A-488-75
Bell Canada (Requérante)
c.
Les Travailleurs en communication du Canada
(Intimés)
et
L'Association canadienne des employés de télé-
phone (Intervenante)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Ryan
et le juge suppléant Kerr—Ottawa, les 24 et 25
novembre 1975.
Examen judiciaire—Le Conseil canadien des relations du
travail a conclu que la requérante avait interdit à ses employés
de participer, dans leur temps libre, à des activités syndicales
dans les locaux de la compagnie en violation du Code canadien
du travail et lui a ordonné de cesser—L'ordonnance a-t-elle
violé les principes de la justice naturelle en n'accordant pas à
la requérante le temps nécessaire pour fournir des preuves?—
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1 et ses modifica
tions, S.C. 1972, c. 18, art. 184, 187 et 189—Déclaration
canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44, art. 1 et 2.
Le Conseil canadien des relations du travail a conclu que la
requérante avait appliqué une politique qui interdisait à ses
employés de participer, dans leur temps libre, à des activités
syndicales licites dans les locaux de la compagnie et que ses
directives constituaient une violation de l'article 184(1)a) et
I 84(3)e) du Code canadien du travail. On a ordonné à la
requérante de cesser d'interdire aux employés d'inviter d'autres
employés à adhérer à un syndicat dans leur temps libre. A
l'audience, la discussion a surtout porté sur la question de
savoir si les faits tels qu'ils ont été présentés au Conseil
constituaient ou établissaient des infractions au Code. L'avocat
de Bell a cependant indiqué qu'il croyait devoir discuter de la
question de savoir si, prenant pour acquise la véracité de
certains faits, il existait des infractions au Code et qu'il serait
possible plus tard de fournir des preuves. La requérante prétend
que le Conseil, en rendant son ordonnance, n'a pas observé les
principes de la justice naturelle, puisqu'il n'a pas accordé à la
requérante le temps nécessaire pour fournir des preuves.
Arrêt: l'appel est rejeté, les règles de la justice naturelle sont
souples, elles doivent être appliquées en fonction des exigences
propres à chaque cas et non pour mettre en échec une loi
particulière. Il y a incertitude quant à savoir si l'audience avait
pour but de a) déterminer en droit si les faits allégués, à
supposer qu'ils soient exacts, constituaient une infraction au
Code ou b) déterminer si les pratiques de la requérante «actuel-
lement en vigueur» dont font foi les diverses directives consti
tuent une infraction au Code. Cependant les principes de la
justice naturelle ne peuvent servir de fondement à cette
demande. La requérante a eu toute possibilité d'exposer les
faits sur lesquels se fonde la décision et l'avocat de la requé-
rante n'a pas su convaincre la Cour que certains éléments de
preuve avaient été omis.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
B. A. Roy et S. Potter pour la requérante.
A. Golden et P. Cavalluzzo pour les intimés.
Y. A. Hynna pour le Conseil canadien des
relations du travail.
PROCUREURS:
Ogilvy, Cope, Porteous, Montgomery,
Renault, Clarke & Kirkpatrick, Montréal,
pour la requérante.
Golden, Levinson, Toronto, pour les intimés.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour le Con-
seil canadien des relations du travail.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Bell Canada, Con-
formément à l'article 28, présente une demande
d'annulation d'une «décision et ordonnance» du
Conseil canadien des relations du travail en date
du 22 août 1975, par lesquelles le Conseil,
notamment,
a) a jugé que la requérante (ci-après nommée
«Bell») par diverses directives, a appliqué une poli-
tique qui interdit à ses employés de participer,
dans leur temps libre, à des activités syndicales
licites dans les locaux de la compagnie et que cette
politique et ces directives constituent une violation
des dispositions pertinentes des articles 184(1)a) et
184(3)e) du Code canadien du travail qui se lisent
comme suit:
184. (1) Nul employeur et nulle personne agissant pour le
compte d'un employeur ne doit
a) participer à la formation ou à l'administration d'un syndi-
cat ou à la représentation des employés par un syndicat, ni
s'y ingérer;
(3) Nul employeur et nulle personne agissant pour le compte
d'un employeur ne doit
e) chercher par intimidation, menace de congédiement ou
autre genre de menace, par l'imposition d'une peine pécu-
niaire ou autre, ou par tout autre moyen, à contraindre une
personne soit à s'abstenir de devenir ou à cesser d'être
membre, dirigeant ou représentant d'un syndicat, soit à
s'abstenir
(i) de témoigner dans une procédure prévue par la pré-
sente Partie, ou d'y participer autrement,
(ii) de faire une divulgation qu'elle peut être requise de
faire dans une procédure prévue par la présente Partie, ou
(iii) de présenter une demande ou de déposer une plainte
en vertu de la présente Partie;
et
b) en vertu de l'article 189 du Code canadien du
travail', a ordonné à Bell de se conformer aux
dispositions de l'article 184 et de cesser d'interdire
aux employés d'inviter d'autres employés à adhérer
à un syndicat ou de distribuer de la documentation
syndicale dans le temps libre des employés.
Le 20 juin 1975, les intimés (ci-après nommés
«le syndicat») ont adressé au Conseil une plainte 2
contre Bell qui se lit en partie comme suit:
[TRADUCTION] C. NATURE DE L'OMISSION DE SE CONFORMER.
(i) L'intimée' est intervenu dans la représentation syndicale
L'article 189 se lit comme suit:
189. Lorsque, en vertu de l'article 188, le Conseil décide
qu'une partie que concerne une plainte a enfreint l'un des
articles 148, 184 ou 185, il peut, par ordonnance, requérir
ladite partie de se conformer à cet article et il peut,
a) pour défaut de se conformer à l'alinéa 148b) requérir
un employeur, par ordonnance, de payer à un employé une
indemnité ne dépassant pas la somme qui, de l'avis du
Conseil, est équivalente à la rémunération qui aurait été
payée par l'employeur à l'employé, n'eût été ce défaut;
b) pour défaut de se conformer à l'un des alinéas
184(3)a), c) ou f) requérir un employeur, par ordonnance,
(i) de reprendre à son emploi un ancien employé con
cerné par ce défaut, et
(ii) de payer à un employé ou ancien employé concerné
par ce défaut une indemnité ne dépassant pas la somme
qui, à son avis, est équivalente à la rémunération qui
aurait été payée par l'employeur à l'employé, n'eût été
ce défaut;
c) pour défaut de se conformer à l'alinéa 184(3)e), requé-
rir un employeur, par ordonnance, d'annuler une mesure
disciplinaire prise à l'égard d'un employé concerné par le
défaut et de payer à cet employé une indemnité ne dépas-
sant pas la somme qui, de l'avis du Conseil, est équivalente
à toute peine pécuniaire ou autre imposée à l'employé par
l'employeur;
d) pour défaut de se conformer à l'un des alinéas 185f) ou
h) requérir un syndicat, par ordonnance, de réintégrer ou
d'admettre un employé comme membre du syndicat; et
e) pour défaut de se conformer à,l'un des alinéas 185g), h)
ou i), requérir un syndicat, par ordonnance, d'annuler une
mesure disciplinaire prise à l'égard d'un employé concerné
par le défaut et de payer à cet employé une indemnité ne
dépassant pas la somme qui, à son avis, est équivalente à
toute peine pécuniaire ou autre imposée à l'employé par le
syndicat.
2 Voir l'article 187 du Code canadien du travail.
' Dans la plainte et la réponse, Bell est désignée comme étant
«l'intimée».
des employés.
(ii) L'intimée a apporté son concours à l'Association cana-
dienne des employés de téléphone au cours de la campagne
de réorganisation du syndicat.
