T-1116-78
Henri Lemyre (Demandeur)
c.
Le sergent Jacques Trudel et le commissaire de la
Gendarmerie royale du Canada (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Marceau—
Montréal le 17 avril; Ottawa, le 16 mai 1978.
Brefs de prérogative — Mandamus — Permis d'armes à feu
— Arme à autorisation restreinte devenue «prohibée» par suite
de l'entrée en vigueur d'un article modifiant le Code criminel
-- Demande visant l'obtention d'un permis encore à l'étude à
la date de l'entrée en vigueur de la modification, bien que
présentée avant — Un bref de mandamus peut-il être décerné
pour forcer l'émission du permis conformément à la loi en
vigueur au moment de la présentation de la demande? — Code
criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 82(1) dans sa forme
modifiée par S.C. 1976-77, c. 53, art. 3 — Loi d'interpréta-
tion, S.R.C. 1970, c. 1-23, art. 35.
Une demande d'enregistrement d'une arme à autorisation
restreinte présentée en novembre 1977, n'avait pas encore, au
P' janvier 1978, été approuvée. Or, aux termes d'une nouvelle
loi en vigueur à cette date, ce type d'arme devenait prohibé sauf
les armes faisant partie de la collection d'un véritable collec-
tionneur d'armes à feu et enregistrées avant la date d'entrée en
vigueur de l'article. La demande en cause vise l'émission d'un
bref de mandamus qui enjoindrait au commissaire de la Gen-
darmerie royale du Canada et au registraire local d'armes à feu
d'émettre au demandeur-requérant, un collectionneur d'armes à
feu, un permis de possession et un permis de transport d'une
arme automatique.
Arrêt: la demande est rejetée. Le demandeur-requérant ne
peut prétendre avoir un droit acquis à la possession de son
arme, puisque cette possession, sans permis et certificat, était
tout simplement prohibée. Ce n'est pas là un droit positif qui
existe en lui-même et auquel sont attachées des prérogatives
définies. La demande exigeait seulement du Commissaire qu'il
exerce ce pouvoir que la Loi lui donnait de délivrer un certifi-
cat; elle n'a plus d'objet à compter du moment où le pouvoir
d'émettre le certificat n'existe plus. La demande en elle-même
ne saurait maintenir dans la personne du Commissaire un
pouvoir qui ne saurait venir que de la Loi.
Arrêts appliqués: City of Toronto c. Trustees of the
Roman Catholic Separate Schools of Toronto [1926]
A.C. 81; Canadian Petrofina Ltd. c. P. R. Martin & City
of St. Lambert [1959] R.C.S. 453.
DEMANDE.
AVOCATS:
Henri Lemyre en son nom personnel.
S. Marcoux-Paquette pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Henri Lemyre, Saint-Chrysostome, en son
nom personnel.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU: II s'agit d'une requête pour
l'émission d'un bref de mandamus enjoignant au
commissaire de la Gendarmerie royale du Canada
(ci-après le Commissaire) et au registraire local
d'armes à feu pour la province de Québec (ci-après
le Registraire local) d'émettre en faveur du
demandeur-requérant un permis de possession et
un permis de transport d'une arme automatique de
type Walther MPL calibre 9 mm.
Un très rapide rappel des lignes directrices de la
législation relative à la possession d'armes à feu en
autant qu'elles sont pertinentes au problème sou-
levé permettra de situer les faits dans leur contexte
juridique et de faire ressortir plus spontanément le
problème mis en cause.
