Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-395-74
Cutter Laboratories International et Cutter Labo ratories, Inc. (Requérantes)
c.
Le Tribunal antidumping (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges Ryan et Le Dain—Ottawa, les 4 et 23 septembre 1975.
Examen judiciaire—Le Tribunal antidumping concluant à un préjudice sensible à la production au Canada de marchan- dises semblables—Les marchandises sont-elles exemptées par un décret du conseil, les soustrayant ainsi à la compétence du Tribunal?—Les marchandises sont-elles fabriquées au Canada en quantité suffisante pour répondre aux besoins de 10 p. 100 de la consommation normale au Canada?—Loi anti- dumping, S.R.C. 1970, c. A-15, art. 3, 4, 5, 7, 13, 14, 15, 16, 17, 19, 20—Art. 23 du Règlement—Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
Le Tribunal antidumping a conclu que le dumping d'immu- noglobulines antitétaniques (humaines) causait un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises sembla- bles. Les requérantes prétendent que le Tribunal n'avait pas compétence parce que les marchandises étaient exemptées en vertu d'un décret du conseil relevant des articles 7 et 35 de la Loi, qui déclarait exempts les produits pharmaceutiques d'une espèce non fabriquée ou produite au Canada, et importés, à moins qu'ils ne soient fabriqués en quantité suffisante pour répondre aux besoins de 10 p. 100 de la consommation normale au Canada.
Arrêt: l'appel est rejeté.
Le juge en chef Jackett: La preuve soumise au Tribunal n'a pas démontré que, selon toute probabilité, les marchandises étaient exemptées. Je ne me prononce sur aucune autre ques tion. Toutefois, de façon générale, lorsqu'un tribunal n'a pas le pouvoir de rendre une décision obligatoire, il doit néanmoins se prononcer sur la question de savoir si une telle décision relève des pouvoirs que lui a conférés le législateur. S'il est convaincu que la question excède sa compétence, le Tribunal ne doit pas continuer les procédures.
Le juge Ryan: Les requérantes ne se sont pas acquittées de la charge, qui leur incombait, de prouver l'absence de la condition préalable à la compétence.
Le juge Le Dain: On peut prétendre que si le Tribunal conclut que certaines marchandises exemptes causent un préju- dice sensible ou un retard, il excède sa compétence au sens de l'article 28; cependant une conclusion prononcée par le Tribu nal en vertu de l'article 16 constitue un fondement essentiel à la bonne application de la Loi et peut, par voie de conséquence, s'appliquer aux droits et obligations afférents aux marchandises, qui sont assujetties à la Loi.
Arrêts appliqués: Mitsui and Co. Ltd. c. Le Tribunal antidumping du Canada [1972] C.F. 944 et In re Danmor Shoe Co. Ltd. [1974] 1 C.F. 22. Arrêts analysés: La Reine c. Commissioners for Special Purposes of the Income Tax (1888) 21 Q.B.D. 313; Le Roi c. Bloomsbury Income Tax
Commissioners [1915] 3 K.B. 768 et Le Roi c. Noxzema [1942] R.C.S. 178.
EXAMEN judiciaire. AVOCATS:
W. G. Robinson pour les requérantes.
J. L. Shields pour l'intimé.
A. R. Scace pour Connaught Laboratories
Ltd.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les requérantes.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady & Morin, Ottawa, pour l'intimé. McCarthy & McCarthy, Toronto, pour Con- naught Laboratories Ltd.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Cette demande présentée en vertu de l'article 28 vise à faire annuler une décision du Tribunal antidumping rendue en vertu de l'article 16 de la Loi antidum- ping; elle se lit comme suit:
CONCLUSION
Le Tribunal antidumping, après avoir procédé à une enquête en vertu des dispositions du paragraphe (1) de l'article 16 de la Loi antidumping, à la suite d'une détermination préliminaire de dumping faite par le sous-ministre du Revenu national, Doua- nes et Accise, datée du 3 septembre 1974 concernant l'entrée au Canada, à des prix sous-évalués, d'immunoglobulines antité- taniques originaires des États-Unis d'Amérique, conclut que le dumping au Canada d'immunoglobulines antitétaniques (humaines) fabriquées par la Cutter Laboratories, Inc., Berke- ley, Californie, Etats-Unis d'Amérique, a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises semblables, et conclut, en outre, que le dumping au Canada de toutes immunoglobulines antitétani- ques (humaines) originaires des États-Unis d'Amérique est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises semblables.
