A-249-78
Ibrahima Garba (Requérant)
c.
Suzanne Lajeunesse (Intimée)
et
Le sous-procureur général du Canada (Mis-en-
cause)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge
suppléant Hyde—Montréal, le 19 septembre;
Ottawa, le 15 novembre 1978.
Examen judiciaire — Immigration — Refus de l'arbitre de
rouvrir l'enquête afin d'étudier des éléments de preuve addi-
tionnels — Refus fondé sur le fait que ces éléments de preuve
étaient disponibles au moment de l'enquête, mais qu'ils n'ont
pas été produits — Les motifs sur lesquels l'arbitre a fondé sa
décision sont-ils, en droit, suffisants? — Loi sur l'immigration
de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 35(1) — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28.
Cette requête en vertu de l'article 28 est dirigée contre la
décision d'un arbitre en vertu de la Loi sur l'immigration de
1976 refusant de rouvrir l'enquête au terme de laquelle il avait
prononcé l'exclusion du requérant. L'arbitre a refusé d'exercer
son pouvoir discrétionnaire de refuser de rouvrir l'enquête au
motif que les éléments de preuve que le requérant a cherché à
produire étaient disponibles avant l'enquête et qu'ils ne l'ont
pas été uniquement parce que le requérant a jugé que la preuve
présentée était suffisante. La seule question est celle de savoir si
les motifs sur lesquels l'arbitre a fondé sa décision sont, en
droit, suffisants: l'arbitre a-t-il fondé sa décision sur des consi-
dérations non pertinentes ou a-t-il omis de tenir compte de faits
qu'il aurait dû prendre en considération?
Arrêt: la demande est rejetée.
Le juge Pratte: Les considérations principales qui devraient
normalement influer sur l'exercice du pouvoir sont la force
probante et la pertinence des preuves nouvelles. Vile enquête ne
doit pas être rouverte pour connaître une - preuve qui n'est pas
digne de foi ou qui se rapporte à un fait dont l'existence ne peut
influencer le résultat du litige, ni pour permettre l'introduction
d'une preuve dont on ne connaît ni la force probante, ni la
pertinence. Le fait que les preuves nouvelles n'aient pas été
récemment découvertes et aient pu être produites à l'enquête ne
peut, en lui-même et sans égard aux circonstances, toujours
justifier un refus de rouvrir une enquête. L'arbitre n'a pas agi
illégalement en refusant de rouvrir l'enquête. Rien ne permet
de croire que les preuves offertes, qui se rapportaient à des faits
directement soulevés lors de l'enquête, ne pouvaient être pro-
duites à ce moment. De plus, la nature exacte des preuves n'a
jamais été expliquée.
Le juge Le Dain: Les mots «nouveaux témoignages et ...
autres preuves» dans l'article 35 de la Loi sur l'immigration de
1976 signifient simplement des témoignages et preuves qui
n'ont pas été présentés lors de l'enquête. Malgré cette interpré-
tation de l'article 35, le fait qu'une preuve ait pu être faite ou
produite lors d'une enquête est une considération pertinente
pouvant justifier de refuser une réouverture d'enquête.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
M. Chénard pour le requérant.
S. Marcoux-Paquette pour l'intimée et le
mis-en-cause.
PROCUREURS:
Marc Chénard, Montréal, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée et le mis-en-cause.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE PRATTE: Cette requête en vertu de
l'article 28 est dirigée contre la décision d'un
arbitre en vertu de la Loi sur l'immigration de
1976, S.C. 1976-77, c. 52, refusant de rouvrir
l'enquête au terme de laquelle il avait prononcé
l'exclusion du requérant.
Le requérant vient du Niger. Il a été admis au
Canada comme non-immigrant visiteur le 11
février 1977. Le 24 janvier 1978, son statut de
non-immigrant ayant pris fin, il se rapporta à un
officier d'immigration conformément à l'article
7(3) de la Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c.
I-2, alors en vigueur et demanda à être autorisé à
demeurer ici comme non-immigrant étudiant.
