T-3727-78
Palm Dairies Limited (Demanderesse)
c.
La Reine du chef du Canada, le procureur général
du Canada, le ministre des Affaires indiennes et
du Nord canadien, le registraire des terres indien-
nes au ministère des Affaires indiennes et du Nord
canadien et Sarcee Developments Ltd. (Défen-
deurs)
Division de première instance, le juge suppléant
Primrose—Calgary, le 12 septembre; Edmonton,
le 27 septembre 1978.
Pratique — Demande de bref de mandamus et d'ordonnance
portant enregistrement d'un privilège de constructeur et d'un
certificat de litispendance par le registraire des terres indien-
nes, et demande reconventionnelle en radiation — Terres
indiennes — Montant da à la demanderesse par suite de
l'exécution d'un contrat de construction sur des terres situées
dans une réserve indienne, cédées à la Couronne puis données à
bail à une entreprise — Demande d'enregistrement rejetée par
le bureau provincial d'enregistrement des titres de biens-fonds
et par le registraire des terres indiennes à Ottawa — Faut-il
rendre une ordonnance et un bref de mandamus ordonnant au
registraire des terres indiennes d'enregistrer le privilège de
constructeur et le certificat de litispendance? — Faut-il accor-
der aux défendeurs une ordonnance radiant la déclaration? —
Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6, art. 29, 37, 55, 88 —
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 17,
18 — The Builders' Lien Act, S.R.A. 1970, c. 35, art. 25, 26
Règle 419(1)a) de la Cour fédérale.
La demanderesse et son prédécesseur dans les affaires ont
construit un système de distribution d'eau, un système d'égouts
et un champ d'épandage sur des terres situées dans une réserve
indienne qui ont été cédées à la Couronne et données en
location par le Ministre à Sarcee Developments Ltd. pour
soixante-quinze ans. Il s'agit d'une terre non concédée de la
Couronne. La demanderesse réclame à la défenderesse Sarcee
Developments Ltd. la somme de $2,096,438.85. Après le refus
des autorités provinciales d'enregistrer les documents, la
demanderesse a envoyé un privilège de constructeur à Ottawa
aux fins d'enregistrement en vertu de l'article 55 de la Loi sur
les Indiens, par application de The Builders' Lien Act de
l'Alberta, en même temps qu'un certificat de litispendance
faisant valoir un privilège sur les biens de Sarcee Developments
Ltd. Le privilège de constructeur prétend affecter la tenure à
bail mais non la terre elle-même. Quoique le registraire des
affaires indiennes ait informé la demanderesse que l'enregistre-
ment du privilège n'était pas possible parce que les terres
indiennes ne pouvaient faire l'objet de saisie sous le régime d'un
acte judiciaire, la demanderesse continue à soutenir que le
privilège doit être déposé ou accepté. Elle cherche à obtenir une
ordonnance portant enregistrement d'un privilège de construc-
teur et d'un certificat de litispendance au registre des terres
cédées, en même temps qu'une ordonnance provisoire et perma-
nente fixant la date effective de l'enregistrement à la date
suggérée. En outre, la demanderesse requiert un bref de man-
damus provisoire et permanent ordonnant au registraire des
terres indiennes d'enregistrer le privilège de constructeur et le
certificat de litispendance. Sauf Sarcee Developments Ltd., les
défendeurs cherchent à obtenir une ordonnance portant radia
tion de la déclaration à leur encontre.
Arrêt: la déclaration est radiée et l'action est rejetée. Les
terres continuent à être réservées pour les Indiens au sens de
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 et le Parle-
ment du Canada conserve sur ces terres compétence législative
exclusive, ce qui rend inapplicable toute législation provinciale
édictant des règles relatives à l'usage de ces terres. Le privilège
de constructeur est un document susceptible d'être inscrit au
bureau des titres de biens-fonds en vertu des dispositions de
The Builders' Lien Act (Alberta), mais on ne peut pas, en vertu
de la Loi sur les Indiens, ordonner au registraire d'enregistrer
un privilège au registre fédéral, alors qu'aucune disposition
spécifique n'ordonne cet enregistrement. Rien n'autorise à
accorder le redressement demandé dans les plaidoiries. En
outre, Sarcee Developments Ltd. n'est pas une partie pertinente
à l'action, en vertu des articles 17 et 18 de la Loi sur la Cour
fédérale. La demanderesse peut, cependant, chercher un redres-
sement devant une autre cour.