Pour comprendre les implications de la demande, il faut se reporter à l'économie de la Loi antidumping' que je trouve difficile à comprendre.
A cette fin, il suffit de dire que:
I Comparez avec l'arrêt Mitsui et Co. Ltd. c. Le Tribunal antidumping du Canada [1972] C.F. 944, j'ai tenté de faire un exposé semblable, mais d'un point de vue différent et dans un autre but.
1. La Partie I de la Loi, intitulée «Assujettisse- ment à un droit antidumping» impose un droit antidumping sur l'entrée de marchandises au Canada
a) s'il s'agit «de marchandises sous-évaluées» 2
b) si, avant (article 3) ou après l'entrée des marchandises (articles 4 et 5), le Tribunal a rendu une décision ou une ordonnance d'un caractère particulier à l'égard d'un préjudice ou d'un retard à la production de marchandi- ses semblables,
et prévoit en outre (article 7) que le gouverneur en conseil peut «exempter» des marchandises ou des catégories de marchandises «de l'application de la présente loi».
2. La Partie II de la Loi, intitulée «Procédure», prévoit les étapes suivantes:
a) une enquête par le sous-ministre' (article 13) sur le dumping «de marchandises» lorsque
(i) le sous-ministre est d'avis qu'il y a des éléments de preuve indiquant que les mar- chandises ont été ou sont sous-évaluées et
(ii) le sous-ministre ou le Tribunal conclut qu'il y a des éléments de preuve indiquant que le «dumping» cause ou est susceptible de causer à la production au Canada un préjudice ou un retard d'un caractère particulier;
puis (article 14), si le sous-ministre est con- vaincu que
(A) les marchandises ont été ou sont sous- évaluées, et que
(B) la marge et le volume du dumping ne sont pas négligeables,
il fait alors une «détermination préliminaire du dumping» des marchandises en question;
b) l'imposition d'un droit temporaire (ne dépassant pas la marge de dumping) sur les marchandises indiquées dans la détermination préliminaire et qui sont entrées entre la date de la détermination et la date est rendue
2 L'expression «marchandises sous-évaluées» selon l'article 8 désigne des marchandises dont la «valeur normale», définie à l'article 9, excède le «prix à l'exportation», défini à l'article 10.
3 Dans la présente loi, le sous-ministre désigne le sous-minis- tre du Revenu national, Douanes et Accise (article 2(1)).
l'ordonnance ou la conclusion ci-après men- tionnée du Tribunal (article 15), ce droit étant remboursable sauf si un droit antidum- ping devient payable en vertu de la Partie I sur ces marchandises par suite de l'ordon- nance ou de la conclusion du Tribunal;
c) dès réception de la détermination prélimi- naire du dumping par le sous-ministre, le Tribunal (article 16) fait une enquête sur les marchandises indiquées dans cette détermina- tion pour déterminer si «le dumping» «... a causé, cause ou est susceptible de causer» à la production un préjudice ou un retard d'un caractère particulier 4 ; cette enquête peut entraîner une conclusion ou ordonnance appli cable à une catégorie de marchandises plus restreinte que celle indiquée dans la détermi- nation préliminaire du dumping faite par le sous-ministre;
d) suite à l'ordonnance ou conclusion du Tri bunal, le sous-ministre fait une «détermination définitive du dumping» dans le cas de mar- chandises entrées antérieurement (et il fait immédiatement «évaluer le droit payable sur toutes les marchandises affectées par cette détermination»)
(i) en décidant si ces marchandises sont des marchandises décrites dans cette ordon- nance ou conclusion, et
(ii) en évaluant la valeur normale et le prix normal à l'exportation,
cette détermination définitive pouvant être révi- sée par les tribunaux (articles 17, 19 et 20);
e) dans le cas de marchandises entrées après l'ordonnance ou conclusion du Tribunal, le Ministère détermine si la décision ou l'ordon- nance du Tribunal s'applique aux marchandi- ses et évalue la valeur normale et le prix normal à l'exportation, sous réserve, en der- nière analyse, des recours expressément prévus devant les tribunaux (articles 18, 19 et 20).