L'officier d'immigration fut d'avis que le requé-
rant ne satisfaisait pas aux exigences de l'article 35
du Règlement, DORS/67-434, qui prescrivait les
conditions auxquelles un étranger pouvait être
admis au pays comme étudiant. Le 29 mars, l'offi-
cier dressa donc un rapport en vertu de l'article 22
où il exprimait l'opinion que le requérant ne satis-
faisait pas aux exigences du Règlement, notam-
ment parce qu'il ne possédait pas les ressources
financières suffisantes pour satisfaire à ses besoins
au cours de la période pendant laquelle il voulait
étudier au pays. Avant que n'ait lieu l'enquête qui
devait faire suite à ce rapport, la Loi sur l'immi-
gration de 1952 fut abrogée et la Loi sur l'immi-
gration de 1976 entra en vigueur. Vu les termes de
l'article 126c) de la Loi nouvelle,' l'enquête dont le
requérant devait faire l'objet eut lieu devant un
arbitre conformément à cette dernière loi. Cette
enquête eut lieu les 3 et 9 mai. Le requérant, qui
en avait été prévenu plusieurs jours plus tôt et qui
avait reçu communication du rapport dressé en
vertu de l'article 22, s'y présenta accompagné de
son avocat. Interrogé sur ses ressources financiè-
res, il produisit une lettre d'une caisse populaire
attestant qu'il avait $923 au crédit de son compte
et affirma que ses parents, demeurant au Niger,
lui envoyaient de l'argent de façon assez irrégu-
lière; il ajouta enfin, sans donner plus de détails,
qu'il pouvait compter sur l'aide financière d'une
jeune fille de la ville de Québec avec qui il était
fiancé. L'arbitre jugea que la somme de $923 était
insuffisante pour permettre au requérant de subve-
nir à ses besoins pendant une période de plus de
huit mois et, vu l'imprécision et l'absence de corro
boration de son témoignage sur l'aide qu'il pouvait
compter recevoir de ses parents et de sa fiancée,
l'arbitre exprima l'avis que le requérant ne satis-
faisait pas aux exigences du Règlement et, en
conséquence, ordonna son exclusion.
Cette décision fut prononcée le 9 mai.
Le 11 mai, le requérant et son avocat adres-
saient à l'arbitre une demande de réouverture d'en-
quête dont le texte se lisait comme suit:
1. Le requérant après enquête a été informé d'une décision
d'exclusion;
2. Le motif de la décision a porté sur la suffisance des ressour-
ces financières;
3. Sauf explication de l'enquêteur spécial après la décision
d'exclusion, le requérant n'a pas antérieurement été informé
des critères justifiant la suffisance monétaire. Il savait unique-
ment qu'il devait posséder des ressources monétaires et croyait
qu'une somme de neuf cents dollars ($900), quitte à parfaire,
était suffisante pour une période de six (6) à huit (8) mois;
4. Le requérant à la suggestion de son procureur n'a pas
produit un document en sa possession à l'effet qu'une personne
pouvait se porter fort de sa situation au cas de besoin;
5. La famille du requérant et particulièrement son père sont
solvables, en mesure et d'accord à fournir au requérant une
' 126. Pour plus de certitude, il est précisé que
c) le rapport, visé à l'article 22 de la Loi sur l'immigration,
abrogée par le paragraphe 128(1) de la présente loi, concer-
nant une personne qui n'a pas fait l'objet d'une enquête
complémentaire ou d'une enquête en vertu de la loi abrogée,
est réputé avoir été fait à un agent d'immigration supérieur
conformément à l'alinéa 20(1)a) de la présente loi.
somme suffisante aux fins de lui assurer une vie étudiante
normale. Le pays d'origine du requérant ne s'oppose pas au
transfert des sommes. Un document est produit à cet effet;
6. Le requérant termine un cycle d'étude et son départ porte-
rait un préjudice irréparable;
7. Le requérant est convaincu qu'il n'a pas produit un plai-
doyer complet qu'il est en mesure de fournir.
PLAISE A VOUS:
Réouvrir l'enquête aux conditions que vous jugerez opportunes.
