T-1031-77
La Reine (Créancière saisissante)
c.
André Lelarge (Débiteur)
et
Philippe Lelarge et Élise Lelarge (Tiers saisis)
Division de première instance, le juge Walsh—
Ottawa, le 6 mars 1978.
Pratique — Couronne — Saisie-arrêt — Impôt sur le
revenu dû par le débiteur à la Couronne — En vertu d'un
jugement de divorce, le débiteur est tenu de subvenir aux
besoins de ses deux enfants mais le libellé du jugement porte
que c'est la mère qui doit recevoir la pension alimentaire pour
le compte des enfants — Vente par le père aux enfants d'un
immeuble grevé d'une hypothèque — Compensation entre les
versements annuels exigés en vertu de l'hypothèque et la
pension alimentaire à être versée par le père — Les sommes
prétendument dues au père par les enfants peuvent-elles faire
l'objet d'une saisie-arrêt entre leurs mains? — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), c. 10, art. 56(3),(4) — Règle
1900(3) de la Cour fédérale — Code civil du Québec, articles
553(4), 1169, 1170, 1171, 1174, 1188, 1190, 1194, 1234 —
Code de procédure civile du Québec, articles 637 et 639.
Les tiers saisis contestent la saisie-arrêt faite entre leurs
mains de sommes prétendument dues à leur père, débiteur saisi,
en exécution d'un jugement obtenu contre ce dernier en matière
de cotisations d'impôt. Bien qu'au moment de leur divorce, il
fut entendu entre le débiteur saisi et son épouse que ce dernier
verserait, à chaque année, un montant déterminé pour subvenir
aux besoins de ses deux enfants, le jugement de divorce portait
que la somme devait être versée à la mère pour le compte des
deux enfants. En exécution de son obligation et avec le consen-
tement de la mère et des deux enfants majeurs, le père a vendu
à ces derniers un immeuble grevé d'une hypothèque. Il aurait
déclaré aux enfants qu'il ne s'attendait pas à ce qu'ils effectuent
les versements annuels sur l'immeuble car, selon lui, il y avait
compensation entre ces versements et les montants qu'il devait
à titre de pension alimentaire. Aucun versement annuel n'a été
fait. Le litige porte sur l'interprétation des faits et leurs consé-
quences juridiques.
Arrêt: la requête est rejetée. Vu ces circonstances et confor-
mément à l'entente entre les parties, on peut dire que la mère
acceptait volontiers, à titre de simple mandataire de ses enfants,
les sommes que le père lui versait. Qu'on interprète strictement
ou non la loi, on doit conclure à une novation puisque à toutes
les époques en cause, savoir avant et après le jugement, le père
s'est volontairement engagé à l'endroit de son fils et de sa fille à
subvenir à leurs besoins et ce, indépendamment du libellé du
jugement. C'est une proposition qu'ils ont acceptée, de même
que leur mère. Ce ne sont pas les sommes dues par le père à
titre de pension alimentaire qui font l'objet de la saisie, mais les
sommes dues par les tiers saisis à leur père. La seule question
est de savoir si l'obligation incombant aux enfants est encore en
vigueur ou a été éteinte par compensation ou par entente entre
les parties. A la date de la signification des procédures de
saisie-arrêt en cause, les tiers saisis n'étaient plus tenus de faire
les deux versements échus avant cette date. Même s'il ne fait
aucun doute que le débiteur avait la ferme intention de renon-
cer à ces paiements au moment de leur échéance, moyennant
quoi son épouse ou ses enfants s'engageaient à ne pas insister
pour obtenir la pension alimentaire, sa renonciation ne pouvait
se faire par anticipation. Il lui était loisible de changer d'idée et
d'exiger les versements dus en vertu du contrat; son épouse
aurait alors pu intenter une action contre lui en vue de recou-
vrer la pension alimentaire. Les tiers saisis doivent toujours au
débiteur la somme de $4,483.19. En conséquence, la saisie-arrêt
contre les tiers saisis est déclarée valide.
REQUÊTE écrite en vertu de la Règle 324.
AVOCATS:
Patricia A. Gariepy pour la créancière
saisissante.
Personne ne comparaissait pour le débiteur.
