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T-573-72
Sabb Inc. (Demanderesse) c.
Shipping Ltd., Lillis Marine Agencies Ltd. et les navires à moteur Gwendolen Isle, Ellen Isle, Christine Isle, Gretchen Isle, Weser Isle, Ida Isle, leurs propriétaires et toutes personnes intéressées (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Dubé— Montréal, du 27 au 31 octobre; Ottawa, le 18 novembre 1975.
Droit maritime—Services d'aconage—Les services d'aco- nage et les services connexes qu'a rendus la demanderesse ont-ils été retenus par les défenderesses «S Ltd.» et «L Agen cies» en leur propre nom, de sorte qu'elles seraient engagées personnellement?—Ces défenderesses ont-elles agi simplement à titre d'agents de leurs commettants de New York, sans engagement personnel?—Étude objective—Définition du «mandataire»—L'action in rem contre le Weser Isle peut-elle être accueillie?—Loi sur la Cour fédérale, art. 22(2)m), 43(2)—Code civil de la province de Québec, art. 1028, 1030, 1701, 1715 et 1716.
La demanderesse fait une réclamation contre deux agences maritimes pour services d'aconage et services connexes. Les deux compagnies défenderesses affirment qu'elles ont recouru aux services d'aconage de la demanderesse uniquement pour le compte et au nom de la Commonwealth Carriers Limited et (ou) de son agent américain, Amerind Shipping Corp., dont elles étaient les agents, ce que savait la demanderesse. On allègue que la demanderesse a fait une réclamation contre les deux uniquement parce que les affréteurs des navires, Com- monwealth/Amerind, ont fait faillite.
Arrêt: l'action est rejetée. (1) Les parties n'ont jamais réelle- ment entendu rendre les agents de Montréal responsables du paiement des frais d'aconage. Après une étude objective, il faut conclure que la demanderesse entendait fournir les services d'aconage aux commettants de New York, principalement représentés par l'Amerind; que les deux agents défendeurs ne voulaient agir qu'à titre d'agents maritimes locaux pour le compte des commettants de New York, agents locaux qui n'ont jamais voulu ni prétendu s'engager personnellement.
(2) Quant aux dispositions du Code civil de la province de Québec traitant des mandataires, les défendeurs n'ont pas agi en leur propre nom, ce qui aurait engagé leur responsabilité conformément à l'article 1716. Ils ont agi pour le compte de leurs agents généraux de New York, leur mandant au sens de l'article 1715. Le mandat était un contrat conclu entre le mandant de New York et les deux compagnies. Quant à la prétention de la demanderesse selon laquelle le mandant n'ayant pas d'existence juridique, les mandataires seraient res- ponsables, le fait qu'une compagnie étrangère n'ait pas obtenu un permis pour faire affaires dans la province de Québec ne signifie pas qu'elle n'a pas d'existence juridique. Ce n'est pas l'agent qui a pris les devants, mais c'est le commettant qui le premier a pris contact avec la demanderesse; c'était à cette dernière de se renseigner sur le statut juridique du commettant.
(3) Quant à la réclamation contre le Weser Isle, l'un des deux navires saisis par la demanderesse, cette dernière soutient que les services rendus étaient des approvisionnements nécessai- res au sens de l'article 22(2)m) de la Loi sur la Cour fédérale, au paiement desquels, aux termes de l'article 22(2)m) lu en corrélation avec l'article 43(2), le navire ou son propriétaire est tenu. L'action in rem n'est qu'un mécanisme utile visant à protéger un droit in personam; il doit y avoir un débiteur dont la responsabilité personnelle est engagée. Il existe une présomp- tion réfutable que les approvisionnements nécessaires ont été fournis au vu du crédit du navire. La preuve démontre que celui qui a fourni les services n'a pas cherché à se faire payer des propriétaires ni du navire. La demanderesse n'a pas établi la responsabilité des propriétaires et son action in rem ne peut être accueillie.
Distinction faite avec l'arrêt: Wolfe Stevedores (1968) Limited c. Joseph Salter's Sons Limited (1971) 2 N.S.R. (2°) 269. Arrêts approuvés: Format International Security Printers Limited c. Mosden [1975] 1 Lloyd's Rep. (Q.B.) 37 et Les Chevaliers de Maisonneuve c. Société Immobi- lière Maisonneuve [1951] B.R. (Qué.) 432. Arrêts appli- qués: Westcan Stevedoring Ltd. c. Le Navire «Armar» [1973] C.F. 1232 et Le Navire »Heiwa Maru» c. Bird & Co. (1923) I.L.R. 1 Ran. 78.
ACTION. AVOCATS:
R. Langlois et G. Vaillancourt pour la demanderesse.
A. S. Hyndman, c.r., pour le défendeur le N/M Weser Isle.
T. Bishop pour les défenderesses Shipping Limited et Lillis Marine Agencies Ltd.
PROCUREURS:
Langlois, Drouin & Laflamme, Québec, pour la demanderesse.
McMaster, Meighen, Minnion, Patch & Cor- deau, Montréal, pour le défendeur le N/M Weser Isle.
Brisset, Bishop & Davidson, Montréal, pour les défenderesses Shipping Limited et Lillis Marine Agencies Ltd.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DUBÉ: La demanderesse, une compa- gnie d'aconage ayant son siège social à Québec, fait une réclamation contre deux agences mariti- mes de Montréal, la Shipping Limited et la Lillis Marine Agencies Limited, et contre six navires et leurs propriétaires, pour services d'aconage et ser vices connexes, rendus pour la plus grande partie
au port de Montréal, entre le l er septembre 1971 et la fin de décembre 1971.
Modifiés dans les conclusions écrites et à l'au- dience, les montants réclamés sont les suivants: $30,828.17 de la Lillis Marine et $115,003.65 de la Shipping Limited. La réclamation contre le navire Weser Isle, qui est représenté séparément, est de $26,378.08; une partie de cette somme ($5,910.14) est comprise dans la réclamation contre la Lillis Marine et le reste ($20,461.94) est compris dans la réclamation contre la Shipping Limited. Donc, le montant total des factures et des autres pièces à l'appui présentées par la demande- resse s'élève à $145,831.82.
Le président de la Shipping Limited, Fred D. McCaffrey, a admis bien franchement dans son témoignage que dans les livres de sa compagnie figurait un montant de $115,113.92 à la Sabb Inc.; il s'agissait, a-t-il expliqué, de [TRADUCTION] «sommes dues par la Commonwealth Carriers». Tout au long de la procédure, qui a été longue et complexe, s'est accumulée une montagne de pièces, soit des factures, reçus, bordereaux de travail, certificats de déchargement, reçus du C.P.N., manifestes, notes internes de service, connaisse- ments, reçus de livraison, bons de livraison, avis d'expédition par chemin de fer, plans d'arrimage et rapports d'échange de conteneurs. Cela dit, il reste que le noeud de la question, me semble-t-il, le premier problème à trancher, n'est pas de détermi- ner le montant de la dette mais plutôt l'identité du débiteur.
