T-4668-77
Inuit Tapirisat of Canada et l'Organisation natio-
nale d'anti-pauvreté (Demanderesses)
c.
Son Excellence le très honorable Jules Léger, le
très honorable P. E. Trudeau, les honorables A.
Abbott, W. Allmand, R. Andras, S. R. Basford, M.
Bégin, J. J. Blais, J. J. Buchanan, I. Campagnolo,
J. Chrétien, F. ,Fox, A. Gillespie, J. P. Goyer, J.
Guay, J. H. Homer, D. Jamieson, M. Lalonde, O.
E. Lang, R. Leblanc, M. Lessard, D. J. Macdo-
nald, D. S. Macdonald, A. J. MacEachen, J.
Munro, L. S. Marchand, A. Ouellet, R. Perrault,
J. Roberts, J. Sauvé, E. F. Whelan (ci-après appe-
lés collectivement le gouverneur en conseil), le
procureur général du Canada et Bell Canada
(Défendeurs)
Division de première instance, le juge Marceau—
Ottawa, le 14 février et le 9 mars 1978.
Pratique — Demande de radiation — Déclaration alléguant
qu'il y a eu manquement aux principes de justice naturelle
lorsque le gouverneur en conseil a examiné les requêtes des
demanderesses — Celles-ci cherchent à obtenir un bref de
certiorari en vue d'annuler les deux décisions du gouverneur
général en conseil qui figurent dans deux décrets, et à titre
subsidiaire, un jugement déclaratoire portant que les décrets
sont nuls pour le motif que le gouverneur général en conseil ne
pouvait les rendre sans accorder aux demanderesses une audi
tion conformément aux principes de justice naturelle
Existe-t-il une cause raisonnable d'action? — Règle 419(1)a)
de la Cour fédérale — Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970,
c. R-2, art. 320(2) — Loi nationale sur les transports, S.R.C.
1970, c. N-17, art. 64(1).
Il s'agit d'une demande d'annulation de la déclaration des
demanderesses pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause
raisonnable d'action. Peu de temps après l'approbation par le
CRTC d'une nouvelle structure tarifaire pour Bell Canada, les
demanderesses ont déposé des requêtes auprès du greffier du
conseil privé conformément à l'article 64(1) de la Loi nationale
sur les transports. Celles-ci demandaient aux défendeurs d'an-
nuler les parties de la décision du CRTC qui faisaient l'objet de
leurs oppositions, et de les remplacer par une nouvelle ordon-
nance. Les demanderesses ont allégué dans leur déclaration que
lors de l'examen de leurs requêtes par le gouverneur général en
conseil, les principes de justice naturelle n'ont pas été respectés.
Elles cherchent donc à obtenir un bref de certiorari en vue
d'annuler les décisions qui figurent dans deux décrets. Elles
demandent aussi, à titre subsidiaire, un jugement déclaratoire
portant que les décrets sont nuls pour le motif que le gouver-
neur général en conseil ne pouvait les rendre sans leur accorder
une audition conformément aux principes de justice naturelle.
Arrêt: la demande est accueillie. Les décrets du gouverneur
général en conseil ne peuvent pas faire l'objet d'un bref de
certiorari; les demanderesses n'ont pas droit au premier redres-
sement recherché. Le gouverneur général en conseil dans l'exer-
cice du pouvoir que lui confère l'article 64(1) est tenu d'enten-
dre une partie conformément aux règles de justice naturelle.
Rien dans la loi pertinente ne peut être interprété comme
exigeant du gouverneur général en conseil qu'il applique les
principes de justice naturelle dans l'exercice du pouvoir à lui
conféré. Le gouverneur général en conseil lorsqu'il rend des
décisions en vertu de l'article 64(1) agit sur la base de sa
responsabilité politique et non suivant un processus judiciaire
ou quasi judiciaire. L'introduction dans les procédés du gouver-
neur en conseil et du cabinet des exigences de procédure qui
découlent de la règle audi alteram partem est à tel point
incompatible et inconciliable avec leur fonctionnement normal
en tant que pouvoir exécutif du gouvernement et avec l'obliga-
tion qu'ont les ministres de la Couronne de rendre compte à la
Chambre des communes, qu'elle ne peut être imposée à moins
que le Parlement n'ait exprimé son intention en ce sens dans la
loi applicable ou que le libellé de cette loi ne permette de
conclure facilement que c'était là son intention.
