A-199-77
CSP Foods Ltd. et Canbra Foods Ltd. (Appelan-
tes)
c.
La Commission canadienne des transports, la
Compagnie des chemins de fer nationaux du
Canada, le Canadien Pacifique Limitée, la North
ern Alberta Railways et l'Association canadienne
du trafic marchandises (Intimés)
et
Les gouvernements des provinces de l'Alberta, du
Manitoba, de l'Ontario, du Québec et de la Sas-
katchewan, Canlin Ltd., Maple Leaf Mills Ltd.,
Canada Packers Ltd. et Victory Soya Mills Ltd.
(Intervenants)
Cour d'appel, les juges Urie et Ryan, et le juge
suppléant Kerr—Ottawa, le 12 décembre 1977 et
le 30 janvier 1978.
Chemins de fer — Appel contre deux ordonnances de la
Commission canadienne des transports, en vertu de la Loi
nationale sur les transports — Ordonnances pour donner suite
à l'arrêté en conseil — La Commission a interprété l'expres-
sion «niveaux compensatoires minimaux., employée dans l'ar-
rêté en conseil comme visant des barèmes de tarifs considérés
globalement et non des tarifs s'appliquant isolément — La
Commission a-t-elle commis une erreur de droit ou a-t-elle
outrepassé sa compétence? — Loi nationale sur les transports,
S.R.C. 1970, c. N-17, art. 3, 23(1),(3),(4), 64(1),(2) —'Loi sur
les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, art. 276 — Arrêté en
conseil, C.P. 1976-894 — Ordonnances de la Commission
canadienne des transports, R-23976, R-24045.
Il s'agit d'un appel interjeté en vertu de l'article 64(2) de la
Loi nationale sur les transports, contre deux ordonnances
rendues par la Commission canadienne des transports comme
suite à un arrêté en conseil émis en vertu de l'article 64(1) de
cette loi. L'une des ordonnances donne suite à l'arrêté en
conseil alors que l'autre énonce les motifs de la Commission. Le
présent appel soulève la question de savoir si, en interprétant
comme elle l'a fait l'expression »niveaux compensatoires mini-
maux» employée dans l'arrêté en conseil comme visant des
barèmes de tarifs considérés globalement et non des tarifs
s'appliquant isolément, la Commission a commis une erreur de
droit ou a outrepassé sa compétence de façon à permettre un
recours en appel devant cette cour.
Arrêt: l'appel est rejeté. L'exercice par le gouverneur en
conseil des pouvoirs conférés par l'article 64(1) n'est pas dans
la nature d'un appel judiciaire; il s'agit plutôt d'un rôle de
surveillance. Quoiqu'il soit certain que le gouverneur en conseil
peut formuler son décret de façon à enlever à la Commission
tout pouvoir discrétionnaire, il n'a pas jugé bon d'agir ainsi
dans son décret et, en utilisant l'expression .niveaux compensa-
toires minimaux», il a manifestement confié à la Commission la
tâche de déterminer ces niveaux. En utilisant le mot «compen-
satoires» dans son décret, le gouverneur en conseil doit avoir
donné à ce mot le sens que lui prête la Loi sur les chemins de
fer, en particulier l'article 276(2), puisque c'est la seule disposi
tion où l'on utilise ce mot et elle doit donc servir d'indice à sa
signification en l'espèce. Puisque l'ordonnance originale a été
rendue suite à une enquête menée en vertu de l'article 23 de la
Loi nationale sur les transports il s'ensuit logiquement que les
facteurs dont doit tenir compte la Commission en raison de cet
article et de l'article 276(2), doivent être pertinents pour déter-
miner les «niveaux compensatoires minimaux» des tarifs. Ainsi
la Commission n'a pas commis d'erreur de droit en tenant
compte de ces facteurs pour adopter une échelle de tarifs plutôt
que de fixer les tarifs individuels pour chaque mouvement. En
agissant autrement, elle aurait contrevenu à son obligation
légale laquelle existait toujours, même après la promulgation de
l'arrêté en conseil. En établissant les niveaux selon des échelles,
elle peut vraiment déterminer quels sont les niveaux compensa-
toires mi&maux qu'exige l'intérêt public. Compte tenu des
preuves dont elle dispose, la Cour ne peut pas dire que la
décision est inéquitable.
