A-500-77
Le comité de discipline de l'institution de 1VMatsqui
(Appelant)
c.
Robert Thomas Martineau (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Heald et le juge suppléant Kelly—Vancouver, le
17 mars 1978.
Compétence — Brefs de prérogative — La Division de
première instance a conclu qu'elle avait compétence pour
connaître de la demande de certiorari présentée par le comité
appelant en matière de déclarations de culpabilité — La Cour
suprême du Canada, dans le cadre d'autres procédures, a jugé
que ces déclarations étaient des décisions de nature adminis
trative — La Division de première instance a-t-elle compé-
tence pour connaître de la demande de certiorari en cause? —
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 18,
28 — Règle 474(1)a) de la Cour fédérale.
Appel est formé contre un jugement de la Division de
première instance rendu sur une demande introduite en vertu
de la Règle 474(1)a). Les procédures ont été engagées par voie
d'un avis introductif de requête visant l'obtention d'un redresse-
ment sous forme d'un bref de certiorari mais, par suite d'un
accord entre les parties, seule la question de la compétence a
été examinée puisque ladite requête a pris la forme d'une
demande introduite en vertu de la Règle 474(1)a). La Cour
suprême du Canada, dans le cadre de procédures antérieures, a
conclu que les déclarations de culpabilité auxquelles se rappor-
tait l'avis introductif de requête étaient des décisions de nature
administrative qui n'étaient pas légalement soumises à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire.
Arrêt: l'appel est accueilli. Puisque les déclarations de culpa-
bilité sont des décisions de nature administrative qui ne sont pas
légalement soumises à un processus judiciaire ou quasi judi-
ciaire, il s'ensuit qu'elles ne peuvent être attaquées en vertu de
l'article 18 par voie d'un bref de certiorari ou d'un redresse-
ment de la nature de celui qu'envisage un tel bref. Le bref de
certiorari ne continue de s'appliquer que lorsque la décision
attaquée est soit de nature judiciaire soit soumise à un proces-
sus judiciaire ou quasi judiciaire.
Arrêt appliqué: Martineau et Butters c. Le Comité de
discipline des détenus de l'Institution de Matsqui [ 1978] 1
R.C.S. 118.
APPEL.
AVOCATS:
J. R. Haig pour l'appelant.
John W. Conroy pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelant.
Abbotsford Community Legal Services,
Abbotsford, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement de la Cour prononcés à l'audience
par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Appel est formé
contre un jugement de la Division de première
instance [[1978] 1 C.F. 312] rendu sur une
demande introduite en vertu de la Règle
474(1)a).'
Les procédures ont été engagées en Division de
première instance par voie d'un avis introductif de
requête visant l'obtention d'un redressement sous
forme d'un bref de certiorari. La requête présen-
tée, seule la question de la compétence de la
Division de première instance a été examinée puis-
que, de l'accord des parties, ladite requête a pris la
forme d'«une demande introduite en vertu de la
Règle 474(1)a)». Après avoir différé son jugement
sur la question, la Division de première instance a
conclu qu'elle était compétente pour accorder le
redressement recherché. Appel est formé contre
cette décision.
L'avis introductif de requête fait état des «décla-
rations de culpabilité» qui ont fait l'objet d'une
demande introduite devant cette cour en vertu de
l'article 28. La Cour suprême du Canada 2 , saisie
de l'affaire, a conclu que la présente cour n'était
pas compétente en vertu de cet article: aux termes
de l'arrêt de la Cour suprême, les «déclarations de
culpabilité» étaient des décisions de nature admi
nistrative qui «n'[étaient] pas légalement soumises
à un processus judiciaire ou quasi judiciaire» au
sens de l'article 28.