Arrêts appliqués: Corporation of Surrey c. Peace Arch
Enterprises Ltd. (1970) 74 W.W.R. 380; Rossi c. La
Reine [1974] 1 C.F. 531; McNamara Construction (West-
ern) Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.S.C. 654; Quebec North
Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée [1977] 2
R.C.S. 1054. Distinction faite avec les arrêts: Union Drill
ing and Development Co. Ltd. c. Capital Oil & Natural
Gas Co. Ltd. [1931] 2 W.W.R. 507; Stanolind Oil & Gas
Co. c. Rempel Construction Ltd. [1959] R.C.S. 592; Re
Sun Life Assce Co. c. Widmer (1916) 9 W.W.R. 961;
C.P.R. c. District Registrar of Dauphin Land Titles Office
(1956) 4 D.L.R. (2') 518.
DEMANDE.
AVOCATS:
W. D. Goodfellow pour la demanderesse.
I. G. Whitehall, c.r. et B. J. Delong pour les
défendeurs la Reine du chef du Canada, le
procureur général du Canada, le ministre des
Affaires indiennes et du Nord canadien, le
registraire des terres indiennes au ministère
des Affaires indiennes et du Nord canadien.
D. P. McGuire pour la défenderesse Sarcee
Developments Ltd.
PROCUREURS:
Goodfellow MacKenzie, Calgary, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Ce gui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT PRIMROSE: Cette requête
en date du 16 août 1978 présentée pour le compte
de la demanderesse demande une ordonnance por-
tant enregistrement d'un privilège de constructeur
et d'un certificat de litispendance au registre des
terres cédées, un registre tenu à Ottawa au minis-
tère des Affaires indiennes et du Nord canadien en
conformité de l'article 55(1) de la Loi sur les
Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6, dont voici le libellé:
55. (1) II est tenu au ministère un registre, appelé Registre
des terres cédées, dans lequel sont inscrits tous les détails
relatifs à la location ou autre aliénation des terres cédées par le
Ministre, ou à tout transfert qui en est fait.
(2) Un transfert conditionnel ne doit pas être enregistré.
(3) L'inscription d'un transfert peut être refusée tant que la
preuve de l'établissement de cet acte n'a pas été fournie.
(4) Un transfert enregistré selon le présent article est valide
à l'encontre d'un transfert non enregistré ou d'un transfert
subséquemment enregistré.
et une ordonnance provisoire et permanente sta-
tuant que la date effective d'enregistrement du
privilège de constructeur soit le 16 décembre 1977.
On a aussi demandé un bref de mandamus provi-
soire et permanent ordonnant au registraire des
terres indiennes d'enregistrer le privilège de cons-
tructeur et le certificat de litispendance, ainsi
qu'une ordonnance statuant que la date de ces
enregistrements soit celle à laquelle le registraire
des terres indiennes a reçu ce privilège et ce
certificat.
Le 6 septembre 1978, pour le compte des défen-
deurs autres que Sarcee Developments Ltd., une
requête a été déposée aux fins d'obtenir une ordon-
nance en vertu de la Règle 419(1)a) radiant la
déclaration dans l'action contre ces défendeurs.
J'ai accepté de l'entendre en même temps que la
requête de la demanderesse. Ces deux affaires ont
été entendues ensemble.