Mise à part la question de savoir si des mar- chandises non exemptées sont entrées au Canada à un certain moment, il semblerait que la Partie II de la Loi antidumping prévoit de quelle manière il
4 Il est possible que cette enquête ait d'autres buts, mais il ne sont pas pertinents en l'espèce.
faut déterminer les conditions préalables au paie- ment du droit antidumping. Toutefois, quant à la question de savoir si des marchandises sont entrées au Canada à une époque à laquelle s'applique la Loi ou si des marchandises ainsi entrées sont exemptées de l'application de la Loi par le gouver- neur en conséil agissant en vertu de l'article 7, il ne semble pas, pour autant que je sache, que la Loi prévoit une procédure permettant de régler défini- tivement cette question, si ce n'est par une action «devant tout tribunal compétent» prévue à l'article 33 5 .
Le problème en l'espèce découle d'une exemp tion mise en vigueur par un décret pris en vertu de l'article 7. Il s'agit de l'article 23 du Règlement dont voici certains extraits pertinents:
23. (1) Les produits pharmaceutiques d'une espèce non fabriquée ou produite au Canada et importés à partir du ler mai 1972 sont par les présentes déclarés exempts des dispositions de la Loi antidumping.
(3) Aux fins du présent article, les produits pharmaceutiques ... ne sont pas censés être d'une espèce fabriquée ou produite au Canada, à moins que l'article en question ne soit fabriqué ou produit en quantité suffisante pour répondre aux besoins de 10 p. 100 de la consommation normale au Canada.
Dans son mémoire déposé devant la Cour, la requérante en l'espèce prétendait en fait, si je comprends bien, que la décision incriminée rendue par le Tribunal (et citée au début des présents motifs), constituant une ordonnance ou une con clusion rendue en vertu de l'article 16 de la Loi, mentionnée au paragraphe 2c) précité, n'était pas de sa compétence, car:
a) le Tribunal ne pouvait faire une telle déter- mination à l'égard de marchandises «exemptées
5 I1 se peut que cette question soit tranchée par un appel prévu à l'article 19(1) ou 20, si l'on considère les mots utilisés à l'article 19(3) «la Commission du tarif ... peut déclarer ... qu'aucun droit n'est payable». Ceci ne semble toutefois pas être le cas puisque cet appel se limite apparemment (article 19(1)) à une personne lésée par une décision rendue en vertu des articles 17(1) ou 18(4) et que le pouvoir d'évaluer semble prévu à l'article 17(2). L'expression «peut déclarer ... qu'aucun droit n'est payable» s'applique à un appel d'une décision rendue en vertu des articles 17(1) ou 18(4), si la Commission du tarif ou le tribunal établit, à la suite d'une juste évaluation de la «valeur normale», et du «prix à l'exportation», qu'il n'y a, dans le cas précis, aucun dumping.
... de l'application de la Loi» en vertu de l'article 7,
b) le Tribunal était légalement tenu de détermi- ner si les marchandises étaient ou non assujetties à l'application de la Loi et relevaient de sa compétence;
c) le Tribunal a décidé en vertu de la Loi que les marchandises en question relevaient de sa compétence et cette décision constituait une con dition préalable à sa compétence pour rendre la décision incriminée; et
d) cette décision rendue conformément à la Loi était nulle (en raison de certains moyens que l'on peut invoquer à l'encontre de la validité de telles décisions) et par conséquent le Tribunal n'avait pas compétence pour rendre la décision contestée par la présente demande en vertu de l'article 28.
