T-1070-78
La Société d'assurance des Caisses populaires
(Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Marceau—
Québec, le 17 janvier; Ottawa, le 22 janvier 1979.
Pratique — Requête en radiation de la déclaration au motif
qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action et requête
pour permission d'amender la déclaration — Colis déposés et
enregistrés pour livraison, contenant des billets de banque
propriété de la demanderesse, volés au bureau de poste — La
demanderesse prétend que le vol a été rendu possible par la
négligence grossière d'employés de la poste — La Couronne ne
peut être tenue responsable vu l'art. 42 de la Loi sur les postes
— La Cour n'a pas juridiction pour décider de l'amendement
proposé qui vise à introduire un recours direct contre les
employés — Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C.
1970, c. C-38, art. 3(1)a) — Loi sur les postes, S.R.C. 1970, c.
P-14, art. 42.
ACTION.
AVOCATS:
Édouard Martin pour la demanderesse.
Jean-Marc Aubry pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Gagnon, de Billy, Cantin, Martin, Beaudoin
& Lesage, Québec, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE MARCEAU: La Cour est ici saisie de
deux requêtes liées l'une à l'autre et soumises par
chacune des parties en même temps. La première
conclut au rejet de la déclaration au motif qu'elle
ne révélerait aucune cause d'action: c'est la
requête importante pour l'audition de laquelle la
Cour a été convoquée. La seconde (présentée sans
avis suffisant mais de consentement) demande per
mission d'amender la déclaration en vue spéciale-
ment de mettre en cause des défendeurs addition-
nels: évidemment suscitée par la première, son but
serait de mieux faire voir le fondement susceptible
de soutenir l'action. Voici ce dont il s'agit.
La demanderesse réclame de la défenderesse la
somme de $341,492.70. Cette somme représente la
valeur de colis, contenant des billets de banque,
qui seraient disparus à la suite d'un vol survenu au
bureau de poste où ils avaient été déposés et
enregistrés pour livraison. La demanderesse pré-
tend que le vol a été rendu possible par la faute
lourde et la négligence grossière d'employés de la
poste et que la défenderesse est tenue en consé-
quence de la dédommager de la perte qui lui en est
résultée. Une telle action, en prenant pour avérés
les faits allégués, est-elle recevable? C'est là le
problème qui est soulevé.
Chacun sait que la responsabilité civile de la
Couronne, en quelque domaine que ce soit, ne
saurait être recherchée que sur la base d'une dispo
sition législative formelle d'où elle pourrait décou-
ler. Cette disposition, la demanderesse ici prétend
tout simplement la trouver dans l'alinéa 3(1)a) de
la Loi sur la responsabilité de la Couronne,
S.R.C. 1970, c. C-38 qui, depuis 1953, rend cel-
le-ci responsable en principe des délits civils
commis par ses préposés. C'est d'ailleurs pour
mieux montrer la base de cette responsabilité que
la demanderesse cherche à joindre comme codé-
fendeurs les employés qui se seraient présumément
rendus coupables de fautes lourdes et contre les-
quels elle aurait d'abord recours. La défenderesse,
cependant, soutient que la Loi sur la responsabi-
lité de la Couronne ne s'applique pas en l'espèce,
peu importe que la défenderesse soit poursuivie
seule ou conjointement avec ses employés, à suppo-
ser qu'une telle poursuite conjointe soit possible
devant cette cour. Elle se fonde sur l'article 42 de
la Loi sur les postes, S.R.C. 1970, c. P-14 aux
termes duquel:
42. Ni Sa Majesté ni le ministre des Postes n'est responsa-
ble, envers qui que ce soit, à l'égard d'une réclamation décou-
lant de la perte, du retard ou du traitement défectueux de tout
objet déposé à un bureau de poste sauf les prescriptions de la
présente loi ou des règlements.