Le litige concerne des terres situées dans une
réserve indienne de la bande indienne Sarcee, au
sud-ouest de la ville de Calgary. Conformément à
l'article 37 de la Loi sur les Indiens, les terres dans
une réserve ne doivent être vendues, aliénées ni
louées, ou il ne doit en être autrement déposé, que
si elles ont été cédées à Sa Majesté par la bande à
l'usage et au profit communs de laquelle la réserve
a été mise de côté. Les terres cédées peuvent être
louées en vertu de l'article 53(1) de la Loi sur les
Indiens. Conformément à ces dispositions et avec
le consentement de la bande, une convention por-
tant location des terres en question a été conclue
entre le Ministre et Sarcee Developments Ltd.
pour une période de 75 ans, du 6 septembre 1974
au 5 septembre 2049, pour la réalisation d'un
projet devant s'appeler Redwood Meadows. Évi-
demment, la bande indienne tire des avantages de
cette location, en vertu de l'accord de développe-
ment. En application d'un contrat, Palm Dairies
Limited et son prédécesseur dans les affaires,
Western Industrial Contractors Ltd., ont construit
un système de distribution d'eau, un système
d'égouts sur les terres en question, et un champ
d'épandage, le contrat ayant été conclu en juin
1976 pour un montant de $1,271,245.38. Des ser
vices supplémentaires ont été fournis, de sorte que,
vers la fin de 1976, on a dépensé un total de
$3,314,505.16. La défenderesse Sarcee Develop
ments Ltd. a versé $1,218,066.31 en acompte, et
on prétend qu'il y a un solde de $2,096,438.85.
Il s'agit d'une terre non concédée de la Cou-
ronne. La demanderesse a envoyé au registraire à
Ottawa, aux fins d'enregistrement en vertu de
l'article 55(1) de la Loi sur les Indiens, un privi-
lège de constructeur en application de The Build
ers' Lien Act, S.R.A. 1970, c. 35, de l'Alberta et
un certificat de litispendance faisant valoir un
privilège sur les biens de Sarcee Developments
Ltd., en vertu de son bail n° 41168, en date du 6
septembre 1974, pour une période de 75 ans, de la
terre précitée, soit le lot 6 du plan 57814 CLSR. Il
faut remarquer que ce privilège de constructeur
prétend affecter la tenure à bail de Sarcee Devel
opments Ltd. mais non la terre elle-même.
La demanderesse a présenté le privilège de cons-
tructeur et le certificat de litispendance au regis-
traire des titres de biens-fonds à Calgary, aux fins
d'enregistrement, mais le registraire a refusé d'en-
registrer ce privilège qui, dans des circonstances
normales, aurait été enregistré en vertu de l'article
25 de The Builders' Lien Act.
La demanderesse allègue qu'elle a le droit de
faire enregistrer son privilège de constructeur et
que le registraire des titres de biens-fonds aurait
dû l'envoyer au registraire à Ottawa aux fins
d'enregistrement en vertu de l'article 26(4) de The
Builders' Lien Act dont voici le libellé:
[TRADUCTION] 26. ...
(4) Le registraire doit, conformément à The Land Titles
Act, enregistrer le privilège comme une charge grevant les biens
ou les droits à la terre concernée, ou, si celle-ci n'a pas été
enregistrée en vertu de The Land Titles Act et si le paragraphe
(5) n'est pas applicable, il doit en prendre note dans un registre
ou de toute autre manière jugée convenable.
Le procureur de la demanderesse a envoyé une
lettre datée du 13 janvier 1978 au registraire des
affaires indiennes, mais on lui a répondu qu'il
n'était pas possible d'enregistrer le privilège de
constructeur et qu'en vertu de l'article 29 de la Loi
sur les Indiens, les terres indiennes ne sont assujet-
ties à aucune saisie sous le régime d'un acte judi-
ciaire, mais qu'on pouvait se demander si le dépôt
d'un privilège de constructeur constitue bien une
saisie sous le régime d'un acte judiciaire. La
demanderesse allègue que ce privilège devrait être
déposé ou inscrit dans le registre des terres cédées,
en vertu de l'article 55 de la Loi sur les Indiens, et
elle invoque des décisions qui paraissent donner au
registraire un pouvoir discrétionnaire ou même lui
imposer une obligation dans certaines circons-
tances. Dans Union Drilling and Development
Company Limited c. Capital Oil & Natural Gas
Company Limited [1931] 2 W.W.R. 507, il a été
jugé qu'un privilège de fournisseur, dont l'enregis-
trement n'est pas requis auprès du ministère pro
vincial des Mines et Minéraux en vertu de l'article
48 de The Mechanics' Lien Act, peut être enregis-
tré à bon droit en vertu de l'article 19 de cette loi
au bureau du registraire des titres de biens-fonds,
même s'il s'agit de terres non concédées.