(iii) L'intimée a imposé dans son contrat de travail une
clause qui restreint, ou a pour effet de restreindre, le libre
exercice des droits conférés aux employés par le Code cana-
dien des relations du travail.
(iv) L'intimée a cherché, par des pressions et des menaces, à
empêcher une personne d'adhérer à un syndicat ou à l'obliger
à s'en retirer.
D. ARTICLE DU CODE QUI AURAIT ÉTÉ VIOLE.
(i) Article 184(1)a).
(ii) Article 184(1)b).
(iii) Article 184(3)b).
(iv) Article 184(3)e).
E. FAITS SUR LESQUELS S'APPUIE LE REQUÉRANT ET QUI CONSTI-
TUERAIENT L'OMISSION DE SE CONFORMER.
(i) Au début de juin 1975, dans les bureaux de Bell Canada
à Norelco Drive, Toronto, les surveillants du deuxième
niveau ont réuni des groupes d'employés pour les informer
qu'il était interdit à tout moment de distribuer de la docu
mentation syndicale et d'inviter d'autres employés à adhérer
à un syndicat, dans les locaux de la compagnie sous peine de
sanctions sévères. On a dit aux employés que l'Association
canadienne des employés de téléphone pouvait procéder à ses
activités normales dans les locaux de la compagnie. Parmi les
surveillants susmentionnés, on trouve: Clayt French, Harold
Faulkner, Andy Anderson et Stan Gancher.
(ii) Le 5 juin 1975 ou vers cette date, les employés de
l'intimée, à son bureau situé au 76 Orenda Road, Brampton
(Ontario), ont été avisés par les contremaîtres Bill Lowe et
Jack Harper qu'il était interdit de faire de la propagande
syndicale en tout temps dans les locaux de la compagnie.
(iii) Vers le début de juin 1975, un employé de l'intimée
distribuait de la documentation syndicale pour le requérant
dans le garage de l'intimée, rue Shaw, à Toronto, avant les
heures de travail. Sutherland, un cadre de Bell Canada, lui a
fait des remontrances et lui a interdit de recommencer. On a
avisé l'employé qu'une note de service du service juridique de
l'intimée interdisait en tout temps toute propagande syndi-
cale dans les locaux de la compagnie.
(iv) Le 6 juin 1975 ou vers cette date, Gene Kelly et Norm
Watson, contremaîtres de Bell Canada, ont dit aux employés
des bureaux de l'intimée à Esna Park, Toronto, qu'il était
interdit de faire de la propagande syndicale en tout temps
dans les locaux de la compagnie.
(v) Vers le début de juin 1975, certains employés de Bell
Canada ont prié un représentant du syndicat de prendre la
parole devant eux à l'heure du déjeuner à la cafétéria de
l'intimée 76 ouest rue Adelaide, à Toronto. E. Moody, con-
tremaître de l'intimée et Al Avis, président régional de
l'Association canadienne des employés de téléphone ont
abordé le représentant du syndicat alors qu'il s'adressait aux
employés de l'intimée durant leur pause-déjeuner. Moody l'a
averti qu'il était interdit en tout temps de distribuer de la
documentation syndicale dans les locaux de la compagnie et
en présence d'Avis, il lui a ordonné de quitter l'édifice.
La plainte allègue qu'en interdisant, dans les locaux de la
compagnie et pendant les heures libres des employés, de distri-
buer de la documentation syndicale et d'inviter d'autres
employés à adhérer à un syndicat, l'intimée contrevient à
l'article 184(1)a), 184(3)b) et 184(3)e) du Code canadien du
travail.
Bell Canada a déposé une réponse écrite qui se lit
en partie comme suit:
[TRADUCTION] 3.—Quant aux allégations des parties C et D,
l'intimée nie toute infraction aux articles de la Loi mentionnés
dans la plainte;
4.—Quant aux allégations de la partie E, des alinéas (i) à (v)
inclusivement, l'intimée les nie comme n'étant pas fondées en
fait ni en droit;
9.—De plus, et sans préjudice à ce qui précède, même si on
admettait les faits mentionnés dans la partie E aux fins de la
discussion, ces derniers n'enfreignent aucune disposition du
Code canadien du travail;
Le 8 août 1975, le Conseil a envoyé un «télex»
aux avocats des parties'', dans lequel il
a) indiquait qu'il fallait régler promptement quel-
ques-unes au moins des questions soulevées dans la
plainte,
b) il avisait chaque partie qu'une audience aurait
lieu le 22 août 1975 «au sujet de la plainte»,
c) il citait le paragraphe 9 de la réponse de Bell et
faisait savoir que le Conseil se proposait d'aborder
«en premier lieu» la question de savoir si l'assertion
dont il fait état est conforme aux dispositions du
Code canadien du travail, et
d) il demandait aux parties, afin de faciliter et
d'abréger «l'audience», de déposer et signifier leurs
prétentions par écrit avant le 16 août 1975 et plus
particulièrement, de répondre aux questions sui-
vantes avec documents à l'appui:
[TRADUCTION] A. QUELLES ONT ÉTÉ LA POLITIQUE ET LA PRATI-
QUE DE BELL CANADA AU COURS DES CINQ (5) DERNIÈRES
ANNÉES AU SUJET DE LA DISTRIBUTION DE DOCUMENTS DIVERS
DANS LES LOCAUX DE LA COMPAGNIE?
4 J'estime inutile de mentionner dans mon jugement la part
qu'a prise aux procédures l'Association des employés de télé-
phone à titre d'intervenante.
B. QUELLES ONT ÉTÉ LA POLITIQUE ET LA PRATIQUE DE BELL
CANADA AU COURS DES CINQ DERNIÈRES ANNÉES AU SUJET DES
SOLLICITATIONS DONT SES EMPLOYÉS ONT ÉTÉ L'OBJET DE LA
PART DE DIVERSES ORGANISATIONS DANS LES LOCAUX DE LA
COMPAGNIE?
C. QUELLES ONT ÉTÉ LA POLITIQUE ET LA PRATIQUE DE BELL
CANADA AU COURS DES CINQ DERNIÈRES ANNÉES AU SUJET DES
DIVERSES ACTIVITÉS DES EMPLOYÉS À L'HEURE DU DÉJEUNER
DANS LES CAFÉTÉRIAS SITUÉES DANS LES LOCAUX DE LA
COMPAGNIE?
D. AU COURS DES CINQ DERNIÈRES ANNÉES, BELL CANADA
A-T-ELLE APPLIQUÉ DES RÈGLEMENTS INTERDISANT AUX
EMPLOYÉS DE PARTICIPER À CERTAINES ACTIVITÉS DANS LES
LOCAUX DE LA COMPAGNIE PENDANT LEUR TEMPS LIBRE?
PRÉCISER.
E. AU SUJET DE CE QUI PRÉCÈDE, L'INTIMÉE A-T-ELLE ADOPTÉ DE
NOUVELLES DIRECTIVES OU DE NOUVEAUX RÈGLEMENTS DEPUIS
LE 1' AVRIL 1975? DANS L'AFFIRMATIVE, EN FOURNIR DES
COPIES.
Le 14 août 1975, l'avocat de Bell a écrit une lettre
au Conseil en réponse au télex; on y lit
notamment:
[TRADUCTION] Nous remarquons dans vos questions que
vous ne vous préoccupez, pour le moment, que de l'allégation
contenue au paragraphe n° 9 de la réponse de Bell Canada.
Nous vous présentons respectueusement, Madame la vice-prési-
dente, la réplique suivante à l'appui de notre réponse, le tout
sous réserve et sans préjudice du droit de Bell Canada de
présenter les preuves qu'elle juge nécessaires pour réfuter les
plaintes formulées à son endroit par les Travailleurs en commu
nication du Canada (TCC) et pour étayer tous les aspects de
notre réponse.