Dans ses plaidoiries orales, l'avocat des requéran- tes modifia quelque peu sa position. Il admit que le tribunal n'avait pas compétence pour décider de façon péremptoire si une catégorie particulière de marchandises était exemptée de l'application de la Loi 6 et s'en tint alors à prétendre que la décision attaquée ne relevait pas de sa compétence car:
a) le Tribunal ne pouvait faire une telle déter- mination à l'égard de marchandises «exemptées
6 Comparer avec l'arrêt La Reine c. Commissioners for Spe cial Purposes of the Income Tax (1888) 21 Q.B.D. 313, lord Esher, à la page 319:
[TRADUCTION] Lorsqu'une cour d'instance inférieure, un tri bunal ou un organisme qui doit déterminer des faits, est créé par une loi du Parlement, le législateur doit déterminer quels pouvoirs il attribuera à ce tribunal ou à cet organisme. Il pourra dire en fait que c'est seulement si l'on démontre à ce tribunal ou à cet organisme l'existence de certains faits avant qu'ils ne commencent à agir, qu'ils auront compétence pour ce faire. Dans ce cas, il ne leur appartient pas de décider péremptoirement de l'existence de ces faits et, s'ils exercent leur pouvoir en l'absence de ces faits, leurs actes pourront être contestés; on conclura alors à leur défaut de compétence. Mais il peut en être autrement. Le législateur peut conférer au tribunal ou à l'organisme une certaine compétence incluant le pouvoir de déterminer préalablement si les faits existent et, s'ils concluent par l'affirmative, qu'ils sont com- pétents pour continuer les procédures.
Voir également les arrêts Le Roi c. Bloomsbury Income Tax Commissioners [1915] 3 K.B. 768 et Le Roi c. Noxzema [1942] R.C.S. 178, aux pages 185 et suiv.
... de l'application de la Loi» en vertu de l'arti- cle 7; et
b) compte tenu de la preuve soumise au Tribu nal, les marchandises mentionnées dans sa déci- sion étaient effectivement «exemptées»; la pré- sente cour devrait donc conclure dans ce sens.
La présente demande en vertu de l'article 28 est hérissée de difficultés'. Je suis convaincu qu'elle peut être rejetée sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur tous ces problèmes, puisqu'en pre- nant pour acquis que tous les autres éléments jouent en faveur des requérantes, il n'a pas été établi que la preuve soumise au Tribunal démon- trait que, selon toute probabilité, les marchandises décrites dans la décision attaquée étaient exemp- tées de l'application de la Loi antidumping. Toute- fois, on ne doit pas considérer que, par cette conclusion, j'exprime une opinion sur une autre question, comme celle de savoir si la Cour devrait rendre une conclusion de fait en matière d'exemp- tion dans les circonstances de l'espèce', ou la question de savoir si l'exemption de l'application de la Loi à un moment particulier interdit au Tribunal d'exercer sa compétence relativement à des «marchandises» qui, en raison de la nature de l'exemption, peuvent ne pas avoir été exemptées avant et après ce moment particulier'.
Voir l'annexe «B».
s La Règle 1402(1) prévoit que sous réserve d'une ordon- nance prévue à la Règle 1402(2), une demande en vertu de l'article 28 doit être décidée sur dossier soumis au tribunal. Pour certaines questions de compétence soulevées en vertu de l'article 28(1), il faudrait recourir à une ordonnance prévue à la Règle 1402(2) pour modifier le contenu du dossier. En l'espèce, je tiens à signaler qu'il faut examiner avec précaution le dossier soumis au tribunal lorsqu'il s'agit de trancher une question sur laquelle le tribunal n'avait pas le pouvoir de rendre une décision obligatoire.
9 Il convient de signaler qu'en l'espèce, l'exemption ne porte pas sur une catégorie de marchandises établie uniquement en raison de leur nature intrinsèque—auquel cas l'exemption aurait un caractère permanent—mais dépend du fait que ce type ou espèce de marchandises est fabriqué ou non au Canada à l'époque en cause. Il convient également de soulever la question de savoir s'il pourrait y avoir quelque doute quant au point de vue généralement accepté selon lequel cette question est tranchée par un «calcul» fait à l'égard d'une période spécifi- que. Il se peut que la seule méthode possible, particulièrement lorsque la charge de la preuve incombe à un individu, soit de tenir compte de l'opinion générale de personnes versées dans ce domaine particulier.