APPEL.
AVOCATS:
J. E. Foran et M. E. Rothstein pour les
appelantes.
G. W. Nadeau pour la Commission cana-
dienne des transports.
H. J. Pye, c.r., pour la Compagnie des che-
mins de fer nationaux du Canada.
T. Maloney et S. Dubinsky pour le Canadien
Pacifique Limitée.
F. Lemieux pour les gouvernements des pro
vinces de l'Alberta, de la Saskatchewan et du
Manitoba.
T. Heintzman et L. West pour Canada Pack
ers Ltd., Maple Leaf Mills Ltd. et Victory
Soya Mills Ltd.
J. Scollin, c.r., pour la Reine du chef du
Canada.
PROCUREURS:
Aikins, MacAulay & Thorvaldson, Winni-
peg, pour les appelantes.
L'avocat général, Commission canadienne des
transports, Ottawa, pour la Commission
canadienne des transports.
Procureur général, Compagnie des chemins
de fer nationaux du Canada, Montréal, pour
la Compagnie des chemins de fer nationaux
du Canada.
Service du contentieux, Canadien Pacifique
Limitée, Montréal, pour le Canadien Pacifi-
que Limitée.
Herridge, Tolmie, Ottawa, pour les gouverne-
ments des provinces de l'Alberta, de la Sas-
katchewan et du Manitoba.
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour
Canada Packers Ltd., Maple Leaf Mills Ltd.
et Victory Soya Mills Ltd.
Le sous-procureur général du Canada pour
la Reine du chef du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Il s'agit d'un appel interjeté,
avec permission de cette cour, en vertu de l'article
64(2) de la Loi nationale sur les transports,
S.R.C. 1970, c. N-17, contre deux ordonnances
rendues par la Commission canadienne des trans
ports (ci-après appelée la Commission) sous les
numéros respectifs R-23976 pour l'ordonnance du
26 novembre 1976 et n° R-24045 pour celle du 16
décembre 1976. En vertu de l'article 64(2) il peut
être interjeté appel sur une question de droit ou
une question de compétence.
Les ordonnances susmentionnées ont été rendues
par la Commission suite à l'arrêté en conseil C.P.
1976-894 en date du 13 avril 1976, lequel a été
émis suite à une requête déposée par les appelantes
aux présentes, ou par les compagnies auxquelles
elles ont succédé, auprès du gouverneur en conseil
aux termes de l'article 64(1) de la Loi nationale
sur les transports.' La requête visait à modifier le
tarif de taxes déposé par les compagnies de chemin
' 64. (1) Le gouverneur en conseil peut à toute époque, à sa
discrétion, soit à la requête d'une partie, personne ou compa-
gnie intéressée, soit de son propre mouvement et sans aucune
requête ni demande à cet égard, modifier ou rescinder toute
ordonnance, décision, règle ou règlement de la Commission,
que cette ordonnance ou décision ait été rendue inter partes ou
autrement, et que ce règlement ait une portée et une applica
tion générales ou restreintes; et tout décret que le gouverneur
en conseil prend à cet égard lie la Commission et toutes les
parties.