Afin de répondre à vos questions, soulignons que la circulaire
générale n° 106.85 intitulée «Consignes en cas d'urgence—
Protection des locaux et propriétés de la compagnie» illustre
bien la politique et la pratique générale de Bell Canada pendant
les cinq dernières années. Un exemplaire de la circulaire est
joint à la présente lettre à l'annexe «A» et en fait partie
intégrante. La circulaire générale traite de l'usage et de la
protection de tous les immeubles et propriétés de Bell Canada
et des activités qui s'y tiennent.
Nous attirons votre attention sur l'article 1.02 de la circulaire
générale et particulièrement sur la première phrase qui déclare:
1.02 Les dispositions de cette circulaire s'appliquent à tous
les terrains et locaux que loue ou possède la compagnie et
qu'elle utilise ou occupe à ses propres fins ....
L'article 3.01 expose les modalités d'application de cette
politique:
3.01 Chaque service a certaines responsabilités relativement
à la protection des immeubles et de parties déterminées de
ceux-ci. Les cadres sont responsables de la mise en vigueur
des mesures ci-exposées s'appliquant aux employés placés
sous leur surveillance et aux locaux qu'ils occupent. Ils
doivent prendre toute mesure nécessaire pour s'assurer le
concours de tous les intéressés.
En fait, chaque cadre doit faire respecter les mesures et les
principes exposés à l'article 3.01 susmentionné.
Nous vous rappelons, à titre de renseignement, les disposi
tions des articles 4.03, 4.04 et 4.07 qui traitent de l'accès aux
terrains et locaux de Bell Canada:
4.03 Seules les personnes autorisées ont droit d'accès aux
terrains et locaux de la compagnie autres que les endroits
réservés au public. Si nécessaire, on pourra leur demander de
montrer leurs pouvoirs. Une carte d'identité valide délivrée
par la compagnie ne donne pas en elle-même le droit d'accès;
il faut avoir une raison valable.
4.04 On admettra sans formalités les employés se présentant
au travail et d'autres personnes, tels les entrepreneurs, lors-
que l'employé de service les reconnaît et sait qu'ils travaillent
dans l'immeuble et y ont affaire. Quand l'employé de service
ne reconnaît pas la personne demandant à entrer, un employé
de la compagnie, de préférence un surveillant sur les lieux,
peut s'en porter garant.
4.07 Seules les personnes ayant une raison valable ont accès
aux zones interdites et elles ne peuvent pénétrer que dans les
endroits auxquels elles doivent avoir accès aux fins de leur
visite ....
Il ressort de la circulaire générale et plus particulièrement
des articles susmentionnés, que Bell Canada prit une politique à
l'égard de l'accès aux terrains et locaux de la compagnie et des
activités qui s'y tiennent. La circulaire générale portent les
mentions «Juillet 1968» et «Janvier 1969», date de leur dernier
remaniement. Elle remplace la circulaire générale 304.6 intitu-
lée «Accès aux locaux et terrains de la compagnie» datant de
juillet 1957, dont un exemplaire est joint à la présente lettre en
annexe «B» et en fait partie intégrante.
Sur l'ensemble du territoire, Bell Canada possède environ
1,980 immeubles et loue environ 390 établissements. La circu-
laire générale expose la politique de la compagnie aux divers
cadres des édifices et établissements susmentionnés et les cadres
régionaux qui s'y trouvent sont chargés de son application.
Examinons maintenant, dans le contexte ainsi défini, les
questions précises que vous avez posées.
Prenons d'abord la première: En théorie et en pratique Bell
Canada a de tout temps, y compris les cinq (5) dernières
années, interdit la distribution de tout document dans ses
locaux, sauf autorisation préalable accordée par les cadres
régionaux. La décision d'autoriser ou non la distribution des
documents en cause est laissée à l'appréciation des représen-
tants de la compagnie. Bell Canada estime nécessaire d'émpê-
cher la distribution de documents qui, selon la direction,
seraient de nature polémique, et/ou nuisibles aux intérêts de la
compagnie et/ou à. ses rapports avec ses employés.
La compagnie ne permet la distribution de documents dans le
cas de l'affichage par exemple, qu'après avoir établi les princi-
pes directeurs à suivre. A titre d'exemple, le personnel au siège
social préposé aux relations du travail a publié le 31 octobre
1969 des principes directeurs en réponse à une demande de
tableaux d'affichage présentée par l'Association canadienne des
employés de téléphone (A.C.E.T.). Ces directives sont jointes à
la présente lettre, en annexe «C» et en font partie intégrante.
Cependant, Bell Canada, reconnaît que ses cadres régionaux
ont parfois autorisé la distribution de documents, par exemple
dans le cas d'oeuvres de charité, comme Centraide, les Clini-
ques de donneurs de sang, etc., de même que d'organisations
similaires de Bell Canada, comme les «Pionniers du téléphone»
et le «Club Mabel Hubbard» etc. Il faut souligner toutefois que
cela a été fait avec l'assentiment de Bell Canada.
Abordons maintenant votre seconde question. Comme pour
la première, nous répondrons qu'en théorie et en pratique, Bell
Canada a de tout temps, y compris les cinq (5) dernières
années, interdit aux diverses organisations de solliciter ses
employés dans les locaux de la compagnie, ainsi qu'en font foi
les dispositions de la circulaire générale 106.85. Sans l'autorisa-
tion préalable des cadres régionaux aucune organisation, quel-
les que soient ses fins ne peut avoir accès aux locaux et terrains
de la compagnie. Dans ce cas, également, la décision est laissée
à l'appréciation des représentants de la compagnie.
Là encore, comme pour la première question, Bell Canada a
de temps à autre, par suite d'une demande, autorisé la sollicita-
tion de ses employés par diverses oeuvres de charité. La direc
tion de Bell Canada a également permis la tenue de Cliniques
de donneurs de sang dans les locaux de la compagnie.
Passons à la troisième question. En théorie et en pratique,
Bell Canada a toujours considéré, y compris au cours des cinq
(5) dernières années, que les cafétérias et salles à manger sont
en principe des endroits réservés aux repas et au délassement
des employés et doivent être utilisés à ces fins. Les employés de
Bell Canada ne sont pas tenus d'y prendre leurs repas, sauf en
de rares occasions; par exemple, lorsque la permanence doit
être assurée dans certains centres de commutation, on demande
aux employés de la compagnie travaillant la nuit de prendre
leurs repas dans ces cafétérias ou salles à manger.
Cependant, sur demande expresse, la direction régionale a
parfois autorisé que des réunions ou des réceptions, à l'occasion,
par exemple, de la mise à la retraite d'employés, aient lieu dans
la cafétéria ou la salle à manger. Il faut souligner cependant
que l'utilisation de ces salles à des fins particulières a été
requise ou autorisée au préalable par la direction régionale,
pour rendre service à certains employés de la compagnie et,
dans la mesure du possible, sans gêner les autres employés.
Passons à la quatrième question. Nous affirmons que Bell
Canada, au cours des cinq (5) dernières années, a appliqué les
principes énoncés dans la circulaire générale 106.85 susmen-
tionnée quant à l'accès aux locaux et terrains de la compagnie
et aux activités qui s'y déroulent, vingt-quatre (24) heures par
jour, eu égard à la bonne marche de la compagnie.
Vous vous demandez dans votre cinquième et dernière ques
tion si de nouvelles directives ou de nouveaux règlements ont
été adoptés depuis le 1H avril 1975. A notre connaissance, non.
Cependant, soulignons qu'une note de service relative aux
activités syndicales a été publiée le 5 décembre 1974 par le
Personnel de l'administration centrale—relations syndicales et
transmise à chacune des trois régions de Bell Canada, à savoir
les Régions Est, Ouest et C.I.S.I. Une copie est jointe à la
présente lettre, en fait partie intégrante et en est l'annexe «D».