La possession d'armes offensives est réglemen-
tée, comme chacun sait, par le Code criminel
(S.R.C. 1970, cc. C-34, C-35 tels qu'amendés),
articles 82 à 106. Ces articles ont tous été profon-
dément remaniés par une loi toute récente sanc-
tionnée le 5 août 1977 et entrée en vigueur le 1"
janvier 1978 (S.C. 1976-77, c. 53). Il n'est pas
nécessaire pour notre propos de s'employer à
rendre compte de tous les textes. Ce qu'il faut
savoir c'est qu'on retrouve dans les deux législa-
tions la même distinction de base et les mêmes
techniques de réglementation. Certaines armes
sont dites «prohibées», d'autres «à autorisation res-
treinte». Commet en principe une offense crimi-
nelle celui qui a en sa possession une arme prohi-
bée de même que celui qui a en sa possession une
arme à autorisation restreinte s'il n'est détenteur
d'un permis et d'un certificat d'enregistrement. La
demande de permis et d'enregistrement d'une
arme à autorisation restreinte se fait à un Regis-
traire local qui a pouvoir d'émettre lui-même un
permis à fin limitée et temporaire mais doit référer
le tout au Commissaire qui est seul chargé de
l'émission des certificats d'enregistrement. Si les
deux législations présentent ainsi la même struc
ture de base, elles diffèrent profondément quant à
leurs modalités et leur contenu. La nouvelle légis-
lation a voulu introduire une réglementation plus
stricte et a notamment étendu la catégorie des
armes prohibées. Certaines armes autrefois à auto-
risation restreinte sont à l'avenir prohibées. Ainsi
en est-il de toutes celles «pouvant tirer rapidement
plusieurs balles pendant la durée d'une pression
sur la détente» à moins que, lors de l'entrée en
vigueur de la Loi, l'arme «était enregistrée comme
arme à autorisation restreinte et faisait partie de la
collection, au Canada, d'un véritable collection-
neur d'armes à feu> (article 82(1)). L'arme dont il
s'agit dans les présentes procédures est, on l'a
deviné, l'une de celles qui sont ainsi devenues
prohibées le lei janvier 1978.
Les faits sont simples et les prétentions respecti-
ves des parties faciles à situer. Les faits invoqués
par le demandeur-requérant qu'il faut retenir sont
les suivants. Il est un collectionneur d'armes à feu.
Le 14 novembre 1977, après avoir acheté l'arme
ci-haut décrite d'un marchand, il a adressé au
Registraire local une demande d'enregistrement
lui permettant d'en prendre et d'en garder posses
sion. Le 4 décembre, il a reçu une lettre du Regis-
traire local lui indiquant que sa demande était sous
étude; ce n'est toutefois que le 3 mars suivant que
par une lettre du Commissaire il apprit que sa
demande avait été transmise à Ottawa le 30
décembre seulement avec mention «non recom-
mandé», que le permis n'avait en conséquence pu
être émis avant janvier et que depuis janvier tels
permis et enregistrement n'étaient plus possibles.
Ces faits, dit le demandeur-requérant, témoignent
clairement de son droit au remède demandé. Il
soutient que le 14 novembre 1977, l'arme dont il
demandait l'enregistrement n'était qu'une arme à
autorisation restreinte; que le Registraire local
n'avait aucune raison de ne pas viser sa demande
sans délai et surtout de ne pas la transmettre au
Commissaire avec une recommandation favorable,
puisque aucun fait personnel ne pouvait lui être
reproché; qu'il remplissait toutes les exigences
requises pour l'obtention des permis et que la mise
en vigueur de la nouvelle Loi ne saurait lui faire
perdre son droit.
Les défendeurs-intimés ne contestent pas les
faits invoqués par le demandeur-requérant; tout au
plus les situent-ils quant à eux. Le Registraire
local s'est en effet employé à expliquer, par affida-
vit, que sur réception de la demande il avait jugé à
propos de requérir l'avis du conseiller juridique de
la Sûreté du Québec, parce que depuis 1936 aucun
certificat d'enregistrement d'une arme de ce genre
n'avait été émis à un particulier; qu'il avait fait
rapport au Commissaire en date du 21 décembre
des motifs pour lesquels il jugeait que la demande
ne devait pas être accordée; que ce rapport, visant
à satisfaire aux exigences de l'article 98(3) du
Code criminel alors en vigueur, avait été transmis
par lui dès qu'il eut pris une décision quant au
genre de recommandation à faire et sans d'aucune
manière chercher à retarder indûment l'étude du
dossier. Les défendeurs-intimés plaident toutefois
que la requête en mandamus signifiée le 15 mars
1978 est irrecevable parce que depuis janvier ils
n'ont plus le pouvoir d'accorder le permis et
d'émettre le certificat que le demandeur-requérant
a sollicités.
