T-3235-75
Les Travailleurs en communication du Canada
(Requérants)
c.
Bell Canada (Employeur)
et
L'Association canadienne des employés de télé-
phone (Intervenante)
Division de première instance, le juge Dubé—
Montréal, le 29 septembre; Ottawa, le 6 octobre
1975.
Compétence—Relations du travail—Requête visant à faire
surseoir à l'exécution de l'ordonnance en attendant le jugement
final—Le Conseil canadien des relations du travail ordonne à
l'employeur de cesser d'interdire le prosélytisme syndical—
L'employeur prétend que le Conseil viole la règle audi alteram
partem—La Cour a-t-elle compétence?—Loi sur la Cour
fédérale, art. 28 et 122 et règle 1909—Code canadien du
travail, S.R.C. 1970, c. L-1, mod. S.C. 1972, c. 18, art. 119,
122 et 123.
L'employeur, Bell Canada, demande une ordonnance enjoi-
gnant de surseoir à l'exécution de l'ordonnance du Conseil -
canadien des relations du travail, qui prescrit à l'employeur de
cesser d'interdire aux employés d'en inviter d'autres à adhérer à
un syndicat dans leur temps libre jusqu'à ce que la Cour
d'appel fédérale ait rendu son jugement final au sujet de la
demande de l'employeur présentée en vertu de l'article 28. Le
syndicat prétend que l'employeur a informé les employés qu'il
est interdit en tout temps de chercher à recruter des membres
dans les locaux de la compagnie. Le syndicat a déposé une
plainte auprès du Conseil, d'où l'ordonnance susmentionné.
L'employeur nie avoir contrevenu aux dispositions du Code
canadien du travail et affirme que le Conseil a violé la règle
audi alteram partem; le syndicat affirme avoir besoin de la
protection qu'offre l'ordonnance et prétend qu'on causera un
préjudice à son droit de lancer sa campagne si l'effet de
l'ordonnance ne peut s'exercer tant que la demande présentée
en vertu de l'article 28 ne sera pas tranchée. En raison des
dispositions de l'article 29(1)a) du Règlement du Conseil cana-
dien des relations du travail, des délais additionnels feraient
perdre au syndicat la preuve des demandes d'adhésion déjà
signées.
Arrêt: la requête est rejetée. La Cour a compétence pour
accorder une suspension en vertu de la Règle 1909. Cependant
on ne doit recourir à la suspension que modérément et seule-
ment lorsque aucun doute n'existe quant à son opportunité; il
faut être très prudent. Il appartient aux requérants d'établir
qu'il existe plus qu'un simple équilibre entre les avantages et les
inconvénients. Il est difficile de voir comment l'exécution de
l'ordonnance serait injuste, abusive ou vexatoire envers l'em-
ployeur, mais la suspension pourrait être préjudiciable et même
fatale à l'égard du syndicat.
Arrêts appliqués: Sanders c. La Reine [1970] R.C.S. 109;
CJTR Radio Trois-Rivières Limitée c. Le Conseil cana-
dien des relations du travail (non publié, T-965-75);
Wardair Canada Limited c. La Commission canadienne
des transports [1973] C.F. 597 et Weight Watchers Inter
national Inc. c. Weight Watchers of Ontario Ltd. (1972)
25 D.L.R. (3') 419. Arrêt suivi: Central Broadcasting
Company Limited c. Le Conseil canadien des relations du
travail (non publié, T-803-75). Arrêts analysés: Empire -
Universal Films Limited c. Rank [1947] O.R. 775; Battle
Creek Toasted Corn Flake Co. Ltd. c. The Kellogg Toast
ed Corn Flake Co. (1923-24) 55 O.L.R. 127 et Talsky c.
Talsky (n° 2) (1974) 39 D.L.R. (3') 516.
REQUÊTE.
AVOCATS:
A. Golden et P. Cavalluzzo pour les
requérants.
B. Roy et S. Gulden pour Bell Canada.
Personne pour l'intervenante.
G. Henderson, c.r., pour le Conseil canadien
des relations du travail.
PROCUREURS:
Golden, Levinson, Sigurdson, Green, Sprin-
gate & Cavalluzzo, Toronto, pour les
requérants.