A notre avis, il découle de cette décision que les
«déclarations de culpabilité» en cause ne peuvent
être attaquées en vertu de l'article 18 de la Loi sur
' Cette règle se lit en partie comme suit:
Règle 474. (1) La Cour pourra, sur demande, si elle juge
opportun de le faire,
a) statuer sur un point de droit qui peut être pertinent
pour la décision d'une question, ...
et une telle décision est finale et péremptoire aux fins de
l'action sous réserve de modification en appel.
2 Martineau et Butters c. Le Comité de discipline des déte-
nus de l'Institution de Matsqui [1978] 1 R.C.S. 118.
la Cour fédérale par voie d'un bref de certiorari
ou d'un redressement de la nature de celui qu'envi-
sage un tel bref. 3
Bien que la portée du bref de certiorari se soit
étendue depuis l'époque où il n'avait pour seule
fonction que de permettre à un tribunal supérieur
d'examiner les décisions de tribunaux inférieurs, le
bref lui-même, à notre avis, ne continue de s'appli-
quer que lorsque la décision attaquée est soit de
nature judiciaire soit soumise à un processus judi-
ciaire ou quasi judiciaire. On ne nous a cité aucun
arrêt affirmant le contraire."
Selon nous, il serait inutile, à ce stade-ci, de
discuter du sens des termes «judiciaire» ou «quasi
judiciaire» en opposition aux termes «législatif»,
«exécutif» ou «administratif». A la lecture des arti-
3 L'article 18 se lit comme suit:
18. La Division de première instance a compétence exclu
sive en première instance
a) pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un
bref de mandamus ... ou un bref de quo warranto, ou
pour rendre un jugement déclaratoire, contre tout office,
toute commission ou tout autre tribunal fédéral; et
b) pour entendre et juger toute demande de redressement
de la nature de celui qu'envisage l'alinéa a), et notamment
toute procédure engagée contre le procureur général du
Canada aux fins d'obtenir le redressement contre un office,
une commission ou à un autre tribunal fédéral.
4 Nous tenons compte de l'argument de l'intimé fondé sur
l'étude de l'arrêt R. c. Electricity Commissioners ([1924] 1
K.B. 171, le lord juge Atkin, à la p. 205) dirigée par lord Reid
dans Ridge c. Baldwin ([1964] A.C. 40), qui ne portait pas sur
un bref de certiorari, argument voulant que le devoir «d'agir de
façon judiciaire» ne soit confirmé par aucune jurisprudence.
Toutefois, une lecture attentive de l'arrêt R. c. London Borough
of Hillingdon, ex parte Royco Homes Ltd. ([1974] 2 All E.R.
643, aux pp. 647 et 648), dans lequel le tribunal faisait
référence à l'étude précitée, indique que la compétence du
tribunal en cause en matière de certiorari était, en grande
partie, fondée sur Le Roi c. Hendon Rural District Council
[1933] 2 K.B. 696, où il a été établi que la décision dans cette
dernière affaire [TRADUCTION] «se rapprochait suffisamment
d'une décision de nature judiciaire pour faire l'objet d'un bref
de certiorari». Cet arrêt semble établir le principe qu'à notre
époque, une décision n'a pas à être une décision de nature
judiciaire (au sens strict de cette expression) pour faire l'objet
d'un bref de certiorari; mais il ne peut être la source de la
proposition voulant qu'un bref de certiorari soit le recours
approprié lorsque la décision n'est pas soumise à un processus
qui s'apparente au processus judiciaire. Il n'a pas été établi
clairement jusqu'à quel point une telle décision doit s'apparen-
ter au processus judiciaire. Toute décision qui n'est pas de
nature judiciaire mais qui se rapproche «suffisamment d'une
décision de nature judiciaire pour faire l'objet d'un bref de
certiorari» constitue, à notre avis, une décision soumise au
«processus quasi judiciaire» au sens où l'entend l'article 28.
cles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale, nous
ne pouvons nous empêcher de conclure que l'ex-
pression «processus quasi judiciaire» a été adoptée
afin d'inclure toute méthode qui consisterait à
rendre une décision ou une ordonnance qui ferait
droit à une demande introduite par voie de certio-
rari autre qu'une méthode qui relèverait purement
d'un «processus judiciaire ...»