Dans leur défense, Lillis Marine et la Shipping Limited affirment toutes deux qu'elles ont recouru aux services d'aconage de la Sabb Inc. uniquement pour le compte et au nom de la Commonwealth Carriers Limited, dont elles étaient les agents, ce que savait la demanderesse. Au paragraphe 14 de sa défense, Lillis Marine allègue que [TRADUC- TION] «la demanderesse a fait une réclamation contre Lillis Marine Agencies Ltd. et la Shipping Ltd. uniquement parce que les affréteurs du navire, la Commonwealth Carriers Ltd. et (ou) son agent américain, l'Amerind Shipping Corp., ont fait faillite.» Dans son éloquente conclusion, l'avo- cat de la demanderesse a qualifié ce malheureux événement de faillite internationale dont les trois parties principales à cette action ont été d'innocen- tes victimes.
La plupart des faits pertinents ne sont pas con testés; ils ont toutefois été interprétés de façon différente par les divers témoins et, naturellement, parla demanderesse et les défendeurs.
Il semble qu'en juillet 1971, l'Amerind Shipping Corporation a retenu les services de Harry N. Moore, administrateur newyorkais spécialiste du transport maritime, et lui a demandé de s'occuper de certaines questions relatives au transport de marchandises par conteneurs, notamment de trou- ver un terminus approprié à Québec ou à Mont- réal. L'Amerind était agent général de la Carib- bean Container Line, dont le nom est devenu Commonwealth Carriers Limited au cours de l'été 1971; certains services de transport par conteneurs ont alors été supprimés et d'autres se sont étendus à l'Europe. L'Amerind avait eu de la difficulté à obtenir un poste dans le port de Halifax et espérait pouvoir procéder avec plus de célérité à Québec ou à Montréal.
Après avoir fait quelques recherches, Moore entendit parler de la Sabb Inc.; il entra en commu nications avec la demanderesse et se rendit visiter ses installations portuaires.
Le 11 août 1971, Moore se rendit à Montréal en compagnie du vice-président à l'exploitation de l'Amerind, Vern Unger; ils y rencontrèrent notam- ment K. J. Monks, secrétaire-trésorier de la Sabb Inc., et Edward Patrick Brennan, directeur de la Lillis Marine. Ceux qui ont assisté à la réunion, dans les bureaux de la Lillis Marine, et à la visite des installations portuaires de la demanderesse interprètent chacun à sa façon ce qui s'y est dit, selon le souvenir qu'ils en ont conservé, mais il est évident qu'on a alors décidé que la Sabb Inc., à la demande de Moore de l'Amerind, fournirait les services d'aconage aux navires porte-conteneurs à Montréal.
Monks savait qu'il s'agissait de navires de la Commonwealth. Au cours de son interrogatoire préalable, il a déclaré la page 2) [TRADUCTION] «dès qu'il (Moore) a mentionné le nom des navires, j'ai dit: `Ce sont, je crois, les navires porte-conte- neurs de la Commonwealth qui ont maintenant Halifax pour terminus.'»
Quatre lettres envoyées par K. J. Monks à Harry Moore (pièces cotées Monks 1, 2, 3 et 5) jettent quelque lumière sur la question. Les deux
premières ont été écrites avant la réunion du 11 août et les deux autres peu après.
La première, en date du 8 juin 1971, est adres- sée à «Harry Moore, Isbrandtsen Line.» Au risque d'ajouter à la confusion, précisons que la Isbrandt- sen Line est une corporation remplacée par la Commonwealth Carriers Limited. A la lettre étaient joints [TRADUCTION] «deux dépliants don- nant des renseignements sur notre terminus pour conteneurs dans le port de Québec» et des notices [TRADUCTION] «traitant de notre terminus à la section 73 Montréal.»
La deuxième lettre, en date du 3 août, com mence par ces mots: [TRADUCTION] «Suite à notre conversation téléphonique d'aujourd'hui relative à la décision prise par votre compagnie d'exploiter un service de conteneurs à partir de Québec ou de Montréal ... nous confirmons nos prix ...». Sont ensuite donnés les taux relatifs à la manutention des conteneurs.
Il convient de mentionner à ce stade que Moore avait distribué sa carte de visite à la réunion à Montréal. Son titre sur la carte: vice-président de la «C&M Transportation Consultants, Inc.» Cependant, le nom de cette compagnie avait été raturé et remplacé par les mots «Amerind Shipping».
La troisième lettre porte la date du 17 août. Elle est adressée à «M. H. Moore, Amerind Shipping Corp.» et renvoie à la réunion du 11 août. Il y est joint un horaire Head -Donaldson. On y lit notam- ment: [TRADUCTION] «vous voudrez sans doute prévoir pour vos navires un horaire compatible avec celui ci-joint». Elle se termine ainsi [TRADUC- TION] «Nous vous enverrons d'ici un jour ou deux un tarif s'appliquant à toutes les catégories de main-d'oeuvre.»
La quatrième lettre, en date du 20 août, inclut un [TRADUCTION] «Tarif composite de rémunéra- tion de toutes les catégories de personnel travail- lant à notre terminus de Montréal en 1971.» Cette lettre était aussi adressée à «H. Moore, Amerind Shipping Corp.»
Pendant la période en question, la Isbrandtsen ou la Commonwealth a eu deux agents à Mont- réal: Lillis Marine jusqu'au 15 octobre 1971, et la Shipping Limited par la suite. A ce stade, il con-
vient de mentionner trois accords d'agence, qui ont été produits à l'audience.
Le premier, portant la date du 25 mars 1970, a été conclu par la «Cargo Carriers Ltd.» de Hamil- ton (Bermudes) et Lillis Marine Agencies Limited. Il semble que Cargo Carriers soit une autre raison sociale de la Isbrandtsen Line; c'est du moins ce que semble indiquer le fait que le document porte la signature «H. C. Isbrandtsen», président de la Cargo Carriers Ltd. Albert M. Lillis a signé au nom de son agence. Aux termes de ce document, le commettant nomme Lillis Marine son préposé au Canada. Ce dernier ne peut engager le crédit ni la responsabilité du commettant sans autorisation; il doit remettre sur-le-champ l'argent perçu à titre de fret et faire parvenir à son commettant un compte détaillé des dépenses lorsque chaque navire quitte son territoire.