(2) Les décisions de la Commission sont susceptibles d'appel
à la Cour d'appel fédérale sur une question de droit ou une
question de compétence, quand une autorisation à cet effet a
été obtenue de ladite Cour sur demande faite dans le délai d'un
mois après que l'ordonnance, l'arrêt ou le règlement dont on
veut appeler a été établi, ou dans telle autre limite de temps que
le juge permet dans des circonstances spéciales, après avis aux
parties et à la Commission, et après audition de ceux des
intéressés qui comparaissent et désirent être entendus; et les
frais de cette demande sont à la discrétion de ladite Cour.
de fer conformément à l'ordonnance n° R-16824 de
la Commission en date du 27 juillet 1973, et
approuvé par l'ordonnance n° R-17016 de la Com
mission en date du 2 août 1973.
Voici le libellé de l'arrêté en conseil C.P.
1976-894:
C.P. 1976-894
13 avril 1976
Sur avis conforme du ministre des Transports et en vertu de
l'article 64 de la Loi nationale sur les transports, il plaît à Son
Excellence le Gouverneur général en conseil de modifier par les
présentes les ordonnances et décisions suivantes de la Commis
sion canadienne des transports:
a) Ordonnance n° R-16824 du 27 juin 1973;
b) Ordonnance n° R-17016 du 2 août 1973; et
c) toute autre ordonnance ou décision de la Commission
canadienne des transports incompatible avec le paragraphe
d) ci-après
pour disposer
d) que les tarifs ou tranches tarifaires suivants applicables
au transport intérieur et vers les points d'exportation de la
farine et de l'huile de colza provenant des quatre moulins
situés à Altona, Nipawin, Saskatoon et Lethbridge seront
fixés annuellement à des niveaux compensatoires minimums:
(i) tarif pour la farine et l'huile de colza à destination de
l'Ouest;
(ii) tarif pour l'huile de colza à destination de l'Est; et
(iii) tranches tarifaires applicables au transport de la
farine de colza à l'est de Thunder Bay ou d'Armstrong
(Ontario).
C'est pour donner suite à l'arrêté en conseil que
la Commission a émis l'ordonnance n° R-23976
(modifiée par la suite par l'ordonnance n°
R-24045) enjoignant aux compagnies de chemin
de fer de produire les tarifs de taxes prévus à
l'annexe «A» de l'ordonnance. A l'annexe «A» la
Commission donne les motifs de son ordonnance n°
R-23976. Pour plus de clarté, toutes les parties
importantes de l'annexe «A» sont énoncées
ci-après:
Le décret prescrit que ces tarifs «soient fixés annuellement à_
des niveaux compensatoires minimaux». Le Comité estime que
l'expression «niveaux compensatoires minimaux» vise des barè-
mes de tarifs considérés globalement et non des tarifs s'appli-
quant isolément. Cette dernière interprétation donnerait des
barèmes de tarifs comportant des anomalies qui ne seraient pas
dans le meilleur intérêt de l'industrie meunière.
L'expression «compensatoire» est définie au paragraphe 276(2)
de la Loi sur les chemins de fer qui se lit ainsi:
«(2) Un taux de transport des marchandises est réputé
compensatoire quand il dépasse le coût variable du mouve-
ment du trafic en cause tel que l'a déterminé la Commission.»
Les coûts variables ne correspondent pas uniformément à la
distance. Ils peuvent varier selon nombre de facteurs, notam-
ment les diverses longueurs de trajets entre des points concur-
rentiels, les variations dans les coûts de manoeuvre d'aiguille de
certains mouvements et la différence dans le type de wagons à
marchandises utilisé.
Si le tarif applicable à chaque mouvement était basé unique-
ment sur le coût variable qui s'y rattache, il pourrait y avoir
distortion des rapports sur le plan de la commercialisation, de
la concurrence et des ports d'expédition. Les barèmes de tarifs
qui en résulteraient ne seraient pas aussi équitables, c.-à-d. que
certains tarifs seraient plus élevés que d'autres pour des distan
ces plus courtes et ceux fixés pour le même port d'expédition
différeraient selon la société ferroviaire et le quai d'arrivée. Il y
aurait également une détérioration des relations actuelles du
marché.
