T-948-76
Mario Carota (Demandeur)
c.
Donald Jamieson, Marcel Lessard et le procureur
général du Canada (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Marceau—
Summerside, le 31 octobre et le Zef novembre;
Ottawa, le 30 novembre 1978.
Couronne — Brefs de prérogative — Contestation d'un
accord d'exécution de la deuxième phase d'un plan de déve-
loppement détaillé et complet conclu entre le gouvernement du
Canada et la province de l'Île-du-Prince-Édouard — Aucune
disposition prise pour assurer la participation de groupes
bénévoles et d'individus de l'île — Le demandeur cherche à
obtenir: (1) une déclaration de nullité de l'accord (2) une
injonction contre l'engagement de deniers publics fédéraux (3)
un mandamus ordonnant au Ministre actuel de corriger la
lacune et (4) déà' dommàges-intéréts punitifs — Loi sur le
ministère de l'Expansion économique régionale, S.R.C. 1970,
c. R-4, art. 7, 8 — Loi n° 5 de 1973 portant affectation de
crédits, S.C. 1973-74, c. 47, Annexe, crédit n° 11a.
La présente action conteste l'accord conclu entre le gouverne-
ment du Canada et la province de l'lle-du-Prince-Edouard pour
l'exécution de la deuxième phase d'un plan de développement
détaillé et complet. Elle est fondée sur le fait que l'accord avait
été formulé et conclu sans que soit prise aucune disposition
pour assurer la participation, dans sa mise en oeuvre, de person-
nes, groupes bénévoles, organismes ou corps constitués de
l'lle-du-Prince-Edouard, contrairement aux exigences de l'arti-
cle 7 de la Loi sur le ministère de l'Expansion économique
régionale. Le demandeur cherche à obtenir: (1) une déclaration
de nullité de l'accord; (2) une injonction contre l'engagement
de deniers publics fédéraux jusqu'à l'application des mesures
requises; (3) un mandamus ordonnant au Ministre actuel de
prendre toutes mesures nécessaires pour corriger la lacune; (4)
des dommages-intérêts punitifs d'un montant de $100,000.
Arrêt: l'action est rejetée. Le pouvoir découlant de la loi dont
le Ministre avait besoin pour négocier et conclure l'accord ici
attaqué ne peut aucunement découler de l'article 7, puisque non
seulement la province, dans son ensemble, n'a jamais été dési-
gnée zone spéciale mais l'accord lui-même ne peut manifeste-
ment pas être considéré comme «l'élaboration d'un plan en
collaboration avec d'autres départements du gouvernement du
Canada«, et il ne se rapportait pas à une intervention directe du
gouvernement central. Si le pouvoir du Ministre de conclure
l'accord devait découler de la Loi sur le MEER, la seule
disposition de cette loi qui pourrait être invoquée serait celle de
l'article 8. Lorsqu'il exerce les pouvoirs qui lui sont dévolus par
l'article 8, le Ministre n'est assujetti à aucune exigence impéra-
tive de prendre les dispositions nécessaires pour assurer la
collaboration de la province et la participation de groupes ou
d'individus. Il n'est pas nécessaire de trouver dans la Loi sur le
MEER la source de l'autorité dont avait besoin le Ministre
pour conclure l'accord de 1975. Pour donner effet à l'exigence
insérée dans l'accord initial de 1969 selon laquelle l'accord
devait être modifié avant son expiration, le Ministre n'avait
besoin d'aucun autre pouvoir découlant de la loi que celui
conféré par la Loi n° 5 de 1973 portant affectation de crédits.
ACTION.
AVOCATS:
Mario Carota pour lui-même.
Joseph A. Ghiz pour les défendeurs Jamieson
et Lessard.
Robert P. Hynes pour le défendeur procureur
général du Canada.
PROCUREURS:
Mario Carota pour lui-même.
Scales, Ghiz, Jenkins & McQuaid, Charlotte-
town, pour les défendeurs Jamieson et
Lessard.
Le sous-procureur général du Canada pour le
défendeur procureur général du Canada.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU: Le demandeur habite
Summerside (Île-du-Prince -Edouard). Il a pensé, il
y a trois ans, que la seule façon de faire admettre
son point de vue était de recourir aux tribunaux.
