A-344-75
Quebec North Shore Paper Company et Quebec
and Ontario Transportation Company (Appelan-
tes) (Défenderesses)
c.
Canadien Pacifique Limitée et Incan Ships Limi
ted (Intimées) (Demanderesses)
Cour d'appel, les juges Thurlow, Ryan et Le
Dain—Montréal, le 21 novembre 1975; Ottawa,
le 22 décembre 1975.
Compétence—Dommages-intérêts—Contrat de construction
et d'exploitation d'une gare maritime—L'appelante «Q et O»
et l'intimée «I» ont convenu par contrat avec l'intimée «CP»
d'exploiter un bac porte-trains pour «CP»—Défaut des appe-
lantes de construire dans les délais mentionnés—Action pour
rupture de contrat—Les appelantes demandent la radiation de
la déclaration pour défaut de compétence—S'agit-il d'une
entreprise purement locale?—Requête rejetée—Appel—La
Cour a-t-elle compétence en vertu de l'art. 23 de la Loi sur la
Cour fédérale?—Loi sur la Cour fédérale, art. 2, 3 et 23—Acte
de l'Amérique du Nord britannique, 1867, art. 91(29), 92(10)a)
et 101.
Les appelantes ont convenu par contrat de construire et
d'exploiter une gare maritime, devant être terminée le 15 mai
1975. Par contrat, l'appelante Q et O et l'intimée I se sont
engagées dans une entreprise commune en vue d'exploiter le
bac porte-trains et l'appelante Q et O et l'intimée I ont convenu
par contrat avec l'intimée CP d'exploiter ce bac porte-trains
pour CP. Toutes les parties reconnaissent qu'il faut considérer
que les contrats font partie d'un projet global d'entreprise dans
laquelle elles avaient toutes un intérêt. Les intimées réclament
des dommages-intérêts pour défaut de s'acquitter d'obligations
dans les délais stipulés. Les appelantes soutiennent que l'objet
du contrat était situé strictement dans la province de Québec et
constituait donc une entreprise locale. Les appelantes allèguent
de plus qu'il ne s'agissait pas d'un cas d'extension d'une ligne
de chemin de fer, mais du prolongement du chemin de fer par
une ligne maritime, de caractère purement local, et demandent
la radiation de la déclaration pour défaut de compétence. La
Division de première instance a conclu à la compétence de la
Cour et rejeté la requête. Les appelantes interjettent appel.
Arrêt: l'appel est rejeté, la Cour a compétence. Les articles
de l'accord et les contrats subsidiaires d'entreprise commune et
d'exploitation du navire, considérés comme un tout, constituent
l'objet de l'action. L'obligation de QNS et de Q et O de
construire une gare maritime et des installations connexes et de
faire en sorte qu'elles puissent être utilisées dès le 15 mai 1975,
ne constitue pas un accord distinct. Elle fait partie de la cause
ou contrepartie de l'obligation de CP de transporter le papier-
journal de QNS, à partir du chargement sur le bac porte-trains
à Baie -Comeau, jusqu'à New York et Chicago, et de l'obliga-
tion de I de construire et d'exploiter une gare à Québec
conformément au contrat d'entreprise commune. Le but final
est le transport de papier-journal par CP de Baie -Comeau à
New York et Chicago, au moyen du bac porte-trains entre
Baie -Comeau et la ville de Québec et de l'entreprise extra-pro-
vinciale de chemin de fer de CP, au-delà de Québec. En ce qui
concerne CP, les articles de l'accord forment un contrat à long
terme de transport international de marchandises, devant être
exécuté partiellement par son entreprise de chemin de fer
extra-provinciale. Un tel contrat constitue une partie essentielle
de l'exploitation d'une telle entreprise et, à ce titre, relève de la
compétence législative exclusive du Parlement—une matière
relevant de la catégorie «ouvrages et entreprises reliant une
province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une
province.»
Et le juge Thurlow: Les contrats conclus entre I et CP, I et
QNS et I et Q et O sont tous incidents et nécessaires à la bonne
exécution du but essentiel visé par les contrats et peuvent donc
être considérés comme des matières tombant dans la catégorie,
etc., à titre d'éléments incidents et nécessaires à l'exécution
d'obligations contractuelles qui elles-mêmes relèvent de la caté-
gorie «ouvrages et entreprises ...» , etc.