Par conséquent, comme on l'a déjà dit, le Comité interprète le
décret comme s'appliquant à des «niveaux» de tarifs, de façon
que les barèmes prescrits à l'annexe «A» ci-après traduisent la
notion de tarifs compensatoires minimaux dans son sens global.
Ce qui revient à dire que certains tarifs représentent une
contribution maximale d'environ 10p. 100 au-dessus des coûts
variables alors que d'autres correspondent à un écart beaucoup
plus faible. Ainsi, dans l'ensemble et selon le volume et la
composition du trafic en vertu de ces tarifs prescrits, les
barèmes de tarifs représentent une marge sensiblement infé-
rieure à 10 p. 100 au-dessus des coûts variables. A cet égard, il
est à noter que, compte tenu de la nécessité d'éviter les anoma
lies en matière de tarifs et de maintenir la parité entre les ports
d'expédition et les rapports de commercialisation, une moyenne
de 10 p. 100 au-dessus des coûts variables est, en pratique, le
minimum absolu qui peut servir à établir les barèmes de tarifs.
Bien que le décret emploie le terme «tarifs», le Comité est d'avis
qu'il traite principalement des «mouvements». Par conséquent, à
l'exception des tarifs touchant le transport à partir de Sexsmith
(Alberta), ceux de l'annexe «A» ci-après s'appliquent aux mou-
vements actuels. Le Comité n'a pas prescrit de tarifs pour
d'autres mouvements éventuels; il le fera cependant sur
demande expresse.
On a prescrit des tarifs pour les mouvements à partir de
Sexsmith (Alberta) où une usine est sur le point de commencer
sa production. En outre, puisque l'itinéraire reliant Sexsmith
(Alberta) et Vancouver (C.-B.) en passant par Edmonton
(Alberta) est indirect, deux niveaux de taux ont été prescrits:
l'un pour le parcours par Edmonton (Alberta) et l'autre, par
Grande-Prairie (Alberta).
Les appelantes prétendent qu'il appert manifes-
tement des motifs de la Commission que celle-ci ne
s'est pas conformée aux directives de l'arrêté en
conseil pour établir les tarifs ou tranches tarifaires
applicables au transport intérieur et vers les points
d'exportation de la farine et de l'huile de colza à
des niveaux compensatoires minimaux. Ils préten-
dent que la Commission ne pouvait interpréter,
comme elle l'a fait, «des niveaux compensatoires
minimaux» comme s'appliquant aux échelles de
tarifs dans leur ensemble et non aux tarifs indivi-
duels. A l'appui de cette proposition, ils invoquent
l'article 276 de la Loi sur les chemins de fer,
S.R.C. 1970, c. R-2 édictée en 1966 (S.C.
1966-67, c. 69, art. 53) et dont voici le libellé:
276. (1) Sauf dispositions différentes de la présente loi, tous
les taux de transport de marchandises doivent être compensa-
toires; et la Commission peut sommer la compagnie qui émet
un tarif-marchandises de lui communiquer, lors du dépôt du
tarif ou à toute autre époque, tous renseignements exigés par la
Commission pour établir que les taux figurant dans ce tarif sont
compensatoires.
(2) Un taux de transport des marchandises est réputé com-
pensatoire quand il dépasse le coût variable du mouvement du
tarif en cause tel que l'a déterminé la Commission.
(3) En déterminant, aux fins du présent article et de l'article
277, le coût variable de tout mouvement de trafic, la Commis
sion canadienne des transports doit
a) tenir compte de tous les articles et facteurs prescrits par
les règlements de la Commission comme étant pertinents à la
détermination des coûts variables; et
b) calculer les frais d'immobilisations dans tous les cas en
utilisant les frais d'immobilisations approuvés par la Com
mission comme convenables pour la compagnie du chemin de
fer canadien du Pacifique.