Le second accord, daté du 15 octobre 1971, a été conclu par la Commonwealth Carriers Limited et la Shipping Limited. On y énonce que la Common wealth possède, exploite et affrète des navires et souhaite avoir un agent. La Shipping Limited est nommée agent des navires de la Commonwealth Carriers dans les ports canadiens des Grands Lacs et de la côte Est. L'agent doit assurer les services habituellement accessoires à cette fonction; il doit s'occuper notamment des réparations, de l'aconage et des autres opérations de manutention de la cargaison, [TRADUCTION] «l'agent et (ou) la com- pagnie ayant désigné les acconiers d'un commun accord.» La compagnie doit supporter toutes les dépenses afférentes au chargement et au décharge- ment de la cargaison ainsi que les frais connexes engagés pour son compte. L'agent sur les directives de la compagnie, doit déposer le produit de tous les comptes à recevoir au compte de la compagnie à la Banque de Montréal; il doit remettre à la Banque un compte de paiements pro forma pour chaque voyage et peut tirer sur ce compte jusqu'à concur rence de 80% de celui-ci. Sur présentation du compte de paiements accompagné des pièces justi- ficatives, le solde peut être retiré. Les autres paie- ments sont indiqués dans la comptabilité générale. L'agent doit s'efforcer de percevoir tout le fret, avec toute la diligence possible.
Le troisième accord, en date lui aussi du 15 octobre 1971, a été conclu entre les deux défende- resses, la Shipping Limited et Lillis Marine. Il
s'agit d'un contrat de sous-agence relativement aux cargaisons à destination des Bermudes, de Nassau et des Antilles. La demanderesse n'était pas partie à ces trois accords et elle ignorait leur existence.
A l'époque s'est effectué le changement d'agent, la Shipping Limited a fait paraître des avis dans la Montreal Gazette portant qu'elle était désormais l'agent général de la Commonwealth Carriers Limited. Dans l'édition du 18 octobre 1971, la Montreal Gazette, dont un exemplaire a été déposé en preuve, figurait l'avis suivant:
[TRADUCTION] LA COMMONWEALTH CARRIERS EST HEUREUSE D'ANNONCER QU'À PARTIR DU 15 OCTOBRE 1971 LA SHIPPING LIMITED SERA SON AGENT GÉNÉRAL AU CANADA EN CE QUI REGARDE SON SERVICE AUTONOME ET COMPLET DE TRANSPORT PAR CONTENEURS CANADA-RU/ EUROPE CONTINENTALE CANADA/ANTILLES
Dans l'édition du 20 octobre 1971 de The Gazette figurait un avis donné par la Shipping Limited, dont l'intitulé était [TRADUCTION] «Ship- ping Limited, agent de» et le corps une liste de clients, dont la [TRADUCTION] «Commonwealth Carriers, service autonome et complet de transport par conteneurs». Des exemplaires de plusieurs autres éditions du journal The Gazette publiés à cette époque et portant ces avis ont été déposés en preuve.
Au cours de son interrogatoire préalable, Monks, à qui l'on demandait la page 56) s'il [TRADUCTION] «avait été informé du remplace- ment de Lillis Marine par la Shipping Limited comme agent général de la Commonwealth», a répondu: [TRADUCTION] «Pas officiellement, je pense l'avoir lu dans la Montreal Gazette.» Monks a aussi appelé McCaffrey, président de la Shipping Limited, pour le féliciter à ce sujet.
Peu après la réunion à Montréal, soit le ler septembre, le Weser Isle a relâché au port de Montréal et est entré au terminus de la demande- resse. Il est admis de part et d'autre qu'à partir de cette date jusqu'à la fin de décembre 1971, la demanderesse a fourni à six navires Isle des servi-
ces d'aconage et des services connexes et que Lillis Marine et, après le 15 octobre, Shipping Limited, ont eu un rôle à jouer dans cette affaire.
Un certain modus operandi a été suivi. Sabb Inc. et Lillis Marine avaient discuté des détails quotidiens de l'activité au terminus. Lillis Marine devait informer la Sabb Inc. de l'arrivée des navi- res et lui dire quels conteneurs il fallait décharger. La Sabb Inc. devait envoyer les factures aux agents de Montréal qui, eux, devaient les envoyer à New York puis aux Bermudes pour ratification. Les taux exigés correspondaient à ceux cotés par Monks de la Sabb Inc. à Moore de 1'Amerind.
En novembre, au cours d'une réunion, on a défini la façon précise de procéder à la manuten- tion des cargaisons et consigné ces précisions dans un document intitulé [TRADUCTION] «façon de procéder à la manutention des cargaisons transpor- tées dans des conteneurs, au terminus de la S.A.A.B. à Montréal»; ce document a été déposé en preuve sous la cote P-37. L'en-tête est celle de la Shipping Limited et le document ne porte ni date ni signature. Il traite de trois façons différen- tes de procéder selon qu'il s'agit de conteneurs renfermant des marchandises importées, destinées à l'exportation ou destinées à l'entreposage. Essen- tiellement, il porte que la Shipping Limited doit fournir à la Sabb Inc. des registres de la cargaison et des registres des wagons de chemins de fer. La Sabb Inc. doit délivrer des reçus, des feuilles de pointage, des formules d'échange et des listes numériques de tous les conteneurs au terminus; elle doit également s'assurer de la propreté de tous les conteneurs avant leur livraison à l'expéditeur aux fins du chargement. Il n'y est pas question de la procédure à suivre pour acquitter les frais d'aco- nage ou pour payer les factures.
L'examen de la masse de documents révèle qu'on a en fait adopté la façon de procéder sui- vante: les documents allaient de la Sabb Inc., les aconiers, à Lillis Marine ou à la Shipping Limited, les agents à Montréal, puis à la Commonwealth Carriers Limited, a/s de Amerind Shipping Corp., New York. Malheureusement pour la compagnie d'aconage, il y avait plus de paperasse que de profits dans cette affaire.
Au cours de l'automne 1971, en raison d'une grève au port de New York, le port de Montréal était achalandé. Les factures impayées s'accumu- laient. Jean-Louis Lachance est devenu président de la Sabb Inc. le ler janvier 1972. Dès qu'il eut en main les états financiers de la Sabb Inc. relatifs, à l'année 1971, inquiet du montant élevé du crédit consenti par la compagnie, il a pris des mesures pour percevoir les comptes à recevoir. Dans son témoignage, Lachance a déclaré avoir communi- qué avec Moore, qui lui a dit [TRADUCTION] «de relancer» les agents de Montréal qui étaient autori- sés à payer les débours à même le fret perçu.
A ce stade, il y a lieu de signaler que le premier jour de l'audience, la demanderesse a sollicité et obtenu la permission de déposer une seconde déclaration modifiée, dont le paragraphe 20 cor- rigé porte que:
[TRADUCTION] Attendu que le 24 janvier 1972 ou vers cette date, la défenderesse SHIPPING LTD. a promis à la demande- resse, au cours d'une conversation téléphonique, de lui acquitter non seulement ses factures en souffrance reçues, au montant de $137,655.85, ainsi que d'autres à venir s'élevant à environ $20,000, mais également des factures envoyées à la codéfende- resse LILLIS MARINE AGENCIES LTD., au montant de $30,828.17 et attendu que ces factures devaient être acquittées par verse- ments, dont un premier d'au moins $75,000, qui a été fait, suivi de versements hebdomadaires de vingt mille dollars, à valoir sur le solde d'environ $150,000, devant se terminer avant le 1" avril 1972, qui n'ont pas été faits.