Dans Stanolind Oil & Gas Company c. Rempel
Construction Limited [1959] R.C.S. 592, la Cour
suprême du Canada a approuvé la décision rendue
dans Union Drilling (supra) et a jugé qu'en
Alberta, en vertu de The Mechanics' Lien Act, les
privilèges peuvent être enregistrés à bon droit au
bureau du registraire des titres de biens-fonds.
Dans cette affaire-là il s'agissait de déterminer où
les privilèges devaient être déposés pour enregistre-
ment, et la Loi prévoyait qu'une réclamation rela
tive aux privilèges concernant des mines et des
minéraux pouvait être déposée auprès du Ministre
dans certaines circonstances. La Cour a statué que
les privilèges ont été à bon droit déposés au bureau
du registraire des titres de biens-fonds et grevaient
les terres.
Dans Re Sun Life Assurance Co. c. Widmer
(1916) 9 W.W.R. 961, on avait demandé au regis-
traire, en vertu des dispositions de The Land Titles
Act (Alberta), des instructions pour la vente de
terrains hypothéqués. Le registraire a requis cer-
tains documents que, selon l'allégation du créan-
cier hypothécaire, il n'avait pas le droit d'exiger, et
l'affaire a été présentée devant la Cour pour faire
établir si le registraire avait excédé son pouvoir. La
Cour a jugé que le registraire avait l'obligation
d'exiger la présentation de certains affidavits, ou
au moins il avait le droit de le faire, ainsi qu'un
relevé de la somme due en vertu de l'hypothèque,
une formule de mise à prix, etc. et la Cour a jugé
que le registraire avait le droit et l'obligation de
fixer une mise à prix et de déterminer les condi
tions de la vente. La demanderesse prétend, par
analogie, qu'en vertu de l'article 55 de la Loi sur
les Indiens, le registraire devrait avoir un certain
pouvoir discrétionnaire et devrait enregistrer un
privilège de constructeur comme celui présenté en
l'espèce.
Renvoi a aussi été fait à C.P.R. c. District
Registrar of Dauphin Land Titles Office (1956) 4
D.L.R. (2e) 518, dont voici le sommaire:
[TRADUCTION] En vertu de la Real Property Act, S.R.M.
1954, c. 220, un registraire des titres de biens-fonds a l'obliga-
tion, et non le pouvoir discrétionnaire, d'inscrire un avis d'oppo-
sition présenté dans la forme prescrite. Il ne peut pas refuser
sous prétexte qu'il croit que la réclamation n'est pas valable. La
question sera décidée par les tribunaux après et non avant
l'inscription de l'avis d'opposition, celui-ci n'étant qu'un avis de
réclamation, valable ou non, et n'ayant d'autre effet que d'aver-
tir ceux qui peuvent effectuer des opérations touchant ce bien.
L'avis d'opposition est utilisé pour protéger des droits allégués
aussi bien que prouvés; il ne crée pas de droits, il ne fait que
protéger les droits existants. En cas de refus par le registraire,
un bref de mandamus sera une mesure appropriée parce que la
mesure subsidiaire prévue par la Loi ne serait pas aussi com
mode, profitable ou efficace que le mandamus.
En l'espèce, tout comme dans C.P.R., la deman-
deresse requiert un bref de mandamus pour impo-
ser l'enregistrement du privilège de constructeur.
Dans Bejko c. Robson [1934] 2 W.W.R. 366, il a
été jugé qu'un registraire de district n'a pas com-
pétence pour décider si un lot de terrain donné, ou
toute partie de ce lot, du point de vue de la
superficie ou de la valeur, est ou non exempt de
jugement en vertu de la Manitoba Exemptions
Act. Il n'aurait, par exemple, aucun pouvoir pour
enquêter sur l'existence d'un privilège de fournis-
seur dans un cas donné. Il ne pourrait pas statuer
sur des demandes d'exemption.