S'appuyant sur le paragraphe (2) de l'article
276, l'avocat des appelantes prétend qu'afin d'éta-
blir le taux de transport compensatoire, la Com
mission doit d'abord déterminer le coût variable du
mouvement du trafic en cause, c'est-à-dire à partir
des quatre points d'origine indiqués dans l'arrêté
en conseil vers les diverses destinations de l'ouest
et de l'est du Canada.
Après avoir déterminé ces chiffres, la Commis
sion doit s'assurer que chaque taux de transport
prévoit une ristourne ou une contribution au-delà
du coût variable. Compte tenu de la signification
littérale du mot «minimaux» utilisé par l'arrêté en
conseil, la ristourne ou la contribution au-delà du
coût variable doit être «le montant le moins acces
sible» de sorte que le taux résultant soit au niveau
compensatoire minimum. De l'avis de l'avocat, les
motifs de la décision de la Commission établissent
que certains taux comportent une ristourne ou
contribution, au-delà du coût variable, supérieure
à la moins accessible et donc ne sont pas établis
conformément aux directives du gouverneur en
conseil dans l'arrêté n° C.P. 1976-894.
Les appelantes soutiennent en outre que lorsque
le gouverneur en conseil modifie ou annule une de
ses ordonnances, la Commission ne peut plus agir
à sa discrétion. Elle doit respecter à la lettre toute
modification ou directive donnée. Selon l'avocat,
puisque le gouverneur en conseil joue le rôle de
tribunal d'appel lors d'une requête présentée en
vertu de l'article 64(1) de la Loi nationale sur les
transports, la Commission doit faire exactement ce
que le tribunal d'appel lui ordonne de faire—rien
de plus et rien de moins. De l'avis de l'avocat,
après la promulgation de l'arrêté en conseil, elle ne
peut plus recourir au pouvoir discrétionnaire que
lui confèrent les articles 3 et 23(1) et (3) de la Loi
nationale sur les transports.
Les gouvernements des provinces de l'Alberta,
de la Saskatchewan et du Manitoba partageaient
en substance l'opinion des appelantes. Le procu-
reur général du Canada, les intimés et les interve-
nantes Maple Leaf Mills Ltd., Canada Packers
Ltd. et Victory Soya Mills Ltd. ont tous contesté
les prétentions des appelantes.
Le présent appel soulève aussi la question de
savoir si, en interprétant comme elle l'a fait l'ex-
pression «niveaux compensatoires minimaux», la
Commission a commis une erreur de droit ou a
outrepassé sa compétence de façon à permettre un
recours en appel devant cette cour en vertu de
l'article 64(2) de la Loi nationale sur les
transports.
Avant de disposer de la question principale, il
faut traiter de l'allégation des appelantes voulant
que le gouverneur en conseil agisse comme tribu
nal d'appel et que son décret ne laisse à la Com
mission aucun pouvoir discrétionnaire d'applica-
tion. Avec égards, je ne considère pas que
l'exercice, par le gouverneur en conseil, des pou-
voirs conférés par l'article 64(1) soit de la nature
d'un appel judiciaire. C'est un moyen permettant à
l'Exécutif d'exercer un certain contrôle sur la
Commission canadienne des transports pour s'as-
surer que les vues du gouvernement concernant
l'intérêt public dans une situation donnée, fondées
sur les faits établis par ce tribunal, peuvent être
exprimées par l'Exécutif et qu'elles sont appliquées
par des directives que ce dernier peut juger à
propos de donner au tribunal par l'intermédiaire
du gouverneur en conseil. Si je comprends bien, il
s'agit d'un rôle de surveillance et non de tribunal
d'appel. Le gouverneur en conseil ne s'occupe pas
des questions de droit ou de compétence, lesquelles
incombent aux tribunaux. Toutefois, contraire-
ment à ceux-ci, il peut substituer ses vues concer-
nant l'intérêt public à celles de la Commission. 2
Quant à la restriction du pouvoir discrétionnaire
de la Commission, il est certain que le gouverneur
en conseil peut formuler son décret de façon à
enlever à celle-ci tout pouvoir discrétionnaire. Par
exemple, s'il avait ordonné que les coûts variables
des transporteurs soient augmentés d'un certain
nombre de sous ou d'un pourcentage donné pour
établir les tarifs compensatoires, il ne resterait
peut-être aucun pouvoir discrétionnaire à la Com
mission. Cependant, il n'a pas jugé bon d'agir ainsi
dans son décret n° C.P. 1976-894 et, à mon avis, en
utilisant l'expression «niveaux compensatoires
minimaux» il a manifestement confié à la Commis
sion la tâche de déterminer ces niveaux.
