A-198-74
CKCH Radio Limitée (Requérante)
c.
Le Conseil canadien des relations du travail
(Intimé)
et
L'Association nationale des employés et techni-
ciens en radiodiffusion, FAT-COI-CTC (Mise en
cause)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges
Pratte et Hyde—Montréal, les 9 et 17 avril 1975.
Examen judiciaire—Le Conseil canadien des relations du
travail modifie la convention collective afin de prévoir une
clause de règlement définitive—La convention prévoit-elle
déjà une telle clause?—Le Conseil a-t-il le droit d'exercer son
pouvoir extraordinaire?—Code canadien du travail, S.R.C.
1970, c. L-1 et ses modifications S.C. 1972, c. 18, art. 155.
Le Conseil a modifié la convention collective que la requé-
rante avait conclue avec le syndicat afin de prévoir une clause
de règlement définitif; la requérante prétend que le Conseil
n'avait pas le droit d'exercer le pouvoir extraordinaire que lui
reconnaît le paragraphe (2) de l'article 155 parce que la
convention contenait déjà une «clause de règlement définitif»
satisfaisant aux exigences du paragraphe (1) du même article.
Arrêt: l'appel est rejeté, la convention ne contient pas une
clause de règlement des griefs et ne satisfait pas aux exigences
de l'article 155(1). Le Conseil avait, en l'espèce, le droit
d'exercer le pouvoir que lui accorde l'article 155(2). La requé-
rante n'a pas prétendu que la décision soit illégale pour une
autre raison que celle déjà rejetée. Cependant, il y a lieu de
douter de la validité de la décision parce qu'il ne semble pas que
la convention collective, telle que modifiée permette à l'em-
ployeur de formuler un grief ou de soumettre un différend à
l'arbitrage. Une clause de règlement définitif ne satisfait pas
aux exigences de l'article 155(1) si elle ne permet pas à toutes
les parties de se prévaloir de la procédure prévue.
Arrêt examiné: Union Carbide Canada Limited c. Weiler
[1968] R.C.S. 966 et General Truck Drivers Union, Local
938 c. Hoar Transport Co. Ltd. [1969] R.C.S. 634.
EXAMEN judiciaire.
AVOCATS:
R. Heenan pour la requérante.
•
F. Mercier, c.r., pour l'intimé.
C. Trudel pour la mise en cause.
PROCUREURS:
Johnston, Heenan & Blaikie, Montréal, pour
la requérante.
Stikeman, Elliot, Tamaki, Mercier & Robb,
Montréal, pour l'intimé.
Trudel, Nadeau, Letourneau, Lesage &
Dulude, Montréal, pour la mise en cause.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE PRATTE: La requérante demande, en
vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale,
la cassation d'une décision du Conseil canadien des
relations du travail. Par cette décision, prononcée
en vertu de l'article 155 du Code canadien du
travail, la Commission a modifié la convention
collective que la requérante avait conclue avec le
syndicat mis en cause.
L'article 155 du Code canadien du travail se lit
comme suit:
155. (1) Toute convention collective doit contenir une clause
de règlement définitif, sans arrêt de travail, par voie d'arbitrage
ou autrement, de tous les conflits surgissant, à propos de
l'interprétation, du champ d'application, de l'application ou de
la présumée violation de la convention collective, entre les
parties à la convention ou les employés liés par elle.
(2) Lorsqu'One convention collective ne contient pas de
clause de règlement définitif ainsi que l'exige le paragraphe (1),
le Conseil doit, par ordonnance, sur demande de l'une des
parties à la convention collective, établir une telle clause, et
celle-ci est censée être une disposition de la convention collec
tive et lier les parties à la convention collective ainsi que tous
les employés liés par celle-ci.
Le ler février 1974, la requérante et le syndicat
ont conclu une convention collective prévoyant une
procédure pour le règlement des griefs formulés
par les employés et contenant, en outre, la clause
suivante:
22.4.8 Le Syndicat peut exercer tout recours résultant d'une
présumée violation ou fausse interprétation d'une disposition
quelconque de la convention collective et pour lequel un ou
plusieurs employés n'ont pas un intérêt personnel et direct en
raison de la nature même du droit dont il s'agit.
Cette convention, cependant, ne prévoyait pas que
le syndicat puisse se plaindre d'une violation de la
convention collective ayant causé préjudice à des
employés qui n'avaient pas eux-mêmes formulé de
griefs. C'est à cause de cela que, à la demande du
syndicat, le Conseil a décidé que l'article 22.4.8 de
la convention serait remplacé par le suivant (que je
cite en me référant à la version anglaise de la
décision du Conseil parce que le texte qui apparaît
dans la version française est inintelligible):
The union may submit any matter it considers to be a violation
or misinterpretation of this agreement to the grievance and
arbitration procedure provided in Article 22, except that in the
case of the union grievance, the procedure shall begin at the
second level as described in Article 22.3.
C'est la légalité de cette décision que conteste la
requérante. Elle prétend que le Conseil n'avait pas
le droit, en l'espèce, d'exercer le pouvoir extraordi-
naire que lui reconnaît le paragraphe (2) de l'arti-
cle 155 parce que la convention collective conclue
par les parties contenait déjà une «clause de règle-
ment définitif» satisfaisant aux exigences du para-
graphe (1) du même article.