J'établis une distinction entre la présente espèce
et les décisions que je viens de citer parce que,
dans chacune d'elles, le registraire avait le pouvoir
d'enregistrer un document en vertu d'une loi. Il
n'est qu'un fonctionnaire administratif et n'est pas
en mesure de rendre des décisions judiciaires sur
les questions de savoir si un document est valide et
s'il peut être enregistré. En l'espèce, la difficulté
consiste à trouver dans la Loi sur les Indiens une
disposition rendant valable l'enregistrement du pri-
vilège de constructeur dont on envisage le dépôt;
et, pour la demanderesse, la difficulté réside dans
l'application de l'article 55(1) précité de la Loi.
La demanderesse allègue que la Cour a le droit
de corriger une erreur lorsque le registraire n'a pas
accompli le devoir que la loi lui impose, comme
c'était le cas dans Re Land Titles Act: La Banque
de Hamilton c. McAllister (1912) 3 W.W.R. 141;
Re Land Titles Act et in re Continental Explosives
Ltd. (1964) 49 W.W.R. 762; Lawrie c. Rathbun
(1877) 38 U.C.Q.B. 255; et Peter Leitch Con
struction Ltd. c. Aquativity Ltd. [1971] 2 O.R.
666. Dans cette dernière affaire, un conservateur
des titres a refusé d'enregistrer une réclamation de
privilège de fournisseur contre le titre de terres de
la Couronne non concédées, mais il a permis l'en-
registrement [TRADUCTION] «d'un avis d'opposi-
tion contre le premier enregistrement». Cet arrêt
renvoie à un certain nombre de décisions rendues
en Alberta relativement à The Mechanics' Lien
Act et à la possibilité d'enregistrer des privilèges
de fournisseur contre des terres non concédées, et
il a été jugé que le dépôt du privilège de fournis-
seur était valide à compter du jour de l'inscription
au bureau des titres de biens-fonds.
En l'espèce, la demanderesse s'appuie sur la
décision rendue dans Cardinal c. Le Procureur
général de l'Alberta [1974] R.C.S. 695; (1974) 40
D.L.R. (3e) 553, où un Indien, alors qu'il était sur
une réserve indienne, a vendu de la viande d'ori-
gnal, et a été accusé, en vertu de The Wildlife Act
de l'Alberta, d'avoir fait du commerce illégal de
gros gibier. Il s'agissait de déterminer la validité
du texte de loi. Voici un extrait du sommaire [40
D.L.R. (3 e ) page 554]:
[TRADUCTION] Quoique l'art. 91(24) de l'Acte de l'Amérique
du Nord britannique, 1867, donne au Parlement du Canada
l'autorité législative exclusive sur les Indiens et les terres réser-
vées pour les Indiens, interdisant ainsi aux provinces de légifé-
rer à cet égard, ledit art. 91(24) n'a pas pour effet de créer des
enclaves dans une province à l'intérieur des limites desquelles la
législation provinciale, d'application générale et autrement
valide, ne pourrait pas s'appliquer. En conséquence, l'article 37
de la Wildlife Act, qui est d'application générale et ne vise pas
les Indiens en tant qu'Indiens, n'est pas ultra vires de la
Province.
La demanderesse allègue qu'en Alberta, The
Builders' Lien Act a pour but de protéger, de
façon générale, le privilège de constructeur et
devrait être applicable même si les terres où les
travaux ont été exécutés ou les matériaux fournis
tombent dans le domaine d'application de la Loi
sur les Indiens fédérale. La demanderesse prétend
n'exercer le privilège qu'à l'égard de la tenure à
bail de son client et, ainsi, n'enfreindre aucune
disposition de la Loi sur les Indiens, et que le
registraire aurait dû enregistrer ce privilège.
