A-465-77
Le registraire des marques de commerce (Appe-
lant)
c.
Ugine Aciers (Intimée)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge
suppléant Hyde—Montréal, les 8 et 9 juin 1978.
Marques de commerce — Enregistrement — Annulation par
la Division de première instance de la décision du registraire
refusant d'enregistrer une marque au motif qu'elle crée de la
confusion avec une marque de commerce déposée appartenant
à une autre société en liaison avec des marchandises identiques
— Intimée et titulaire de la marque de commerce déposée
appartenant au même consortium — La Division de première
instance a-t-elle commis une erreur en annulant la décision du
registraire? — Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970,
c. T-10, art. 15, 36(1).
Cet appel est dirigé contre un jugement de la Division de
première instance qui a cassé la décision qu'avait prise le
registraire des marques de commerce de rejeter la demande de
l'intimée visant l'enregistrement de la marque UGIPLUS. Le
registraire estimait que la marque n'était pas enregistrable
parce qu'elle créait de la confusion avec la marque de com
merce UGINOX, appartenant à une autre société qui l'utilisait
en liaison avec des marchandises identiques. L'intimée et le
titulaire de la marque UGINOX étaient contrôlés par les mêmes
intérêts financiers.
Arrêt: l'appel est accueilli. Aucun des motifs exprimés par le
premier juge à l'appui de sa décision ne semble résister à
l'examen. Si le jugement est interprété comme affirmant que la
marque de commerce UGIPLUS est enregistrable en vertu de
l'article 15, il est fondé sur une erreur manifeste puisque les
marques UGIPLUS et UGINOX n'appartiennent pas au même
propriétaire. Le témoignage que le juge a entendu ne le place
pas dans une meilleure position que le registraire pour trancher
le litige, puisque ce témoignage ne contient rien de pertinent
qui n'ait été communiqué au registraire. En outre, on ne peut
conclure de ce témoignage que l'usage de marques de com
merce commençant par le préfixe uGt n'avait jamais été source
de confusion. Ces autres marques de commerce comportant le
préfixe uGI ont été enregistrées dans des circonstances en
liaison avec des produits non précisés, et cela constitue une
considération qui n'est pas pertinente. La décision du regis-
traire est fondée sur une interprétation correcte de la Loi: la
marque n'était pas enregistrable parce qu'elle créait de la
confusion avec la marque de commerce UGINOX qui avait été
enregistrée par une autre société, contrôlée par les mêmes
intérêts financiers que l'intimée, en liaison avec des produits
identiques.
APPEL.
AVOCATS:
J. M. Aubry pour l'appelant.
H. Richard pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelant.
Léger, Robic, Rouleau & Richard, Montréal,
pour l'intimée.
Voici les motifs du jugement prononcés à l'au-
dience en français par
LE JUGE PRATTE: Cet appel est dirigé contre un
jugement de la Division de première instance
[[1978] 1 C.F. 626] qui a cassé la décision qu'a-
vait prise le registraire des marques de commerce,
en vertu de l'article 36(1) de la Loi sur les mar-
ques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, de reje-
ter la demande d'enregistrement de la marque
UGIPLUS que lui avait présentée l'intimée.
L'intimée avait sollicité l'enregistrement de cette
marque en liaison avec les produits suivants:
Métaux communs bruts et mi-ouvrés et leurs alliages, ancres,
enclumes, cloches, matériaux à bâtir laminés et fondus, rails et
autres matériaux métalliques pour les voies ferrées, cables et
fils métalliques non électriques, serrurerie, tuyaux métalliques,
coffres-forts et cassettes, billes d'acier, fer à cheval, clous et vis,
autres produits en métal non précieux non compris dans d'au-
tres classes.
Le registraire rejeta cette demande au motif que
la marque n'était pas enregistrable parce qu'il
s'agissait d'une «expression créant de la confusion
avec une marque de commerce déposée», la
marque UGINOX, qui avait été enregistrée par une
autre société, contrôlée par les mêmes intérêts
financiers que l'intimée, en liaison avec des pro-
duits décrits comme suit:
Métaux communs bruts et mi-ouvrés et leurs alliages; aciers
inoxydables.