L'argumentation de la requérante peut se résu-
mer de la façon suivante:
a) L'article 155(1) exige qu'une convention col
lective contienne une «clause de règlement défi-
nitif» de tous les conflits relatifs à l'interpréta-
tion ou à l'application de la convention.
b) Les conflits dont parle l'article 155(1) sont
de deux sortes: ceux qui se rapportent à une
clause de la convention stipulée dans l'intérêt
immédiat des employés, ceux qui se rapportent à
une clause de la convention stipulée dans l'inté-
rêt immédiat du syndicat.
c) La convention conclue par la requérante et le
syndicat mis en cause satisfait aux exigences de
l'article 155(1) parce qu'elle prévoit le règle-
ment par voie d'arbitrage de ces deux sortes de
conflits. Il en est ainsi malgré que, suivant la
convention, les conflits relatifs à la violation des
clauses de la convention stipulées dans l'intérêt
exclusif des employés ne peuvent être soumis à
l'arbitrage par le syndicat si les employés n'ont
pas d'abord formulé eux-mêmes un grief. Cette
stipulation n'est qu'une règle de procédure, com
parable à la clause de la convention qui fixe un
délai pour la formulation des griefs.' C'est, au
surplus, une stipulation tout à fait normale puis-
que, sans elle, le syndicat pourrait «présenter le
grief individuel d'un employé malgré sa
volonté», ce qui serait «contraire aux principes
fondamentaux de la doctrine et de la jurispru
dence en droit du travail».
Voir Union Carbide Canada Limited c. Weiler [1968]
R.C.S. 966 et General Truck Drivers Union, Local 938, c.
Hoar Transport Co. Ltd. [1969] R.C.S. 634.
Cette argumentation doit, à mon sens, être reje-
tée. L'article 155(1) exige que toute convention
collective contienne une «clause de règlement défi-
nitif» de tous les conflits surgissant «entre les par
ties à la convention ou les employés liés par elle» et
se rapportant à l'interprétation ou à l'application
de la convention. Les parties à la convention sont
l'employeur et le syndicat agent négociateur. 2 La
Loi exige donc que la convention collective prévoie
une procédure pour le règlement de tous les con-
flits pouvant surgir entre l'employeur et le syndicat
au sujet de l'interprétation ou de l'application de la
convention. Le terme «conflit» n'est pas défini par
la Loi et, dans le sens ordinaire du mot, il y a
conflit entre deux personnes dès lors qu'il y a
contestation entre elles, peu importe ce qui fait
l'objet de cette contestation. Dans le sens courant
du terme, il pourrait donc y avoir conflit entre les
parties à la convention même relativement à une
matière n'affectant pas les intérêts de ces parties.
Il est possible, cependant, que le mot conflit dans
l'article 155(1) doive recevoir un sens plus res-
treint de sorte qu'il ne s'entende que du conflit
portant sur une matière qui affecte les intérêts des
parties au conflit. Cela, il n'est pas nécessaire de le
décider car il m'apparaît que, même si on donne au
mot conflit ce sens plus restreint, il peut y avoir
conflit entre un employeur et un syndicat relative-
ment à la violation par l'employeur des clauses de
la convention collective stipulées dans l'intérêt des
employés même si les employés intéressés ne se
plaignent pas de cette violation. Là convention
intervenue entre la requérante et la mise en cause
ne prévoyant pas de méthode de règlement de
pareils conflits, elle ne satisfait pas, à mon sens,
aux exigences de l'article 155(1). Je suis donc
d'avis que le Conseil avait, en l'espèce, le droit
d'exercer le pouvoir extraordinaire que lui accorde
l'article 155(2) et, pour cette raison, je rejetterais
la demande.
Avant de terminer, je voudrais souligner que la
requérante n'a pas prétendu que la décision atta-
quée soit illégale pour une autre raison que celle
que j'ai déjà rejetée. Si je le dis, c'est qu'il m'appa-
raît douteux, bien que le dossier ne permette pas
d'en arriver à une conclusion ferme sur ce point,
que la décision attaquée soit une décision que le
2 Voir la définition des termes «convention collective» et
«parties» à l'article 107(1) du Code canadien du travail.
Conseil avait le pouvoir de prendre en vertu de
l'article 155(2). Dans le cas que prévoit cette
disposition «le Conseil doit, par ordonnance, .. .
établir une telle clause», c'est-à-dire une clause de
règlement définitif conforme aux exigences de l'ar-
ticle 155(1). Le Conseil n'a donc pas le pouvoir de
décréter une clause qui ne satisfait pas à toutes ces
exigences. En l'espèce, s'il y a lieu de douter de la
validité de la décision prononcée par le Conseil,
c'est, notamment, parce qu'il ne semble pas que la
convention collective, telle que modifiée par l'or-
donnance du Conseil, permette à l'employeur de
formuler un grief ou de soumettre un différend à
l'arbitrage. Or, il me semble qu'une clause de
règlement définitif ne satisfait pas aux exigences
de l'article 155(1) si elle ne permet pas à toutes les
parties à un conflit de se prévaloir de la procédure
de règlement prévue.
* * *
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Je partage cette
opinion.
* * *
LE JUGE HYDE: Je partage cette opinion.
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