Un «plan de développement détaillé et complet»,
conçu comme devant s'étendre sur une période de
quinze ans, et être mis en oeuvre au moyen d'une
politique d'aménagement et d'un engagement de
fonds fédéraux, était en cours de réalisation dans
la province et le demandeur déplorait qu'aucun
groupe bénévole, organisme, corps constitué ou
personne de l'Île-du-Prince -Edouard n'y participe.
Selon lui, la Loi en vertu de laquelle ce plan avait
été élaboré et l'accord relatif à sa mise en oeuvre
conclu entre les gouvernements du Canada et de
l'Île-du-Prince -Edouard, exigeaient une telle parti
cipation.
Le demandeur intenta une première action
contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada en
vue d'obtenir une déclaration à l'effet que [TRA-
DUCTION] «tous les actes et les accords conclus en
vertu de ces actes» se rapportant à l'élaboration et
à la mise en oeuvre dudit plan de développement
avaient «été violés par la défenderesse». Cette
action fut toutefois rejetée, sur requête en radia
tion, aux motifs que le demandeur ne pouvait
retirer du redressement sollicité aucun bénéfice
tangible et réel et, qu'au surplus, il n'avait pas
qualité pour agir n'ayant aucun droit personnel ou
réel ni aucun intérêt spécial dans le résultat des
procédures.
Le demandeur ne se découragea pas. Il prit une
seconde action, prenant soin toutefois, d'éviter les
erreurs commises en intentant la première. L'atta-
que s'en prenait cette fois à un document spécifi-
que, savoir l'accord conclu le 23 octobre 1975,
entre le gouvernement du Canada et celui de
l'Île-du-Prince -Edouard, visant la mise en oeuvre
de la phase 2 du «plan de développement détaillé et
complet». L'ancien et le présent ministres de l'Ex-
pansion économique régionale étaient appelés
comme défendeurs, le premier en tant que ministre
ayant été chargé des négociations qui avaient con
duit à la conclusion de l'accord, le second en tant
que signataire de l'accord pour le compte du gou-
vernement du Canada. L'action était encore une
fois fondée sur le fait que l'accord avait été for-
mulé et conclu sans que soit prise aucune disposi
tion pour assurer la participation, dans sa mise en
oeuvre, de personnes, groupes bénévoles, organis-
mes ou corps constitués de l'île-du-Prince-
Édouard, contrairement aux exigences impératives
de l'article 7 de la Loi sur le ministère de l'Expan-
sion économique régionale, S.R.C. 1970, c. R-4.
Les redressements sollicités étaient: (1) un juge-
ment déclaratoire statuant que l'accord conclu
était nul; (2) une injonction visant à empêcher la
dépense de fonds fédéraux pour la mise en oeuvre
de l'accord jusqu'à ce que les dispositions requises
aient été prises; (3) un bref de mandamus ordon-
nant au présent ministre de prendre les mesures
nécessaires pour corriger l'omission et (4) des
dommages-intérêts punitifs de $100,000.
Cette seconde action donna encore lieu à une
requête en radiation, mais là la requête ne réussit
pas. Soulignant les différences entre les deux
actions quant à leurs causes respectives, quant aux
dispositions législatives spécifiques sur lesquelles
elles se fondaient et quant aux redressements solli-
cités, le juge saisi de la requête rejeta l'argument
de l'autorité de la chose jugée, se dit d'opinion que
le point en litige était soutenable et ne devait pas
être tranché sommairement, et décida que la ques
tion de la qualité pour agir devait être soumise à
preuve complète, de plaidoiries et argumentation à
l'audience.
C'est cette seconde action qui est en cause ici.
Elle ne devint prête pour le procès qu'au terme
d'une longue série de demandes interlocutoires
dont deux furent portées en appel. Le procureur
général fut éventuellement appelé à y participer
comme codéfendeur, sa présence étant requise en
raison du jugement déclaratoire sollicité. Finale-
ment, on prévoya que l'enquête et l'audition
auraient lieu les 21 octobre et 1" novembre 1978, à
Summerside.
