T-468-78
Hutterian Brethren Church of Wilson (Demande-
resse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Edmonton, les 22, 23 et 24 novembre; Ottawa, le 8
décembre 1978.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions et
exemptions — La demanderesse cultive commercialement la
terre dans le cadre de sa religion — Les membres de la colonie
échangent leur main-d'oeuvre contre des biens matériels —
Faut-il déduire du revenu de la demanderesse la juste valeur
au prix du marché de la main-d'oeuvre contribuée par les
membres, valeur qui est égale à ses bénéfices nets — L'imposi-
tion de la colonie est-elle contraire à l'exemption dont jouis-
sent les oeuvres de charité — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C.
1970-71-72, c. 63, art. 149(1)f), 152(1),(3) et (4).
La demanderesse, une colonie de la branche Darius-Leut de
l'Église huttérite, se pourvoit en appel contre des cotisations
d'impôt sur le revenu qui lui ont été établies de 1968 1975
inclusivement. Elle demande le renvoi de ces cotisations au
Ministre pour qu'il en établisse de nouvelles, car il n'a pas
déduit de son revenu la juste valeur au prix du marché de la
main-d'oeuvre contribuée par ses membres, valeur qui, selon
elle, est égale aux bénéfices nets de la colonie. Elle soutient en
outre que cette imposition est contraire à l'exemption concer-
nant le revenu des oeuvres de charité.
Arrêt: l'appel est rejeté. Rien ne justifie l'argument selon
lequel il faut déduire du bénéfice net d'une colonie la juste
valeur au prix du marché de la main-d'oeuvre qu'elle reçoit à
titre bénévole. Cette déduction ne figure pas au nombre des
déductions permises pour calculer le revenu imposable d'un
contribuable. Les cotisations ne portent pas atteinte au droit
individuel des membres de jouir de la liberté de religion. Une
église, en tant qu'ceuvre de charité, peut être exempte d'impôt.
Quoique aucune partie des revenus de la demanderesse n'ait été
payable à ses membres, il est certain qu'une partie a servi au
profit personnel de ceux-ci: le membre prête un serment de
pauvreté et fait don de tous ses biens matériels de son travail à
la colonie en échange de l'engagement par celle-ci de pourvoir
désormais à tous ses besoins matériels. Ce seul aspect suffit à
démolir l'argument de la demanderesse. La demanderesse pour-
suit concurremment des buts religieux ainsi que commerciaux,
notamment agricoles. Ses activités religieuses, à la différence
de ses activités commerciales, sont presque exclusivement des
activités internes. Ses activités non commerciales, même si l'on
fait abstraction de tout le reste, ne peuvent être considérées
comme des activités de charité au sens légal du terme parce que
l'élément d'avantage public y est absent.
Distinction faite avec l'arrêt: Hofer c. Hofer [ 1970] R.S.C.
958. Arrêt mentionné: Cocks c. Manners (1871) L.R. XII
Eq. 574.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
J. A. Matheson pour la demanderesse.
P. G. C. Ketchum et Brian Saunders pour la
défenderesse.
•
PROCUREURS:
J. A. Matheson, Edmonton, pour la demande-
resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: La demanderesse en
appelle des cotisations d'impôt sur le revenu éta-
blies pour chacune de ses années d'imposition cor-
respondant aux années civiles 1968 à 1975 incluse.
Par ordonnance du 4 juillet 1978, il a été décidé
que le jugement rendu dans cette action, ainsi que
dans sept autres intentées contre la défenderesse,
fera jurisprudence à l'égard de 88 autres actions
semblables. La demanderesse dans chaque action
est une colonie de la branche Darius-Leut de
l'Église huttérite. L'ordonnance précitée a égale-
ment décidé de joindre les huit causes types en une
seule et, en fait, ces huit causes ont été jugées sur
preuve commune.