Par conséquent, nous sommes d'avis d'accueillir
l'appel, d'annuler le jugement de la Division de
première instance et de déclarer cette dernière
incompétente pour accorder le redressement
recherché aux termes des procédures engagées
devant cette cour. De plus, nous sommes d'avis que
l'appelant a droit aux dépens occasionnés par suite
des procédures intentées sous l'autorité de la Règle
474 et de l'appel interjeté devant la présente cour.
ANNEXE
Bien que ce soit une tentative probablement
futile d'éviter un malentendu quant à l'effet de
notre décision, nous estimons opportun de dire
qu'à notre avis, notre décision ne laisse pas enten-
dre qu'il n'y aurait pas, pour certains griefs d'ordre
juridique, de recours judiciaire. Les commentaires
énoncés ci-après, à titre provisoire, ont pour but
d'élucider ce point, mais ils n'ont pas force de
conclusion.
1. Une décision ultra vires ou annulable n'em-
porte pas d'effet ou ne devient pas applicable au
motif qu'un bref de certiorari, des procédures de la
nature d'un bref de certiorari et des demandes en
vertu de l'article 28, qui sont des procédures visant
l'examen et l'annulation d'ordonnances ou de déci-
sions ultra vires ou annulables', ne sont pas dispo-
nibles. Une telle décision ne peut donc pas consti-
tuer un moyen de défense à une procédure engagée
devant un tribunal par suite d'un acte qui, indé-
pendamment de la décision, serait illégal. Par con-
séquent, compte tenu des circonstances, une déci-
sion semblable ne constitue pas un moyen de
défense à des procédures judiciaires telles que le
bref d'habeas corpus, de mandamus ou de
prohibition.
5 Comparer avec la décision Wilby c. Le ministre de la
Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1975] C.F. 636, à la p.
641.
2. Essentiellement, une décision rendue selon un
processus quasi judiciaire (nonobstant les cas tou-
jours possibles de partialité) est une décision
rendue selon un processus équitable et juste. Cela
exige habituellement que la personne ait eu l'équi-
table faculté de répondre aux allégations invoquées
contre elle mais, lorsque cela est impossible (par
exemple, dans les cas d'examens à la frontière en
matière d'immigration et de procédures devant des
tribunaux spéciaux tel que l'English Gaming
Board), le principe est alors appliqué de façon
moins rigoureuse.
3. Toutefois, il y a des ministres et des fonction-
naires qui détiennent des pouvoirs purement admi-
nistratifs non assujettis à un examen judiciaire.
Ces personnes doivent également exercer leurs
pouvoirs de façon équitable et juste parce qu'ils
agissent au nom du public; mais elles sont compta-
bles, non pas aux tribunaux, mais à leurs supé-
rieurs ou au corps législatif pertinent. Ces person-
nes ne sont pas tenues d'agir selon un processus
quasi judiciaire.
4. Lorsqu'une personne est lésée par une déci-
sion qui aurait dû être rendue selon un processus
quasi judiciaire, elle peut l'attaquer par voie de
certiorari, de procédures de la nature d'un certio-
rari ou d'une demande en vertu de l'article 28;
mais lorsque cette personne a été victime d'une
injustice par suite d'une décision qui a été rendue
selon un processus équitable ou juste, son recours
est de nature politique (sous réserve d'une
demande visant la nullité ou l'annulation de la
décision en cause si cette dernière venait à faire
l'objet de procédures judiciaires).
Ainsi, aux termes de l'arrêt Martineau et But
ters rendu par la Cour suprême du Canada en
1977, les décisions attaquées en l'espèce n'étaient
pas des décisions qui devaient être rendues selon
un processus quasi judiciaire.
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