Traitant de l'application de la législation provin-
ciale à l'égard des Indiens, les avocats des défen-
deurs allèguent que l'article 88 de la Loi sur les
Indiens s'applique seulement aux Indiens, mais
non aux terrains. En voici le libellé:
88. Sous réserve des dispositions de quelque traité et de
quelque autre loi du Parlement du Canada, toutes lois d'appli-
cation générale et en vigueur, à l'occasion, dans une province
sont applicables aux Indiens qui s'y trouvent et à leur égard,
sauf dans la mesure où lesdites lois sont incompatibles avec la
présente loi ou quelque arrêté, ordonnance, règle, règlement ou
statut administratif établi sous son régime, et sauf dans la
mesure où ces lois contiennent des dispositions sur toute ques
tion prévue par la présente loi ou y ressortissant.
Cet article ne rend pas les lois provinciales applica-
bles aux Indiens, et c'était bien là la position prise
par le juge Martland dans Cardinal, mais l'article
ne prétend pas traiter des cas où des terres indien-
nes sont en cause. La Couronne soutient que,
même si la Province peut légiférer à l'égard des
terres, The Land Titles Act est applicable et natu-
rellement le registraire des titres de biens-fonds a
refusé d'enregistrer le privilège de constructeur
lorsqu'on le lui a présenté.
La Couronne allègue aussi que l'article 29 de la
Loi sur les Indiens, dont voici le libellé:
29. Les terres des réserves ne sont assujetties à aucune saisie
sous le régime d'un acte judiciaire.
interdit en tout cas l'inscription du privilège de
constructeur. La demanderesse soutient, à cet
égard, que les privilèges affectant un droit en vertu
de The Builders' Lien Act n'affectent aucune
«terre de réserve» ni aucun droit de la bande
indienne Sarcee, mais seulement la tenure à bail
de Sarcee Developments Ltd. Elle invoque les
autorités suivantes:
Macklem and Bristow, Mechanics' Liens in Canada, (troisième
édition) à la page 31:
[TRADUCTION] Lorsque le locataire a requis l'exécution de
travaux ou la fourniture de matériaux, son droit est néan-
moins susceptible d'être assujetti à un privilège même si le
bailleur est exempt de l'application de The Mechanics' Lien
Act. Ainsi, le locataire d'un chemin de fer gouvernemental
est assujetti aux dispositions de la Loi. En conséquence,
lorsque des matériaux ont été fournis pour la construction
d'un élévateur à grain sis sur un terrain que les Chemins de
fer nationaux ont cédé à bail, il a été jugé que l'élévateur
n'est soumis au privilège qu'en ce qui concerne la tenure à
bail, nonobstant le fait que les Chemins de fer nationaux
étaient propriétaires du terrain: Manitoba Bridge etc. Works
Ltd. c. Gillespie (1914) 7 Sask. L.R. 208 (C.A.).
Provincial Municipal Assessor c. Rural Municipality of Har-
rison [1971] 3 W.W.R. 735 (B.R. Man.).
The Calgary and Edmonton Land Company c. Le procureur
général de l'Alberta (1911) 45 R.C.S. 170, aux pp. 179, 185 et
191.
Ville de Montréal c. Le procureur général du Canada [1923]
A.C. 136 (C.P.).
Bennett and White (Calgary) Limited c. Municipal District of
Sugar City [1951] 3 W.W.R. (N.S.) 111 (C.P.).
The North West Lumber Co. Ltd. c. Municipal District of
Lockerbie No. 580 [ 1926] R.C.S. 155.
Phillips c. La ville de Sault -Ste-Marie [1954] R.C.S. 404.
Sammartino c. Le procureur général de la Colombie-Britanni-
que (1972) 22 D.L.R. (3e) 194 (C.A.C.-B.).
Mintuck c. Valley River Band No. 63A (1978) 83 D.L.R. (3e)
324 (B.R. Man.).
Les défendeurs soutiennent que, dans la mesure
où la demanderesse essaie de faire appliquer une
loi provinciale, la Cour fédérale n'a pas compé-
tence. J'examinerai plus loin cet argument.
Ils soutiennent qu'il n'y a pas de privilège en
dehors de la loi (voir McLean & Associates Ltd. c.
Leth (1949) 4 D.L.R. 282). Le privilège de four-
nisseur est une création de la loi instituée in rem et
toute déclaration de privilège faite à ce titre s'ap-
plique aux biens, mais au cas où elle est défec-
tueuse, la Cour n'a pas compétence pour la valider.