Il reste donc à savoir si l'ensemble des facteurs
dont doit tenir compte la Commission en faisant
enquête et en établissant les tarifs, en vertu des
directives que lui imposent l'article 23(3) et (4) 3
de la Loi, dans le cadre de la politique nationale
globale sur les transports, énoncée à l'article 3,
s'appliquent après la promulgation de l'arrêté en
conseil. Comme on l'a dit, les appelantes répondent
négativement à cette question en s'appuyant sur
l'utilisation du mot «minimaux» dans l'expression
2 Voir Re Davisville Investment Co. Ltd. c. La ville de
Toronto (1977) 15 O.R. (2e) 553, aux pp. 555 et 556.
3 23....
(3) Lorsqu'elle fait une enquête en vertu du présent article,
la Commission doit tenir compte de tous les facteurs qui lui
semblent pertinents et notamment, sans limiter la portée géné-
rale de ce qui précède, voir
a) si les taxes ou conditions spécifiées pour le transport de
marchandises au taux ainsi établi sont telles qu'elles
entraînent
(i) un désavantage injuste excédant celui qui peut être
considéré comme inhérent au lieu ou au volume du trafic,
à l'échelle des opérations y afférentes ou au genre de trafic
ou de service en question, ou
(ii) un obstacle excessif à l'échange des denrées entre des
points au Canada ou un découragement déraisonnable du
développement des industries primaires ou secondaires ou
du commerce d'exportation dans toute région du Canada
ou en provenant, ou du mouvement de denrées passant par
des ports canadiens;
b) si le contrôle par un autre genre de service de transport,
ou si les intérêts détenus par un transporteur dans un autre
genre de service de transport, ou si le contrôle d'un transpor-
teur par une compagnie ou une personne qui exploite un
autre genre de service de transport ou si les intérêts détenus
par ces dernières dans l'entreprise d'un transporteur, peuvent
être en cause.
«niveaux compensatoires minimaux». Avec égards,
je dirai que je crois qu'elles ont tort.
L'arrêté en conseil enjoint à la Commission de
modifier des ordonnances qu'elle a émises confor-
mément à la Loi nationale sur les transports et à
la Loi sur les chemins de fer. A mon avis, en
utilisant le mot «compensatoires» dans son décret,
le gouverneur en conseil doit avoir donné à ce mot
le sens que lui prête la Loi sur les chemins de fer,
en particulier l'article 276(2), puisque c'est la
seule disposition où l'on utilise ce mot et elle doit
donc servir d'indice à sa signification en l'espèce.
Puisque l'ordonnance originale n° R-16824 en date
du 27 juillet 1973, a été rendue suite à une enquête
menée en vertu de l'article 23 de la Loi nationale
sur les transports, il s'ensuit logiquement, semble-
t-il, que les facteurs dont doit tenir compte la
Commission en raison de cet article et de l'article
276(2), doivent être pertinents pour déterminer les
«niveaux compensatoires minimaux» des tarifs. S'il
en est ainsi, il était tout à fait approprié pour la
Commission de prendre en considération que:
Si le tarif applicable à chaque mouvement était basé unique-
ment sur le coût variable qui s'y rattache, il pourrait y avoir
distortion des rapports sur le plan de la commercialisation, de
la concurrence et des ports d'expédition. Les barèmes de tarifs
qui en résulteraient ne seraient pas aussi équitables, c.-à-d. que
certains tarifs seraient plus élevés que d'autres pour des distan
ces plus courtes et ceux fixés pour le même port d'expédition
différeraient selon la société ferroviaire et le quai d'arrivée. Il y
aurait également une détérioration des relations actuelles du
marché.