Je suis d'avis que la demande en vertu de l'arti- cle 28 doit être rejetée.
ANNEXE A
Au risque d'accentuer plutôt que diminuer la confusion que mes motifs ont pu créer, j'estime utile d'étudier, dans cette annexe, les fonctions d'un tribunal auquel se pose la question de sa propre compétence alors qu'il n'a pas le pouvoir de rendre une décision ayant force exécutoire à cet égard. D'une façon très générale, lorsqu'une telle question se pose, je suis d'avis qu'un tribunal, même s'il ne peut rendre une décision ayant force exécutoire, doit se prononcer sur la question de savoir si une telle décision relève des pouvoirs que lui a conférés le législateur. Il ne doit pas gaspiller les fonds publics ni occasionner aux parties intéres- sées des frais supplémentaires sur une question qu'il estime ne pas relever de sa compétence. Pour conclure sur cette question, il se peut, compte tenu des circonstances, qu'il doive entendre des témoi- gnages à cet égard. S'il conclut qu'il n'a pas compétence et refuse donc de continuer les procé- dures, une personne se croyant lésée par cette conclusion peut demander un bref de mandamus. S'il conclut qu'il a probablement compétence pour agir et annonce son intention de le faire, une personne se croyant lésée par cette conclusion peut, selon les circonstances, demander un bref de prohibition à l'égard de la décision finale du tribu nal, ou faire une demande en vertu de l'article 28. Comparer avec l'annexe aux motifs prononcés dans l'affaire Danmor Shoe Co. 10
ANNEXE B
Pour illustrer certains problèmes que j'entrevois, on pourrait comparer la partie de la Loi antidum- ping qui nous intéresse, en corrélation avec l'article 23 du Règlement, avec des dispositions plus simples et purement hypothétiques:
[TRADUCTION] Un droit antidumping est payable à l'entrée au Canada sur des marchan- dises sous-évaluées qui, de l'avis du Tribunal ne sont pas essentiellement d'acier si, le Tribunal estime que le dumping de marchandises d'une catégorie ou espèce à laquelle appartiennent les marchandises entrées, a causé un préjudice à la production au Canada, au cours de la période de deux ans antérieure à leur entrée.
10 [1974] 1 C.F. 22.
(Soulignons qu'une telle loi obligerait le Tribunal à se prononcer sur chaque entrée de marchandises avant qu'un droit antidumping ne soit payable, tandis que la présente loi fait en sorte qu'une détermination s'appliquant rétroactivement à une catégorie ou espèce de marchandises est valable pour un temps indéterminé.)
Selon moi, il ressortirait, selon toute vraisem- blance d'une telle loi:
a) que pour pouvoir émettre une opinion ayant force exécutoire quant au «préjudice», le tribunal devrait en premier lieu juger que lesdites mar- chandises entrées n'étaient pas essentiellement d'acier, et
b) que l'opinion du Tribunal sur chacune de ces questions aurait force exécutoire aux fins de la Loi, sous l'unique réserve des recours - prévus contre des décisions rendues en vertu de la Loi.
En ce qui concerne les fonctions du Tribunal, il y a d'importantes différences entre ces dispositions hypothétiques et la Loi antidumping lue en corré- lation avec l'article 23 du Règlement, en particulier:
a) en vertu de la présente loi, le Tribunal n'est pas expressément autorisé à rendre une décision exécutoire quant à savoir si des marchandises sont d'une catégorie susceptible d'être assujettie à un droit antidumping.
b) en vertu de la présente loi, la classification de marchandises pouvant être assujetties au droit antidumping ne dépend pas uniquement du caractère physique des marchandises mais varie en fonction de la production au Canada des marchandises en cause à un moment ou à une période indéterminée dont le rapport avec la période d'entrée des marchandises en question n'est pas défini, et,
c) en vertu de la présente loi, l'assujettissement à un droit antidumping dépend d'une ordon- nance ou d'une conclusion du Tribunal sur le «préjudice», pouvant être rendue antérieurement ou subséquemment à l'entrée des marchandises en question et peut se rapporter à un moment ou à une période antérieure ou subséquente à cette entrée.