Il s'agissait de lignes directrices et d'une interprétation de la
politique et des pratiques en vigueur. N. Wilson, représentant
du service des relations syndicales du Conseil au bureau de
Toronto en a reçu copie le 30 juillet 1975.
A titre de renseignement, nous attirons l'attention du Conseil
sur le fait qu'on a suivi des lignes directrices semblables depuis
de nombreuses années; par exemple, des principes directeurs
ont été publiés en décembre 1964, dont copie est jointe à la
présente lettre, en fait partie intégrante et en est l'annexe «E».
Afin d'éclaircir davantage la politique et la pratique en
vigueur, en plus de l'annexe «D», le Personnel de l'administra-
tion centrale—relations syndicales et celui de la Région Ouest
ont publié respectivement les 5 et 11 juin 1975 des notes de
service, lesquelles sont jointes à la présente lettre, en font partie
intégrante et sont les annexes «F» et «G».
En plus de ce qui précède, au sujet de nos remarques
préliminaires et de nos réponses à vos questions, nous avons
inclus le Code éthique de Belli Canada, dont la dernière édition
date d'avril 1973. Le Code fait partie intégrante des présentes
et en est l'annexe «H». L'édition précédente date de mai 1966 et
a essentiellement la même teneur que le Code de 1973. Il faut
lire ce document de concert avec la circulaire générale 106.85,
comme exprimant la politique et la pratique générales passées
et présentes de Bell Canada.
La note de service du 5 juin 1975 laquelle Bell
fait allusion dans sa lettre au Conseil se lit comme
suit:
[TRADUCTION] Suite à ma lettre du 5 décembre 1974 trai-
tant des activités syndicales, la note de service qui y était jointe
disait notamment:
Tous les employés ont le droit fondamental de discuter et
d'échanger des idées ou de solliciter des signatures dans la
mesure où ces activités n'ont pas lieu pendant les heures de
travail. En revanche, il est interdit aux employés de tenir des
«réunions» au sens «d'assemblée de personnes groupées dans
un but particulier», dans les locaux et sur les terrains de la
compagnie aux fins d'activités syndicales, à moins que la
convention collective ne le prévoie que la direction ne
l'autorise.
Les surveillants doivent assurer l'observance de la Loi et de
la convention collective:
(1) En interdisant l'accès aux locaux et terrains de la compa-
gnie à quiconque n'est pas un employé authentique ou une
personne autorisée par la direction.
(2) En interdisant pendant les heures de travail la tenue
d'activités syndicales que n'autorise pas la convention
collective.
(3) En interdisant la diffusion ou l'affichage non autorisés
d'imprimés ou autres documents sur les propriétés de la
compagnie ou l'usage de ses autres installations à cette fin.
(4) En s'assurant que les propriétés de la compagnie ne sont
utilisées qu'aux fins auxquelles elles sont destinées, sauf
autorisation de la direction, et que les droits des employés
utilisant lesdites installations sont respectés. Par exemple les
salles à manger ne doivent être utilisées que pour les repas et
le délassement et, si nécessaire, on peut le signaler au moyen
d'affiches sur les portes desdites pièces.
(5) En ne faisant aucun commentaire sur l'Association, sur
son administration ni sur son fonctionnement.
On nous a prévenu que les activités visant à la réorganisation
syndicale se sont intensifiées et que le recrutement se fait
maintenant dans les locaux de la compagnie; on nous a
demandé quelle est, dans les circonstances, la bonne interpréta-
tion du paragraphe (4) susmentionné. En présence de telles
activités, les directeurs doivent prévenir les organisateurs syndi-
caux, poliment mais fermement, qu'ils n'ont pas reçu l'autorisa-
tion d'utiliser les locaux de la compagnie à cette fin, et doivent
les prier de poursuivre leurs activités en dehors des locaux et
terrains de la compagnie.
et la note de service susmentionnée en date du 11
juin 1975 se lit comme suit:
[TRADUCTION] Plusieurs directeurs nous ont prévenu que les
activités de la T.C.C. visant à la réorganisation syndicale se
sont récemment intensifiées et que le recrutement se fait main-
tenant dans les locaux de la compagnie. Si une telle situation se
présente, nous invitons les directeurs régionaux à suivre les
principes que voici:
1) S'assurer que les immeubles et/ou propriétés de la com-
pagnie ne sont utilisés que pour les fins auxquelles ils sont
destinés, sauf autorisation de la direction.
2) Tous les employés ont le droit fondamental d'échanger
des idées et de discuter sans intervention de la part de la
direction, dans la mesure où ils s'en tiennent à la simple
discussion et le travail n'en souffre pas. Cependant, il est
interdit aux employés de tenir des «réunions» au sens «d'as-
semblée de personnes groupées dans un but particulier» dans
les locaux et sur les terrains de la compagnie aux fins
d'activités syndicales, sauf autorisation spéciale de la
direction.
3) Peut être considéré comme une «réunion» d'employés le
recrutement des employés de Bell par les organisateurs de la
T.C.C. Si une telle situation se présente, les directeurs doi-
vent interdire l'usage des locaux de la compagnie à cette fin.
4) Lorsque ce genre d'activités a commencé, les directeurs
doivent prévenir les organisateurs de la T.C.C., poliment
mais fermement, qu'ils n'ont pas l'autorisation d'utiliser les
propriétés de la compagnie à cette fin, et ils doivent ordonner
à ces derniers de poursuivre leurs activités en dehors des
locaux de la compagnie. (Le fait que les organisateurs de la
T.C.C. ne sont pas de service ne signifie pas que ces employés
peuvent faire ces démarches dans les locaux de la
compagnie.)
Le 15 août 1975, le syndicat a déposé auprès du
Conseil une demande dont voici un extrait:
[TRADUCTION] 2.Voici nos réponses aux questions posées dans
le télégramme du Conseil en date du 11 août 1975:
a) -Il semble qu'avant le début de juin 1975, ni la politique de
l'intimée ni la pratique n'interdisaient la distribution de
documents dans ses locaux. En novembre 1974, des employés
se sont groupés sous le nom d'«Exodus» dans le but de se
séparer du syndicat intervenant. Ce groupe d'employés a été
autorisé à se servir de la cafétéria et de quelques bureaux aux
heures de repas pour inviter les employés à se joindre à eux et
distribuer des documents. Aucune restriction n'avait été
imposée sur ces activités avant que le groupe ait fait savoir
qu'il s'était rallié au syndicat demandeur. Diverses affiches
sont posées aux tableaux d'affichage, dont quelques-unes
sont jointes aux présentes.
b) Il est clair que ni la politique de l'intimée ni la pratique ne
limitaient ou prohibaient la sollicitation de ses employés par
divers organismes dans les locaux de la compagnie. Plusieurs
organismes sont autorisés à solliciter les employés dans les
locaux de la compagnie. On peut citer par exemple:
(i) les ventes de billets par les pompiers;
(ii) les ventes de tickets de transport par les employés de
la T.T.C.;
(iii) la vente des chemises-réclames Kneller;
(iv) la vente de biscuits par les Guides;
(v) la vente par certains employés de billets de la loterie
olympique, de Wintario, d'autres loteries, de concours de
pronostics sportifs, au profit d'oeuvres de charité, etc.;
(vi) la vente de billets et autres articles dans les bureaux
et pendant les heures de travail par le groupe de Pionniers;
(vii) les campagnes organisées par Centraide;
(viii) les campagnes organisées par la Croix rouge;
(ix) et d'autres activités semblables qui se poursuivent en
toute liberté.
c) Avant le début de juin 1975, il semble qu'il n'y ait eu
aucune restriction quant aux activités se déroulant à l'heure
des repas dans la salle à manger. A la cafétéria de Kingston,
on trouve un livre pour les commandes de produits Avon. Au
même endroit, ont eu lieu des réunions portant sur les «droits
des femmes, (dits «déjeuners pique-niques.).
d) Avant le début de juin 1975, l'intimée n'appliquait pas les
règles ou les règlements interdisant aux employés de partici-
per à certaines activités dans les locaux de la compagnie en
dehors des heures de travail.
e) Il semble qu'au début de juin 1975 on ait distribué une
nouvelle directive, dont copie est ci-jointe.