Lachance a témoigné qu'après avoir parlé à Moore, il a communiqué avec Donald S. Gough, vérificateur et chef du service des opérations finan- cières de la Shipping Limited. Selon les notes qu'a prises Lachance pendant sa conversation télépho- nique le 24 janvier 1972, Gough a accepté de verser $75,000 comptant et de verser le solde, y compris le montant par Lillis Marine, à raison de $20,000 par semaine. Les notes de Lachance relatives à cette conversation téléphonique énumè- rent une série de factures et précisent la somme de $76,417.25 «comptant», et aussi [TRADUCTION] «le solde de $150,000 devant être payé avant le ler avril 1972, à raison de $20,000 par semaine». 'Effectivement, Gough a établi un chèque visé au montant de $76,417.25, qu'un employé de la Sabb est aussitôt venu chercher.
Dans son témoignage, Gough a déclaré avoir effectivement reçu un appel téléphonique de Lachance et dit à ce dernier qu'il lui faudrait examiner les comptes à recevoir pour le compte de
la Commonwealth pour voir si des fonds étaient disponibles. Il a dit avoir informé Lachance que la Shipping Limited était autorisée à payer les factu- res pour services d'aconage à même le fret perçu lorsqu'il restait de l'argent après paiement des dépenses. Au cours de la conversation avec Lachance, il a déclaré qu'une somme de $75,000 était disponible pour acquitter les factures exigi- bles pour services d'aconage. Il a ajouté que Lachance a effectivement proposé que le solde soit acquitté de la façon indiquée ci-dessus, mais il a dit n'avoir promis ni garanti le paiement d'aucun montant déterminé, car il devait s'en tenir aux surplus disponibles perçus pour le compte de la Commonwealth.
Fred McCaffrey, président de la Shipping Limit ed, n'a adressé aucun reproche à son vérificateur pour avoir établi le chèque en question car lui- même préférait payer les fournisseurs canadiens à même le fret disponible plutôt que d'envoyer ces fonds dans un «gouffre sans fond» à New York ou aux Bermudes.
Il a affirmé cependant que Gough n'était pas autorisé à engager la Shipping Limited à acquitter les frais d'aconage autrement qu'à même le surplus disponible. Le contrat passé entre la Common wealth et la Shipping Limited permettait à celle-ci de débourser jusqu'à 80% du fret pour payer les dépenses et Gough lui avait dit avoir promis à Lachance de faire tout en son possible pour acquit- ter les factures impayées à même le fret qui serait perçu.
Je dois conclure que Lachance a fait une tenta tive désespérée pour obtenir de l'agence de Mont- réal le plus possible, sous forme d'argent et de promesses, et que, même s'il a obtenu un chèque important, à ce stade avancé, il ne restait pas assez d'argent en caisse pour payer toutes les factures en souffrance. Quoique Gough ait paraître obli- geant, encourageant et apaisant à son interlocuteur dévoré d'impatience, je ne pense pas qu'il aurait été jusqu'à engager les propres ressources financiè- res de sa compagnie sans avoir obtenu au préalable la permission de le faire. De plus, ni le mot «pro- messe» ni aucun synonyme n'apparaissent dans les notes de Lachance et rien ne laisse croire que le nouveau président de la Sabb ait tenté de faire aussitôt confirmer par écrit la prétendue promesse de payer, ce qu'il n'aurait sûrement pas manqué de
faire s'il avait obtenu au téléphone un engagement ferme.
Le Gwendolen Isle et le Weser Isle ont été saisis au port de Saint-Jean le 25 et le 29 février 1972 respectivement et on leur a signifié la déclaration produite en l'espèce. Le Gwendolen Isle n'a pas déposé de défense, à l'opposé du Weser Isle, qui était représenté à l'audience par un avocat. En janvier 1972, la Commonwealth Carriers Limited était devenue la Commonwealth Carriers (1972) Limited et avait transféré ses opérations d'hiver à Saint-Jean (Nouveau-Brunswick). Amerind Ship ping a déposé son bilan. Le 7 février 1972, McCaf- frey, président de la Shipping Limited, a reçu un message télex très intéressant de la Midsea Con- tainership Inc. Le premier paragraphe porte que:
[TRADUCTION] SUITE A NOTRE CONVERSATION TÉLÉPHONIQUE, VEUILLEZ PRENDRE NOTE QUE MIDSEA A FAIT CONSTITUER LA COMMONWEALTH CARRIERS 1972 LTD. AUX FINS DE MAINTENIR CERTAINS NAVIRES EN ACTIVITÉ. NOUS VOUS SOULIGNONS QU'IL N'Y A JAMAIS EU DE LIENS FINANCIERS, DIRECTS OU INDIRECTS, ENTRE MIDSEA ET L'ANCIENNE COMMONWEALTH MAIS, L'AF- FAIRE S'EN ALLANT LITTÉRALEMENT A LA DÉRIVE, CERTAINES MESURES DOIVENT ÉTRE PRISES POUR FAIRE LE POINT. AUX FINS COMPTABLES, LA COMMONWEALTH CARRIERS 1972 PRENDRA A SON COMPTE LES VOYAGES AINSI DÉSIGNÉS: ELLEN ISLE EB 16, WESER ISLE EB 15, GWENDOLEN ISLE SB 76, ET CHRISTINE ISLE SB 11.
En l'espèce, il s'agit principalement de détermi- ner si les services d'aconage et les services con- nexes qu'a rendus la demanderesse ont été retenus par les défenderesses Shipping Limited et Lillis Marine en leur propre nom, de sorte qu'elles seraient engagées personnellement, ou simplement à titre d'agents de leurs commettants de New York, sans engagement personnel. Nous devons chercher la réponse dans l'intention réelle des parties.
L'avocat de la demanderesse s'est référé à l'arrêt Wolfe Stevedores (1968) Limited c. Joseph Salt-- er's Sons Limited', une décision qu'a rendue la Division d'appel de la Cour de la Nouvelle-Écosse en 1970, sont passés en revue quelques-uns des critères fondamentaux à appliquer à ces actions en paiement de services d'aconage intentés contre des agents maritimes. Un agent maritime de Halifax agissant pour des propriétaires de navires de Québec avait accepté de payer les services d'aco-
I
(1971) 2 N.S.R. (2') 269 à la page 275.
nage à la Wolfe Stevedores à même le fret perçu. La Cour d'appel a jugé que l'agent s'était person- nellement engagé vis-à-vis de la compagnie d'aco- nage et que l'affectation du fret à d'autres dépen- ses constituait une rupture du contrat conclu avec la compagnie d'aconage.