Yves Bériault pour les tiers saisis.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
créancière saisissante.
Personne ne comparaissait pour le débiteur.
Courtois, Clarkson, Parsons & Tétrault,
Montréal, pour les tiers saisis.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Les tiers saisis contestent la
saisie-arrêt faite entre leurs mains de sommes pré-
tendument dues à leur père, débiteur saisi. La
saisie a été pratiquée en exécution d'un jugement
obtenu contre ce dernier, le 18 mars 1977, en
matière de cotisations d'impôt sur le revenu pour
les années 1968, 1969, 1970 et 1971; elle porte sur
un total de $4,716.87, avec intérêt calculé au taux
de 6 pour 100 l'an sur la somme de $3,217.45 à
compter du 1" mars 1977. Le jugement en date du
28 juin 1977 autorisait la signification de l'ordon-
nance de saisie-arrêt au débiteur (qui ne conteste
pas la présente saisie) par voie de lettre recom-
mandée expédiée en France, où il réside actuelle-
ment. La signification aux tiers saisis a été quelque
peu difficile: en effet, elle n'a été faite que le 24
août 1977 Élise Lelarge et le 27 octobre 1977 à
Philippe Lelarge. Comme conséquence, la déclara-
tion des tiers saisis a fait l'objet de plusieurs
remises. Le 9 janvier 1978, ils ont présenté une
requête afin d'obtenir que la preuve concernant les
points de droit compliqués qu'ils entendaient soule-
ver soit recueillie oralement, ce qui n'a pas été fait,
vu l'absence de sténographe; quoi qu'il en soit, la
Cour a qualifié ladite requête de peu judicieuse, l'a
rejetée et a ajourné la déclaration au 16 janvier
1978. Les deux tiers saisis ont déposé le 9 janvier
1978 de nouveaux affidavits pour compléter des
affidavits antérieurs du 22 décembre 1977, déposés
au dossier le 4 janvier 1978. Le 16 janvier 1978, la
Cour a rendu le jugement suivant:
Le procureur de la créancière-saisissante ayant décidé qu'elle
n'a pas besoin de contre-interroger sur les affidavits, les parties
ont convenu d'accepter la suggestion du tribunal et de soumet-
tre leurs arguments par moyen de l'article 324 des règles de la
Cour.
Comme on l'a déjà indiqué, l'affaire soulève des
points de droit difficiles et sur consentement, elle a
été soumise à la Cour selon la Règle 324; on a
présenté, au nom des tiers saisis, 28 pages d'obser-
vations écrites et, à titre de réponse, 13 pages au
nom de la créancière saisissante. Les observations
écrites font également référence à un affidavit
supplémentaire produit le 12 janvier 1978 et éma-
nant d'Edwige Bobryk, mère des tiers saisis. Le
litige a pris naissance dans la province de Québec
et est régi par la Règle 1900(3) et les paragraphes
(3) et (4) de l'article 56 de la Loi sur la Cour
fédérale, lesquels se lisent comme suit:
56. ...
(3) Tous les brefs d'exécution ou autres brefs visant des
biens, que ces brefs soient prescrits par les Règles ou qu'ils
soient ci-dessus autorisés, sont, sauf disposition contraire des
Règles, quant aux catégories de biens saisissables et au mode de
saisie et de vente, exécutés autant que possible de la manière
que le droit de la province où sont situés les biens à saisir exige
que soient exécutés les brefs semblables décernés par les cours
supérieures de cette province, et ils ont les mêmes effets que ces
derniers, quant aux biens en question et aux droits de leurs
acquéreurs en vertu de ces brefs.
(4) Toute revendication soit de biens saisis en vertu d'un bref
d'exécution ou d'un autre bref décerné par la Cour, soit du
produit de la vente de ces biens, faite par qui que ce soit, doit,
sauf disposition contraire des Règles, être entendue et décidée
autant que possible selon la procédure applicable aux revendi-
cations semblables de biens saisis en vertu des brefs semblables
décernés par les cours de la province.