Ogilvy, Cope, Porteous, Montgomery,
Renault, Clarke & Kirkpatrick, Montréal,
pour Bell Canada.
Sims, Morton, McInerney, Espey & Brady,
Whitby, pour l'intervenante.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour le Con-
seil canadien des relations du travail.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DUBS: Il s'agit d'une requête présentée
au nom de Bell Canada, ci-après appelée «l'em-
ployeur», visant à obtenir une ordonnance de la
Division de première instance de la Cour fédérale
enjoignant de surseoir à l'exécution de l'ordon-
nance du Conseil canadien des relations du travail,
en date du 22 août 1975, jusqu'à ce que la Cour
d'appel fédérale ait rendu son jugement final au
sujet de la demande de l'employeur présentée en
vertu de l'article 28 contre ladite ordonnance.
L'ordonnance du Conseil se lit comme suit:
N' du dossier du Conseil: 745-86
CONCERNANT LE
Code canadien du travail
et
les Travailleurs en communication du Canada,
plaignant,
et
Bell Canada,
Montréal, Québec,
répondant,
et
l'Association canadienne des employés
de téléphone,
intervenante.
ATTENDU QUE le Conseil canadien des relations du travail a
reçu des Travailleurs en communication du Canada une
plainte, datée du 20 juin 1975, présentée en vertu du paragra-
phe 187 du Code canadien du travail (Partie V—Relations
industrielles), alléguant, entre autres choses, que Bell Canada
ne s'est pas conformé aux dispositions des articles 184(1)a) et
184(3)e) dudit Code; et
ATTENDU QUE les parties ont fourni au Conseil, à sa
demande, des preuves et des exposés concernant la politique et
les directives du répondant qui interdisaient ou restreignaient
les activités syndicales dans les locaux de la compagnie; et
ATTENDU QUE le Conseil a étudié la preuve produite par le
répondant et les exposés oraux et écrits des parties;
EN CONSÉQUENCE, le Conseil juge que le répondant, par
diverses directives, a appliqué une politique qui interdit à ses
employés de participer, dans leur temps libre, à des activités
syndicales licites dans les locaux de la compagnie et que cette
politique et ces directives constituent une violation des disposi
tions des articles 184(1)a) et 184(3)e) du Code canadien du
travail (Partie V—Relations industrielles);
EN CONSÉQUENCE, le Conseil canadien des relations du tra
vail, en vertu de l'article 189 du Code canadien du travail,
ordonne au répondant de se conformer aux dispositions de
l'article 184 du Code et de cesser d'interdire aux employés
d'inviter d'autres employés à adhérer à un syndicat ou de
distribuer de la documentation syndicale dans le temps libre des
employés.
DE PLUS, le Conseil ordonne au répondant de transmettre
copie de la présente ordonnance à toute personne à l'emploi
dudit répondant qui, au su du répondant, a reçu copie des
directives sur les activités syndicales qui ont été émises par M.
L. C. Godden le 5 juin 1975 et par M. J. Jacobs le 11 juin
1975.
DONNE à Ottawa, le 22' jour d'août 1975, par le Conseil
canadien des relations du travail.
La vice-présidente
Hélène LeBel
L'employeur nie avoir contrevenu aux disposi
tions du Code canadien du travail et affirme que
le Conseil a violé la règle fondamentale audi
alteram partem en ne lui permettant pas de pro-
duire intégralement la preuve dont il dispose, et
qu'en outre il serait contraire aux principes de la
justice naturelle de le forcer à se soumettre à une
telle décision lorsque la question est pendante.
Les Travailleurs en communication du Canada
ci-après appelés «le syndicat», prétendent que des
surveillants de l'employeur ont informé les
employés concernés par la campagne de réorgani-
sation du syndicat qu'il était formellement interdit,
même en dehors des heures de travail, de chercher
à recruter des membres pour le syndicat ainsi que
de distribuer des brochures syndicales dans les
locaux de la compagnie. Le 20 juin 1975, le syndi-
cat a déposé une plainte auprès du Conseil confor-
mément à l'article 187 du Code canadien du tra
vail, d'où l'ordonnance susmentionnée. De son
propre aveu, l'employeur ne s'étant pas conformé à
ladite ordonnance, le syndicat, à l'expiration du
délai d'attente obligatoire, a déposé à la Cour
fédérale une copie du dispositif de ladite ordon-
nance, qui devenait un jugement, de cette cour,
conformément à l'article 123 du Code canadien du
travail.