Distinction faite avec les arrêts: Renvoi relatif à la validité
de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes
visant les différends du travail [1955] R.C.S. 529 et
Toronto c. Bell Canada [1905] A.C. 52. Arrêt appliqué:
Commission du Salaire Minimum c. Bell Canada [1966]
R.C.S. 767.
APPEL.
AVOCATS:
P. M. Laing, c.r., et G. Nesbitt pour les
appelantes.
C. R. O. Munro, c.r., pour les intimées.
PROCUREURS:
Laing, Weldon, Courtois, Clarkson, Parsons
& Tétrault, Montréal, pour les appelantes.
Les Services juridiques du Canadien Pacifi-
que pour les intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE THURLOW: Pour les motifs prononcés
par Monsieur le juge Le Dain, je souscris à son
opinion selon laquelle, d'après les faits de l'espèce,
la Cour a compétence pour entendre la demande
de Canadien Pacifique Limitée contre les deux
défenderesses pour inexécution du contrat. J'es-
time que Canadien Pacifique Limitée a conclu ce
contrat dans le cadre de l'exploitation de son
réseau ferroviaire actuel et qu'il s'agit donc d'une
matière tombant dans la catégorie des ouvrages et
entreprises reliant une province à une autre ou
s'étendant au-delà des limites d'une province, au
sens de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale.
J'ai eu plus de difficulté à comprendre de quelle
façon l'action en dommages-intérêts de Incan
Ships Limited pour des dommages résultant de la
violation, du même contrat, et son action en annu-
lation dudit contrat constituent une demande de
redressement relative à une matière tombant dans
la même catégorie de sujets. Je ne vois pas com
ment les obligations contractuelles et les droits de
Incan correspondent à cette description. Toutefois,
on peut considérer que les contrats conclus entre
Incan et Canadien Pacifique, Incan et Quebec
North Shore Paper Company et Incan et Quebec
and Ontario Transportation Company Limited
sont incidents et nécessaires à la bonne exécution
du but essentiel visé par les contrats, c'est-à-dire,
le transport de papier-journal de Baie -Comeau à
New York et à Chicago, au-delà des frontières
provinciales et internationales. C'est pourquoi j'es-
time qu'ils peuvent être considérés comme des
matières tombant dans la catégorie des ouvrages et
entreprises, etc., à titre d'éléments incidents et
nécessaires à l'exécution d'obligations contractuel-
les qui elles-mêmes relèvent de la catégorie, ouvra-
ges et entreprises, etc. Compte tenu des jugements
de la Cour suprême dans les arrêts Stevedoring',
Commission du Salaire Minimum c. Bell Canada 2
et Kootenay and Elk Railway Co. c. Le Canadien
Pacifique', il me semble qu'il s'agit de la meilleure
interprétation. J'accorde une importance particu-
lière au fait qu'en vertu des contrats, Incan et
Quebec and Ontario Transportation Company doi-
vent effectuer pour et au nom de Canadien Pacifi-
que une partie du transport international du
papier-journal que Canadien Pacifique a convenu
avec Quebec North Shore Paper Company d'ache-
miner de Baie -Comeau à New York et Chicago. Je
souscris donc au rejet de l'appel.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Appel est interjeté d'un
jugement de la Division de première instance 4
rejetant une requête visant la radiation de la décla-
[1955] R.C.S. 529.
2 [1966] R.C.S. 767.
3 [1974] R.C.S. 955.
4 [1976] 1 C.F. 405.
ration et le rejet de l'action pour défaut de
compétence.
Il s'agit d'une action pour inexécution d'un con-
trat; les intimées réclament des dommages-intérêts
totalisant $35,987,385 et une décision judiciaire
annulant les contrats. Les trois contrats en cause
sont: le contrat principal, en date du 22 janvier
1974, ou «articles de l'accord», et deux contrats
accessoires, datés du 13 février 1974 et du 26 mars
1974, appelés respectivement «contrat d'entreprise
commune» et «contrat d'exploitation du navire». Il
est admis que ces contrats doivent être considérés
comme faisant partie d'un seul projet global d'en-
treprise dans lequel toutes les parties ont un
intérêt.
Le projet est décrit au préambule des Articles de
l'accord comme suit:
Les articles suivants consistent dans une entente relative à
l'exploitation de bacs porte-trains pour transporter du papier-
journal de Quebec North Shore Paper Company, entre Baie -
Comeau, (Québec) et la ville de Québec, devant être acheminé
à New York (État de New York) et Chicago (État de l'Illinois)
et autres destinations, et pour le transport de marchandises
diverses en provenance et à destination d'endroits situés sur la
rive nord du Saint-Laurent; leur but est de définir les obliga
tions et responsabilités de Quebec North Shore Paper Com
pany, Canadien Pacifique Limitée, Quebec & Ontario Trans
portation Company, Limited et Inean Ships Limited, dans la
mise en œuvre de ce projet.