Il s'agit, on le voit, d'un problème de conflit de
Loi dans le temps qui met en cause l'article 35 de
la Loi d'interprétation (S.R.C. 1970, c. 1-23) et
spécialement son alinéa c) qu'il est bon de
rappeler:
35. Lorsqu'un texte législatif est abrogé en tout ou en partie,
l'abrogation
c) n'a pas d'effet sur quelque droit, privilège, obligation ou
responsabilité acquis, né, naissant ou encouru sous le régime
du texte législatif ainsi abrogé;
Le principe du maintien des droits acquis, ou de
non-rétroactivité des lois, sanctionné par cet article
35 se comprend aisément mais les difficultés d'ap-
plication qu'il soulève sont bien connues. Les seuls
éléments de solution que les parties ont pu me
suggérer à l'audition (seuls les défendeurs-intimés
étaient représentés par procureur) furent ceux tirés
de la jurisprudence relative aux demandes de
permis de construction en vertu des règlements
municipaux de zonage (City of Toronto c. Trus
tees of the Roman Catholic Separate Schools of
Toronto ([1926] A.C. 81); Canadian Petrofina
Limited c. P. R. Martin & City of St. Lambert
([1959] R.C.S. 453)). Il est aujourd'hui définitive-
ment établi qu'un propriétaire n'a pas de droit
acquis à ce que sa demande d'un permis de cons
truction soit considérée en vertu du seul règlement
existant au moment où celle-ci a été soumise, et la
délivrance du permis restera sujette aux restric
tions nouvelles imposées de bonne foi par modifi-
cation ultérieure du règlement; seule la délivrance
effective du permis investira le propriétaire du
droit définitif d'utiliser son immeuble selon l'auto-
risation accordée, son droit auparavant n'étant
qu'un droit incertain soumis au pouvoir de la
municipalité d'en déterminer les conditions d'exer-
cice. Cette jurisprudence, il est vrai, est ici d'appli-
cation fort malaisée, le Commissaire et le Regis-
traire local n'ayant jamais été investis du pouvoir
de déterminer les conditions de délivrance du
permis et du certificat. Ma conclusion néanmoins
est la même pour le motif que voici.
Le demandeur-requérant ne peut évidemment
prétendre avoir un droit acquis à la possession de
son arme, puisque cette possession, sans permis et
certificat, était tout simplement prohibée. Ce qu'il
prétend c'est d'avoir un droit acquis au certificat.
Mais ce n'est pas là un droit au sens plein du
terme, un droit positif qui existe en lui-même et
auquel sont attachées des prérogatives — définies. La
demande soumise au Registraire local n'avait pas
pour objet l'exercice d'un droit, droit qui pouvait
par une simple demande visant à le faire reconnaî-
tre se fixer définitivement dans le patrimoine du
demandeur-requérant. C'était uniquement une
demande exigeant du Commissaire qu'il exerce ce
pouvoir que la Loi lui donnait de délivrer un
certificat. Une telle demande n'a plus d'objet à
compter du moment où le pouvoir d'émettre le
certificat n'existe plus, car la demande en elle-
même ne saurait maintenir dans la personne du
Commissaire un pouvoir qui ne saurait venir que
de la Loi. Je ne puis voir comment, après le ler
janvier, le demandeur-requérant ait pu conserver
la possibilité de forcer le Commissaire à exercer un
pouvoir qu'il n'a plus. Il convient de le répéter: il
ne s'agit pas ici d'une action visant à la reconnais
sance d'un droit, il s'agit d'une action visant à
forcer l'exercice par un officier public d'un devoir
ou d'un pouvoir que la Loi lui a assigné un certain
temps mais lui a depuis définitivement retiré.
A mon avis, la requête ne saurait être reçue et
elle devra être rejetée. Étant donné les circons-
tances cependant, elle le sera sans frais.
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