Arrêts appliqués: R. c. The Lords Commissioners of the
Treasury (1872) L.R. 7 Q.B. 387;. Border Cities Press
Club c. Le procureur général de l'Ontario [1955] 1 D.L.R.
404. Arrêt examiné: CSP Foods Ltd. c. La Commission
canadienne des transports [1979] 1 C.F. 3.
DEMANDE.
AVOCATS:
Andrew J. Roman pour les demanderesses.
G. W. Ainslie, c.r., et E. A. Bowie pour tous
les défendeurs sauf Bell Canada.
E. E. Saunders, c.r., pour la défenderesse Bell
Canada.
PROCUREURS:
Andrew J. Roman, Ottawa, pour les deman-
deresses.
Le sous-procureur général du Canada pour
tous les défendeurs sauf Bell Canada.
Guy Houle, avocat général, Bell Canada, pour
la défenderesse Bell Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MARCEAU: Il s'agit d'une demande,
faite en vertu de la Règle 419(1)a) des règles
générales de cette cour pour le compte de tous les
défendeurs sauf Bell Canada, en vue d'obtenir une
ordonnance radiant la déclaration pour le motif
qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable
d'action.
Les allégations de la déclaration peuvent se
résumer ainsi qu'il suit.
En vertu du paragraphe 320(2) de la Loi sur les
chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2,' modifiée par
l'item 5 de l'annexe à la Loi sur le Conseil de la
radiodiffusion et des télécommunications cana-
diennes, S.C. 1974-75-76, c. 49, le 3 novembre
1976 Bell Canada a demandé au Conseil de la
radiodiffusion et des télécommunications cana-
diennes (CRTC) d'approuver une nouvelle struc
ture tarifaire. Les demanderesses, deux fédérations
de groupes, l'une représentant des Canadiens d'ori-
gine esquimaude et l'autre des Canadiens à faible
revenu, ont déposé des interventions s'opposant à
certaines parties de cette demande. Le 1e1 juin
1977, après une longue audition à laquelle les deux
demanderesses ont participé de façon active, le
CRTC a rendu sa décision.
Les 9 et 10 juin 1977, les deux demanderesses
ont respectivement déposé des requêtes auprès du
greffier du conseil privé demandant aux défen-
deurs, les requérants en l'espèce, le gouverneur
général et les membres de son conseil, d'annuler
les parties de la décision qui faisaient l'objet de
leurs oppositions et de les remplacer par une nou-
velle ordonnance. Ces requêtes ont été faites en
vertu de l'article 64(1) de la Loi nationale sur les
transports, S.R.C. 1970, c. N-17, dont voici le
libellé:
64. (1) Le gouverneur en conseil peut à toute époque, à sa
discrétion, soit à la requête d'une partie, personne ou compa-
gnie intéressée, soit de son propre mouvement et sans aucune
requête ni demande à cet égard, modifier ou rescinder toute
ordonnance, décision, règle ou règlement de la Commission,
que cette ordonnance ou décision ait été rendue inter partes ou
autrement, et que ce règlement ait une portée et une applica
tion générales ou restreintes; et tout décret que le gouverneur
en conseil prend à cet égard lie la Commission et toutes les
parties.
Le 29 juin 1977, Bell Canada a déposé auprès
du greffier du conseil privé des réponses aux deux
requêtes.
Le 14 juillet 1977, le gouverneur général en
conseil, par les décrets C.P. 1977-2026 et C.P.
'32o. ...
(2) Nonobstant les dispositions de toute loi rendue avant le 7
juillet 1919, toutes les taxes de télégraphe et de téléphone que
peut exiger la compagnie, et toute rémunération pour la loca
tion ou l'usage des télégraphes ou des téléphones de la compa-
gnie, sont subordonnées à l'agrément de la Commission qui
peut les reviser à sa discrétion; mais le présent paragraphe ne
s'applique pas à l'usage des lignes de télégraphe ou de télé-
phone dont le public peut se servir sans payer.