Suivant le registraire, chacune des deux marques
contenant le préfixe UGI et étant utilisées en liai
son avec des marchandises identiques, il fallait
dire, suivant les termes de l'article 6(2), que l'em-
ploi de ces deux marques «dans la même région
serait susceptible de faire conclure que les mar-
chandises en liaison avec ces marques de com
merce sont fabriquées, vendues, ... par la même
personne». Le registraire était renforcé dans son
opinion par le fait que l'intimée appartenait à un
groupe important de sociétés (contrôlées directe-
ment ou indirectement par la société Pechiney-
Ugine-Kuhlmann) qui utilisaient toutes des mar-
ques de commerce contenant le préfixe UGI de
sorte que, comme les avocats de l'intimée l'avaient
écrit au registraire, «Le public associe toutes ces
marques à la maison française, Pechiney Ugine
Kuhlmann, ...».
C'est cette décision du registraire qu'a cassée le
jugement qui fait l'objet de ce pourvoi.
Pour prononcer la décision attaquée, la Division
de première instance s'est fondée uniquement sur
le dossier du registraire et sur le témoignage d'un
M. Messud, représentant du groupe Pechiney-
Ugine-Kuhlmann au Canada.
J'ai déjà résumé l'essentiel des faits révélés par
le dossier du registraire. A cela, le représentant
Canadien du groupe Pechiney-Ugine-Kuhlmann,
entendu comme témoin par le premier juge, a
ajouté peu de chose: il a fourni une description
plus détaillée des activités des sociétés appartenant
au groupe qu'il représentait et a affirmé, comme
l'a souligné le premier juge, qu'il n'avait jamais
entendu dire que l'usage par les diverses compa-
gnies de ce groupe de marques de commerce com-
portant le même préfixe UGI ait été source de
confusion.
Les raisons pour lesquelles le premier juge a
cassé la décision du registraire sont obscures. Dans
les motifs de son jugement, il rapporte d'abord
fidèlement les dispositions législatives applicables.
Il décrit ensuite la structure du groupe Pechiney-
Ugine-Kuhlmann et conclut cette description en
disant [aux pages 628 et 629]:
C'est un empire de plus de cent cinquante compagnies avec, en
fait et en substance, un seul propriétaire bénéficiaire, cette dite
compagnie qui détient, directement ou indirectement, toutes les
actions des filiales, sous-filiales et sous-sous-filiales; il s'agit, au
fàit, d'un seul propriétaire, direct ou indirect, d'un seul bénéfi-
ciaire ultime.
Le juge mentionne ensuite que, en l'espèce, on ne
saurait appliquer l'article 15 (qui permet l'enregis-
trement de marques de commerce créant de la
confusion lorsque ces marques appartiennent à la
même personne) à moins de considérer le groupe
de sociétés dont l'intimée fait partie comme consti-
tuant une seule et même personne. Puis, le juge
abandonne ce sujet et termine son jugement de la
façon suivante [aux pages 629 et 630]:
A l'audition, j'ai eu l'avantage d'entendre le plus haut cadre
au Canada du groupe Pechiney-Ugine-Kuhlmann. Le regis-
traire n'a pas eu cet avantage. Je crois que le témoignage de M.
Messud a éclairé l'affaire, en faisant une synthèse du fonction-
nement du groupe de compagnies, et en expliquant le pourquoi
de l'usage du préfixe UGI. Ce préfixe UGI est employé parce que
la première aciérie dans le groupe fut construite et opérée au
village d'Ugine, en Savoie, France. UGI en soi n'est pas un nom
géographique, pas plus que MONT est un nom géographique
comparé à Montréal.
Le savant procureur a dit que le registraire savait qu'il
s'agissait d'un groupe de compagnies mais je doute qu'une
lettre ait la même force d'impact et puisse donner la même
clarté que l'exposé que M. Messud a fait du groupe, de l'usage
d'uGINox, de celui d'UGIPLus, et des différents produits aux-
quels ces mots se rattachent et des différents groupes de
personnes auxquels ils s'adressent.
Le registraire n'a pas pu évaluer ces faits de la même façon
que la Cour, vu qu'il n'a pas eu l'avantage du témoignage de
M. Messud, lequel témoignage, qui a été permis par la Cour,
est plus élaboré et apporte une lumière nouvelle en faisant bien
sentir que l'usage du mot UGI n'a jamais créé de confusion.