Les contrats prévoient l'exploitation d'une forme
particulière de transport maritime consistant en un
automoteur transporteur de wagons (appelé «bac
porte-trains») pouvant transporter 26 wagons con-
tenant du papier-journal et effectuer annuellement
175 voyages aller retour entre Baie -Comeau et la
ville de Québec, la construction et l'exploitation de
gares maritimes à Baie -Comeau et à Québec, et le
transport direct par Canadien Pacifique Limitée
(ci-après appelée «CP») du papier-journal de
Quebec North Shore Paper Company (ci-après
appelée «QNS»), à partir du chargement sur le bac
porte-trains à Baie -Comeau jusqu'à New York et
Chicago, en utilisant le bac porte-trains de Baie -
Comeau à Québec, puis le réseau ferroviaire du
CP et de ses transporteurs correspondants.
Le bac porte-trains devait appartenir à une
entreprise commune formée de Quebec and
Ontario Transportation Company (ci-après appe-
lée «Q&O») et Incan Ships Limited (ci-après appe-
lée «Incan»), chargée de son exploitation.
QNS ou Q&O devait construire et exploiter la
gare de Baie -Comeau et en être le propriétaire, de
même que Incan devait construire et exploiter la
gare de la ville de Québec et en être le proprié-
taire. Les obligations de QNS ou de Q&O à cet
égard et sur lesquelles porte la présente action en
inexécution du contrat, sont stipulées à la clause
6.02 des articles de l'accord que voici:
[TRADUCTION] Q&O ou QNS achètera ou louera les terrains
nécessaires et construira et exploitera une gare maritime à
l'usage d'un bac porte-trains, apportera les modifications néces-
saires aux entrepôts et aux installations destinées à diverses
marchandises de transit à Baie -Comeau, ces installations
devant être disponibles le 15 mai 1975.
En ce qui concerne l'engagement de CP de
transporter le papier-journal de QNS, la clause
4.01 des Articles de l'accord précise ce qui suit:
CP s'engage à et accepte de transporter un minimum de
310,000 tonnes de papier-journal, expédié par QNS à partir de
leur chargement sur le bac porte-trains à Baie -Comeau aux
salles de presse du New York News à Manhattan et Brooklyn,
à New , York, et à la voie de service du Chicago Tribune à
Chicago, chaque année, pendant une période de 15 ans à
compter de la date d'entrée en vigueur, sous réserve des disposi
tions du paragraphe 7.02, des articles 10 et 11.01 des présentes.
CP s'engage aussi à transporter des marchandises diverses en
provenance et à destination d'endroits situés sur la rive nord du
fleuve, pendant la même période.
Le contrat fixe les tarifs de transport direct
payables par QNS à CP pour le transport de
papier-journal de Baie -Comeau à New York et
Chicago. Ces tarifs doivent être compétitifs en
matière de transport par eau et sont sujets à
l'approbation des organismes compétents investis
de pouvoirs de réglementation. Le contrat fixe
aussi le montant devant être versé par CP à l'en-
treprise commune pour sa participation dans le
transport direct; cette somme est divisée en plu-
sieurs parts imputées à la gare de Baie -Comeau, à
l'exploitation du bac porte-trains et à la gare de la
ville de Québec.
L'entreprise commune s'engage à louer les
wagons nécessaires à l'acheminement de papier-
journal, [TRADUCTION] «en nombre suffisant pour
transporter d'une manière efficace 310,000 tonnes
de papier-journal par année de Baie -Comeau à
New York ou à Chicago». Le coût pour l'entreprise
commune de la location de ces wagons doit être
défrayé par QNS jusqu'à concurrence d'un mon-
tant maximum déterminé; tout coût en sus de ce
montant doit être remboursé à l'entreprise com
mune par CP.
En ce qui concerne les relations entre l'entre-
prise commune et CP, voici ce que prévoit le
contrat d'exploitation de navires, aux clauses 1
et 3:
1. Par les présentes, le CP retient les services de Q&O et Incan
dans le cadre d'une entreprise commune, pour le transport de
papier-journal de Baie -Comeau à Québec, devant être ache-
miné vers New York et Chicago et le transport de marchandi-
ses diverses par le bac porte-trains comme prolongement du
réseau ferroviaire de CP, et ce, conformément aux articles
d'accord et selon leurs dispositions; Q&O et Incan acceptent
d'exploiter le bac porte-trains pour et au nom du CP conformé-
ment aux articles d'accord et selon leurs dispositions.