1977-2027, a examiné les deux requêtes et refusé
de modifier la décision du CRTC.
Ces décisions du gouverneur général en conseil,
poursuit la déclaration, ont été prises avant que les
demanderesses aient eu le temps de déposer une
réplique à la réponse de Bell Canada et sans
qu'elles aient eu la possibilité de se faire entendre.
Les véritables prétentions des parties n'ont pas été
présentées [TRADUCTION] «aux membres du gou-
verneur général en conseil»; on a plutôt obtenu des
dépositions et des opinions de fonctionnaires du
ministère des Communications et du ministre res-
ponsable, et aucune de ces opinions n'a été com
muniquée aux demanderesses. On a même
demandé au CRTC d'exprimer ses vues sans
jamais les communiquer aux demanderesses. Fai-
sant valoir que [TRADUCTION] «le gouverneur en
conseil défendeur était requis de se prononcer per-
sonnellement sur ces appels et d'arriver à ces
décisions en suivant une procédure conforme aux
principes de justice naturelle», les demanderesses
cherchent à obtenir les mesures suivantes de
redressement:
[TRADUCTION] (i) Un bref de certiorari en vue d'évoquer
devant cette cour les procédures qui se sont déroulées devant le
gouverneur en conseil et de faire annuler les décisions que le
gouverneur en conseil a rendues ou prétendu rendre en l'espèce
et qui figurent dans les décrets C.P. 1977-2026 et C.P.
1977-2027.
(ii) A titre subsidiaire, une déclaration portant que, dans la
procédure suivie par le gouverneur en conseil dans ces deux
appels,
a) aucune audition n'a été tenue, ou, subsidiairement,
b) l'audition tenue n'a été ni complète ni équitable, et ce
contrairement aux exigences des principes de justice
naturelle.
La demande soutient que cette déclaration ne
révèle aucune cause d'action parce que les faits
allégués ne peuvent pas donner lieu aux redresse-
ments demandés: la déclaration devrait donc être
radiée. Il faut faire ici une remarque préliminaire.
L'avocat des demanderesses m'a rappelé que la
Cour devrait faire preuve de précaution en exer-
çant sa compétence en vertu de la Règle
419(1)a) 2 . Je suis d'accord sur ce point, même si
les sources anglaises citées à l'appui de cette pro
position ne me paraissent pas réellement convain-
cantes (voir Dyson c. Le procureur général [1911]
1 K.B. 410). On trouvera un résumé utile sur ce
sujet dans Page c. Churchill Falls (Labrador)
Corp. Ltd. [1972] C.F. 1141 où le juge en chef de
cette cour s'est ainsi prononcé (à la page 1144):
Il est évident qu'il n'est pas toujours approprié de faire
trancher une question de droit relative à la situation juridique
comme une question préalable, même si elle s'appuie sur la
présomption que les allégations aux plaidoiries sont vraies.
Comparer avec l'arrêt Drummond -Jackson c. British Medical
Association [1970] 1 W.L.R. 688. A mon avis, il n'est pas
possible de formuler une règle générale quant à l'opportunité de
recourir à une telle procédure. Dans chaque cas, cela doit être
tranché compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire.
Les circonstances de la présente affaire m'ont
amené à croire qu'il était opportun d'entendre la
demande telle qu'elle m'était présentée. Il est vrai
qu'elle mettait en jeu un point de droit important
qu'on aurait pu soulever par voie de défense
(comme l'a fait l'autre partie, Bell Canada), ou en
vertu de la Règle 474 de cette cour. Mais ce point
pouvait être facilement identifié et défini immédia-
tement avec précision sans aucune possibilité de le
modifier ou d'y apporter des réserves par des
plaidoiries supplémentaires; et en outre il a fait
l'objet de débats entre toutes les parties durant une
audition longue et détaillée: je n'ai vu aucune
raison valable de ne pas l'examiner, tout en n'ou-
bliant pas, bien entendu, qu'à un stade aussi préli-
minaire des procédures, je ne pourrais décerner
l'ordonnance demandée que si j'étais convaincu
qu'aucun point ne pourrait être examiné plus à
fond si l'affaire allait à audience, l'action telle
qu'elle était présentée étant insoutenable.