Après un examen des faits, le juge d'appel Cooper expose le point en litige et renvoie aux ouvrages suivants: Bowstead on Agency et Frid- man, The Law of Agency:
[TRADUCTION] Tout comme en première instance, la princi- pale question est de savoir si l'appelante a retenu les services d'aconage pour le chargement des navires en son propre nom, engageant ainsi sa responsabilité quant au paiement, ou si elle a conclu les contrats uniquement à titre d'agent du propriétaire des navires. Le traité de Bowstead on Agency, 13e éd. aux pp. 374 et 375 expose ainsi le droit applicable:
[TRADUCTION] La question de savoir si un mandataire qui a contracté au nom de son commettant doit être réputé s'être personnellement engagé et, si oui, l'étendue de sa responsabi- lité, dépend de l'intention des parties, laquelle découle de la nature et des conditions du contrat et des circonstances, y compris toute coutume qui lie les parties.
L'article 123, la p. 390 du traité de Bowstead, précité, se lit comme suit:
[TRADUCTION] »Lorsqu'un mandataire conclut un contrat oral, seuls les faits peuvent nous dire s'il s'est engagé person- nellement ou s'il a uniquement agi à titre de mandataire.» Dans Fridman, The Law of Agency, éd., à la p. 164, on lit
que:
[TRADUCTION] «Lorsque le contrat est oral.—Lorsque le mandataire a conclu un contrat oral, les faits seuls, dépen- dant des circonstances, peuvent nous dire s'il s'est engagé personnellement.»
Le juge d'appel Cooper renvoie aussi à la page 276 deux affaires de la Lloyd's:
[TRADUCTION] Dans l'affaire Maritime Stores, Ltd. c. H. P. Marshall & Co., Ltd., [1963] 1 Lloyd's Rep. 602, la demande- resse, approvisionneur de bord, cherchait à se faire payer les agrès qu'elle avait fournis à deux navires. Le juge Roskill a dit à la p. 608:
[TRADUCTION] «C'est absolument exact que la défenderesse était agent maritime et que la demanderesse le savait. Mais, à mon avis, le fait que la demanderesse savait que la défende- resse était agent maritime ne constitue en aucune façon un facteur déterminant.»
Le savant juge conclut alors à la page 282:
[TRADUCTION] Je dois revenir au noeud de l'affaire. Quelle était l'intention des parties au moment de l'entente relative au chargement des navires? Je crois qu'on avait envisagé et con- venu que l'appelant soit personnellement tenu de payer les services de la Wolfe Stevedores. Les circonstances entourant l'affaire étaient les suivantes: (1), l'appelant a obtenu les cargai-
sons pour les navires; (2) Evans a dit que les factures seraient payées à même le fret qu'il était chargé de percevoir; (3) les factures devaient être envoyées à Salter's Sons; (4) trois fois auparavant (l'une de ces occasions ayant trait au «Cap St-Lau- rent», un navire dont Bouchard n'était pas propriétaire), les factures avaient été envoyées de cette façon et avaient été acquittées; (5) on n'a jamais avisé l'intimé qu'il devait facturer le propriétaire.
Cependant, il existe d'importantes différences entre l'affaire Wolfe et les faits en l'espèce: (1) le commettant a pris contact directement avec la Sabb Inc. par l'intermédiaire de Moore et non par celui des agents; (2) sauf deux factures de moindre importance qu'a payées Lillis Marine et le chèque de $76,000 établi par la Shipping Limited, les agents ne payaient pas automatiquement les factu- res pour services d'aconage; (3) les deux agents maritimes n'ont pas avisé la Sabb Inc. qu'ils la paieraient à même le fret perçu avant janvier, lorsque Gough a parlé à Lachance; (4) Wolfe Stevedores n'avait pas de rapports avec le commet- tant Bouchard ni avec personne d'autre que l'agent, alors que la demanderesse Sabb Inc., sur- tout par l'entremise de Monks, faisait directement affaires avec Moore de l'Amerind dans le but de convenir des services et d'en établir le coût.
Dans l'arrêt très récent Format International Security Printers Limited c. Mosden 2 , le critère de «d'intention objective» est à nouveau mentionné et appliqué. La question que la Cour avait à trancher était de savoir si en passant aux demandeurs une commande pour l'impression de timbres, le défen- deur agissait uniquement à titre de mandataire du gouvernement ou s'il engageait sa propre responsa- bilité. Le juge Stabb a renvoyé à la doctrine et à la jurisprudence, notamment à Bowstead et à l'arrêt The Swan, et il a déclaré à la page 38:
[TRADUCTION] Plus loin dans le texte, sous le titre «commen- taire», l'auteur déclare:
La question de savoir si un mandataire qui a contracté au nom de son commettant doit être réputé s'être personnelle- ment engagé et, si oui, l'étendue de sa responsabilité, dépen- dent de l'intention des parties, laquelle découle de la nature et des conditions du contrat et des circonstances, y compris toute coutume qui lie les parties. Les critères s'appliquent de façon particulièrement stricte en ce qui a trait aux contrats écrits lorsque l'agent peut se trouver personnellement respon- sable par suite de l'emploi de mots impropres, bien qu'il soit en fait douteux qu'il ait eu l'intention d'engager sa responsabilité.
2 [1975] l' Lloyd's Rep. (Q.B.) 37..
Il ne fait aucun doute que le contrat en l'espèce est oral, bien que le défendeur ait subséquemment confirmé la commande par écrit. Pour connaître les conditions du contrat, je dois donc m'en rapporter d'une part au témoignage du défendeur et, d'autre part, à ceux des deux administrateurs de la compagnie demanderesse, McAllen et Rodgers, et m'aider le plus possible des circonstances qui ont entouré le contrat, y compris la correspondance échangée par la suite entre les deux parties, qui peut jeter quelque lumière sur la mesure de responsabilité que les parties estimaient avoir engagée. Il s'agit là, selon moi, d'un facteur auquel on peut attacher une certaine importance, bien qu'il faille tout de même juger objectivement l'intention des parties.
Voici les conclusions du juge Stabb, à la page 44:
En conséquence, en me fondant sur la preuve et sur une étude objective de l'ensemble de l'affaire, j'ai conclu qu'il avait toujours été entendu que le défendeur serait responsable du paiement des frais d'impression des timbres, que le gouverne- ment des Philippines l'avait autorisé à faire imprimer. Selon moi, il s'ensuit que la demanderesse a établi le bien-fondé de sa demande.
Un examen objectif de l'ensemble de l'opération visée en l'espèce m'amène à une conclusion diffé- rente. Il ne fait aucun doute que des services d'aconage et des services connexes ont été rendus et que la demanderesse a le droit d'être payée. Selon toute probabilité, elle aurait exigé paiement des commettants, l'Amerind et la Commonwealth, si celles-ci étaient encore solvables. Mais les par ties ont-elles jamais réellement entendu rendre les agents de Montréal responsables du paiement des frais d'aconage? Je décide que non.