Le 16 mai, l'arbitre écrivait au requérant pour
lui faire part de sa décision de ne pas rouvrir
l'enquête. Dans cette lettre, l'arbitre exprimait
ainsi les motifs de sa décision:
J'ai soigneusement étudié les motifs invoqués dans votre
demande. J'en suis venue à la décision de ne pas réouvrir
l'enquête puisqu'il y a tout lieu de croire que les éléments de
preuve que vous désirez porter à mon attention et qui sont
mentionnés aux paragraphes 4 et 5 de votre demande étaient
disponibles au moment de l'enquête ou à tout le moins accessi-
bles avant l'enquête et que vous auriez dû prendre les disposi
tions nécessaires pour les produire à l'enquête. En fait, la lettre
dont il est fait mention au paragraphe 4 de votre demande était
déjà en votre possession au moment de l'enquête. Quant au
document mentionné au paragraphe 5, vous aviez été saisi du
rapport rédigé en vertu de l'article 22 de la Loi sur l'Immigra-
tion de 1952 dés le 6 avril 1978 alors que l'enquête s'est
déroulée les 3 et 9 mai 1978 et de plus, il n'est fait aucune
mention dans votre requête à l'effet que cette preuve vous eut
été rendue inaccessible avant la tenue de l'enquête.
Au contraire, votre demande de réouverture d'enquête indi-
que clairement que la seule raison pour laquelle vous n'avez pas
produit ces éléments de preuve à l'enquête était que vous étiez
d'opinion que l'attestation bancaire versée comme pièce à l'ap-
pui P-4 était suffisante.
C'est cette décision qu'attaque le requérant.
•
L'article 35(1) de la Loi sur l'immigration de
1976 accorde à l'arbitre le pouvoir de rouvrir une
enquête:
35. (1) Sous réserve des règlements, 2 une enquête menée
par un arbitre peut être réouverte à tout moment par le même
arbitre ou par un autre, à l'effet d'entendre de nouveaux
témoignages et de recevoir d'autres preuves, et l'arbitre peut
alors confirmer, modifier ou révoquer la décision antérieure.
2 La seule disposition du Règlement sur ce sujet se trouve à
l'article 39:
39. Selon le paragraphe 35(1) de la Loi, l'enquête peut
être réouverte par l'arbitre si la personne en cause en fait la
demande ou en donne la permission par écrit ou si la décision
prise à l'enquête serait modifiée en faveur de la personne en
cause.
Ce pouvoir est discrétionnaire. Et la seule question
que soulève cette affaire est celle de savoir si les
motifs sur lesquels l'arbitre a fondé sa décision
sont, en droit, suffisants. En d'autres mots, l'arbi-
tre a-t-il fondé sa décision sur des considérations
non pertinentes ou a-t-il omis de tenir compte de
faits qu'il aurait dû prendre en considération?
Tentant de répondre à cette question, madame
Paquette a prétendu que l'article 35(1) n'autorisait
un arbitre à rouvrir une enquête que pour prendre
connaissance d'une preuve découverte depuis la fin
de l'enquête. Cette interprétation de l'article 35(1)
est erronée; le pouvoir que cette disposition
accorde à l'arbitre n'est pas ainsi limité. L'arbitre
peut rouvrir une enquête même si la preuve qu'on
veut lui soumettre aurait pu être produite lors de
l'enquête. Et j'ajouterai que, à mon sens, le fait
qu'une preuve soit ou ne soit pas nouvellement
découverte n'est pas le plus important que l'arbitre
doive prendre en considération dans l'exercice du
pouvoir que lui confère l'article 35. Dans la mesure
où l'on peut, en pareille matière, parler de façon
générale, il me semble que les considérations prin-
cipales qui devraient normalement influer sur
l'exercice de ce pouvoir sont la force probante et la
pertinence des preuves nouvelles. Il ne convient
pas, en effet, de rouvrir une enquête pour connaî-
tre une preuve qui n'est pas digne de foi ou qui se
rapporte à un fait dont l'existence ne peut influen-
cer le résultat du litige. 3 Le fait que les preuves
nouvelles n'aient pas été récemment découvertes et
aient pu être produites à l'enquête ne me paraît
pas, en lui-même et sans égard aux circonstances,
pouvoir toujours justifier un refus de rouvrir une
enquête. Beaucoup d'enquêtes en vertu de la Loi
sur l'immigration sont, et doivent être, tenues
rapidement, dans des conditions telles qu'on ne
peut toujours reprocher à ceux qui en sont l'objet
d'avoir omis de produire des preuves qui, en théo-
rie, étaient à leur disposition. De cela il faut tenir
compte, sans toutefois oublier, non plus, les abus
qui risqueraient de se produire si on ne prenait pas
en considération, dans l'exercice du pouvoir con
3 Il ne convient pas, non plus, de rouvrir une enquête pour
permettre l'introduction d'une preuve dont on ne connaît ni la
force probante, ni la pertinence; c'est pour cela que, à mon avis,
celui qui demande une réouverture d'enquête devrait normale-
ment fournir des précisions sur les preuves nouvelles qu'il veut
apporter de façon à ce que l'arbitre soit en mesure de se former
une opinion sur ces deux points.