Le syndicat affirme ne pouvoir mener sa campa-
gne de recrutement sans la protection qu'offre
l'ordonnance. Il prétend qu'on causera un préju-
dice irrévocable à son droit de lancer sa campagne
de recrutement à une période cruciale si l'effet
réparateur de l'ordonnance du Conseil ne peut
s'exercer tant que la demande présentée à la Cour
d'appel fédérale en vertu de l'article 28 ne sera pas
tranchée, c'est-à-dire probablement pas avant
quelques semaines. En vertu du Code, le syndicat
peut faire une demande d'accréditation d'employés
appartenant à certaines unités de négociation n'im-
portant quand après le Zef septembre 1975 et jus-
qu'à la signature d'une nouvelle convention collec
tive. En raison des dispositions de l'article 29(1)a)
du Règlement, des délais additionnels feraient
perdre au syndicat la preuve des demandes d'adhé-
sion déjà signées.
Il n'appartient pas à cette cour de juger si la
décision du Conseil doit ou non être examinée en
raison d'un manquement à la justice naturelle ou
parce qu'elle aurait omis d'entendre comme il se
devait les témoignages de l'employeur, ou encore
pour d'autres raisons. Cette question est déjà sou-
mise à la Cour d'appel fédérale.
Ce qu'il faut trancher est la question de savoir si
cette cour a compétence pour accorder une suspen
sion des procédures d'une ordonnance du Conseil
dûment déposée et devenue un jugement de cette
cour et, dans l'affirmative, si une suspension des
procédures est justifiée.
En vertu de l'article 122 du Code' toute ordon-
nance du Conseil est définitive et ne peut être
révisée par un tribunal, si ce n'est conformément à
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Voici le
texte de l'article 122:
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente
Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est définitive et
ne peut être mise en question devant un tribunal ni revisée par
un tribunal, si ce n'est conformément à l'article 28 de la Loi sur
la Cour fédérale.
(2) Sous réserve du paragraphe (1), aucune ordonnance ne
peut être rendue, aucun bref ne peut être décerné ni aucune
procédure ne peut être engagée, par ou devant un tribunal, soit
sous forme d'injonction, certiorari, prohibition ou quo war-
ranto, soit autrement, pour mettre en question, reviser, inter-
dire ou restreindre une activité exercée en vertu de la présente
Partie par le Conseil.
L'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale
définit la compétence de la Cour d'appel fédérale à
l'égard des décisions des offices fédéraux:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute
autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger
une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou
ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature
administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com
mission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédu-
res devant un office, une commission ou un autre tribunal
fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a
autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une
erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du
dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion
de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans
tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
L'article 123 du Code traite du dépôt des ordon-
nances du Conseil à la Cour fédérale et de la force
et de l'effet que leur confère leur enregistrement:
123. (1) Lorsqu'une personne, un employeur, une associa
tion patronale, un syndicat, un conseil de syndicats ou un
employé a omis de se conformer à une ordonnance ou une
décision du Conseil, toute personne ou association concernée
par l'ordonnance ou la décision peut, passé un délai de quatorze
jours à partir de la date de l'ordonnance ou de la décision ou de
S.R.C. 1970, c. L-1, mod. S.C. 1972, c. 18.
la date d'exécution qui y est fixée, si celle-ci est postérieure,
déposer à la Cour fédérale du Canada une copie du dispositif de
l'ordonnance ou de la décision.
(2) Dès son dépôt à la Cour fédérale du Canada effectué en
vertu du paragraphe (1), une ordonnance ou une décision du
Conseil doit être enregistrée à la Cour et cet enregistrement lui
confère la même force et le même effet que s'il s'agissait d'un
jugement émanant de cette Cour, et sous réserve de l'article 28
de la Loi sur la Cour fédérale, toutes les procédures lui faisant
suite peuvent dès lors être engagées en conséquence.