Les faits ne sont pas contestés; le litige porte sur
leur interprétation et les conséquences juridiques
qui peuvent en découler. André Lelarge, débiteur
saisi, et son épouse, Edwige Bobryk, parents des
tiers saisis, ont obtenu un jugement de divorce de
la Cour supérieure de Montréal, en date du 18
septembre 1973. Le père, André Lelarge, a alors
établi sa résidence en France. A l'époque du
divorce, les deux tiers saisis étaient majeurs et
poursuivaient leurs études; Philippe Lelarge est
encore étudiant et ce n'est que récemment qu'Élise
Lelarge a commencé à travailler. Il se dégage des
déclarations assermentées qui ne sont pas contredi-
tes, que le père avait l'intention de continuer à
subvenir aux besoins de ses enfants en leur versant
la somme de $5,000 chaque année et qu'il devait
veiller à ce que cette disposition soit insérée dans le
jugement de divorce. Ces faits ont été confirmés
par la mère. Malheureusement, le jugement pro-
noncé à l'issue de la requête en divorce où le père
était requérant et la mère, intimée, a confirmé
ladite offre dans les termes suivants (à noter que la
mère n'a reçu, aux termes de ce jugement, aucune
pension alimentaire pour elle-même):
Donne acte de l'offre du requérant de payer à l'intimée pour
l'entretien des deux enfants du mariage, Philippe et Élise, une
pension alimentaire de $5,000 par année.
La mère déclare dans son affidavit:
J'ai toujours considéré, eu égard au paiement de cette pen
sion alimentaire, que je ne serais tout au plus que celle qui
pourrait recevoir ces fonds pour mes enfants.
et elle ajoute:
Je n'ai jamais considéré que la pension alimentaire m'était
due, considérant toujours qu'elle était pour mes enfants; d'ail-
leurs je n'ai jamais reçu quelque support que ce soit de mon
ex-mari.
Quant aux tiers saisis, ils n'ont jamais connu les
termes exacts du jugement mais ont toujours con-
sidéré que cette pension leur était due aussi long-
temps qu'ils en auraient besoin. A l'automne de
1974, le père a versé à son ex-épouse, une première
somme de $5,000; celle-ci l'a immédiatement
remis aux tiers saisis, puisque, comme elle le
déclare dans son affidavit:
c'était pour mes enfants.
Avant cette date, soit à l'automne de 1973, immé-
diatement après le divorce, le père a versé 10,000
francs directement à Élise en déclarant que cette
somme constituait un paiement partiel de la pen
sion alimentaire prévue; cette dernière a immédia-
tement remis la moitié de cette somme à son frère.
Lorsqu'ils ont fait part de ce fait à leur mère,
celle-ci a déclaré qu'elle était ravie puisque cela
démontrait que leur père semblait vouloir s'acquit-
ter, du moins en partie, de son obligation envers
eux. Le second versement fait à l'automne de 1974
tendait à confirmer ce fait; mais ce fut le dernier
versement qu'il leur a fait soit directement soit par
l'intermédiaire de leur mère.
La raison de cet état de choses, selon les tiers
saisis, est qu'aux termes d'un acte notarié du 13
mars 1975, leur père leur a vendu un immeuble sis
au 4885, rue Jean-Brillant à Montréal. Le prix de
vente était de $45,000, dont une hypothèque de
$32,516.81 que les tiers saisis ont prise en charge,
ce qui laissait un solde de $12,483.19 à acquitter
par versements annuels consécutifs de $4,000, le
premier à effectuer dans un an de la date de l'acte,
c'est-à-dire le 13 mars 1976, le tout sans intérêt
jusqu'à échéance, avec intérêt au taux de 8 pour
100 l'an pour tout délai additionnel. Ces paiements
n'étaient garantis par aucune autre hypothèque et
aucun privilège de vendeur. Le père aurait déclaré
aux enfants qu'il ne s'attendait pas à ce qu'ils
effectuent ces versements annuels de $4,000, mais
qu'il y aurait toutefois compensation entre ces
derniers et les montants qu'il devait à titre de
pension alimentaire. A l'époque de la vente, le
notaire aurait indiqué aux enfants que leur père en
avait discuté avec lui en France où tous deux
s'étaient rencontrés et auraient convenu que la
compensation s'opérerait; de plus, leur père leur
aurait, sur appel téléphonique provenant de
France, annoncé la vente, alors qu'il était avec le
notaire (à noter qu'aucun de ces éléments de
preuve n'a été contredit). Par conséquent, les
enfants n'ont jamais fait les versements annuels et
leur père ne leur a jamais demandé de les effec-
tuer. Antérieurement à la vente, ils ont fait part à
leur mère de cette proposition et cette dernière a
indiqué qu'elle était enchantée puisqu'ils seraient
assurés en conséquence de recevoir, au moins pen
dant trois ans, la majeure partie de la pension
alimentaire qui leur était due. Ils n'ont pris con-
naissance de la dette fiscale de leur père et des
termes précis du jugement de divorce qu'au
moment de la saisie, et lorsqu'ils ont fait part à
leur père du problème, ce dernier leur a dit de le
régler eux-mêmes. Les tiers saisis ont invoqué,
relativement à ces faits, un certain nombre de
points de droit, dont quelques-uns en prévision des
arguments de la créancière saisissante.