3. Le CP fera une offre pour tout papier-journal et marchandi-
ses expédiés par le bac porte-trains et leur transport se fera sous
un connaissement direct normalisé du CP.
Dans leur action, les intimées allèguent qu'elles
ont respecté leurs obligations en vertu des articles
de l'accord, mais que les appelantes ont omis de
s'acquitter de leur obligation de construire une
gare maritime à Baie -Comeau et que leur retard a
rendu impossible l'exécution de cette obligation.
CP réclame la perte des profits qu'elle aurait
réalisés pendant la durée du contrat et la perte
relative aux autres arrangements rendus nécessai-
res par le contrat. Incan réclame le montant des
dépenses engagées dans la construction d'une gare
à Québec, la location de wagons, l'achat d'un bac
porte-trains et les pertes de profit qu'elle aurait
réalisés pendant la durée du contrat. Les appelan-
tes concluent de plus que les contrats doivent être
annulés, déclarés non avenus et résolus à toutes
fins que de droit.
Il s'agit dans cet appel de déterminer si la Cour
fédérale du Canada a compétence pour entendre
l'action en vertu de l'article 23 de la Loi sur la
Cour fédérale qui se lit comme suit:
23. La Division de première instance a compétence concur-
rente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans
tous les cas où une demande de redressement est faite en vertu
d'une loi du Parlement du Canada ou autrement, en matière de
lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est
partie aux procédures, d'aéronautique ou d'ouvrages et entre-
prises reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà
des limites d'une province, sauf dans la mesure où cette compé-
tence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
Il s'agit donc de trancher la question de savoir si
la demande de redressement en l'espèce se rattache
à une matière tombant dans la catégorie des
«ouvrages et entreprises reliant une province à une
autre ou s'étendant au-delà des limites d'une
province».
Les termes «en matière de» (matter coming
within any following class of subjects) à l'article
23 semblent correspondre au sens de l'expression
«matières tombant dans les catégories de sujet»
(Matters coming within the Classes of Subjects)
employée aux articles 91 et 92 de l'Acte de l'Amé-
rique du Nord britannique et devoir être interpré-
tés dans la même optique. La version française de
cette expression, à l'article 23 de la Loi sur la
Cour fédérale,—«en matière de»—n'est pas con-
forme à la version française des termes correspon-
dants à l'Acte de l'A.N.B.—«matières tombant
dans les catégories de sujets»—mais je ne pense
pas que l'on doive accorder une importance parti-
culière à cette différence. Il est raisonnable de
conclure que l'article 23 prévoit que, lorsque le
Parlement a compétence pour légiférer relative-
ment à une matière parce qu'elle tombe dans les
catégories de sujets énumérées à l'article 92(10)a)
de l'Acte de l'A.N.B.—«Lignes de bateaux à
vapeur ou autres bâtiments, chemins de fer,
canaux, télégraphes et autres travaux et entrepri-
ses reliant la province à une autre province ou à
d'autres provinces, ou s'étendant au-delà des limi-
tes de la province»—cette cour a compétence pour
examiner une demande de redressement se rappor-
tant à cette matière.
La demande de redressement doit être faite en
vertu d'une loi du Parlement du Canada «ou autre-
ment». A mon avis, les termes «ou autrement»
signifient toute autre loi faisant partie des «lois du
Canada» au sens de l'article 101 de l'Acte de
l'A.N.B., seule disposition conférant au Parlement
la compétence législative pour donner à la Cour la
compétence pour administrer les lois du Canada.
Cette restriction apparaît à l'article 3 de la Loi sur
la Cour fédérale, qui qualifie la Cour de «tribunal
supplémentaire pour la bonne application du droit
du Canada» et à l'article 2 de la Loi, qui stipule
que «`droit du Canada' a le sens donné à l'expres-
sion `loi du Canada' à - l'article 101 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867.» L'expres-
sion «lois du Canada», au sens de l'article 101 de
l'Acte de l'A.N.B., comprend non seulement les
lois fédérales existantes mais aussi toutes lois que
le Parlement peut validement édicter, modifier ou
abroger. Consolidated Distilleries Limited c. Le
Roi [1933] A.C. 508. Dans cet arrêt, l'intimée ne
fondait pas sa demande de redressement sur une
loi fédérale mais sur le droit civil des obligations
du Québec. Les contrats litigieux prévoyaient tous
qu'on devait les interpréter et les analyser, de
même que toute controverse soulevée à leur égard,
conformément aux lois de la province du Québec.