Ainsi, à mon avis, la Commission n'a pas
commis d'erreur de droit en tenant compte de ces
facteurs pour adopter une échelle de tarifs plutôt
que de fixer les tarifs individuels pour chaque
mouvement. En agissant autrement, elle aurait
contrevenu à son obligation légale laquelle existait
toujours, pour les raisons susmentionnées, même
après la promulgation de l'arrêté en conseil.
(4) Si la Commission, après une audition, conclut que l'ac-
tion, l'omission ou le taux qui fait l'objet de l'appel nuit à
l'intérêt public, elle peut, nonobstant la fixation d'un taux en
conformité de l'article 278 de la Loi sur les chemins de fer mais
en tenant compte des articles 276 et 277 de ladite loi, rendre
une ordonnance sommant le transporteur de supprimer la cause
du préjudice dans les taxes ou conditions pertinentes spécifiées
pour le transport ou telle autre ordonnance qu'elle considère
convenir aux circonstances ou elle peut faire un rapport à ce
sujet au gouverneur en conseil aux fins de faire prendre toute
mesure jugée appropriée. [C'est moi qui souligne.]
Ayant ainsi conclu, il est facile de dire si l'utili-
sation du mot «minimaux» dans l'expression exige
l'établissement des tarifs au niveau le «moins
accessible». La Commission est l'organisme qui
décide quels sont les niveaux compensatoires mini-
maux. Si, comme j'ai conclu, elle a le droit d'éta-
blir les niveaux selon des échelles, plutôt que selon
des tarifs individuels, alors elle peut vraiment
déterminer quels sont les niveaux compensatoires
minimaux qu'exige l'intérêt public. La Cour ne
peut substituer ses vues sur ce que ces niveaux
devraient être à celles de la Commission. Lors de
l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un tribunal,
la Cour n'a le droit d'intervenir que si la décision
de ce dernier est inéquitable. 4 En l'espèce, nous
n'avons pas les notes sténographiques prises lors de
la longue audience tenue devant la Commission et
qui a entraîné la promulgation des ordonnances n°
R-16824 et n° R-17016 qui, à leur tour, ont donné
lieu à la requête présentée devant le gouverneur en
conseil. Nous savons qu'une des raisons de l'exis-
tence du Comité des transports par chemin de fer
de la Commission canadienne des transports est sa
connaissance approfondie des tarifs de transport
par chemin de fer, entre autres. Il serait présomp-
tueux aussi bien que contraire à la jurisprudence
applicable, de la part de la Cour ou d'un autre
tribunal, de dire, compte tenu du peu de preuves
dont on dispose, que les experts de la Commission
canadienne des transports n'ont pas respecté leurs
obligations légales en décidant que l'échelle des
tarifs établis par eux était au niveau minimum
compensatoire. Nous ne pouvons pas dire que leur
décision est inéquitable. Compte tenu de cette
conclusion, nous ne pouvons substituer notre opi
nion à la leur.
En conséquence, je rejette l'appel.
* * *
LE JUGE RYAN: J'y souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: J'y souscris.
4 Voir par exemple: Union Gas Company of Canada Limited
c. Sydenham Gas and Petroleum Co. Ltd. [1957] R.C.S. 185, à
la p. 189; Le ministre du Revenu national c. Wright's Canadian
Ropes, Limited [1947] A.C. 109, la p. 123 et Esso Petroleum
Co. Ltd. c. Ministry of Labour [1969] 1 Q.B. 98, aux pp. 108 et
109.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.