II. POINT EN LITIGE
3. Les faits exposés à l'article E de la plainte en date du 20
juin 1975, en sus des autres faits soumis après la plainte,
constituent-ils des infractions à l'article 184(1)a), 184(1)b),
184(3)b) et 184(3)e) du Code canadien du travail?
III. PLAIDOYER
4. En vertu de l'article 110(1) du Code canadien du travail,
tout employé est libre d'adhérer au syndicat de son choix et
de participer à ses activités licites.
5. Nous prétendons que l'article 110(1) confère le droit de
chercher à recruter des membres pour un syndicat ainsi que
celui de distribuer de la documentation syndicale. De même,
l'article 110(1) donne à l'employé le droit d'être sollicité aux
fins du recrutement syndical et le droit de recevoir toute
documentation ou données distribuées par un syndicat.
6. En vertu de l'article 184(1)a), 184(1)b), 184(3)b) et
184(3)e) du Code, nul employeur ne peut en aucune façon
porter atteinte ou restreindre ces droits ou libertés.
7. En vertu de l'article 185d) nul syndicat et nulle personne
agissant pour le compte d'un syndicat ne doit, sauf avec le
consentement de l'employeur, tenter, au lieu d'emploi et
pendant les heures de travail d'un employé, de persuader
l'employé de devenir, de s'abstenir de devenir ou de cesser
d'être membre d'un syndicat.
8. Par l'intermédiaire de certains de ses cadres, l'intimée a
interdit à ses employés d'inviter d'autres employés à adhérer
à un syndicat et de distribuer de la documentation syndicale
au lieu d'emploi.
9. Nous affirmons que l'on peut raisonnablement déduire de
l'article 185d) qu'il n'est pas interdit aux employés de parti-
ciper au lieu d'emploi aux activités qui y sont mentionnées
pendant leur temps libre.
10. Nous prétendons qu'à l'article 185d), le Parlement a
pondéré les intérêts des employés et ceux des employeurs.
Dans sa sagesse, il a décidé que, pendant les heures de
travail, doivent primer les droits des employeurs. Il faut donc
en déduire que ceux des employés, doivent primer pendant
leur temps libre.
13. Nous soutenons que le Conseil doit interpréter le Code à
la lumière de la Déclaration canadienne des droits et doit
interpréter et appliquer l'article 184(1)a), 184(1)b),
184(3)b), 184(3)e) et 185d) du Code de manière à ne pas
supprimer, restreindre ou enfreindre ni à autoriser la sup
pression, la diminution ou la transgression de la liberté de
parole et de la liberté de réunion et d'association des
employés de l'intimée.
Déclaration canadienne des droits, 8-9 Elizabeth II, art. 1
et 2.
14. Nous prétendons que l'intimée a violé le Code canadien
du travail de la façon suivante:
a) Art. 184(1)a)—elle s'est ingérée dans la représentation
de ses employés par le syndicat requérant;
b) Art. 184(1)b)—elle a fourni une aide au syndicat
intervenant en s'ingérant dans la représentation de ses
employés par le syndicat requérant;
c) Art. 184(3)b)—elle a imposé dans les contrats de tra
vail de ses employés une condition qui a pour effet d'empê-
cher ses employés d'exercer un droit que lui reconnaît la
Partie V du Code; et
d) Art. 184(3)e)—elle a cherché par menaces à contrain-
dre une personne soit à s'abstenir de devenir ou à cesser
d'être membre, dirigeant ou représentant du syndicat
requérant.
Le 22 août 1975, le Conseil a tenu une audience
sur cette question. Les préliminaires terminés, le
président a abordé le sujet en faisant la déclaration
suivante: (selon la transcription des notes):
[TRADUCTION] LA PRÉSIDENTE: Selon l'usage adopté dans les
procédures en cours devant le Conseil, les parties pourront faire
une déclaration préliminaire si elles le désirent. Mais aupara-
vant, il serait opportun de résumer le dossier et de faire le point.
On a soumis au Conseil une plainte à l'encontre des pratiques
syndicales déloyales, conformément à l'article 187(1) du Code
canadien du travail, Partie V, Relations industrielles. La
plainte porte la date du 20 juin 1975 et allègue que Bell
Canada ne s'est pas conformée aux dispositions de l'article
184(1)a), 184(1)b), 184(3)b), mais M. Cavalluzzo, je crois
qu'il s'était glissé une erreur de frappe, corrigée depuis. Il
s'agirait de l'article 184(2)b) et non (3)b), n'est-ce pas?
W CAVALLUZZO: C'est exact.
LA PRÉSIDENTE: Et l'article 184(3)e) du Code. Dans sa réponse
du 10 juillet 1975, Bell Canada a généralement nié les alléga-
tions de fait portées dans la plainte et présenté certaines
objections préliminaires sur lesquelles je reviendrai plus tard.
De plus, l'intimée a déclaré au paragraphe 9 que, sans préjudice
de ce qui précède, même si aux fins de la discussion on prenait
pour acquis les faits allégués à l'alinéa e), soit les faits sur
lesquels se fonde la plainte, ces derniers ne violent en aucune
façon les dispositions du Code canadien du travail.
Naturellement, le Conseil est conscient, ainsi que probablement
le reste du pays, le reste de l'est du Canada, que, du point de
vue des relations industrielles, il se passe certaines choses dans
les divers groupes des employés de Bell Canada.
Le Conseil a noté qu'il serait peut-être préférable que je
m'occupe d'abord de la question préliminaire. L'employeur
intimé a soulevé deux objections préliminaires dans sa réponse.
Plus haut, je vous ai renvoyé à l'article 187(1) du Code, et le
Conseil souligne que les stipulations contenues dans les règle-
ments, même s'il faut s'y conformer autant que possible, ne
visent pas à empêcher les parties de déposer des plaintes devant
le Conseil ni à les forcer à se faire représenter par un avocat ou
à recourir à des experts pour ce faire. Elles visent à faciliter
l'introduction des demandes. Alors, dans les circonstances, le
Conseil accepte la plainte telle quelle, à charge pour le requé-
rant de prouver les faits sur lesquels il se fonde, et les objections
préliminaires basées sur l'article 48 des règlements du Conseil
sont rejetées. Cependant, avant de procéder, il convient
d'éclaircir davantage les circonstances assez exceptionnelles de
cette plainte, de cette audience. Puisqu'après l'introduction de
la plainte ont été soumises des allégations de fait complémen-
taires ou plus spécifiques et la réponse de l'employeur, ces
points ne sont pas vraiment traités par l'intervenante. Le Con-
seil a noté que l'affaire en cause semble soulever deux points
qui sont, bien sûr, intimement liés mais qu'on peut séparer. Le
premier est la question de savoir si, en droit, Bell Canada a
enfreint les dispositions du Code canadien du travail, en impo-
sant des restrictions par ses règlements et exposés de politique,
à l'égard de certaines activités dans les locaux de la compagnie.
Le requérant a affirmé que c'est le cas. Bell Canada prétend le
contraire. Le Conseil n'a pas eu l'occasion de trancher la
question ni d'apprécier sa pertinence éventuelle à la détermina-
tion des infractions à l'article 1 84 du Code.