féré par l'article 35, le refus délibéré d'une partie
de produire une preuve à l'enquête.
Dans les circonstances que révèle le dossier, je
ne crois pas que l'arbitre ait agi illégalement en
refusant de rouvrir l'enquête. Il s'agissait d'une
enquête fort simple dont le requérant avait été
prévenu plusieurs jours à l'avance. Avant le pro-
noncé de la décision, l'enquête fut ajournée du 9
au 11 mai, accordant ainsi au requérant et à son
avocat un délai de réflexion supplémentaire. De
plus, les preuves offertes, dont la requête ne préci-
sait pas la nature, se rapportaient à des faits qui
avaient été directement soulevés lors de l'enquête
et que ni le requérant ni son avocat n'avaient pu
oublier. Rien ne permet de croire que ces preuves
ne pouvaient être produites à ce moment. Dans ces
circonstances, on pouvait juger que le défaut de
produire ces preuves à l'enquête était le résultat
d'une décision délibérée ou d'une négligence grave,
ce qui, à mon sens, constituait une justification
légalement suffisante de la décision attaquée.
Je suis donc d'opinion de rejeter cette demande
d'annulation.
Avant d'en terminer avec cette affaire, je veux
faire une autre observation. J'ai déjà dit que l'en-
quête dont le requérant a été l'objet a été tenue
suivant la procédure prévue par la nouvelle Loi sur
l'immigration de 1976 suite à un rapport dressé en
vertu de l'article 22 de l'ancienne Loi. A cela, rien
à redire puisque l'article 126c) de la Loi nouvelle
prescrit que le rapport fait au sujet du requérant
doit être «réputé avoir été fait à un agent d'immi-
gration supérieur conformément à l'alinéa 20(1)a)
de la présente loi.» Cependant, l'arbitre a prononcé
l'exclusion du requérant non pas parce qu'il n'était
pas admissible en vertu de la Loi nouvelle mais
parce qu'il ne satisfaisait pas à des prescriptions
réglementaires qui, depuis le 10 avril 1978, avaient
cessé d'exister. Cela me paraît irrégulier. A mon
avis, depuis la mise en vigueur de la Loi sur
l'immigration de 1976, c'est en vertu de cette loi et
du Règlement adopté sous son empire que doit être
jugée l'admissibilité de ceux qui sollicitent l'admis-
sion au Canada. Si je le dis c'est uniquement pour
ne pas paraître approuver tacitement une décision
que je juge mauvaise. En effet, en l'espèce, cette
erreur ne peut profiter au requérant qui, suivant
l'article 10 de la Loi nouvelle et les articles 15, 16
et 17 du nouveau Règlement, ne peut être admis
au pays comme étudiant.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: Je suis d'accord.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE LE DAIN: Je crois que cette demande
doit être rejetée pour les motifs que donne le juge
Pratte. A mon avis les mots «nouveaux témoigna-
ges et ... autres preuves» dans l'article 35 de la
Loi sur l'immigration de 1976 signifient simple-
ment des témoignages et preuves qui n'ont pas été
présentés lors de l'enquête. Je tiens à préciser
cependant que, malgré cette interprétation de l'ar-
ticle 35, je suis d'avis que le fait qu'une preuve ait
pu être faite ou produite lors d'une enquête est une
considération pertinente pouvant justifier de refu-
ser une réouverture d'enquête.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.