Les demanderesses sont toutes constituées en
corporation, à l'exception de Hutterian Brethren of
Lakeside Colony 2 . Le revenu de cette dernière a
été imposé comme s'il avait été réçu par un fidu-
ciaire alors que les autres colonies ont été imposées
à titre de corporations. Les huit causes types se
rapportent à quatre colonies. Les demanderesses
dont le nom comporte le terme «Church» ont toutes
été constituées en corporation au cours des années
1973 ou 1974 et se sont substituées aux prédéces-
seurs de même désignation dans leurs biens et dans
' N° du greffe Demanderesse
T-463-78 s Hutterian Brethren of Wilson Colony
T-464-78 Hutterian Brethren of Lakeside Colony
T-465-78 Hutterian Brethren Church of Scotford
T-466-78 Hutterian Brethren Church of Mixburn
T-467-78 Hutterian Brethren Church of Lakeside
T-469-78 Hutterian Brethren of Mixburn
T-470-78 The Hutterian Brethren of Scotford
2 C'est ainsi que son nom figure sur la demande introductive
d'instance. Le nom figurant sur ses avis de cotisation est
Lakeside Colony of Hutterian Brethren.
leurs activités. La possibilité d'une double imposi
tion due à la confusion des successeurs et des
prédécesseurs ayant été admise, l'ordonnance du 4
juillet 1978 a déclaré que [TRADUCTION] «l'obli-
gation contributive de deux corporations représen-
tant la même colonie est une obligation solidaire et
indivisible» et a ordonné le rappel de toutes les
cotisations superfétatoires sous réserve expresse du
rejet d'une ou de plusieurs de ces actions. Je ne
dispose pas d'éléments pour rendre une ordon-
nance plus précise, cependant, je tiens à faire
remarquer que certains des prédécesseurs n'étaient
pas constitués en corporation. En cas de refus
d'obtempérer, il y aura lieu de prendre les mesures
nécessaires pour assurer l'exécution forcée de cette
ordonnance.
Ceci réglé, le montant des cotisations n'est pas
contesté. Aucune des 96 actions en cause ne men-
tionne le montant total de l'impôt exigé, mais le
chiffre de $37,000,000 a été mentionné au cours
des débats.
Il convient de récapituler brièvement les rap
ports entre les Huttérites et le ministère du Revenu
national. Jusqu'en 1951, l'Église huttérite fonc-
tionnait sous l'égide d'une corporation constituée
au Dakota du Nord. Ses colonies établies au
Canada payaient l'impôt sur le revenu. En 1951,
une loi spéciale du Parlement 3 reconnut à l'Église
huttérite le statut de corporation ayant «pour objet
de se livrer à la religion chrétienne, à l'adoration
chrétienne, ainsi qu'à l'éducation et à l'enseigne-
ment religieux, et d'adorer Dieu conformément à
la croyance religieuse des membres de la Corpora
tion». Rien dans l'objet de la corporation ne fait
expressément état d'une activité commerciale de sa
part et notamment d'une exploitation agricole à
des fins commerciales. Après cette reconnaissance,
le ministre du Revenu national cessa d'assujettir
les colonies à l'impôt, et établit d'ailleurs de nou-
velles cotisations dans la mesure permise par la loi
et effectua en conséquence des remboursements
d'impôt. Depuis 1961, les efforts visant à assujettir
ces colonies à l'impôt ont recommencé.
L'Église huttérite se compose au Canada de
colonies appartenant à trois branches: celle de
Darius-Leut, celle de Lehrer-Leut et celle de
Schmeid-Leut. Les colonies appartenant aux deux
3 S.C. 1950-51, c. 77.
dernières branches ont conclu en 1968 avec le
ministre du Revenu national un accord aux termes
duquel le revenu de chaque colonie, pour ce qui est
des années 1961 à 1967 incluse, était imposé sui-
vant une formule détaillée basée sur la fiction
selon laquelle ce revenu se composait des revenus
personnels égaux de ses membres. Par la suite, les
cotisations adressées aux corporations formées de
colonies appartenant aux branches de Lehrer-Leut
et de Schmeid-Leut ont été annulées, de nouvelles
cotisations ont été établies conformément à cette
fiction et l'impôt a été perçu. Les actions intentées
devant la Cour de l'Échiquier à l'égard des cotisa-
tions adressées aux corporations ont été rejetées
par jugements rendus le 15 mai 1969 sur consente-
ment des parties. 4 Il semble que ces colonies ont
continué, de 1968 à 1975 inclus, d'être imposées et
de verser l'impôt selon cette formule.