La preuve au procès fut brève. Les documents
pertinents furent tous déposés d'un commun
accord dès l'ouverture de l'audience. Le deman-
deur, qui n'était pas assisté d'un avocat, offrit sa
propre déposition. Il parla de sa formation et de
son expérience dans le domaine de la participation
des citoyens aux programmes gouvernementaux et
fit valoir que son intérêt dans l'action découlait du
fait qu'à titre de résident de l'Île-du-Prince-
Édouard, il considérait qu'on avait porté atteinte à
ses pouvoirs, devoirs et fonctions dans l'élaboration
et la mise en oeuvre de l'accord de 1975. Il avait
auparavant cité comme témoin un professeur
d'université qui avait présidé pendant quelques
années, avant 1975, un conseil d'aménagement
rural pour la province, dont le rôle était d'assurer
la participation du public, et qui avait, semble-t-il,
mis sur pied divers comités qui avaient contribué à
la mise en oeuvre du plan détaillé et complet. Ce
fut tout.
En réalité, les procédures écrites n'avaient sou-
levé aucune question qui appelait encore une
preuve. La seule production du document lui-
même suffisait à établir l'absence, dans l'accord
contesté, de dispositions spéciales visant à assurer
la participation des groupes et des individus, et de
toute façon, les défendeurs avaient rapidement
reconnu qu'aucune telle disposition n'y était pré-
sente. En effet, dans leur défense, ceux-ci s'étaient
limités à contester que les ministres chargés d'éla-
borer et de conclure l'accord de 1975 aient été
tenus, en vertu de la loi, de prendre des disposi
tions spéciales pour assurer la participation de
groupes et d'individus, en ajoutant, à titre subsi-
diaire, que le demandeur n'avait pas qualité pour
agir. Ainsi telles que liées, les procédures écrites
soulevaient une question principale, qui en était
une de droit strict et une autre subsidiaire qui
pouvait faire appel à l'exercice par la Cour de son
pouvoir discrétionnaire, mais devait néanmoins
être également tranchée selon des principes de
droit et des lignes directrices définies par la
jurisprudence.
Maintenant que l'action peut être vue dans son
véritable contexte et le litige mieux saisi, j'en viens
à la question principale.
En 1966, le Parlement adopta une «Loi pré-
voyant la création d'un fonds de développement
économique et social de régions spéciales d'aména-
gement rural». La Loi sur le Fonds de développe-
ment économique rural, S.C. 1966-67, c. 41, auto-
risait le ministre des Forêts (plus tard le ministre
des Forêts et du développement rural), sur la
recommandation d'un conseil consultatif et avec
l'approbation du gouverneur en conseil, de con-
clure avec n'importe quelle province un accord en
vue notamment «d'entreprendre conjointement
avec la province ou un de ses organismes un pro
gramme détaillé et complet d'aménagement rural
dans des régions spéciales d'aménagement rural».
L'article 5 de la Loi renfermait les définitions que
voici:
5. Pour les objets de la présente loi,
a) un programme détaillé et complet d'aménagement rural
est un programme, comprenant divers projets d'aménage-
ment, qui est conçu pour favoriser le développement social et
économique d'une région spéciale d'aménagement rural, ainsi
que pour accroître les possibilités de revenu et d'emploi et
relever le niveau de vie dans la région et qui prévoit la
participation des résidents de la région à la mise en oeuvre du
programme; et
b) une région spéciale d'aménagement rural est une région
surtout rurale, comprise dans une province, qui est désignée
dans un accord conclu entre le Ministre et la province aux
termes de l'article 4 comme étant une région où les revenus
sont généralement faibles à cause de problèmes d'adaptation
économique et sociale et qui, de l'avis du conseil fondé sur les
renseignements soumis par la province relativement à la
situation physique, économique et sociale de la région, pré-
sente des possibilités raisonnables de développement écono-
mique et social.