On affirme que la Division de première instance
n'a pas compétence parce que l'article 122 du
Code énonce clairement que la décision du Conseil
est définitive et ne doit pas être mise en question ni
revisée par un tribunal si ce n'est conformément à
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Par
conséquent, le syndicat devrait se pourvoir devant
la Cour d'appel. On prétend également que l'arti-
cle 119 du Code offre au syndicat la possibilité
d'un autre redressement. Ledit article donne au
Conseil le pouvoir de reviser et de modifier ses
propres ordonnances:
119. Le Conseil peut reviser, annuler ou modifier toute
décision ou ordonnance rendue par lui et peut entendre à
nouveau toute demande avant de rendre une ordonnance rela
tive à cette dernière.
La Règle 1909 énonce le pouvoir de la Division
de première instance relativement à un jugement
de ladite Cour:
Règle 1909. Une partie contre laquelle a été rendu un juge-
ment ou une ordonnance peut demander à la Cour la suspen
sion de l'exécution du jugement ou de l'ordonnance ou quelque
autre redressement à l'encontre de ce jugement ou de cette
ordonnancé, et la Cour peut, par ordonnance, accorder le
redressement qu'elle estime juste, aux conditions qu'elle estime
justes.
On allègue qu'il ne peut être fait appel au
pouvoir accordé par la Règle 1909 vu l'aspect
négatif de l'article 122 du Code et on prétend de
plus que la seule raison de l'enregistrement à la
Cour fédérale des ordonnances du Conseil est de
lui donner la force et les moyens coercitifs qui lui
font défaut.
Les circonstances de l'affaire Sanders c. La
Reine 2 la faisaient tomber sous le coup de l'article
682b) du Code criminel qui empêche d'écarter
l'ordonnance du magistrat par voie de certiorari.
On a jugé que l'article a pour but d'empêcher la
coexistence de deux redressements. Le juge Mart
2 [1970] R.C.S. 109.
land a dit à la page 141:
A mon avis, on a voulu que l'article s'applique, et il s'appli-
que de fait à cause de ses termes, aux cas où, s'il n'existait pas,
la compétence du tribunal pourrait être contestée par voie de
certiorari. Si le prévenu a comparu devant un tribunal infé-
rieur, s'il a enregistré un plaidoyer, si le tribunal a ensuite jugé
au fond l'affaire mise en cause par le plaidoyer, et que le
prévenu veuille faire renverser le jugement du tribunal, il doit,
si la loi lui donne le droit d'en appeler, tenter de faire réformer
le jugement par voie d'appel seulement. L'article vise, là où il
s'applique, à empêcher la coexistence de deux recours et à
limiter le pourvoi à la procédure d'appel lorsque l'appel est
permis.
Dans une récente cause, CJTR Radio Trois-
Rivières Limitée c. Le Conseil canadien des rela
tions du travail', l'avocat du Conseil, se fondant
sur le jugement rendu dans l'affaire Sanders, pré-
citée, a soulevé une objection suivant laquelle l'ar-
ticle 122 du Code canadien du travail annule le
pouvoir d'émettre une injonction conférée à la
Division de première instance en vertu de l'article
18 de la Loi sur la Cour fédérale. Mon collègue le
juge Addy n'a pas jugé à propos d'exprimer une
opinion sur cette objection puisqu'il a rejeté la
demande,pour d'autres motifs.
Une autre décision récente rendue par la Cour
fédérale se rapproche beaucoup plus de l'affaire en
cause. Dans l'affaire Central Broadcasting Com
pany Limited c. Le Conseil canadien des relations
du travail 4 , le juge en chef Jackett, siégeant de
droit en qualité de juge de la Division de première
instance, a suspendu l'exécution d'une ordonnance
du Conseil qu'il «considérait comme étant un juge-
ment de cette cour en vertu de l'article 123 du
Code canadien du travail». Il est vrai que les
avocats des parties avaient consenti à ce que le
rejet de la demande par l'un des juges de la Cour
d'appel fédérale, siégeant de droit en Division de
première instance soit fondé sur l'argumentation
présentée en Cour d'appel, mais le juge en chef
n'avait pas besoin de leur consentement pour juger
que «la Règle 1909 définit la compétence de la
Division de première instance relativement à un
jugement prononcé par cette cour.»