Les Règlements adoptés sous l'empire de la Loi
sur les postes ne contiennent aucune disposition
relative à une quelconque responsabilité et ne pré-
voient au cas de perte de «paquets d'argent» que le
versement d'une indemnité forfaitaire (Règlement
sur les droits postaux de services spéciaux, Partie
II et III, spécialement article 8) qui a été ici
versée. Aussi est-il clair que l'article 42 de la Loi,
s'il s'applique, oppose une fin de non-recevoir
péremptoire à l'action intentée, mais la question
justement est de savoir si la disposition doit se voir
attribuer effet dans un cas où les faits sont tels
qu'invoqués.
La défenderesse soutient que l'article 42, édicté
dans le cadre d'une loi spéciale qui ne saurait être
affectée par la Loi générale sur la responsabilité de
la Couronne (Maxwell, The Interpretation of Sta
tutes, 12e édition, pp. 196 et suiv.) a une portée
absolue qui ressort de façon non équivoque des
termes mêmes utilisés par le texte et qui a d'ail-
leurs été reconnue comme telle par une jurispru
dence établie. (La Reine c. Randolph [ 1966]
R.C.S. 260; Banque de Montréal c. Bay Bus Ter
minal (North Bay) Ltd. [1963] 1 O.R. 561; Len-
doiro c. La Reine [1962] R.C.É. 58; La Caisse
Populaire de St-Calixte de Kilkenny c. La Reine
[1968] R.C.S. 955.) La demanderesse conteste que
la disposition ait une portée aussi absolue. S'ap-
puyant sur une décision isolée de cette cour
(Simons c. La Reine [1974] 2 C.F. 549) et sur le
raisonnement succinct d'un commentateur (Imma-
rigeon, La responsabilité extra-contractuelle de la
Couronne au Canada, Montréal, 1965, pp. 212 et
suiv.), elle soutient que l'article 42 doit recevoir
une interprétation stricte et limitative, dégagée à
la lumière du principe établi en jurisprudence à
l'effet qu'une clause de non-responsabilité dans un
contrat ne saurait couvrir la faute lourde.
Le prétention de la demanderesse m'apparaît
insoutenable. Premièrement, il n'est pas question
ici de responsabilité contractuelle (Banque de
Montréal c. Bay Bus Terminal (North Bay) Ltd.
ci-haut cité). Deuxièmement, du principe jurispru-
dentiel à l'effet qu'une clause de non-responsabilité
couvrant la faute lourde serait contraire à l'ordre
public ne saurait évidemment découler une
pseudo-règle limitative du pouvoir législatif du
Parlement. Troisièmement, on ne saurait, sous pré-
texte d'interprétation stricte, fausser le sens d'un
texte législatif et je ne vois pas comment il serait
possible, à travers les termes utilisés par le législa-
teur dans cet article 42, de classer les cas de perte
selon leur «cause» et de ne retenir comme couverts
par l'exclusion que ceux où la perte ne serait
résultée que par suite d'une faute légère des
employés de la poste.
A mon avis, l'article 42 de la Loi sur les postes
ne peut que se voir attribuer la portée générale que
la lecture du texte suggère et que la jurisprudence
a reconnue. Que la Couronne soit poursuivie seule
ou conjointement avec ses préposés, qu'elle soit
mise en cause en tant que commettant ou autre-
ment, et que la perte déplorée se rattache à une
faute légère ou lourde, peu importe: la disposition
oppose un obstacle péremptoire à tout recours en
responsabilité. L'action ne saurait réussir contre la
défenderesse.
La requête pour amender, considérée isolément,
n'exige aucun commentaire particulier. L'amende-
ment vise en effet à introduire un recours direct
contre les employés présumément en faute. Ce
recours existe peut-être en vertu du Code civil de
la province de Québec malgré l'article 42 de la Loi
sur les postes, mais de toute façon cette cour n'a
pas juridiction pour en décider. (McNamara Con
struction (Western) Limited c. La Reine [1977] 2
R.C.S. 654; Quebec North Shore Paper Company
c. Canadien Pacifique Limitée [1977] 2 R.C.S.
1054.)
ORDONNANCE
La requête pour permission d'amender présentée
par la demanderesse est refusée.
La requête de la défenderesse en rejet de la
déclaration est maintenue avec dépens. L'action
est en conséquence rejetée avec dépens.
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