1. En réponse à l'argument selon lequel il n'a pas
été spécifié que la pension alimentaire était paya-
ble aux enfants, mais à la mère, et que, par
conséquent, on ne peut alléguer compensation à
l'égard d'une réclamation que pourrait présenter le
père contre ses enfants par suite de la vente, les
tiers saisis font valoir que la mère était tout au
plus leur mandataire chargée de recevoir la pen
sion en leur nom et que, par conséquent, il s'est
opéré compensation de manière qu'ils ne doivent
rien à leur père en vertu de l'acte de vente.
2. A titre subsidiaire, même si l'on conclut que la
pension alimentaire était payable à la mère, il y a
eu subséquemment novation, de sorte que, par
convention, la pension est devenue payable aux
enfants et la compensation peut jouer.
3. L'article 1190(3) du Code civil, selon lequel la
compensation ne peut avoir lieu dans le cas d'une
dette ayant pour objet des aliments insaisissables,
ne peut s'appliquer car l'article ne vise qu'à proté-
ger les droits du créancier d'une dette alimentaire.
4. A titre subsidiaire, même si le tribunal conclut
que la pension alimentaire était payable à la mère,
le père a renoncé à réclamer les versements échus
par suite de la vente et, par conséquent, les tiers
saisis ne sont pas tenus au paiement des sommes
revendiquées par la créancière saisissante.
5. Adopter la thèse de la Couronne équivaudrait,
de fait, à saisir directement la pension alimentaire
qui, aux termes de l'article 553(4) du Code de
procédure civile de la province de Québec, est
insaisissable.
En réponse au premier argument, l'avocat de la
Couronne souligne qu'en droit civil québécois,
l'obligation des parents de subvenir aux besoins
des enfants ne s'éteint pas lorsque ces derniers
atteignent la majorité ou même lorsqu'ils se
marient. Par conséquent, nonobstant les disposi
tions du jugement de divorce, les enfants avaient
un droit d'action, soit contre leur père soit contre
leur mère. La disposition insérée dans le jugement
n'est que la confirmation judiciaire d'une entente
intervenue entre les parents et visant le transfert
du père à la mère de cette obligation en vertu de
laquelle le père s'était engagé à verser $5,000 la
mère. La Loi sur le divorce' définit à l'article 2 le
' S.R.C. 1970, c. D-8.
terme «enfants» comme désignant tout enfant âgé
de moins de seize ans ou âgé de seize ans ou plus
mais qui ne peut se procurer de lui-même les
nécessités de la vie à cause de maladie ou d'invali-
dité ou pour une autre cause, et l'article 11 prévoit
que le jugement peut ordonner à l'époux ou à
l'épouse d'effectuer des paiements pour l'entretien
des «enfants» du mariage. La seule raison justifiant
l'inclusion, dans le jugement en l'espèce, de la
clause d'entretien, c'est que le père avait offert
d'effectuer ces paiements; la Cour a simplement
confirmé cette offre. Toutefois, ni la loi ni l'ordre
public n'interdisent aux parties de modifier, par
entente, les dispositions prévoyant le paiement
d'une pension alimentaire, à la condition que le
créancier y consente. En l'espèce, le père, la mère
et les enfants, qui sont majeurs, étaient entière-
ment d'accord. La mère considérait que si le père
lui versait lesdites sommes conformément aux
termes explicites du jugement, elle les remettrait
immédiatement aux enfants, ce qu'elle a fait. Elle
ne s'opposait pas toutefois au versement direct de
l'argent par son mari à ses enfants et elle n'avait
nullement l'intention de faire valoir qu'en versant
les sommes de cette façon, il lui devait encore les
sommes que, par ordonnance, il était tenu de
verser pour l'entretien de ses enfants. Toutes les
parties s'entendent pour dire que la dette avait été
volontairement assumée par le père envers ses
enfants. Vu ces circonstances et conformément à
l'entente entre les parties, on peut dire que la mère
acceptait volontiers, à titre de simple mandataire
de ses enfants, les sommes que le père lui versait,
et qu'elle les leur transmettait immédiatement.