Dans la mesure où le droit civil du Québec s'appli-
que à une matière tombant sous la compétence
législative fédérale à l'égard d'une entreprise
extra-provinciale aux termes de l'article 92(10)a)
de l'Acte de l'A.N.B., il fait partie des lois du
Canada au sens de l'article 101 de l'Acte de
l'A.N.B., car le Parlement du Canada pourrait
l'édicter, le modifier ou l'abroger. En d'autres
termes, le Parlement peut légiférer en matière de
contrats dans les domaines relevant de sa compé-
tence à l'égard de ces entreprises. Laskin, Canadi-
an Constitutional Law, 4e édition révisée, 1975, à
la page 793.
A mon avis, ce sont les articles de l'accord et les
contrats subsidiaires d'entreprise commune et
d'exploitation du navire, considérés comme un
tout, qui constituent le sujet de la demande de
redressement ou l'objet de la présente action. Les
intimées fondent leur demande en dommages-
intérêts sur ces contrats dont elles réclament en
outre l'annulation. L'obligation de QNS et de
Q&O de construire une gare maritime et des
installations connexes à Baie -Comeau et de faire
en sorte qu'elles puissent être utilisées dès le 15
mai 1975, ne constitue pas un accord distinct ni
divisible. Elle fait partie de la cause ou contrepar-
tie de l'obligation de CP de transporter le papier-
journal de QNS, à partir du chargement sur le bac
porte-trains à Baie -Comeau, jusqu'à New York et
Chicago, et de l'obligation de Incan de construire
une gare à Québec et d'exploiter un bac porte-
trains conformément au contrat d'entreprise com
mune. Les dommages-intérêts réclamés par les
intimées comprennent les dépenses engagées pour
exécuter leurs obligations en vertu de ces contrats
et les pertes de profit qu'elles auraient réalisés
pendant la durée des articles de l'accord.
Il s'agit donc maintenant de déterminer si les
articles de l'accord et les contrats connexes relè-
vent de la catégorie des «ouvrages et entreprises
reliant une province à une autre ou s'étendant
au-delà des limites d'une province». Les contrats
portent-ils sur une entreprise au sens de l'article 23
de manière à donner compétence à la Cour?
A ce sujet, les appelantes soutiennent essentiel-
lement que la gare maritime et les installations
connexes devant être construites et exploitées à
Baie -Comeau n'auraient pas fait partie d'une
entreprise du genre de celle envisagée à l'article
23. Elles prétendent que la gare n'aurait pas fait
partie intégrante de l'entreprise de transport par
bac porte-trains et encore moins de l'entreprise de
CP et que la gare était comparable à un entrepôt.
Elles affirment que les entrepôts de l'expéditeur ne
peuvent être considérés comme faisant partie de
l'entreprise de transport qui doit transporter ses
marchandises. Les appelantes soutiennent en outre
qu'un simple lien physique ne suffit pas pour
qu'une entreprise locale forme une partie inté-
grante d'une entreprise extra-provinciale, il faut
que cette dernière possède ou exploite ladite entre-
prise locale. On a invoqué les arrêts La Cité de
Montréal c. La Compagnie de tramways de Mont-
réal [1912] A.C. 333; Luscar Collieries, Limited
c. McDonald [1927] A.C. 925; The British
Columbia Electric Railway Company Limited c.
La Compagnie des chemins de fer nationaux du
Canada [1932] R.C.S. 161; Kootenay and Elk
Railway Co. c. Le Canadien Pacifique [1974]
R.C.S. 955. Selon les allégations des appelantes,
l'existence d'un lien contractuel en vertu duquel les
exploitants de l'entreprise locale doivent exécuter,
à titre d'entrepreneurs indépendants, un rôle
nécessaire au fonctionnement du service que les
exploitants de l'entreprise extra-provinciale se sont
engagés à fournir, ne suffirait pas. Une distinction
fut établie à l'égard de l'arrêt Stevedoring, 5 relatif
à des entreprises de marine marchande et d'arri-
mage exploitées par des compagnies différentes, au
motif que la décision dans cette affaire était
fondée sur une compétence fédérale en matière de
navigation et de marine marchande plutôt que sur
la compétence conférée à l'égard d'entreprises au
sens de l'article 92(10)a) de l'Acte de l'A.N.B.