3 N. du greffe: T-965-75.
, 4 N. du greffe: T-803-75.
Par conséquent, je suis d'avis que cette cour peut
suspendre l'exécution de l'ordonnance du Conseil.
Il reste à trancher si, dans les circonstances, la
suspension est justifiée.
La Cour n'est pas obligée d'accorder automati-
quement une suspension des procédures; elle peut
exercer à ce sujet son pouvoir discrétionnaire. On
ne doit recourir à la suspension que modérément et
seulement lorsque aucun doute n'existe quant à
son opportunité.
La jurisprudence a établi sur ce sujet d'utiles
principes directeurs, comme ceux énoncés dans
l'arrêt Empire -Universal Films Limited c. Rank',
principes qu'a adoptés mon collègue le juge Heald
de la Cour fédérale dans l'affaire Weight Watchers
International Inc. c. Weight Watchers of Ontario
Ltd. 6 :
[TRADUCTION] (1) Le simple équilibre entre les avantages et
les inconvénients n'est pas un motif suffisant pour priver une
demanderesse des avantages que lui procureraient la poursuite
de son action si elle est par ailleurs introduite à bon escient. Le
droit d'ester en justice ne doit pas être refusé à la légère. (2) Il
faut remplir deux conditions pour justifier une suspension
d'instance, l'une positive et l'autre négative: a) le défendeur
doit convaincre la Cour que la poursuite dé l'action entraînerait
une injustice car elle serait pour lui abusive ou vexatoire, ou
constituerait par ailleurs un abus des procédures judiciaires; b)
la suspension de l'instance ne doit pas causer d'injustice à la
demanderesse. Dans les deux cas, le fardeau de la preuve
incombe au défendeur.
Dans l'affaire Battle Creek Toasted Corn Flake
Co. Ltd. c. The Kellogg Toasted Corn Flake Co.',
on a présenté une requête visant à obtenir une
ordonnance suspendant les procédures. Le juge
Middleton a déclaré ce qui suit:
[TRADUCTION] On devrait toujours surseoir à l'exécution du
jugement lorsque d'une part, la suspension causera peu de
préjudice à l'intimé, ce préjudice pouvant être compensé par le
remboursement des dommages réels dont on peut calculer le
montant aisément et avec une assez grande exactitude, et que
d'autre part, le refus d'accorder la suspension infligera à l'appe-
lant une perte cruelle et un tort irrémédiable. Le principe
appliqué est alors le même que celui utilisé dans le cas d'une
demande visant à obtenir une injonction provisoire—l'équilibre
entre les avantages et les inconvénients, avec un facteur addi-
tionnel des plus importants, la décision qui a été rendue et qui
doit être considérée à première vue comme étant bien fondée.
On a cité et approuvé la déclaration susmention-
5 [1947] O.R. 775.
6 (1972) 25 D.L.R. (39 419 à la page 426.
7 (1923-24) 55 O.L.R. 127, la page 132.
née du juge Middleton dans l'arrêt Talsky c.
Talsky (n° 2) 8 où on a statué qu'un juge de la
Cour suprême possède la compétence inhérente
pour contrôler le fonctionnement de la Cour, et
pour surseoir à l'exécution d'une ordonnance de
cette cour en attendant un autre appel afin qu'un
appelant, au cas où il obtiendrait gain de cause, ne
soit pas privé de sa victoire par suite de la dispari-
tion de l'objet du litige ou d'autres circonstances
annulant la décision finale.