Compte tenu de ces caractéristiques de la présente loi, il est presque impossible de répondre en termes
généraux à certaines questions relatives à son application au Tribunal et à l'effet des décisions de ce dernier.
Considérons à titre d'exemple la question de savoir si le Tribunal a compétence pour déterminer le «préjudice» à l'égard d'une catégorie ou espèce de marchandises qui, au moment la question est soulevée, était exemptée en vertu de l'article 23 du Règlement. Manifestement, le Tribunal ne doit pas rendre de décisions purement théoriques. D'au- tre part, il peut arriver que la décision ne soit pas théorique, même si la catégorie particulière est exemptée lorsque la question est soumise au Tribu- nal-c'est-à-dire lorsqu'un droit temporaire a été payé entre le moment de la détermination prélimi- naire par le sous-ministre et la création de l'exemption.
On peut citer en deuxième exemple la question de la preuve sur laquelle il faut s'appuyer pour décider si une certaine catégorie de marchandises bénéficie de l'exemption prévue à l'article 23 du Règlement. Il faut considérer cette question
a) au moment elle est soumise au sous-ministre,
b) au moment elle est soumise au Tribunal,
c) au moment elle est soumise à une cour, c.-à-d. pour le règlement d'un litige particulier ou en vertu de l'article 28.
Ces trois étapes sont séparées par de longs inter- valles et les renseignements disponibles diffèrent d'autant. Le sous-ministre examine la question, je présume, sans accorder aux personnes intéressées l'occasion d'être entendues. Le Tribunal doit consi- dérer si la question excède de toute évidence sa compétence et, lorsqu'il s'agit d'accorder aux par ties l'occasion d'être entendues, il doit agir confor- mément aux restrictions imposées par la Loi. Il appartient alors à la Cour de déterminer si, effec- tivement, les marchandises entrées étaient exemp- tées ou non, à une époque déterminée, ou si, compte tenu des faits, le Tribunal a commis une erreur de droit en agissant ou en n'agissant pas (et non de déterminer si une décision rendue par le sous-ministre ou le Tribunal en vertu de la loi peut être contestée). Ces questions de fait doivent être tranchées selon un processus judiciaire. La perti nence des éléments de preuve présentés au sous- ministre et au Tribunal par rapport à la décision
que doit prendre la Cour, dans un contexte diffé- rent, ou la valeur des éléments présentés sur les- quels elle peut se fonder en toute confiance, exclu- sivement ou avec d'autres éléments de preuve, varie considérablement suivant les circonstances.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: Après avoir procédé à une enquête conformément à l'article 16 de la Loi antidumping", le Tribunal antidumping conclut, le 2 décembre 1974, que le dumping au Canada d'immunoglobulines antitétaniques (humaines) (appelées dans les présents motifs «I.A.H.») fabri- quées par la Cutter Laboratories Inc., Berkeley (Californie) États-Unis d'Amérique, «a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandi- ses semblables» et que le dumping au Canada de toutes les I.A.H. «originaires des États-Unis d'Amérique est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandi- ses semblables». On demande l'examen et l'annula- tion de cette conclusion en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale 12
On soutient principalement que le Tribunal n'avait pas la compétence pour faire enquête et rendre une décision parce que, prétendait-on, la Loi ne s'appliquait pas aux marchandises en ques tion en vertu du décret 13 pris en vertu des articles 7 et 35 de la Loi. L'article 23 du Règlement qui nous intéresse déclare exempts des dispositions de la Loi, «les produits pharmaceutiques d'une espèce non fabriquée ou produite au Canada et importés à partir du l er mai 1972». Le paragraphe (3) de l'article prévoit notamment que:
... les produits pharmaceutiques ... ne sont pas censés être d'une espèce fabriquée ou produite au Canada, à moins que l'article en question ne soit fabriqué ou produit en quantité suffisante pour répondre aux besoins de 10p. 100 de la consom- mation normale au Canada.
S.R.C. 1970, c. A-15.
I3 S.R.C. 1970 (2' supp.) c. 10.