Le premier contact a été établi par l'Amerind, représentée par Moore et Unger, et la Common wealth, à Montréal, Moore et Unger ont exa- miné le terminus de la demanderesse. Monks, de la Sabb Inc., les connaissait tous deux personnelle- ment et a établi le rapport entre eux et la compa- gnie Isbrandtsen Line ainsi que les navires de la Commonwealth. «Isbrandtsen» et «Common- wealth» étaient des noms respectés dans le domaine des navires porte-conteneurs. Des facilités de crédit aussi généreuses que celles consenties par la demanderesse n'auraient jamais été accordées à un simple agent local. Le fait que, loin de protes ter, le président de la Sabb a offert ses félicitations lorsque les commettants ont remplacé Lillis Marine comme agent indique bien le peu d'impor- tance qu'attachait la Sabb Inc. au crédit de la petite agence maritime de Montréal. Si les parties
avaient eu «l'intention objective» de fonder un con- trat sur la responsabilité personnelle de Lillis Marine, la Sabb n'aurait jamais permis à celle-ci de se retirer sans s'être assurée que Lillis Marine avait acquitté tous les frais d'aconage exigibles à l'époque.
Des conversations téléphoniques aussi bien que des lettres ont été échangées entre Monks et Moore au sujet du coût des services d'aconage sans que les agents locaux n'y aient pris la moindre part. En janvier, le nouveau président de la Sabb s'est adressé à Moore de l'Amerind pour obtenir paiement des factures. C'est Moore qui a dit à Lachance de «relancer» les agents de Montréal qui étaient autorisés à payer les factures pour services d'aconage à même le fret perçu. A l'exception de la conversation téléphonique qu'a eue Lachance, rien ne permet de penser que les agents de Mont- réal se seraient engagés à acquitter les frais d'aco- nage à même leurs propres fonds. On ne voit pas pourquoi ils l'auraient fait; après tout, ils n'étaient pas propriétaires des navires et n'en tiraient aucun revenu de fret.
C'est vrai qu'il y a confusion quant à l'identité des commettants. Peut-être nulle part ailleurs que dans l'univers mystérieux des navires porte-conte- neurs une telle fiction prend-elle l'allure de réalité sérieuse et usuelle. On croirait que la demande- resse, dès le début, aurait essayé d'établir l'identité des commettants et aurait exigé un contrat écrit. Il faut en conclure que parce qu'il connaissait si bien Moore et Unger, Monks n'a pas jugé nécessaire d'obtenir de plus amples garanties, d'ordre finan cier ou contractuel. Les noms des compagnies avec lesquelles ces deux messieurs de New York étaient associés changeaient sans cesse, passant de Isbrandtsen Line à Cargo Containers Ltd. à Car- ibbean Containers Ltd. à Commonwealth Carri ers et à Commonwealth Carriers (1972) Ltd., l'Amerind Shipping restant toujours jusqu'à sa faillite au cours de l'action.
Après une étude objective de la situation, j'en conclus que la demanderesse, en fournissant les services d'aconage aux navires porte-conteneurs, entendait travailler pour les commettants de New York, principalement représentés par l'Amerind. J'en arrive aussi à la conclusion que les deux agents de Montréal ne voulaient agir qu'en cette qualité, c'est-à-dire à titre d'agents maritimes
locaux pour le compte des commettants de New York, agents locaux qui n'avaient voulu ni pré- tendu s'engager personnellement à payer les servi ces d'aconage.
En vertu de l'article 1715 du Code civil de la province de Québec, le mandataire agissant au nom du mandant et dans les limites de son mandat n'est pas responsable personnellement envers les tiers avec qui il contracte mais, conformément à l'article 1716, le mandataire qui agit en son propre nom est responsable envers les tiers.
L'article 1701 définit le mandat comme étant «un contrat par lequel une personne, qu'on appelle le mandant, confie la gestion d'une affaire licite à une autre personne, qu'on appelle mandataire, et qui, par le fait de son acceptation, s'oblige de l'exécuter.»
La demanderesse nie d'abord l'existence d'un mandat entre l'Amerind et/ou la Commonwealth et les agents maritimes défendeurs, ajoutant que dans l'éventualité un tel mandat a existé, sauf s'il s'agit d'un mandat au sens de l'article 1701, le mandataire ne peut bénéficier de l'immunité accordée par l'article 1715. Dans ce dernier cas, le mandataire est responsable en vertu des articles 1028 ou 1030 du Code.
Aux termes de l'article 1028, on ne peut, par un contrat en son propre nom, engager d'autres que soi-même, mais on peut promettre qu'un autre remplira une obligation, et dans ce cas on est responsable des dommages, si le tiers indiqué ne remplit pas cette obligation. Aux termes de l'arti- cle 1030, on est censé avoir stipulé pour soi, à moins que le contraire ne soit exprimé ou ne résulte de la nature du contrat.
Je n'ai aucune difficulté à concilier ces disposi tions du Code civil du Québec avec l'application des principes de la common law aux faits en l'espèce.
J'ai conclu que les deux agents maritimes défen- deurs, Lillis Marine et la Shipping Limited, n'ont pas agi en leur propre nom, ce qui aurait engagé leur responsabilité vis-à-vis de la compagnie d'aco- nage demanderesse conformément à l'article 1716. Ils ont agi pour le compte des agents généraux de New York, leur mandant au sens de l'article 1715. Le mandat était un contrat en partie oral et en
partie écrit conclu entre le mandant de New York et les deux compagnies. Il est vrai que la compa- gnie demanderesse ne connaissait pas l'existence des contrats écrits mais ses représentants savaient que le mandant faisait affaires avec eux par l'in- termédiaire de leurs agents de Montréal.
Les agents maritimes, a-t-on prétendu, n'ont pas agi [TRADUCTION] «dans les limites de leur mandat> parce qu'ils n'ont pas fait appel à la caisse de dépenses courantes du mandant pour payer les frais d'aconage. Si je comprends bien l'entente existant entre les agents de Montréal et les com- mettants de New York, les premiers devaient acquitter les dépenses courantes mais envoyer aux seconds, pour approbation, les factures pour servi ces d'aconage. Vers la fin cependant, la Shipping Limited était autorisée à utiliser les surplus dispo- nibles pour payer les frais d'aconage, ce qu'elle a fait une fois au moyen d'un chèque de $76,000. Il est possible que la Shipping Limited aurait pu commencer à payer la demanderesse à même le surplus disponible avant janvier, mais on ne peut dire que ce soit agir en dehors des limites de son mandat. Quoi qu'il en soit, la demanderesse igno- rait les détails et l'existence même de ces ententes conclues entre le commettant et son agent.
Un argument plus ingénieux a été avancé, selon lequel le mandat n'existe pas faute d'existence juridique du mandant. Dans le Traité de Droit Civil du Québec', on dit à la page 68:
Le mandataire sera encore personnellement responsable si le mandant n'a pas d'existence légale.
Dans l'arrêt Les Chevaliers de Maisonneuve c. Société Immobilière Maisonneuve 4 , on a décidé qu'une personne qui se dit mandataire garantit l'existence du mandant et est personnellement res- ponsable si ce dernier n'existe pas. Dans cette affaire, les Chevaliers de Maisonneuve, le prétendu mandant, n'étaient pas constitués en corporation.