Ceci dit, j'en viens au mérite des prétentions des
requérants.
L'action cherche principalement un redresse-
ment sous forme d'un bref de certiorari adressé au
gouverneur général en conseil pour annuler les
2 Voici le libellé de la Règle 419(1)a):
Règle 419. (1) La Cour pourra, à tout stade d'une action
ordonner la radiation de tout ou partie d'une plaidoirie avec ou
sans permission d'amendement, au motif
a) qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action ou de
défense, selon le cas,
décisions rendues dans les décrets C.P. 1977-2026
et C.P. 1977-2027. Les procédures visant à obtenir
ce bref de prérogative de common law peuvent être
instituées devant cette cour par voie de déclaration
(Règle 603 de la Cour), mais cela ne change ou
modifie en rien sa nature fondamentale ou son
objet. On demande à la Cour d'exercer sa compé-
tence traditionnelle relative au certiorari et de
rendre une ordonnance de certiorari contre le gou-
verneur général en conseil. A mon avis, cela n'est
pas possible; le gouverneur général en conseil étant
la Couronne, la Cour est tout simplement incom-
pétente à cet égard. Ainsi que l'a dit le juge en
chef Cockburn dans La Reine c. The Lords Com
missioners of the Treasury (1872) L.R. 7 Q.B.
387 à la page 394, en un passage depuis lors tant
de fois rappelé avec approbation et récemment
encore par le juge Rand dans Border Cities Press
Club c. Le procureur général de l'Ontario [1955]
1 D.L.R. 404 à la page 414: [TRADUCTION] «La
Cour ne peut pas prétendre, même en apparence,
avoir le pouvoir de commander à la Couronne; il
ne peut pas en être question». Aucun commentaire
supplémentaire n'est nécessaire: les décrets du gou-
verneur général en conseil ne peuvent pas faire
l'objet d'un bref de certiorari; les demanderesses
n'ont pas droit au premier redressement recherché.
Cette conclusion est, cependant, loin de clore
l'affaire. En effet, l'action demande un redresse-
ment subsidiaire, un jugement déclaratoire, et,
dans les circonstances de l'espèce, on ne peut pas
écarter de la même manière la compétence de la
Cour à accorder un tel redressement. Un jugement
déclaratoire n'implique aucun commandement. Il
est bien établi qu'un tribunal, sans pouvoir réviser
une décision rendue par le gouverneur général en
conseil en vertu d'une prérogative royale per se,
peut certainement réviser un acte accompli par le
gouverneur général en conseil dans l'exercice d'un
pouvoir que lui accorde la loi. (Voir p. ex. Border
Cities Press Club c. Le procureur général de l'On-
tario [1955] 1 D.L.R. 404; Re Doctors Hospital
and Minister of Health (1976) 68 D.L.R. (3e) 220;
Re Davisville Investment Co. Ltd. c. La ville de
Toronto (1977) 15 O.R. (2e) 553.) Point n'est
besoin de répéter que le gouverneur en conseil n'est
pas au-dessus de la loi et que les pouvoirs que lui
accorde la loi doivent s'exercer dans les limites
imposées par celle-ci, aux fins qu'elle détermine et
conformément à ses dispositions.
Je crois qu'à ce stade de mon raisonnement, je
devrais ouvrir une parenthèse et profiter de l'occa-
sion pour souligner cette allégation subsidiaire des
requérants dans leur avis de requête suivant
laquelle dans une action où un demandeur s'en
prend à un ordre en conseil, le procureur général
est la seule partie appropriée qu'il soit nécessaire
de nommer dans les procédures. Cette allégation
me paraît bien fondée (voir Desjardins c. La Com
mission nationale des libérations conditionnelles
[1976] 2 C.F. 539; «B» c. Le ministère de la
Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1975] C.F.
602). Cependant, compte tenu de ma conclusion
générale, je n'ai pas besoin d'exprimer d'avis défi-
nitif à son sujet.