Cela nous amène à la seconde question qui
consiste à savoir s'il y a eu, de fait, novation de
l'obligation créée par le jugement.
L'article 1169 du Code civil de la province de
Québec se lit en partie comme suit:
Art. 1169. La novation s'opère:
3. Lorsque, par l'effet d'un nouveau contrat, un nouveau
créancier est substitué à l'ancien, envers lequel le débiteur se
trouve déchargé.
Les articles 1170 et 1171 se lisent comme suit:
Art. 1170. La novation ne peut s'opérer qu'entre personnes
capables de contracter.
Art. 1171. La novation ne se présume point: l'intention de
l'opérer doit être évidente.
L'article 1174 se lit comme suit:
Art. 1174. La simple indication faite par le débiteur d'une
personne qui doit payer à sa place, ou la simple indication par
le créancier d'une personne qui doit recevoir à sa place, ou le
transport d'une dette avec ou sans l'acceptation du débiteur,
n'opère pas novation. [C'est moi qui souligne.]
Toutes les parties en cause étaient capables de
contracter et elles ont convenu que les paiements
effectués par le père seraient entièrement destinés
aux enfants. Bien que la dette n'ait pas été explici-
tement transférée de la mère, en sa qualité de
créancière, aux enfants, cette dernière ne pouvait
certainement pas s'opposer à ce que les sommes
qui étaient destinées aux enfants leur soient ver
sées directement, conformément aux modalités du
jugement. Nonobstant la question de savoir si,
d'après une interprétation stricte de la loi, on peut
conclure à une novation, j'estime qu'à toutes les
époques en cause, savoir avant et après le juge-
ment, le père s'est volontairement engagé à l'en-
droit de son fils et de sa fille, tiers saisis, à leur
verser, chaque année, une somme de $5,000 pour
leur entretien, jusqu'à ce que, je présume, leurs
études soient terminées et qu'ils puissent subvenir
eux-mêmes à leurs besoins. C'est une proposition
qu'ils ont acceptée, de même que leur mère. Ainsi,
nonobstant le libellé du jugement, les tiers saisis
sont les vrais créanciers de l'obligation assumée
par leur père, et qui consistait à leur verser $5,000
par année pour leur entretien pendant une période
indéfinie.
Quant à la compensation, l'avocat de la Cou-
ronne fait valoir que, compte tenu des dispositions
de l'article 1190 du Code civil qui se lit en partie
comme suit:
Art. 1190. La compensation a lieu quelle que soit la cause ou
considération des dettes, ou de l'une ou l'autre, excepté dans les
cas:
3. D'une dette qui a pour objet des aliments insaisissables.
l'obligation à laquelle est tenu le père à l'égard de
son fils et de sa fille pour leur entretien ne peut
être compensée par les sommes que les enfants
doivent à leur père en vertu de l'acte notarié de
vente. Un certain nombre d'arrêts ont été cités à
l'appui du principe voulant qu'une obligation ali-
mentaire relève de l'intérêt public et qu'on ne
puisse saisir, céder, autrement aliéner des aliments
ou y renoncer. Alors que le droit aux aliments ne
peut faire l'objet d'une renonciation, la somme
d'argent, concrétisant ce droit, ou les modalités de
versement de cette somme peuvent certainement
être modifiées par entente entre les parties, pour
autant que ces dernières soient capables de con-
tracter, comme c'est le cas en l'espèce. L'étude de
tous les arrêts cités ne fait que confirmer ce qui
saute aux yeux à la lecture de l'article: celui-ci
favorise clairement le créancier de l'obligation qui
ne peut être privé de la pension alimentaire insti-
tuée en sa faveur. Le débiteur de l'obligation ne
peut, par conséquent, faire valoir la compensation
avec la pension alimentaire réclamée par son
créancier. Nous sommes toutefois en présence de
la situation contraire, où les créanciers de l'obliga-
tion alimentaire font valoir la compensation, ayant
volontairement accepté que les sommes dues par
eux par suite de l'acquisition de l'immeuble soient
compensées par les sommes qu'ils réclament à leur
père à titre de pension alimentaire, sommes qui, de
toute façon, seront probablement difficiles à recou-
vrer, aussi longtemps que le père demeurera en
France. J'estime qu'ils ont le droit, puisqu'ils sont
majeurs, d'accepter que le paiement se fasse en
nature: par exemple, au lieu de leur verser les
sommes qui leur étaient dues à titre de pension
alimentaire, leur père pouvait leur céder le bien-
fonds. Le même raisonnement s'applique, bien
entendu, à la renonciation par leur père aux verse-
ments échus sur le prix d'achat de l'immeuble. Je
n'estime pas que l'inaliénabilité de la pension ali-
mentaire elle-même leur interdisait de procéder de
cette manière.
En ce sens, on peut se reporter à l'article 1194
du Code civil qui se lit comme suit:
Art. 1194. Lorsque la compensation de plein droit est arrêtée
par quelqu'une des causes mentionnées en cette section, ou
autres de même nature, celui en faveur de qui seul la cause
d'objection existe, peut demander la compensation par le
moyen d'une exception, et, dans ce cas, la compensation n'a lieu
que du moment que l'exception est plaidée.
Par conséquent, de même que je rejette l'argu-
ment de la créancière saisissante voulant qu'au-
cune compensation ne puisse avoir lieu puisque la
dette du père à l'égard de ses enfants est de nature
alimentaire alors que leur dette à son égard est de
nature commerciale, je rejette également le cin-
quième argument des tiers saisis voulant que
déclarer la saisie bien fondée serait saisir indirecte-
ment une pension alimentaire puisque, manifeste-
ment, ce ne sont pas les $5,000 dus par le père à
titre de pension alimentaire qui font l'objet de la
saisie, mais les sommes dues par les tiers saisis à
leur père, et la seule question est de savoir si
l'obligation de faire ces versements est encore en
vigueur ou a été éteinte par compensation ou par
entente entre les parties.
L'argument le plus solide des tiers saisis est
probablement celui invoqué au paragraphe 4,
savoir que leur père renonce à réclamer les
sommes qui lui sont dues en vertu de la vente, quel
que soit le motif de cette renonciation. L'entente
conclue entre toutes les parties et selon laquelle ni
les enfants ni la mère ne lui réclameraient la
somme annuelle de $5,000 titre de pension ali-
mentaire, constituait une contrepartie valide à son
engagement de renoncer à la somme de $4,000
exigible chaque année pendant une période de trois
ans, en vertu du contrat de vente.
Sur la question de la preuve, l'article 1234 du
Code civil prévoit que:
Art. 1234. Dans aucun cas, la preuve testimoniale ne peut
être admise pour contredire ou changer les termes d'un écrit
valablement fait.
En l'espèce, toutefois, je ne crois pas que les
termes de l'acte de vente notarié aient été contre-
dits ou changés. Il avait été entendu avant même
la signature du contrat que les acquéreurs ne
verseraient pas au vendeur les $4,000 annuels y
prévus. La conduite subséquente du père, qui n'a
pas réclamé ces sommes et a indiqué qu'il n'avait
pas l'intention de le faire, ne contredit pas ni ne
modifie, à strictement parler, les termes dudit acte
de vente, mais équivaut simplement à une renon-
ciation aux avantages y prévus. Il se peut très bien
que le père, débiteur saisi, ait été inspiré par des
motifs cachés. Il connaissait ou aurait dû connaître
sa dette d'ordre fiscal, laquelle, si le bien immobi-
lier vendu par lui constitue son seul actif au
Canada, peut fort bien s'avérer irrécouvrable en
France (voir en ce sens États-Unis d'Amérique c.