En vertu de l'article 3 de la Loi des compagnies étrangères', aucune corporation étrangère ne peut faire affaires dans la province de Québec, à moins qu'elle n'ait obtenu un permis en vertu de ladite loi, et que ce permis ne soit en vigueur.
'Série Trudel, Tome 13. [1951] B.R. (Qué.) 432. 5 S.R.Q. 1964, c. 282.
L'avocat de la demanderesse prétend que, puis- que les défendeurs n'ont pas allégué que leur man- dant avait obtenu un permis en vertu de ladite loi, ces compagnies étrangères n'avaient pas de capa- cité juridique au Québec. Le mandant n'ayant pas d'existence juridique, le mandataire deviendrait alors responsable vis-à-vis de la demanderesse.
Je ne peux accepter cet argument. Le fait qu'une compagnie étrangère n'ait pas obtenu un permis pour faire affaires dans la province de Québec ne signifie pas qu'elle n'a pas d'existence juridique, car sinon le port de Montréal sombrerait dans un chaos juridique et commercial. En fait, la peine prévue à l'article 11 pour inobservation des stipulations de la Loi des compagnies étrangères ne frappe pas la compagnie étrangère elle-même mais toute personne agissant pour son compte. De plus, ce n'est pas l'agent qui a pris les devants, mais c'est le commettant qui le premier a pris contact avec la demanderesse; c'était à cette der- nière de se renseigner sur le statut juridique du commettant.
Pour les raisons susmentionnées, l'action de la demanderesse contre Lillis Marine Agencies Limi ted et la Shipping Limited est rejetée avec dépens.
Je dois maintenant en venir à la réclamation de la demanderesse contre le navire Weser Isle, l'un des deux navires saisis par la demanderesse à Saint-Jean (Nouveau-Brunswick) en février 1972. Le paragraphe 6 de la déclaration de la demande- resse décrit les services rendus au Weser Isle comme étant des services d'aconage fournis à la demande des capitaines et/ou de la défenderesse Lillis Marine Agencies, le ler septembre et le 12 octobre ($5,910.14), et le paragraphe 12 décrit les services rendus à la demande des capitaines et/ou de la Shipping Limited le 12 octobre, du 5 au 8 novembre, et le 9 novembre Québec), ($20,462.94).
Dans la défense, les propriétaires du navire, à savoir Partenreederei N/M Weser Isle, nient que le capitaine dudit navire ait jamais réclamé les services en question et nient également avoir eu connaissance de toute entente y relative. Ils allè- guent que le Weser Isle appartient à une société composée de cinq hommes d'affaires allemands. Ils allèguent aussi que la Midsea Containership de Hamilton (Bermudes) avait affrété le navire en
1968 aux termes d'un affrètement à temps qui prévoyait que ce navire serait livré à la Midsea après sa construction pour une période de [TRA- DUCTION] «7 à 10 années consécutives.» Ils allè- guent que ladite charte-partie stipulait que le capi- taine serait sous les ordres des affréteurs et que ces derniers verraient au chargement et à l'arrimage et en acquitteraient le coût, etc. Ils réclament l'annu- lation du cautionnement de $35,000 donné afin d'obtenir mainlevée de la saisie, ainsi que le rejet de l'action.
A l'audience, Heinrich Wurthmann, représen- tant les propriétaires du Weser Isle, a dûment établi la propriété du navire et l'existence de la charte-partie. Il a confirmé que les propriétaires n'avaient eu aucun contact avec la Sabb Inc., ni avec Lillis Marine ou la Shipping Limited pendant la période pertinente.
Dans l'affaire Westcan Stevedoring Ltd. c. Le navire aArmar» 6 , par voie d'une action in rem, une compagnie d'aconage a réclamé le paiement des services d'aconage demandés par les affréteurs ou leurs sous-agents, relativement au chargement de marchandises à bord du navire défendeur Armar. La demanderesse soutenait que les services rendus étaient des approvisionnements nécessaires au sens de l'alinéa 22(2)m) de la Loi sur la Cour fédéra- le', au paiement desquels, aux termes de l'alinéa 22(2)m) lu en corrélation avec le paragraphe 43(2) de ladite loi, le navire ou son propriétaire est tenu. Les articles en question se lisent comme suit:
22. (2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), il est déclaré pour plus de certitude que la Division de première instance a compétence relativement à toute demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:
ni) toute demande relative à des marchandises, fournitures ou services fournis à un navire, que ce soit, pour son exploitation ou son entretien, et notamment, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, les demandes relatives à l'aconage ou gabarage;
43. (2) Sous réserve du paragraphe (3), la compétence con- férée à la Cour par l'article 22 peut être exercée en matière réelle pour toute demande relative à un navire, à un aéronef, à d'autres biens ou à tout produit de leur vente qui a été consigné au tribunal.
e [1973] C.F. 1232.
7 S.R.C. 1970, (2° supplément) c. 10, modifié par 1973-74, c.
17, art. 8, et 1974-75, c. 18.
Mon collègue, le juge Collier a rejeté la demande et jugé que la responsabilité personnelle du navire ou du propriétaire n'a pas été établie. Il a déclaré que la Loi sur la Cour fédérale autorisait le demandeur à faire valoir ses droits in rem sous réserve qu'il établisse la responsabilité des proprié- taires, en dehors de toute responsabilité statutaire. Il a déclaré à la page 1234:
Lutz a de bonne foi reconnu qu'il n'avait jamais discuté avec les propriétaires du navire ou son capitaine de cette question d'aconage. Il a déclaré que sa compagnie ne s'est pas fondée sur le crédit du navire ou de ses propriétaires, mais qu'elle a fourni ses services au vu du crédit des affréteurs ou de leurs sous- agents. Le défendeur, en l'espèce le propriétaire du navire, a soulevé plusieurs points dans sa défense, mais je me propose d'examiner surtout son argument principal à savoir, à supposer que les services en question fassent partie des approvisionne- ments nécessaires, d'après les faits présentés, la responsabilité en incombe à l'affréteur ou à ses agents et non au navire ou à ses propriétaires; cette action in rem est donc irrecevable.
Et il a ajouté aux pages 1236-7:
Je pense que c'est poser un principe beaucoup trop large que de prétendre que les fournisseurs, tels que la demanderesse, se fondent toujours sur le crédit du navire ou devraient le faire. Il peut y avoir de solides raisons commerciales de se fonder sur le crédit des autres. Dans la présente affaire, Lutz a témoigné que sa compagnie n'avait pas comme habitude de se préoccuper du crédit du navire quand il y avait des affréteurs. D'après lui, sa compagnie ne souhaitait en général pas entrer en rapport avec les propriétaires ou d'autres tierces parties pour le règlement des services retenus par les affréteurs ou en leur nom.
Ainsi je rejette le premier argument présenté par la demanderesse.
