender',
Oakes c. Le Roi', La Reine c. Houle'.
Une décision plus récente de la Cour Supérieure
du Québec reflète la situation actuelle. Dans Dame
6 [1947] R.C.S. 172.
[1951] R.C.É. 133.
s [1958] R.C.S. 387.
Rainville-Tellier c. LeCorre 9 , une action intentée
par les dépendants d'un employé du Gouvernement
du Canada en conséquence de son décès a été
rejetée comme non fondée en droit parce qu'il
s'agissait d'un accident pour lequel le recours de
droit commun est refusé par la Loi des accidents
du travail du Québec" ) et la Loi sur l'indemnisa-
tion des employés de l'État." Le jugement relève
l'arrêt Le Roi c. Bender précité et apporte la
distinction qui s'impose à la page 707:
L'avocat de la demanderesse a cité plusieurs causes, entre
autres, His Majesty the King v. Bender, où la Cour suprême a
confirmé un jugement de la Cour de l'Échiquier, décidant que,
nonobstant qu'un employé tombait sous la loi des accidents du
travail d'une province, il pouvait avoir un recours contre la
Couronne.
Cette cause ne saurait s'appliquer au présent cas, vu que la
Loi sur l'indemnisation des employés de l'État à laquelle la
Cour suprême se référait alors était celle que l'on retrouve au
chapitre 30 des Statuts revisés du Canada 1927. Or, l'article 8,
paragraphe 5, de la loi actuelle, qui comporte une clause
semblable à la Loi des accidents du travail et dénie l'action,
n'existait pas alors dans la Loi sur l'indemnisation des employés
de l'État.
Il est indiscutable, d'après les allégations de la déclaration,
qu'il s'agit d'un accident pour lequel le recours du droit
commun est refusé.
Pour ces motifs la requête en radiation des
plaidoiries doit donc être accueillie.
ORDONNANCE
La requête est accueillie et la déclaration est
rejetée avec dépens.
9 [1967] C.S. 704.
10 S.R.Q. 1964, c. 159.
" S.R.C. 1952, c. 134.
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