Ainsi, dans la mesure où elle cherche à obtenir
un jugement déclaratoire, l'action des demanderes-
ses ne soulève pas de question préliminaire de
compétence, à la différence de leur action visant à
obtenir un bref de certiorari. L'action soulève
toutefois une question de droit importante qu'il
faut bien définir.
Si on l'interprète de façon littérale, la déclara-
tion telle que formulée dans les conclusions de la
demande n'a aucun sens. A ce stade-ci, cependant,
on ne peut pas la considérer isolément; il faut la
replacer dans l'ensemble de la procédure. Les
demanderesses cherchent en réalité à faire déclarer
que les décrets ne sont pas valides parce que le
gouverneur général en conseil ne pouvait pas les
rendre sans accorder aux demanderesses une [TRA-
DUCTION] «audition . .. complète ... équitable ..
contrairement aux exigences des principes de jus
tice naturelle», et qu'il ne l'a pas fait. Il faut
reconnaître que toutes les allégations de la déclara-
tion conduisent logiquement à cette proposition,
mais il faut noter en même temps que c'est la seule
conclusion à laquelle elles conduisent. Aucun autre
moyen n'est soulevé: il n'est pas question de partia-
lité, de manque de bonne foi, de délégation inap-
propriée, d'abus de pouvoir, ou d'application de
critères erronés, pour rappeler les motifs les plus
courants habituellement invoqués pour attaquer
une ordonnance rendue par une autorité publique.
L'attaque contre les deux ordres en conseil est
fondée sur une seule proposition d'ordre juridique:
dans l'exercice du pouvoir que lui confère l'article
64(1) de la Loi nationale sur les transports, le
gouverneur général en conseil a le devoir d'accor-
der à un requérant audition pleine et entière
requise pour donner plein effet à ce qu'on appelle
les principes de justice naturelle. La demande
ayant catégoriquement nié la proposition, la ques
tion posée devient simple et claire.
Je suis arrivé à la conclusion que la réponse à la
question ainsi posée est tout aussi simple et claire:
dans l'exercice du pouvoir que lui confère l'article
64(1), le gouverneur général en conseil n'est pas
tenu de permettre à une partie de se faire entendre
selon les règles de justice naturelle.
Rien dans la loi mise en cause ne peut être
interprété comme exigeant du gouverneur général
en conseil qu'il applique les principes de justice
naturelle pour l'exercice du pouvoir qui lui est
conféré. On ne peut en aucune manière interpréter
le droit reconnu à une partie intéressée de présen-
ter une requête, comme un droit d'être convoquée
pour une audition ou un droit de produire des
preuves ou de présenter des arguments. On sait
évidemment qu'il peut y avoir une obligation
implicite d'appliquer la règle audi alteram par-
tem—même si la loi ne l'exige pas expressément—
lorsque, compte tenu des dispositions légales et de
la nature des situations auxquelles elles s'appli-
quent, il appert que les pouvoirs conférés à un
tribunal sont de nature judiciaire ou quasi judi-
ciaire. Mais, à mon avis, dans l'exercice de ses
devoirs en vertu de l'article 64(1), le gouverneur
général en conseil n'exerce pas un pouvoir judi-
ciaire ou quasi judiciaire.
Dans CSP Foods Ltd. c. La Commission cana-
dienne des transports [1979] 1 C.F. 3, un arrêt
récent du 30 janvier 1978, la Division d'appel de
cette cour fut appelée à discuter sur la nature du
pouvoir conféré par l'article 64(1) de la Loi natio-
nale sur les transports. Parlant au nom de la Cour,
le juge Urie écrivit [aux pages 9 et 10]:
Avec égards, je ne considère pas que l'exercice, par le gouver-
neur en conseil, des pouvoirs conférés par l'article 64(1) soit de
la nature d'un appel judiciaire. C'est un moyen permettant à
l'Exécutif d'exercer un certain contrôle sur la Commission
canadienne des transports pour s'assurer que les vues du gou-
vernement concernant l'intérêt public dans une situation
donnée, fondées sur les faits établis par ce tribunal, peuvent
être exprimées par l'Exécutif et qu'elles sont appliquées par des
directives que ce dernier peut juger à propos de donner au
tribunal par l'intermédiaire du gouverneur en conseil. Si je
comprends bien, il s'agit d'un rôle de surveillance et non de
tribunal d'appel. Le gouverneur en conseil ne s'occupe pas des
questions de droit ou de compétence, lesquelles incombent aux
tribunaux. Toutefois, contrairement à ceux-ci, il peut substituer
ses vues concernant l'intérêt public à celles de la Commission.