Les défendeurs allèguent que, même s'il a été loué,
le terrain en question reste terrain indien, et ils
renvoient aux articles de la Loi sur les Indiens y
afférents, à savoir l'article 18 relatif aux réserves;
l'article 37 interdisant la vente, la location, etc. des
terres jusqu'à ce qu'elles aient été cédées à Sa
Majesté par la bande à l'usage et au profit com-
muns de laquelle la réserve a été mise de côté;
l'article 38 permettant à une bande d'abandonner
tout droit ou intérêt de la bande et de ses membres
dans une réserve; l'article 41 traitant de l'effet de
la cession; et finalement l'article 53 autorisant le
Ministre ou une personne nommée par lui aux fins
d'administrer, vendre, louer ou autrement aliéner
les terres cédées en conformité de la Loi et des
conditions de la cession. Dans Corporation of
Surrey c. Peace Arch Enterprises Ltd. (1970) 74
W.W.R. 380, il a été jugé ce qui suit [extrait du
sommaire, page 380]:
[TRADUCTION] Lorsque une bande indienne a «cédé» en fiducie
à la Couronne des terres qui faisaient partie de sa réserve,
aux fins de les louer aux appelants, on a jugé que la «cession»
n'était pas finale et complète mais simplement conditionnelle
et que les terres en question ne cessaient pas d'être «mises de
côté par Sa Majesté pour l'usage et le profit communs d'une
bande»; il s'ensuit que les terres demeuraient des «terres
réservées aux Indiens» au sens de l'art. 91(24) de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867, que le Parlement du
Canada conservait sur ces terres compétence législative
exclusive et que les appelants, à titre de promoteurs de la
mise en valeur de ces terres, n'étaient pas soumis aux règle-
ments municipaux établis en vertu de la loi provinciale dite
Health Act, SRC-B 1960, chap. 170; arrêts appliqués: St.
Ann's Island Shooting & Fishing Club Ltd. c. R. [1950]
RCS 211, la p. 219, [1950] 2 DLR 225, confirmant [1949]
2 DLR 17, 18 Can Arb (2») 2759; St. Catherine's Milling &
Lbr. Co. c. Reg. (1888) 14 App Cas 46, la p. 56, 58 LJPC
54, 4 Cart 107, confirmant (1887) 13 RCS 577, 7 Can Abr
(2») 164.
J'admets l'allégation que les terres continuent à
être réservées pour les Indiens au sens de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867 et que le
Parlement du Canada conserve sur ces terres com-
pétence législative exclusive, ce qui rend inapplica
ble toute législation provinciale édictant des règles
relatives à l'usage de ces terres. Voir aussi Gau-
thier c. Le Roi (1918) 56 R.C.S. 176.
Les défendeurs font ressortir que la Loi sur les
Indiens s'applique aux Indiens alors qu'on cherche
à grever d'un privilège les droits de Sarcee Devel
opments Ltd. qui est une personne morale; que la
Loi sur les Indiens doit être interprétée de façon
stricte; et qu'en conséquence de la définition de
l'article 2(1) de la Loi
2. (1) ...
«Indien» signifie une personne qui, conformément à la présente
loi, est inscrite à titre d'Indien ou a droit de l'être;
aucune réclamation contre les droits de Sarcee
Developments Ltd. n'est susceptible d'être inscrite.
Voir Le Procureur général du Canada c. Lavell
[1974] R.C.S. 1349, la p. 1367.
Les défendeurs allèguent également que, même
si The Builders' Lien Act pouvait s'appliquer à la
tenure à bail en question, il n'est pas possible
d'obtenir un mandamus contre des agents du gou-
vernement fédéral.