Examinons maintenant l'argument de la demanderesse selon lequel la lecture conjointe du paragraphe 43(2) et de l'alinéa 22(2)m) fait ressortir, vu les faits de l'espèce, la responsabilité in rem du navire ou de ses propriétaires. Voici mon interpréta- tion de cet argument: avant que ne soit adoptée la Loi sur la Cour fédérale, la responsabilité dans cette affaire (aux fins de cet argument) incombait au seul affréteur. Les dispositions de la loi visent à faire porter au navire ou à ses propriétaires une responsabilité in rem, nonobstant l'existence d'une responsabi- lité in personam.
A mon sens, l'intention du Parlement n'était pas d'accroître la responsabilité du navire et de ses propriétaires dans une situation telle que celle-ci ou de faire supporter au navire ou ses propriétaires une responsabilité qui n'existait pas en droit avant l'adoption de la Loi sur la Cour fédérale.
On a fait valoir des arguments analogues dans des décisions britanniques antérieures l'on examinait des dispositions sem- blables des lois anglaises en matière d'amirauté. Je cite à titre d'exemples: «The Tolla» [1921] P. 22; «The Sara» (1889) 14 App. Cas. 209; «The Mogileff» [1921] P. 236. Voir également Coastal Equipment Agencies Ltd. c. Le »Conter» [1970] R.C.E. 13. A des degrés divers, on retrace dans ces arrêts l'histoire des décisions d'amirauté quant aux approvisionne- ments nécessaires et aux débours des capitaines. Il a été décidé
que les dispositions législatives prévoyant qu'un litige en matière d'approvisionnements nécessaires et de débours du capitaine, donnait ouverture à une action in rem, n'imposent pas, en soi, la responsabilité au navire ou à ses propriétaires. Il doit d'abord exister en droit une responsabilité personnelle qui donne ouverture, en vertu de la législation, à une action in rem.
A mon avis, le même raisonnement s'applique à cette affaire. Avant que ne soit adoptée la Loi sur la Cour fédérale, la Cour de l'Échiquier, en sa juridiction d'amirauté, tenait de la législa- tion sa compétence pour entendre toute réclamation en matière d'approvisionnements nécessaires. La législation autorisait le demandeur à faire valoir ses droits in rem sous réserve qu'il établisse la responsabilité des propriétaires, en dehors de toute responsabilité statutaire. A mon avis, les articles de la Loi sur la Cour fédérale relatifs à la compétence d'amirauté n'ont pas modifié les dispositions antérieures.
Je cite à dessein de longs extraits de la décision du juge Collier, car elle offre une vue d'ensemble très utile de la jurisprudence contemporaine sur les actions in rem et sur la responsabilité des navires et de leurs propriétaires relativement aux approvi- sionnements nécessaires.
L'action in rem n'est qu'un mécanisme utile visant à protéger un droit in personam; il doit y avoir un débiteur dont la responsabilité personnelle est engagée. Il a été décidé dans l'arrêt The «Heiwa Maru» c. Bird & Co.' qu'il' existe une présomption réfutable que les approvisionnements nécessaires ont été fournis au vu du crédit du navire:
[TRADUCTION] Il semble donc que même si les approvision- nements fournis à un navire sont présumés prima facie l'avoir été au vu du crédit du navire, il ne s'agit que d'une présomption simple que l'on peut réfuter en démontrant que la personne qui a fourni ou payé les approvisionnements s'attendait à être payée par celle à la demande de qui elle avait fourni les biens ou versé un acompte et non par le propriétaire du navire.
La preuve en l'espèce démontre que celui qui a fourni les services n'a pas cherché à se faire payer des propriétaires (dont il ignorait l'identité) ni du navire (la première réclamation contre le navire date - de sa saisie), mais d'abord de Moore de l'Amerind et ensuite de Gough de la Shipping Limited. C'est à la demande de Moore que furent rendus les services d'aconage et ce dernier a con- seillé à la demanderesse de «relancer» Gough pour se faire payer à même le fret perçu.
8 (1923) I.L.R. 1 Ran. 78à la page 100.
Je dois donc conclure que la demanderesse n'a pas établi la responsabilité des propriétaires et que, par conséquent, son action in rem ne peut être accueillie.
L'action contre le Weser Isle est rejetée avec dépens et j'ordonne l'annulation du cautionnement (n° 3-3818) de la Fireman's Fund Insurance Company.
Il reste la demande présentée par la demande- resse contre le Gwendolen Isle, qui a aussi été saisi au port de Saint-Jean (Nouveau-Brunswick), le 25 février 1972, et à qui on a signifié la déclaration en l'espèce. Le montant exact de la réclamation contre le Gwendolen Isle, figurant dans la seconde déclaration modifiée est de $8,568.51. Dans l'affi- davit portant demande de mandat, on allègue que le navire a été immatriculé au port de Monrovia, au Libéria, et qu'il appartient à la Midsea Con- tainership Inc.
Le dossier fait foi du dépôt d'une requête por- tant la date du 6 mars 1972 et visant à autoriser une intervention et à déposer une comparution conditionnelle. Il est allégué dans la requête que durant toute la période en question, le navire appartenait à la Midsea Containership Inc., de Hamilton, Bermudes («Midsea»).
Figure aussi au dossier une requête portant la même date et visant à la mainlevée de saisie du N/M Weser Isle et du N/M Gwendolen Isle; il y est allégué que le 20 août 1971, ou vers cette date, la Commonwealth Carriers Limited a affrété ces deux navires de la Midsea pour une période d'une année, selon les modalités prévues à une charte- partie, et que la Midsea n'a jamais conclu ni autorisé aucun contrat avec la demanderesse.
Figure également au dossier un avis de requête portant la date du 9 mars 1972 et visant à assigner des témoins au sujet des deux requêtes susmention- nées relativement à la saisie de deux navires. Le même jour, une ordonnance a été rendue autori- sant la Midsea Containership Inc. à prendre part au procès à titre de propriétaire du N/M Gwen- dolen Isle et d'affréteur du N/M Weser Isle. La requête visant à la mainlevée de saisie a été rejetée au motif qu'elle était prématurée.
Contrairement aux propriétaires du Weser Isle, ceux du Gwendolen Isle, pour des raisons qui leur
sont propres, n'ont pas déposé de défense et n'ont pris aucune autre mesure en vue de se défendre.
Figurent en outre au dossier une ordonnance autorisant les avocats qui représentaient la Midsea Containership Inc. et le navire Gwendolen Isle à se retirer de l'affaire, et une demande commune renouvelée de fixation des temps et lieu de l'au- dience souscrite par les avocats de la demande- resse, du défendeur Weser Isle et des défenderesses Shipping Limited et Lillis Marine Agencies; la demande ne porte la signature d'aucun avocat représentant le Gwendolen Isle. Copie de l'ordon- nance fixant les dates de l'audience a été envoyée aux trois avocats susmentionnés, mais copie n'a pas été envoyée au Gwendolen Isle.
Dans les circonstances, je m'abstiens de rendre une ordonnance contre le Gwendolen Isle et son propriétaire, puisqu'elle ne pourrait les lier.
L'action contre Lillis Marine Agencies Limited, la Shipping Limited et le Weser Isle est rejetée avec dépens.
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