(Voir Re Davisville Investment Co. Ltd. c. La ville de Toronto
(1977) 15 O.R. (2') 553, aux pp. 555 et 556.)
A mon avis, en rendant des décisions en vertu de
l'article 64(1), le gouverneur général en conseil
agit sur la base de sa responsabilité politique et
non suivant un processus judiciaire ou quasi judi-
ciaire. L'organisation générale de la législation
relative aux télécommunications est à l'effet que
les décisions mettant en jeu des questions économi-
ques générales sont confiées au CRTC, qui a le
devoir strict de tenir une audition et de donner aux
parties l'occasion voulue de se faire entendre. La
Commission elle-même peut, à tout moment, révi-
ser, rescinder, changer ou modifier ses ordonnan-
ces ou décisions (article 63 de la Loi nationale sur
les transports), et telles ordonnances ou décisions
sont en outre susceptibles d'appel et de révision
devant les cours de justice (article 64(2) (7) de
la Loi). Le pouvoir de «modifier ou rescinder»
conféré au gouverneur général en conseil par l'arti-
cle 64(1) est, suivant mon interprétation, de nature
tout à fait différente: il s'agit d'un pouvoir politi-
que dans l'exercice duquel le cabinet doit se laisser
guider par ses conceptions propres quant aux prin-
cipes directeurs à appliquer, dans les circonstances,
eu égard à l'intérêt public. L'exercice de ce pou-
voir n'a aucun rapport avec le processus judiciaire
ou quasi judiciaire. La partie qui attaque une
ordonnance ou décision rendue par le CRTC en
vertu de l'article 64(1) choisit un moyen politique,
non une procédure judiciaire.
Se référant à quelques décisions anglaises récen-
tes, l'avocat des demanderesses a allégué qu'il
suffisait que l'autorité compétente ait [TRADUC-
TION] «l'obligation d'agir équitablement» pour être
liée par les règles de, justice naturelle et par le
principe audi alteram partem. A mon sens, ce
raisonnement soulève une question de terminologie
plutôt que de fond (voir S.A. de Smith, Judicial
Review of Administrative Action, 3e éd., p. 347).
En tout cas, cette «obligation d'agir équitablement»
ne peut être comprise que comme une obligation
d'adopter une procédure équitable pour donner
effet à la maxime midi alteram partem. Ma réac-
tion est la même. L'introduction dans les procédés
du gouverneur en conseil et du cabinet des exigen-
ces de procédure qui découlent de la règle audi
alteram partem me semble à ce point incompatible
et inconciliable avec leur fonctionnement normal
en tant que pouvoir exécutif du gouvernement et
avec l'obligation qu'ont les ministres de la Cou-
ronne de rendre compte à la Chambre des commu
nes, qu'elle ne peut être imposée à moins que le
Parlement n'ait exprimé son intention en ce sens
dans la loi applicable ou que le libellé de cette loi
ne permette de conclure facilement que c'était là
son intention.
Pour tous ces motifs, je pense que l'attaque
formulée dans l'action des demanderesses contre
les décrets du conseil sur le seul fondement qu'on
ne leur a pas accordé une audition complète et
équitable conformément aux règles de justice natu-
relle, ne peut pas réussir. La demande d'annulation
est donc bien fondée et sera accueillie. Quoique
Bell Canada ait choisi de soulever le problème
juridique qui se posait en l'espèce par voie de
défense, elle a participé à l'audition de la présente
demande et a demandé à être jointe aux autres
défendeurs-requérants. La déclaration sera donc
radiée par rapport à tous les défendeurs y compris
Bell Canada, et l'action sera rejetée.
ORDONNANCE
La demande est accueillie avec frais accordés
aux requérants.
La déclaration est radiée par rapport à tous les
défendeurs et l'action est rejetée avec frais accor
dés à tous les défendeurs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.