Les colonies appartenant à la branche de
Darius-Leut n'ont pas souscrit à la fiction selon
laquelle le revenu de la colonie se composait des
revenus de ses membres. Elles furent néanmoins
imposées conformément à la formule de cet accord
de 1961 à 1966 inclus. Leurs recours en appel
contre les cotisations ainsi établies ont été accueil-
lis.' En attendant la solution finale de ces pourvois
par la Cour suprême du Canada, elles ont déclaré,
à titre de corporations, leurs revenus aux fins
d'impôt pour ce qui est des années visées au pré-
sent litige, à savoir de 1967 à 1975 inclus. Ce n'est
qu'après l'arrêt rendu le 11 février 1976 par la
Cour suprême du Canada que des cotisations ont
été établies à l'égard de ces déclarations, à savoir
le 23 décembre 1976, pour ce qui est de la colonie
de Wilson, le 29 décembre 1976, pour ce qui est de
la colonie de Lakeside, le 31 mars 1977, pour ce
qui est de la colonie de Mixburn et le 6 avril 1977,
pour ce qui est de la colonie de Scotford. Avec le
consentement des parties intéressées, les cotisa-
tions adressées à la colonie de Mixburn à l'égard
des années 1967 et 1968 sont annulées. A part
cela, la défenderesse maintient que toutes les
autres cotisations sont valides, sous réserve toute-
fois de la possibilité déjà mentionnée qu'elles fas-
sent double emploi.
4 The Rock Lake Hutterian Brethren c. M.R.N. et Hutter-
ville Hutterian Brethren c. M.R.N.
5 72 DTC 1248 (C.R.I.), [1973] C.F. 1382, [1975] C.F. 162,
76 DTC 6059 (C.S.C.).
Les demanderesses soutiennent que certaines de
ces cotisations sont illégales. Elles concluent à
l'invalidité absolue de toutes les cotisations en
faisant valoir:
a. les décisions de la Cour de l'Échiquier dans les affaires de
Rock Lake et de Hutterville;
b. l'absence de justice naturelle dans le processus d'établisse-
ment de la cotisation;
c. l'effet discriminatoire de l'impôt qui les frappe à titre de
corporations par rapport à celui frappant les colonies des
branches de Lehrer-Leut et de Schmeid-Leut;
d. leur nature d'oeuvres de charité;
e. la négation de la liberté de religion.
Elles demandent le renvoi des cotisations litigieu-
ses au Ministre pour qu'il en établisse de nouvelles
car il n'a pas déduit de leurs revenus la juste valeur
au prix du marché de la main-d'oeuvre fournie par
leurs membres respectifs, valeur qui, selon elles,
équivalait annuellement pour chacune d'elles à son
bénéfice net.
Les demanderesses n'ont apporté aucune preuve
à l'appui de leur argument selon lequel les juge-
ments rendus sur consentement dans les affaires
Rock Lake et Hutterville devaient s'appliquer
[TRADUCTION] «à toutes les colonies huttérites qui
étaient, à l'époque, parties aux appels», y compris
[TRADUCTION] «le prédécesseur de l'actuelle
demanderesse», et selon lequel les colonies de la
branche Darius-Leut dans l'affaire en instance se
trouvent exactement dans le même cas que les
colonies visées par ces jugements. Il faut nécessai-
rement conclure que ces jugements sur consente-
ment se rapportant tous deux à des colonies de la
branche de Lehrer-Leut, résultaient du compromis
rejeté par la branche de Darius-Leut.
De même, rien ne prouve l'allégation d'absence
de justice naturelle dans le processus d'établisse-
ment de la cotisation. En fait, rien dans les plaidoi-
ries ne m'indique au juste à quelle étape de ce
processus cette condition de justice naturelle, telle
que je la conçois, existe, en supposant que ce
processus débute par une déclaration d'impôt du
contribuable et se termine par l'établissement de la
cotisation par le Ministre. Il y a après cela des
voies de recours permettant au contribuable de se
faire entendre et, en l'espèce, ce sont ces voies de
recours qui ont été mises en oeuvre par les deman-
deresses. L'économie de la Loi révèle que la révi-
sion par le Ministre d'une cotisation contestée par
le contribuable est une étape du processus d'appel
et non du processus d'établissement de la
cotisation.