La seconde question naturellement, peut se poser quelle que soit
la décision prise au sujet de la première; cependant même si la
politique, les règlements et les directives de Bell Canada sont
parfaitement conformes au Code, il se peut, comme le prétend
le requérant, que leur mode d'application permette de conclure
qu'il y a eu violation des dispositions de l'article 184. Comme
vous le savez, nous sommes en août. Vous savez également,
parce que c'est un fait notoire dont plusieurs ont eu à subir les
conséquences, que le Conseil a un horaire très chargé. C'est la
période des vacances, ce qui nous complique la tâche. Il ne nous
a pas été possible d'accorder à cette plainte une longue audi
tion. Cependant, parce que les questions soulevées semblent
être importantes et assez urgentes et qu'une décision du Conseil
rendue dans six mois ou un an ne servirait guère à corriger la
situation actuelle qui risque de s'envenimer dans les prochains
mois, le Conseil a convoqué cette audience dans un but bien
arrêté, comme vous l'ont souligné les nombreux télex qui vous
ont été adressés. Le Conseil désire enquêter aujourd'hui sur ce
que j'ai appelé le premier point en litige, c'est-à-dire la question
de savoir si, indépendamment de leur application, les directives
ou pratiques de Bell Canada contreviennent aux dispositions de
l'article 184 du Code ou sont, au contraire, parfaitement valides
et légales? J'ai souligné à quel point notre horaire est chargé;
nous avons dû annuler une audience afin de venir ici aujour-
d'hui. Nous ne pouvons pas, à ce stade, songer à ajourner cette
audience à la semaine prochaine, par exemple. Nous vous
convoquons ce matin à 9h30; nous sommes disposés à siéger
aussi tard qu'il le faudra et si nécessaire demain. Mais nous
croyons qu'il est important pour toutes les parties en cause de
parvenir à une décision sur le premier point. Nous croyons que
c'est possible, avec le concours de toutes les parties puisque la
question en cause est une question juridique qui n'entraîne pas
ou ne devrait pas entraîner la production de preuves. A cet
égard, lorsque le Conseil vous a convoqués par télex à cette
audience et vous a demandé de lui soumettre vos prétentions, il
s'est appuyé sur la réponse de l'employeur dans laquelle il
affirmait que même si les faits avancés dans la plainte étaient
exacts, ils ne violent pas le Code. A la demande du Conseil, les
plaidoiries des diverses parties ont apporté des précisions quant
à la politique et aux pratiques de Bell Canada. Et le Conseil est
même prêt à aller plus loin. M' Gulden, dans un plaidoyer
détaillé en date du 14 août, a expliqué la situation présente, les
règles, les directives. Il a donné certains renseignements sur la
façon dont elles ont été mises en vigueur, et ces renseignements
semblent compatibles avec les allégations du demandeur expo
sées dans un document en date du 15 août 1975, savoir que
diverses oeuvres ont obtenu la permission de solliciter les
employés. Mais, selon Bell Canada, cet état de fait est en
accord avec les directives autorisant, interdisant aussi ... la
sollicitation et la distribution de documents, sauf autorisation
expresse des directeurs régionaux. Il semble reconnu qu'à cer-
taines occasions les directeurs régionaux ont accordé des autori-
sations à divers groupes et organisations, dont quelques-uns
sont mentionnés dans la plainte du demandeur, tels Centraide
et la Croix rouge. Il est donc possible de tirer la question plus
au clair. Et nous suggérons de poser ainsi la question: selon les
faits exposés dans la plaidoirie de Bell Canada en date du 14
août 1975, éclaircis par la plaidoirie du requérant en date du 15
août 1975 qui ne dément pas les allégations de l'employeur, les
pratiques en vigueur à Bell Canada telles qu'elles ressortent de
diverses directives sont-elles conformes aux dispositions du
Code canadien du travail, Partie 5, Relations industrielles?
Dans son exposé préliminaire, l'avocat de l'intimée
déclara notamment:
M° cAVALLuzzo: Madame la présidente, mon exposé sera très
bref. Je suis tout à fait d'accord avec la façon dont le Conseil
aborde la question. C'est pour le moment la procédure la plus
pratique. Je me rends compte des difficultés que l'audition de
ces plaintes cause au Conseil. Cependant, comme le compren-
dront les membres du Conseil, le requérant est en pleine
campagne de réorganisation et les questions soumises sont
d'une importance capitale pour cette campagne. Par consé-
quent, j'estime également que ces questions doivent être réglées
le plus vite possible. Je souscris entièrement aux vues du
Conseil lorsqu'il dit que nous pouvons considérer comme
admise la preuve telle que déposée aujourd'hui par toutes les
parties à cette audience, de manière à ce que toutes les parties
puissent présenter, en fonction de cette preuve, leur argumenta
tion afin de déterminer si les agissements de l'employeur con-
treviennent au Code canadien du travail. Et enfin, je souscris à
la formulation du point en litige que propose le Conseil.
Voici l'exposé préliminaire de l'avocat du
requérant:
M' GULDEN: Madame la présidente et membres du Conseil.
Nous sommes aussi d'avis que ces questions doivent être trai-
tées séparément. Nous sommes prêts à répondre aux questions
du télégramme adressé à Bell Canada, à nous préoccuper
seulement des points en litige formulés et à étayer avec des
preuves les réponses contenues au plaidoyer si le Conseil le
souhaite, de même que nous sommes disposés à discuter des
points de droit soulevés. Je voudrais cependant faire remarquer
au Conseil que nous sommes en présence aujourd'hui de conjec
tures, dans la mesure où nous traitons des faits comme s'ils
étaient produits à titre de preuve. Nous n'admettons pas ces
faits et nous présenterons un plaidoyer à ce sujet.
A la suite de ces exposés, les parties ont présenté
leur argumentation, à l'audience tenue par le Con-
seil le 22 août 1975, après avoir cependant
échangé quelques autres remarques préliminaires,
comme en fait foi la transcription des procédures:
LA PRÉSIDENTE: Avant de continuer, il convient de mentionner
un autre point. Les parties acceptent la procédure que nous
avons proposée, qui consiste à admettre tels quels, aux fins des
débats, les faits mis en lumière par les plaidoyers. Les faits
soumis par les Travailleurs en communication du Canada et
par Bell Canada ne semblent diverger que sur un point impor
tant, et peut-être est-il possible de le tirer au clair dès mainte-
nant. Selon les faits exposés au second paragraphe de l'exposé
de la plainte, il semble qu'aucune politique ou pratique de
l'intimée ne limitait la distribution de documentation dans ses
locaux avant le début de juin 1975. Et on le répète plus loin.
Dans son plaidoyer, M. Gulden renvoie aux directives ou,
comme on les désigne à Bell Canada, aux circulaires générales,
et bientôt le Conseil aura, devrait avoir, une collection assez
complète des circulaires générales actuellement en vigueur à
Bell Canada. M. Cavalluzzo, le requérant reconnaît-il—et il va
de soi que je ne vous demande pas votre opinion sur leur
application ou leur pertinence—le requérant reconnaît-il ces
circulaires générales, qui sont les annexes A et B, je pense,
comme étant des circulaires générales en vigueur à Bell
Canada?
M` CAVALLUZZO: Voilà, madame la présidente, la position du
requérant à ce sujet est la suivante: 1) nous reconnaissons
l'existence des circulaires; 2) dans les débats, nous mettrons en
doute leur pertinence à l'égard des faits soumis actuellement au
Conseil et 3) nous ne reconnaissons certainement pas que les
circulaires ont été appliquées de façon uniforme. Ce dernier fait
est d'une importance mineure parce que, comme je l'ai déjà dit,
nous estimons que la circulaire n'a aucun rapport avec les faits
soumis au Conseil pour le moment.