Renvoi relatif à la validité de la Loi sur les relations
industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail
[1955] R.C.S. 529.
Les appelantes prétendent aussi qu'en ce qui
concerne du moins la gare de Baie -Comeau et le
bac porte-trains, il n'existait pas encore d'entre-
prise, ni en fait ni en droit. Une distinction fut
établie avec l'arrêt Toronto Corporation c. Bell
Canada [1905] A.C. 52, au motif que dans cette
affaire, la compagnie avait été constituée en vertu
d'une loi fédérale lui donnant le pouvoir d'établir
et d'exploiter une entreprise inter-provinciale. Il
s'agissait du problème de l'ingérence d'une auto-
rité provinciale ou municipale dans l'établissement
d'une entreprise que le Parlement avait autorisée
en vertu de sa compétence législative conférée par
les articles 92(10)a) et 91(29) de l'Acte de
l'A.N.B. En l'espèce, il ne s'agit que d'un contrat,
qui crée l'obligation d'établir une entreprise, sans
comporter le pouvoir statutaire de le faire. Pour
que la Cour soit compétente en vertu de l'article
23 de la Loi sur la Cour fédérale, on a prétendu
que la demande de redressement devait se rappor-
ter à une entreprise extra-provinciale existante.
En revanche, les intimées affirment qu'un con-
trat relatif au transport inter-provincial ou interna
tional de marchandises suffit en lui-même à attri-
buer une compétence législative au Parlement et,
qu'en conséquence, la Cour fédérale a compétence.
Elles prétendent qu'aucune législature provinciale
ne peut légiférer à l'égard d'un tel contrat et que,
puisque ce dernier tombe sous la compétence légis-
lative fédérale, cette cour a compétence pour
entendre une action en vue d'en obtenir l'exécu-
tion. Cet argument revient à dire qu'aux fins de
l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale, les
articles de l'accord et les contrats accessoires pré-
voient en fait l'établissement et l'exploitation d'un
service de transport international qui constitue une
entreprise au sens de cet article. De toute évidence,
il faut établir une distinction entre un contrat de
transport et l'entreprise de transport qui en assure
l'exécution.
Compte tenu des conclusions auxquelles je suis
parvenu sur la nature des articles de l'accord et des
contrats accessoires, en ce qui concerne l'entreprise
de chemins de fer extra-provinciale de CP, je
n'estime pas nécessaire de traiter de tous les argu
ments avancés par les appelantes et les intimées.
Il ne fait aucun doute que les contrats ont
plusieurs aspects. Ils visent essentiellement à éta-
blir un service de bac porte-trains entre Baie -
Comeau et la ville de Québec et à installer des
gares maritimes à chacun de ces endroits. Cepen-
dant, leur but final est le transport de papier-jour
nal par CP de Baie -Comeau à New York et Chi-
cago, au moyen du bac porte-trains entre
Baie -Comeau et la ville de Québec et de l'entre-
prise extra-provinciale de chemin de fer de CP
au-delà de Québec. Les appelantes admettent que
l'entreprise extra-provinciale de chemin de fer de
CP est nécessairement impliquée et déclarent dans
leur exposé de faits et de droit:
[TRADUCTION] Indubitablement, l'intimée Canadien Pacifi-
que relie par son réseau ferroviaire deux et plusieurs provinces,
s'étend au-delà des limites de la province de Québec et consti-
tue une entreprise au sens de l'article 23 de la Loi sur la Cour
fédérale et de l'article 92(10)a) de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique.
Donc, en ce qui concerne CP, les articles de
l'accord forment un contrat à long terme de trans
port international de marchandises, devant être
exécuté partiellement par son entreprise de chemin
de fer extra-provinciale. Un tel contrat constitue
une partie essentielle de l'exploitation d'une telle
entreprise et à ce titre relève de la compétence
législative exclusive du Parlement selon le critère
établi dans l'arrêt Commission du Salaire Mini
mum c. Bell Canada [1966] R.C.S. 767. Il s'agit
donc d'une matière relevant de la catégorie «ouvra-
ges et entreprises reliant une province à une autre
ou s'étendant au-delà des limites d'une province»
au sens de l'article 23 de la Loi sur la Cour
fédérale. En conséquence, la Cour a compétence
pour entendre cette action. Je rejetterais l'appel
avec dépens.
* * *
LE JUGE RYAN: J'y souscris.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.