Le 7 mars 1969, en vertu des pouvoirs conférés
par cette loi de 1966, le gouvernement du Canada,
représenté par le ministre des Forêts et du dévelop-
pement rural, et le gouvernement de l'Île-du-
Prince-Édouard concluaient un accord en vue d'un
«plan de développement détaillé et complet» visant
à assurer l'expansion économique et le relèvement
social de l'Île-du-Prince -Edouard. L'accord devait
prendre fin en 1984 mais une de ses clauses pré-
voyait: [TRADUCTION] «le présent accord peut
être, à l'occasion, révisé par les parties en cause et,
s'il y a lieu, modifié avec l'approbation du gouver-
neur en conseil et du lieutenant-gouverneur en
conseil; mais, en tout état de cause, il doit être
révisé avant mars 1972n. A l'accord étaient joints,
comme annexe A, un «premier mémoire de mise en
oeuvre» et, comme annexe C, un document expo-
sant les idées de base et les grandes lignes du plan.
Le 4 décembre 1969, les deux gouvernements
convenaient formellement de modifier le «premier
mémoire de mise en oeuvre» annexé à l'accord
initial. Le gouvernement du Canada était alors
représenté par le ministre de l'Expansion économi-
que régionale. En effet, un nouveau ministère de
l'Expansion économique régionale avait été créé en
vertu de la Loi de 1969 sur l'organisation du
gouvernement, S.C. 1968-1969, c. 28 sanctionnée
quelques mois auparavant (Partie IV de la Loi) et
le Ministre titulaire de ce portefeuille s'était vu
confier, entre autres, certaines des fonctions dévo-
lues au ministre des Forêts et du développement
rural (article 102). La Partie IV de la Loi de 1969
sur l'organisation du gouvernement devait devenir
la Loi sur le ministère de l'Expansion économique
régionale (Loi sur le MEER) dans les S.R.C.
1970, c. R-4, dont les dispositions ont directement
trait au présent débat. Mais avant d'en venir à
cette Loi sur le MEER, vaut mieux, je pense,
donner un compte rendu complet de l'évolution du
plan et des accords nombreux auxquels il a donné
lieu.
A la suite de la modification apportée en 1969
au «premier mémoire de mise en oeuvre», une
annexe A fut ajoutée qui devait entrer en vigueur
le ler avril 1971. Peu après, soit le 21 juin 1971, les
deux gouvernements tombèrent d'accord sur un
«Amendement n° 1» à l'accord initial de 1969
lui-même et, deux ans plus tard, le 5 juin 1973, sur
un «Amendement n° 2». Dans les deux cas, le
gouvernement du Canada était représenté par le
ministre de l'Expansion économique régionale,
dûment autorisé à cet effet par des décrets ad hoc.
Et nous voici rendus à l'accord contesté. Signé le
23 octobre 1975, il a eu pour objet un «Amende-
ment n° 3» à l'accord initial de 1969 et il fut de
nouveau signé par le ministre de l'Expansion éco-
nomique régionale qui avait été dûment autorisé à
le conclure au nom du gouvernement du Canada
par l'ordre en conseil C.P. 1975-3/2195.
L'attaque que le demandeur dirige contre ce
dernier accord est fondée, comme on l'a déjà dit,
sur la prétention que le pouvoir du ministre de
l'Expansion économique régionale de le négocier et
de le conclure au nom du gouvernement du
Canada prenait sa source dans l'article 7 de la Loi
sur le MEER (article qui reprend mot pour mot
l'article 25 de la Loi de 1969 sur l'organisation du
gouvernement en vertu de laquelle le Ministère a
été créé). Cet article se lit comme suit:
7. (1) Dans l'exercice de ses pouvoirs et fonctions en vertu
de l'article 5, le Ministre doit,
a) en collaboration avec d'autres ministères, départements,
directions ou organismes du gouvernement du Canada, éla-
borer des plans en vue de l'expansion économique et du
relèvement social des zones spéciales; et
b) avec l'approbation du gouverneur en conseil, pourvoir à la
coordination dans la mise en œuvre de ces plans par les
ministères, départements, directions et organismes du gou-
vernement du Canada et réaliser les parties de ces plans dont
la réalisation ne peut être assumée convenablement par ces
autres ministères, départements, directions et organismes.