M' RENAULT: [pour Bell] Madame la présidente, j'avais cru
comprendre que M. Cavalluzzo avait accepté la preuve. J'aime-
rais donc savoir où nous en sommes du moins en ce qui
concerne Bell. Aux fins de la discussion, les faits sont-ils ou non
reconnus? J'estime qu'il faut tirer cela au clair.
LA PRÉSIDENTE: Si je comprends bien la déclaration de M.
Cavalluzzo, elle répond à notre question: les circulaires généra-
les existent. La question de savoir si elles sont applicables ou
non aux faits en cause, est, je pense, matière à discussion; nous
avons déclaré expressément que nous n'aborderons pas aujour-
d'hui la question de savoir si la façon dont les directives ont été
appliquées peut, mise à part la validité des prati4ues ou des
règlements, constituer une infraction au Code. Donc, si je
comprends bien, on reconnaît l'existence des circulaires et,
évidemment, je comprends que M. Cavalluzzo se réserve le
droit de discuter de leur pertinence en l'espèce, ce qui est
naturel dans les circonstances. Est-ce assez clair? Est-ce bien ce
que vous avez dit, M. Cavalluzzo?
M' RENAULT: Je suis désolé, madame la présidente, je crois qu'il
est clair que le troisième point en litige n'est pas celui que M.
Cavalluzzo vient de formuler. J'avais compris, d'après la pre-
mière déclaration de son exposé introductif, après votre propre
exposé, qu'il avait accepté la preuve. Mais il semble maintenant
qu'on n'abordera pas aujourd'hui le troisième point, que réfute
M. Cavalluzzo, à savoir que les directives n'ont pas été unifor-
mément appliquées. En d'autres termes, on ne met en doute que
la pertinence des circulaires, leur existence étant reconnue.
Alors nous en revenons à sa première déclaration, selon laquelle
la preuve est acceptée. Alors c'est ...
LA PRÉSIDENTE: Oui, c'est admis aux fins de la discussion.
M` RENAULT: Je comprends. Seulement aux fins de la discus
sion, ou de la discussion en tant que point de droit.
LA PRÉSIDENTE: Est-ce exact, M. Cavalluzzo?
M` CAVALLUZZO: Oui.
M` CAVALLUZZO: Oui, madame la présidente. Madame la prési-
dente et membres du Conseil: à ce stade, je tiens à informer le
Conseil que je m'en tiens dans mon plaidoyer à la question de
savoir si Bell peut interdire à ses propres employés, dans leur
temps libre, d'inviter d'autres employés à adhérer à un syndicat
ou de distribuer de la documentation syndicale dans les locaux
de la compagnie.
M` GULDEN: Madame la présidente, puis-je me permettre d'in-
terrompre? Avant de passer aux débats, je voudrais formuler
les objections de Bell Canada, lesquelles portent uniquement
sur des questions de procédure. Nous nous opposons première-
ment à la production par M' Cavalluzzo de la lettre en date du
5 août. Nous estimons qu'il a changé la nature de la plainte
dans certaines réponses ou certains paragraphes de la lettre et
je renvoie plus particulièrement à la page 2 de sa lettre, où il
mentionne le paragraphe 7; il a changé les numéros des articles.
Si nous devions répondre aujourd'hui, il nous serait difficile de
débattre la question. Nous procédons aux délibérations aujour-
d'hui, c'est bien là l'intention de Bell Canada, mais nous le
faisons dans le but d'éclairer le Conseil. Bell Canada ne
renonce à aucun de ses droits, ni sur des points de procédure ni
sur des questions de fond. Nous comparaissons aujourd'hui
devant le Conseil moyennant ces réserves. Nous avons égale-
ment considéré la présente audience comme une audience
préliminaire aux fins d'éclairer le Conseil sur la nature des
points en litige, lui permettre de décider si une autre audience
doit avoir lieu au fond ou au sujet des allégations dont la
plainte fait état, après quoi il pourra entendre des témoignages
sur le bien-fondé des allégations.
Après quoi les avocats de Bell et ceux du syndi-
cat ont longuement discuté, et, je crois juste de
dire que la discussion a surtout porté sur la ques
tion de savoir si les faits tels qu'ils ont été présen-
tés au Conseil dans la lettre de Bell en date du 14
août 1975, et les documents joints à celle-ci, cons-
tituaient ou établissaient des infractions aux dispo
sitions pertinentes du Code canadien du travail.
D'un autre côté, il est vrai que l'avocat de Bell a
indiqué, de temps à autre, qu'il croyait devoir
discuter de la question de savoir si, prenant pour
acquise la véracité de certains faits, il existait des
infractions au Code canadien du travail et qu'il
serait possible plus tard de fournir des preuves.
Le 22 août 1975 (le jour de l'audience), le
vice-président qui avait présidé à l'audience écrivit
aux avocats des parties ce qui suit:
[TRADUCTION] Le Conseil a examiné les plaidoyers oraux et
écrits des parties et étudié les documents qu'a soumis Bell
Canada représentant sa politique et ses directives relatives aux
activités syndicales dans les locaux de la compagnie. Le Conseil
a pris connaissance des directives que contenaient deux
documents:
1) une lettre de L. C. Godden, vice-président adjoint aux
relations du travail, en date du 5 juin 1975 et adressée à
divers vice-présidents et directeurs généraux;
2) une lettre en date du 11 juin 1975 de J. Jacobs, Directeur
du personnel—relations du travail, à I'A.C.E.T., Région
Ouest, à tous les cadres du troisième niveau de la Région
Ouest.
Dans son télex adressé aux parties, le Conseil les avait
informées qu'il entendait traiter, à l'audience, d'un point sou-
levé dans la réponse de l'intimée à la plainte, à savoir que même
si toutes les allégations de fait contenues dans la plainte étaient
exactes, elles ne révélaient aucune infraction au Code canadien
du travail. Le Conseil conclut au rejet de cette prétention de
l'intimée.
Le Conseil est d'avis qu'en l'espèce, la question cruciale est
de savoir si Bell Canada peut empêcher ses employés d'en
inviter d'autres à adhérer à un syndicat et de distribuer de la
documentation syndicale dans les locaux de la compagnie, en
rendant ces actes passibles de mesures disciplinaires, lorsqu'ils
ont lieu pendant le temps libre des employés en question. Le
Conseil conclut que Bell Canada ne peut agir ainsi sans violer
les dispositions du Code canadien du travail (Partie V—
Relations industrielles), et plus particulièrement les dispositions
des articles 184(1)a) et 184(3)b) du Code.
L'article 110(1) du Code canadien du travail garantit à tout
employé le droit d'adhérer au syndicat de son choix et «de
participer à ses activités licites.» Les libertés fondamentales
ainsi garanties incluent le droit de distribuer, de diffuser autre-
ment et de recevoir des renseignements sur un syndicat et ses
activités et le droit de signer une carte d'adhérent, pourvu que
ces activités n'aient pas lieu pendant les heures de travail des
employés concernés. A moins d'impératifs commerciaux
sérieux, un employeur ne peut interdire aux employés d'exercer
ces droits dans les locaux de la compagnie, sans contrevenir à
l'article 184(1)a) et 184(3)b) du Code canadien du travail
(Partie V—Relations industrielles).
Le Conseil conclut en outre que l'employeur doit exercer ses
droits de propriété de façon à ne pas nuire aux libertés fonda-
mentales que le Code accorde aux employés. Il est bien entendu
que l'employeur a le droit de maintenir la production, de faire
respecter la discipline et d'assurer la protection et la sécurité de
ses biens et locaux. Cependant il ne peut pas, sans raisons
importantes, tenter de le faire en interdisant à ses employés des
activités que le Code garantit expressément. En l'espèce, rien ne
permet de penser que les intérêts fondamentaux de Bell Canada
ne peuvent être protégés en recourant aux sanctions disciplinai-
res usuelles.