Mon collègue le juge Walsh a décidé qu'il n'y
avait pas lieu de décerner un bref de prohibition
dans l'affaire Wardair Canada Limited c. La
Commission canadienne des transports 9 et, con-
cluant que la requérante tentait d'utiliser un bref
de prohibition pour surseoir à l'exécution d'un
jugement soumis à l'examen, il a fait le commen-
taire suivant:
Celle-ci tente d'utiliser un bref de prohibition pour faire sur-
seoir à l'exécution d'un jugement soumis à l'examen et objet
d'un appel car les règles de la Cour ne prévoient pas de
suspension de ce genre. L'absence d'une pareille règle ne suffit
pas à justifier l'utilisation abusive des brefs de prérogative, qu'il
s'agisse d'un bref de prohibition ou d'une injonction. De plus,
même si une règle autorisant la suspension d'exécution existait,
il ne faut pas oublier que les ordonnances rendues en vertu
d'une telle règle le sont à la discrétion du tribunal à qui on les
demande. Dans certains cas, il pourrait manifestement être
injuste de procéder à une audition alors que la question fait
l'objet d'un appel ou d'un examen; ce serait par exemple le cas
quand on conteste la compétence même d'un tribunal d'instance
inférieure. Mais il y a également des cas où il pourrait être tout
aussi injuste d'arrêter la procédure engagée devant un tribunal
d'instance inférieure chaque fois qu'un appel est interjeté ou
qu'on demande l'examen judiciaire d'un point secondaire sou-
levé au cours de la procédure devant ce tribunal d'instance
inférieure. Si c'était permis, on pourrait, en faisant appel de
décisions sur des questions secondaires, suspendre presque indé-
finiment les procédures et ceci au préjudice des parties qui
désirent procéder à l'audition. L'autorisation de suspension
d'une audition relève donc toujours de la discrétion du tribunal.
La jurisprudence nous enseigne donc qu'il faut
être très prudent lorsqu'il s'agit d'accorder une
suspension des procédures dans ces circonstances.
Il appartient au requérant d'établir à la satisfac
tion de la Cour qu'il existe plus qu'un simple
équilibre entre les avantages et les inconvénients.
L'employeur doit convaincre la Cour que l'exécu-
tion de l'ordonnance du Conseil lui serait préjudi-
ciable parce qu'elle serait abusive et vexatoire à
son égard; il doit également persuader la Cour que
la suspension ne lésera pas le syndicat.
e (1974) 39 D.L.R. (3°) 516.
9 [1973] C.F. 597, la page 603.
En l'espèce, il est difficile de voir comment
l'exécution de l'ordonnance serait injuste, abusive
ou vexatoire envers l'employeur.
L'ordonnance exige de l'employeur: première-
ment, qu'il se conforme aux dispositions de l'article
184 du Code, c'est-à-dire qu'il cesse d'interdire
aux employés d'en inviter d'autres à adhérer à un
syndicat ou de distribuer de la documentation
syndicale dans leur temps libre; deuxièmement,
qu'il transmette copie de ladite ordonnance à toute
personne à qui il a déjà donné des directives
contraires. Assurément, il n'y a rien d'injuste,
d'abusif ni de vexatoire envers l'employeur à ce
que ladite ordonnance soit appliquée en attendant
la décision de la Cour d'appel sur la demande
présentée en vertu de l'article 28.
Cependant, la suspension peut être préjudiciable
et même fatale à l'égard du syndicat, au moment
où se poursuit sa campagne de recrutement puis-
que, comme je l'ai déjà dit, le temps est d'une
grande importance. La présente situation ressem-
ble à celle d'un chasseur ayant son permis et à qui
on refuserait l'entrée en forêt pendant la saison de
chasse.
C'est le rôle du Conseil, et non celui de la Cour,
de juger des meilleures mesures qui peuvent assu-
rer la paix sociale et de rendre des ordonnances
visant à mettre en application les règles du Code
canadien du travail. Puisque le Conseil a jugé que
la question est suffisamment urgente pour justifier
une ordonnance «immédiate» devant être mise à
exécution sur le champ, il s'ensuit que surseoir à
l'exécution de ladite ordonnance pourrait être pré-
judiciable à l'autre partie. Il devient donc beau-
coup plus difficile à l'employeur de prouver qu'une
suspension ne serait pas préjudiciable à l'autre
partie.
L'employeur n'a pas démontré à la satisfaction
de la Cour que la suspension de l'ordonnance du
Conseil ne lésera pas le syndicat.
ORDONNANCE
La requête visant à obtenir une ordonnance
enjoignant de surseoir à l'ordonnance du Conseil
canadien des relations du travail est rejetée avec
dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.