(2) Dans l'élaboration et la réalisation de plans en vertu du
paragraphe (1), le Ministre doit prendre les dispositions néces-
saires pour assurer une collaboration appropriée avec les pro
vinces dans lesquelles sont situées les zones spéciales ainsi que
la participation de personnes, de groupes bénévoles et de corps
constitués, dans ces zones spéciales.
Toute la cause du demandeur est là: la disposi
tion omise dans l'accord contesté serait celle exigée
par le paragraphe 7(2) ci-haut. En fait, même si
cette prétention du demandeur était fondée il res-
terait à savoir si la balance de son argumentation
est acceptable et spécialement si les divers redres-
sements qu'il requiert peuvent lui être accordés.
Mais je n'aurai pas à aller jusque-là car je suis
d'avis que la prétention est définitivement erronée.
En effet, la seule lecture de l'article 7 de la Loi
sur le MEER me convainc que le Parlement avait
en vue, en l'édictant, uniquement ces plans pour
l'expansion économique et le relèvement social de
zones spéciales que le Ministre serait appelé à
élaborer en collaboration avec d'autres ministères,
directions ou organismes du gouvernement du
Canada et qu'il appliquerait et réaliserait directe-
ment. Il me paraît clair que le pouvoir découlant
de la loi dont le Ministre avait besoin pour négo-
cier et conclure l'accord ici attaqué ne peut aucu-
nement découler de cet article, puisque non seule-
ment la province elle-même, dans son ensemble,
n'a jamais été désignée zone spéciale—en suppo-
sant que cela eut pu se faire en vertu de l'article 6,
ce dont je doute '—mais l'accord lui-même ne peut
manifestement pas être considéré comme «l'élabo-
ration d'un plan en collaboration avec d'autres
départements du gouvernement du Canada», et
surtout, il ne se rapportait pas à une intervention
directe du gouvernement central.
Si le pouvoir du Ministre de conclure l'accord de
1975 devait découler de la Loi sur le MEER, à
mon avis, la seule disposition de cette loi qui
pourrait être invoquée serait celle de l'article 8
dont le premier paragraphe se lit comme suit:
8. (1) Le Ministre peut, en collaboration avec une province,
élaborer un plan d'expansion économique et de relèvement
social dans une zone spéciale et, avec l'approbation du gouver-
neur en conseil et sous réserve des règlements, conclure avec
cette province un accord prévoyant la réalisation conjointe de
ce plan.
L'article 8, toutefois, ne renferme pas de disposi
tion semblable à celle prévue au paragraphe 7(2).
Lorsqu'il exerce les pouvoirs qui lui sont dévolus
par l'article 8, le Ministre n'est assujetti à aucune
exigence impérative de prendre les dispositions
nécessaires pour assurer la collaboration de la
province et la participation de groupes ou d'indivi-
dus, ce qui, à mon sens, se comprend aisément
puisque la province elle-même est partie à l'accord
et qu'à ce titre, elle est en mesure d'assurer la prise
en considération des intérêts de ses propres grou-
pes ou ressortissants ou même la participation de
ses citoyens, si elle le juge à propos.
Mais, en fait, je ne pense même pas qu'il soit
nécessaire de trouver dans la Loi sur le MEER la
source de l'autorité dont avait besoin le Ministre
pour conclure l'accord de 1975. La Loi n° 5 de
1973 portant affectation de crédits, S.C. 1973-74,
c. 47, prévoit un poste (ou un crédit) qui a été
adopté dans les termes que voici:
I L'article 6 se lit comme suit:
6. Le gouverneur en conseil, après consultation avec le
gouvernement de toute province, peut, par décret, désigner
une région de cette province à titre de zone spéciale, pour la
période spécifiée dans le décret, lorsqu'on a constaté qu'elle
exige des mesures spéciales destinées à favoriser l'expansion
économique et le relèvement social, par suite de l'insuffisance
exceptionnelle des possibilités d'emploi productif pour la
population de cette région ou du territoire dont fait partie
cette région.