Harden [1963] R.C.S. 366, où il est statué qu'en
aucun cas les tribunaux n'exécuteront, directement
ou indirectement, les lois fiscales d'un autre pays,
qui sont des lois d'ordre public, en soumettant ici
un jugement à procès et en se prononçant sur lui
parce que l'exécution du jugement serait l'exécu-
tion d'une créance fiscale). Je n'ai pas à trancher
la question de savoir si le père, en vendant à ses
enfants son bien-fonds situé au Canada, avait l'in-
tention de frauder ses créanciers en général et la
créancière saisissante en particulier, et de se sous-
traire à l'action en recouvrement de pension ali-
mentaire qui pourrait être intentée en France par
lesdits enfants ou en leur nom. Le droit québécois
inclut ce qu'on appelle l'action paulienne, qui vise
à faire annuler les contrats conclus en fraude des
droits des créanciers (voir les articles 1032 et
suivants du Code civil). Toutefois, comme le certi-
ficat d'impôts dus, lequel a l'effet d'un jugement,
n'a été enregistré contre le débiteur que le 18 mars
1977 et ce, malgré le fait qu'il vise les impôts dus
de 1968 à 1971, et comme la vente de l'immeuble
aux tiers saisis a eu lieu le 13 mars 1975, il semble
que la créancière saisissante aurait été aux prises
avec des difficultés importantes si elle avait
entamé des procédures de ce genre devant les
tribunaux de la province de Québec, ce qu'elle n'a
pas fait. Si l'on fait valoir que ce n'est pas le
contrat qui fraude les droits de la créancière saisis-
sante, mais la renonciation, par le débiteur saisi,
des versements exigibles en vertu dudit contrat,
alors une poursuite intentée en ce sens doit com-
mencer avant l'expiration d'un an à compter du
jour où le créancier a eu connaissance de la renon-
ciation, conformément à l'article 1040 du Code
civil. Toutefois, puisque cette question n'a pas été
soulevée en l'espèce et que, de toute façon, elle
n'aurait pu l'être, aucune intention frauduleuse
relative à ce point ne peut être prêtée au débiteur
saisi; les tiers saisis agissaient certainement de
bonne foi et n'ont même pas eu connaissance de la
créance fiscale réclamée à leur père jusqu'à ce
qu'il soit question de saisie.
Je passe maintenant à la dernière question qui
consiste à savoir si le débiteur saisi peut, au préju-
dice de ses créanciers, renoncer par anticipation
aux versements exigibles en vertu du contrat de
vente. Aux termes de ce dernier, une première
somme de $4,000 venait à échéance le 13 mars
1976 et une deuxième, le 13 mars 1977: ces deux
versements ont fait l'objet d'une renonciation ou
d'une compensation, ce qui s'équivaut; une troi-
sième somme de $4,000 viendra à échéance le 13
mars 1978; il restera à acquitter, le 13 mars 1979,
un léger solde de $483.19. Les procédures de sai-
sie-arrêt en cause ont été signifiées, comme je l'ai
indiqué, à l'automne de 1977; or, j'ai conclu qu'à
ce moment, les tiers saisis n'étaient tenus ni aux
deux versements échus ni à l'intérêt exigible jus-
qu'à cette époque. Toutefois, pour que la compen
sation s'opère, la dette doit être exigible. L'article
1188 du Code civil de la province de Québec
prévoit que:
Art. 1188. La compensation s'opère de plein droit entre deux
dettes également liquides et exigibles, et ayant pour objet une
somme de deniers ou une quantité de choses indéterminées de
même nature et qualité.
Aussitôt que les deux dettes existent simultanément, elles
s'éteignent mutuellement jusqu'à concurrence de leurs mon-
tants respectifs.