A la page 48 de la transcription de la preuve, on peut lire la
question suivante posée à M. Messud, et sa réponse:
Q. Fut-il déjà porté à votre attention, monsieur Messud, que
le public consommateur créait de la confusion entre les
différents produits sur le marché par votre énorme entre-
prise, par ses différentes filiales, produits identifiés par
des marques de commerce portant toutes les préfixes
«Ugi»; vous a-t-il été donné de prendre connaissance de
témoignages de quelqu'un qui disait que ceci portait à
confusion?
R. J'ai jamais entendu parler de confusion; je crois que le
but recherché est de séparer les différentes catégories de
produits par des marques différentes, tout en maintenant
l'unité de l'image, et c'est le rôle que joue le préfixe
«Ugi», et c'est la deuxième partie de la marque en général
qui différencie les produits, et s'applique à une certaine
catégorie de produits par rapport à d'autres et je n'ai pas
connaissance de confusion à ce sujet.
L'on a mentionné à la Cour des marques de commerce avec
les préfixes UGI, soit «Ugicarb», «Ugigramme», «Ugicryl», «Ugi-
dien», «Ugigrip», «Ugigum» et également les noms suivants
enregistrés au Canada: «Ugi», «Ugigum», «Ugicryl», «Ugibor»,
«Ugipren» et «Ugitex». Si de tels noms ont été enregistrés, je ne
vois pas pourquoi UGIPLUS ne le serait pas également.
Prenant tous les facteurs en considération et ne croyant pas
qu'il puisse y avoir confusion, l'appel sera alloué.
Cette décision ne m'apparaît pas fondée.
Le juge saisi d'un appel d'une décision du regis-
traire des marques de commerce a, bien sûr, le
pouvoir de la réviser et, en particulier, il peut
substituer ses propres constatations des faits à
celles du registraire. Mais, il faut que le juge ait
des raisons qui le justifient d'agir ainsi.
En l'espèce, aucun des motifs exprimés par le
premier juge à l'appui de sa décision ne me semble
résister à l'examen.
Si, comme l'a soutenu l'appelant, le jugement
doit être interprété comme affirmant que la
marque UGIPLUS est enregistrable en vertu de
l'article 15, il faut dire que ce jugement est fondé
sur une erreur manifeste puisqu'il est clair que les
marques UGIPLUS et UGINOX n'appartiennent pas
au même propriétaire.
Quant à l'affirmation du premier juge qu'il
était, après avoir entendu le témoignage de M.
Messud, dans une meilleure position que le regis-
traire pour trancher le litige, je ne peux y croire
puisque ce témoignage ne contenait rien de perti
nent qui n'ait été déjà communiqué au registraire.
Le premier juge ne pouvait pas non plus, à mon
avis, rien conclure de l'affirmation de M. Messud
que, à sa connaissance, l'usage de marques de
commerce commençant par le préfixe UGI n'avait
jamais été source de confusion. Certaines réponses
données par le témoin en contre-interrogatoire
indiquent précisément que ces marques de com
merce étaient utilisées par les diverses sociétés
dans le but de créer de la confusion:
Q. J'ai cru comprendre, suite au témoignage que vous don-
niez tout à l'heure, que «Pechiney-Ugine-Kuhlmann» a
décidé à un certain point d'identifier tous les produits de
ses filiales en utilisant un mot commun «ugi» ou «ugine»?
R. Oui.
Q. L'intention ici c'était, si je comprends bien, de convaincre
le public qui achetait les produits d'une ou de plusieurs de
ces filiales-là qu'ils avaient une origine commune, qu'ils
venaient du groupe «Pechiney-Ugine-Kuhlmann»?
R. Oui.
Q. Qu'ils avaient une origine commune, et que c'était pro-
duits par la même personne?
R. Oui, dans le cas des deux sociétés qui nous intéressent
actuellement, je rappelle que le métal brut utilisé par
.Ugine Guegnon» qui est la filiale, ... (interrompu).
Le juge, enfin, fait état de ce que plusieurs
autres marques comportant le préfixe UGI ont déjà
été enregistrées dans des circonstances en liaison
avec des produits qu'il ne précise pas. C'est là, je
dois le dire, une considération dont la pertinence
m'échappe.
Ces motifs, qui sont les seuls que donne le
premier juge à l'appui de son jugement, m'appa-
raissent donc bien fragiles. En revanche, la déci-
sion du registraire me semble empreinte de bon
sens et fondée sur une interprétation correcte de la
Loi.
Pour ces motifs, la décision attaquée me paraît
mal fondée et devoir être cassée.
* * *
LE JUGE LE DAIN y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE y a souscrit.
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