13 DORS/72-191, Gazette du Canada, Partie II, Vol. 106, 12,1e 28 juin 1972.
Les requérantes prétendent que, compte tenu de la preuve déposée devant le Tribunal, les I.A.H. fabriquées ou produites au Canada ne consti- tuaient pas «une quantité suffisante pour répondre aux besoins de 10 p. 100 de la consommation nor- male au Canada». Ni les requérantes, ni la Con- naught Laboratories Limited, fabricante cana- dienne qui était représentée, ne cherchèrent à compléter la preuve soumise au Tribunal.
Aux fins du présent jugement, je présume volon- tiers que le pouvoir de faire l'enquête prévue à l'article 16 et de prononcer la conclusion contestée ne pouvait être exercé que si la Loi s'appliquait aux marchandises faisant l'objet de l'enquête. Dans cette hypothèse, le Tribunal n'aurait pas eu compétence si les marchandises en question avaient échappé aux dispositions de la Loi.
Dans l'exposé des motifs à l'appui de sa conclu sion, le Tribunal déclara:
... le Tribunal, sur les éléments de preuve présentés en confi dence par toutes les parties et à la suite de ses propres enquêtes, est d'accord avec l'opinion que lui a émise par écrit le sous- ministre et selon laquelle la production canadienne répond à la norme quantitative établie dans le décret du conseil prévoyant l'exemption.
Le sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise, avait fait une détermination préliminaire de dumping en vertu de l'article 14 de la Loi. L'«opinion (qu')a émise par écrit le sous-ministre» consistait dans des renseignements donnés par lettre en réponse à une demande présentée aux fins de l'enquête du Tribunal, en vertu de l'article 16; selon cette lettre:
[TRADUCTION] ... aux fins de l'article 23 du Règlement anti- dumping, le ministère juge que les immunoglobulines antitéta- niques (humaines) sont un produit pharmaceutique d'une espèce fabriquée au Canada. Dans les circonstances, l'exemp- tion de l'application de la Loi antidumping prévue à l'article 23 du Règlement ne s'applique pas.
Dans ces circonstances, compte tenu particuliè- rement de la conclusion du Tribunal selon laquelle la production canadienne répond à la norme quan titative, il appartient aux requérantes de prouver l'absence de la condition préalable à la compétence. 14 Qu'il s'agisse d'établir cette absence suivant une prépondérance des probabilités ou de prouver que le Tribunal n'avait aucun motif rai
l* S. A. de Smith, Judicial Review of Administrative Action (3° éd., 1973), aux pages 104 et 105.
sonnable de conclure , à sa compétence, les requé- rantes ne se sont pas acquittées de cette charge de la preuve.
Pour ces motifs, je rejetterais la demande.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Je souscris au rejet de la présente demande, car la preuve soumise à la Cour, c'est-à-dire celle qui fut présentée au Tribu nal, montre que les requérantes n'ont pas réussi à établir le fait essentiel justifiant leur demande d'exemption—savoir le fait que les immunoglobu- lines antitétaniques (humaines) n'étaient pas fabri- quées ou produites en quantité suffisante au Canada pour répondre aux besoins de 10 p. 100 de la consommation normale au Canada.
En outre, pour les motifs indiqués par le juge en chef, cette affaire soulève une question difficile: celle de savoir si une conclusion prononcée par le Tribunal en vertu de l'article 16 de la Loi anti- dumping en matière de préjudice sensible ou de retard devrait faire l'objet d'une demande d'annu- lation en vertu de l'article 28 au motif qu'au moment de la conclusion, la Loi ne s'appliquait pas aux marchandises ou à la catégorie de marchandi- ses. On peut prétendre raisonnablement que si le Tribunal rend une décision à l'égard de marchan- dises qui ne sont pas assujetties à l'application de la Loi, il excède sa compétence au sens de l'article 28; cependant une conclusion prononcée par le Tribunal en vertu de l'article 16 constitue un fondement essentiel à la bonne application de la Loi et peut, par voie de conséquence, s'appliquer aux droits et obligations afférents aux marchandi- ses qui sont assujetties à la Loi au moment de l'entrée au Canada.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.