Dans Rossi c. La Reine [1974] 1 C.F. 531, un
détenu dans un pénitencier a cherché à obtenir un
mandamus contre la Couronne pour que celle-ci
expose les motifs pour lesquels la Cour ne devrait
pas ordonner à celle-ci de lui fournir des docu
ments et des renseignements relatifs à des mandats
à exécuter contre lui par les autorités des États de
la Floride et du Connecticut aux États-Unis. Il a
été jugé que la Couronne n'est pas soumise au bref
de mandamus. Mais y sont soumis les fonctionnai-
res de la Couronne désignés comme représentants
de celle-ci pour «obtenir l'accomplissement d'un
devoir public, dans l'exécution duquel le deman-
deur a un intérêt suffisant en droit.» Le registraire
des terres indiennes au ministère des Affaires
indiennes et du Nord canadien est un fonctionnaire
de la Couronne, mais il faut indiquer quelle loi ou
quelle obligation le force à exécuter ce qu'on lui
demande, à savoir, en l'espèce, l'inscription d'un
privilège de constructeur. La Couronne soutient
que l'article 55 de la Loi sur les Indiens ne men-
tionne pas le privilège de constructeur, et cet argu
ment est convaincant. Le privilège de constructeur
est un document susceptible d'être inscrit au
bureau des titres de biens-fonds en vertu des dispo
sitions de The Builders' Lien Act, mais peut-on, en
vertu de la Loi sur les Indiens, ordonner au regis-
traire d'enregistrer un privilège au registre fédéral,
alors qu'aucune disposition spécifique n'ordonne
cet enregistrement? Il faut répondre par la
négative.
Dans McNamara Construction (Western) Lim
ited c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654 et dans
Quebec North Shore Paper Company c. Canadien
Pacifique Limitée [1977] 2 R.C.S. 1054, on a
examiné les limitations constitutionnelles, en vertu
de l'article 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, 1867,à l'exercice de la compétence de
la Cour fédérale. Voici un extrait du sommaire
dans McNamara:
Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli.
Les dispositions de l'art. 101 de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique supposent, comme condition préalable, l'exis-
tence d'une législation fédérale applicable, sur laquelle la Cour
fédérale peut fonder sa compétence. La règle de common law
selon laquelle la Couronne peut poursuivre devant tout tribunal
ayant compétence dans le domaine pertinent, élaborée dans le
régime unitaire anglais, ne peut s'appliquer intégralement au
Canada, un état fédéral, où les pouvoirs législatif et exécutif
sont répartis entre les législatures et gouvernements centraux et
provinciaux et où le pouvoir du Parlement d'établir des tribu-
naux est limité par la Constitution. Puisque l'action de la
Couronne n'était fondée sur aucune loi ni aucun principe de
common law, la Cour fédérale n'avait pas compétence pour
entendre les réclamations de la Couronne fondée sur un con-
trat. Ce n'était pas la responsabilité de la Couronne qui était en
jeu, mais celle de l'autre partie à un contrat bilatéral.
Appliquant la jurisprudence précitée à la réclama-
tion en l'espèce portant sur le privilège de cons-
tructeur et le bref de mandamus, je ne trouve rien
qui m'autorise à accorder le redressement
demandé dans les plaidoiries. En outre, Sarcee
Developments Ltd. n'est pas une partie pertinente
à la présente action, en vertu de l'article 17 ou 18
de la Loi sur la Cour fédérale. La demanderesse
peut, cependant, chercher un redressement devant
une autre cour et on a attiré mon attention sur le
fait qu'une action a été commencée devant la Cour
suprême du district judiciaire de Calgary en
Alberta, sous l'intitulé Western Industrial Con
tractors Ltd. c. Sarcee Developments Ltd., et
qu'un appel est pendant devant la Division d'appel
de la Cour suprême de l'Alberta. Comme je l'ai
indiqué précédemment, la demanderesse en l'es-
pèce a succédé à Western Industrial Contractors
Ltd. et elle réclame redressement, y compris un
jugement accordant le montant qui serait dû en
vertu des contrats intervenus entre les parties. La
demanderesse peut bien obtenir réparation sous
forme de jugement et, d'autres redressements,
mais, pour les motifs qui précèdent, elle ne peut
pas obtenir un bref de mandamus ni le droit de
faire inscrire un privilège de constructeur comme
le demande la présente action.
La déclaration est radiée et l'action est rejetée
avec dépens.
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