Par conséquent, l'article ne peut s'appliquer aux
versements à échoir le 13 mars 1978 et le 13 mars
1979, car ils n'étaient pas encore exigibles au
moment de la saisie. D'autre part, si l'on considère
l'article du point de vue de la renonciation par le
père, celui-ci pouvait-il, en sa qualité de créancier
de cette obligation en vertu du contrat de vente,
renoncer par anticipation à tous les paiements
prévus audit contrat? D'une part, aux termes du
jugement en divorce, le débiteur s'engageait à
verser $5,000 annuellement pour l'entretien de ses
enfants; c'était une obligation annuelle. D'autre
part, le dernier versement de $4,000 ainsi que le
solde de $483.19 n'étaient pas encore exigibles au
moment de la saisie. Même s'il ne fait aucun doute
que le débiteur avait la ferme intention de renon-
cer à ces paiements au moment de leur échéance,
comme c'était son habitude, moyennant quoi son
ex-épouse ou son fils et sa fille s'engageaient à ne
pas insister pour obtenir les $5,000 annuels de
pension alimentaire, je n'estime pas que sa renon-
ciation pouvait se faire par anticipation. Il lui était
loisible de changer d'idée avant le 13 mars 1978 2
2 II importe de souligner que même si entre les tiers saisis,
l'épouse du débiteur et le débiteur lui-même, les versements
exigibles ont fait l'objet d'une renonciation, il reste qu'aux
termes du titre de propriété, les tiers saisis sont toujours
débiteurs de ces versements. Un acheteur prudent pourrait
exiger l'enregistrement d'un certificat de libération, bien qu'au-
cune hypothèque supplémentaire et aucun privilège n'aient été
créés afin de garantir ces paiements. En l'absence d'un tel
document, il pourrait exiger au moins une reconnaissance écrite
de paiements signée par le père, ou indiquer clairement dans
son contrat qu'il n'entend pas prendre en charge les obligations
personnelles des tiers saisis. La créancière saisissante n'est pas
dans cette position, toutefois, et ne peut saisir des sommes qui
ont fait l'objet d'une renonciation, bien qu'il n'existe pas de
preuve écrite pour établir que les versements prévus au contrat
aient fait l'objet d'une renonciation.
et de demander que soient versées, à cette date, les
sommes dues en vertu du contrat de vente; son
ex-épouse aurait alors pu intenter une action
contre lui en vue de recouvrer la pension alimen-
taire dont il est débiteur conformément au juge-
ment de divorce. La question de savoir si le recou-
vrement pourrait être effectué en France ne se
pose pas à la Cour. L'article 639 du Code de
procédure civile de la province de Québec se lit en
partie comme suit:
639. Si l'obligation du tiers-saisi est à terme, le protonotaire
lui ordonne de payer à l'échéance, suivant les dispositions de
l'article 637 ou de l'article 638, selon le cas.
Article 637 se lit comme suit:
637. Si la déclaration affirmative du tiers-saisi n'est pas
contestée et qu'elle ne révèle pas l'existence d'une autre saisie-
arrêt pratiquée entre ses mains, le protonotaire, sur inscription
par l'une ou l'autre des parties, ordonne au tiers-saisi de payer
au saisissant les sommes qu'il doit au débiteur-saisi, jusqu'à
concurrence du montant du jugement, en capital, intérêts et
frais. Dans cette mesure, l'ordonnance du protonotaire opère
cession de la créance du saisi en faveur du saisissant, et à
compter du jour de la saisie. Cette ordonnance doit être signi-
fiée au tiers-saisi et devient exécutoire dix jours plus tard.
Par conséquent, je conclus que les tiers saisis
doivent au débiteur, conformément aux termes du
contrat de vente du 13 mars 1975, la somme de
$4,483.19 dont une première partie, savoir la
somme de $4,000, viendra à échéance le 13 mars
1978, avec intérêt au taux de 8 pour 100 pour tout
retard de paiement et une seconde partie, soit le
solde de $483.19, le 13 mars 1979, un taux
d'intérêt identique pour tout retard de paiement.
Je conclus que les sommes susmentionnées doivent
immédiatement être payées par les tiers saisis à Sa
Majesté la Reine, créancière saisissante en l'es-
pèce, en exécution partielle du jugement qu'elle a
obtenu contre André Lelarge, débiteur saisi. En
conséquence, la saisie-arrêt obtenue contre les tiers
saisis est déclarée valide en ce qui concerne les
sommes susmentionnées mais, vu les circonstances
extraordinaires qui entourent la présente contesta-
tion et compte tenu du fait qu'elle est, en partie,
accueillie, la saisie ne comportera pas de dépens.
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