1 l Pour autoriser le ministre de l'Expansion économique
régionale à conclure des accords généraux de développement
avec les provinces, sous réserve de l'approbation du gouver-
neur en conseil, qui prévoieront des mesures visant à l'expan-
sion économique et au redressement social des régions cana-
diennes qui comptent sur ces mesures pour mieux pouvoir
créer des emplois productifs et rendre ces emplois plus
accessibles, et, conformément à ces accords généraux de
développement et à toute prescription qui pourra émaner du
gouverneur en conseil, à conclure des accords auxiliaires
d'application des accords généraux, et pour prévoir les contri
butions établies par les accords généraux de développement
et les accords d'application; pour autoriser aussi le virement
au présent crédit de $14,999,999 du crédit 10 (Expansion
économique régionale) de la Loi n° 4 de 1973 portant affec
tation de crédits
A mon avis, pour donner effet à l'exigence for-
mellement insérée dans l'accord initial de 1969
selon laquelle l'accord devait être modifié avant
son expiration, le Ministre n'avait besoin d'aucun
autre pouvoir découlant de la loi que celui conféré
par le crédit 1 1 a de la Loi n° 5 de 1973 portant
affectation de crédits; et ce pouvoir n'était assu-
jetti à aucune autre condition que celle spécifiée
dans le crédit lui-même (article 3). Le pouvoir
attribué par une Loi portant affectation de crédits
est, bien entendu, aussi valide et adéquat que celui
conféré par n'importe quelle loi spécifique (Ers-
kine May's Treatise on the Law, Privileges, Pro
ceedings and Usage of Parliament, 19e éd., 1976,
pp. 747 et suiv.) et un tel pouvoir inséré dans le
libellé d'un crédit ne disparaît pas à la fin de
l'année financière pour laquelle il est prévu. Le
décret C.P. 1975-3/2195 adopté en vue de donner
l'approbation exécutive que l'accord de 1975
requérait, a eu raison de se référer dans son
préambule uniquement au crédit 1 1 a de la Loi n° 5
de 1973 portant affectation de crédits.
Le demandeur, à ce stade, fit appel à un argu
ment de dernier ressort. Si, dit-il la Loi portant
affectation de crédits a pu donner au défendeur
Lessard le pouvoir de signer l'accord, elle n'a pu
avoir été la source du pouvoir dont le défendeur
Jamieson avait besoin pour négocier et élaborer
ledit accord. Une telle proposition ne peut tenir car
le pouvoir de signer emporte nécessairement celui
de négocier et de formuler. Bien sûr, on ne saurait
sérieusement prétendre que le Ministre avait de
fait le pouvoir de conclure un accord selon certai-
nes conditions, mais que quand même il n'avait pas
le pouvoir de le négocier selon ces conditions.
Ayant conclu que la prétention de base du
demandeur est erronée et que, par conséquent, son
action ne repose sur aucun fondement juridique, il
serait purement académique de ma part de discu-
ter la question de sa qualité pour agir. Si la Cour
d'appel est saisie du litige et qu'elle interprète la
loi différemment que je ne l'ai fait, ce sera à elle
de décider, si en vertu de son pouvoir discrétion-
naire, elle doit reconnaître au demandeur, qualité
pour agir, nonobstant le fait qu'il ne soulevait pas
une question d'ordre constitutionnel ni ne préten-
dait avoir un intérêt différent de celui de tous les
autres citoyens de l'Île-du-Prince -Edouard.
La question des frais doit, toutefois, exiger
examen. J'estime en effet que ce cas en est un qui
est propice à l'exercice du pouvoir discrétionnaire
conféré au juge de première instance en ce
domaine. Les frais taxables en l'espèce se chiffrent
sans aucun doute à un montant appréciable, étant
donné la nature de l'action et le grand nombre de
procédures engagées pour la mener à son terme. Il
n'existe évidemment aucune raison de priver tota-
lement les défendeurs de ce droit reconnu aux
plaideurs victorieux de recouvrer une partie des
déboursés et honoraires que l'action quelle qu'elle
soit a pu entraîner. Mais par ailleurs, il me semble
que la justice ici exige que le demandeur ne soit
pas pénalisé outre mesure pour avoir tenté, de
bonne foi, de faire valoir ce qu'il croyait être un
droit légitime que le Parlement lui avait attribué, à
lui comme à ses concitoyens. Aussi, en rejetant son
action, je fixerai à $850 le montant des frais qu'il
sera tenu d'assumer.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.