Le Conseil expliquera plus en détail sa décision dans les
motifs du jugement qui seront rendus et communiqués aux
parties à une date ultérieure.
A cause des circonstances particulières en l'espèce, le Conseil
estime préférable de rendre rapidement sa décision. Par consé-
quent, vous trouverez ci-incluse une copie de l'ordonnance du
Conseil. Le temps nous a manqué pour rendre cette ordonnance
dans les deux langues officielles, mais une version française de
l'ordonnance sera bientôt disponible.
Le même jour a été publiée l'ordonnance du Con-
seil faisant l'objet de la demande présentée en
vertu de l'article 28. Elle se lit ainsi:
ATTENDU QUE le Conseil canadien des relations du travail a
reçu des Travailleurs en communication du Canada une
plainte, datée du 20 juin 1975, présentée en vertu du paragra-
phe 187 du Code canadien du travail (Partie V—Relations
industrielles), alléguant, entre autres choses, que Bell Canada
ne s'est pas conformé aux dispositions des articles 184(1)a) et
184(3)e) dudit Code;
ATTENDU QUE les parties ont fourni au Conseil, à sa
demande, des preuves et des exposés concernant la politique et
les directives du répondant qui interdisaient ou restreignaient
les activités syndicales dans les locaux de la compagnie; et
ATTENDU QUE le Conseil a étudié la preuve produite par le
répondant et les exposés oraux et écrits des parties;
EN CONSÉQUENCE, le Conseil juge que le répondant, par
diverses directives, a appliqué une politique qui interdit à ses
employés de participer, dans leur temps libre, à des activités
syndicales licites dans les locaux de la compagnie et que cette
politique et ces directives constituent une violation des disposi
tions des articles 184(1)a) et 184(3)e) du Code canadien du
travail (Partie V—Relations industrielles);
EN CONSÉQUENCE, le Conseil canadien des relations du tra
vail, en vertu de l'article 189 du Code canadien du travail,
ordonne au répondant de se conformer aux dispositions de
l'article 184 du Code et de cesser d'interdire aux employés
d'inviter d'autres employés à adhérer à un syndicat ou de
distribuer de la documentation syndicale dans le temps libre des
employés.
DE PLUS, le Conseil ordonne au répondant de transmettre
copie de la présente ordonnance à toute personne à l'emploi
dudit répondant qui, au su du répondant, a reçu copie des
directives sur les activités syndicales qui ont été émises par M.
L. C. Godden le 5 juin 1975 et par M. J. Jacobs le 11 juin
1975.
La demande présentée en vertu de l'article 28
vise à l'annulation de l'ordonnance et l'avocat de
Bell a clairement indiqué au cours des débats
devant la Cour que cette demande se fonde entiè-
rement sur la prétention selon laquelle le Conseil,
en rendant son ordonnance, n'a pas observé les
principes de la justice naturelle, puisqu'il n'a pas
accordé à Bell le temps nécessaire pour fournir des
preuves quant aux faits se rapportant à l'ordon-
nance. Il est évident que Bell n'a pas contesté
devant cette cour l'interprétation par le Conseil
des dispositions du Code canadien du travail rela
tives aux pratiques syndicales déloyales et qu'en
l'espèce, cette cour n'a pas à se prononcer sur le
sujet.
Dans une affaire comme celle-ci, il convient de
rappeler que les règles de la justice naturelle ont
été imaginées par les tribunaux pour leur permet-
tre d'interpréter et d'appliquer la législation de
façon à éviter les injustices dans des cas particu-
liers. Elles ne sont pas rigides mais souples. Elles
s'appliquent en fonction des exigences propres à
chaque cas et ne sont pas un moyen de mettre en
échec le but poursuivi par une loi particulière. En
revanche, elles doivent être appliquées lorsqu'il
s'agit notamment de remédier à toute possibilité
réelle d'injustice lorsqu'une partie n'a pas eu l'oc-
casion raisonnable de réfuter ce dont on l'accuse.
Examinons le principe de justice naturelle invo-
qué en l'espèce. Si je comprends bien, Bell soutient
que ses représentants se sont rendus à l'audience
du 22 août avec l'impression que, ce jour-là, la
seule question à débattre porterait sur un point de
droit, celui de savoir si, admettant la véracité des
faits allégués dans la plainte, ceux-ci constituaient
une infraction au Code canadien du travail. Par
conséquent, elle soutient que ses représentants
n'ont pas eu, comme l'exigent les principes de la
justice naturelle, la possibilité de réfuter les alléga-
tions de fait au moyen de la preuve dont ils
auraient disposé si on les avait prévenus à temps
que l'audience porterait également sur les faits. Si
je ne me trompe, l'autre théorie consiste à dire que
les parties ont été dûment informées que certaines
questions soulevées par la plainte seraient abordées
à l'audience (la question de droit «en premier»);
que dès le début, avant les débats, les parties
avaient défini et convenu du «point en litige» dont
on allait traiter et que ce dernier consistait à
déterminer si les pratiques de Bell, telles qu'elles
ressortent des directives produites devant le Con-
seil par la compagnie, contrevenaient au Code
canadien du travail. A mon avis, il n'y a pas de
moyen terme. J'ai peine à croire que, parmi ces
avocats chevronnés, certains aient pu penser que
l'audience du 22 août avait un autre but que
a) déterminer en droit si les faits allégués dans la
plainte, à supposer qu'ils soient exacts, constituent
une infraction au Code canadien du travail, ou
b) déterminer si les pratiques de Bell Canada
«actuellement en vigueur» dont font foi les diverses
directives constituent une infraction au Code
canadien du travail?
Cependant, une lecture attentive de la transcrip
tion des débats révèle, du début à la fin de l'au-
dience, l'absence de définition précise de la nature
de l'audience.
Après mûre réflexion, j'ai conclu qu'il n'y a pas
eu déni de justice. Il faut d'abord souligner que
Bell, à la demande du Conseil, a soumis à ce
dernier un exposé complet des faits, sur lequel se
sont fondés les débats et l'ordonnance attaquée.
N'importe quel avocat d'expérience se serait rendu
compte que ces faits étaient étrangers à la question
de droit portant sur l'illégalité des actes mention-
nés dans la plainte. Deuxièmement, la vice-prési-
dente a formulé la question en parlant «des prati-
ques actuellement en vigueur à Bell Canada telles
qu'elles ressortent des diverses directives», immé-
diatement avant que les avocats fassent leurs
déclarations et son exposé n'a jamais été attaqué.
Troisièmement, bien que ce point me cause plus de
difficulté, diverses déclarations de l'avocat de Bell
semblant envisager une audience future pour les
besoins de la preuve, pouvaient se rapporter aux
questions que l'exposé introductif de la présidente
laisse délibérément en suspens. Enfin, il ne faut
pas oublier que, nonobstant la nature de la discus
sion pendant l'audience, le savant avocat de Bell
Canada ne s'est pas opposé aux débats sur les faits
réels, par opposition aux faits allégués, mais y a
même participé.
Avec hésitation, j'ai conclu que les principes de
la justice naturelle ne peuvent servir de fondement
à cette demande présentée en vertu de l'article 28.
Puisque Bell a eu toute possibilité d'exposer les
faits sur lesquels se fonde la décision attaquée et
que l'avocat de Bell n'a pas su convaincre cette
cour que certains éléments de preuve avaient été
omis, j'ai moins de scrupules à conclure de la sorte
que je n'en aurais autrement.
A mon avis, il faut rejeter la demande présentée
en vertu de l'article 28.
* * *
LE JUGE RYAN y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KERR y a souscrit.
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