La légalité de l'accord conclu avec les branches
de Lehrer-Leut et de Schmeid-Leut n'est pas en
cause en l'espèce. Il est établi, et je n'en doute
point, que l'impôt sur le revenu frappant une colo-
nie visée par cet accord était notablement plus
faible, toutes choses égales d'ailleurs, que s'il avait
été établi, comme dans le cas des demanderesses, à
titre d'impôt sur les corporations. Il faut bien sûr
respecter les raisons formulées par la branche de
Darius-Leut pour refuser d'adhérer à cet accord,
mais il n'en reste pas moins qu'elle a eu la possibi-
lité d'y adhérer. Elle a également eu l'occasion de
bénéficier de cette formule d'imposition sans
même avoir à souscrire à cet accord, mais elle a,
comme c'était son droit, choisi de ne pas la saisir
en interjetant appel avec succès. Elle a donc ainsi
rejeté cette formule d'imposition. Même si l'accord
conclu avec les autres branches était illégal, cette
illégalité ne peut être invoquée pour demander
l'annulation des cotisations établies à l'égard des
demanderesses.
Déduction a été faite du prix réel que chaque
colonie a payé pour la main-d'oeuvre, c'est-à-dire
le coût des biens et des services qu'elle a fournis à
ses membres et à leurs familles et que ces derniers
ont consommés. Le prix de revient des achats faits
à l'extérieur de la colonie est déduit des recettes
pour calculer le revenu imposable tandis que la
valeur des biens et des services produits à l'inté-
rieur de la colonie n'est comptée ni dans les recet-
tes ni dans les dépenses. Rien ne justifie l'argu-
ment selon lequel il faut déduire du bénéfice net
d'une colonie la juste valeur au prix du marché de
la main-d'oeuvre qu'elle reçoit à titre bénévole.
Cette déduction ne figure pas au nombre des
déductions permises pour calculer le revenu impo-
sable d'un contribuable.
A l'appui de leur argument selon lequel les
cotisations ont été établies contrairement à
l'exemption d'impôt sur le revenu dont jouissent,
en vertu de l'alinéa 149(1)j), les oeuvres de charité,
les demanderesses ont inséré dans leurs déclara-
tions respectives le passage suivant extrait de l'ar-
rêt Hofer c. Hofer 6 rendu par le juge Ritchie:
6 [1970] R.C.S. 958, aux pages 968 et 969.
Je suis convaincu, après avoir lu une grande partie de la
preuve soumise de part et d'autre dans la présente affaire et
après avoir étudié l'analyse qu'en ont faite le juge de première
instance et la Cour d'appel dans leurs motifs de jugement, que
la foi et la doctrine de la religion huttérite imprègnent toute
l'existence des membres de toutes les colonies huttérites et, à
cet égard, j'adopte le langage dont s'est servi le savant juge de
première instance dans ses motifs de jugement quand il dit:
[TRADUCTION] Pour un Huttérite, l'Église est toute sa vie.
La colonie est une association de personnes en fraternité
spirituelle. La preuve tangible de cette communauté spiri-
tuelle est la communauté matérielle (secondaire) qui les
entoure. Ils ne cultivent pas uniquement pour cultiver, c'est le
moyen d'existence qui leur garantit le plus d'indépendance
vis-à-vis du monde extérieur. Le ministre est le chef spirituel
et séculier de la communauté.
Il s'ensuit, à mon avis, que nonobstant le fait que la colonie
d'Interlake soit une exploitation agricole florissante on ne peut
pas dire qu'il s'agit d'une entreprise commerciale au sens
qu'aucun de ses membres aurait un droit de participer aux
bénéfices. La colonie n'est que le prolongement de l'Église et la
considération primordiale qui préside à la détermination des
droits de tous les membres est la réalisation de leur conception
du christianisme. Pour les Huttérites, les activités de leur
association sont le signe de l'Église temporelle. Dans ce con-
texte, il m'est impossible de considérer en droit la colonie
d'Interlake comme une espèce de société.
Ce passage a été lu par l'avocat au cours des
débats et, si je ne l'en avais pas empêché, il aurait
relu une bonne partie de ce même passage tel qu'il
était cité par le juge Thurlow (maintenant juge en
chef adjoint) dans Wipf c. La Reine'. Son argu
ment opiniâtre selon lequel je suis lié par une
conclusion de fait tirée au cours d'une autre
action, est sans valeur. Ceci étant dit, rien dans la
preuve en l'espèce ne m'amène à conclure de
manière radicalement différente.
Les Huttérites qui sont venus témoigner ne cul-
tivent pas uniquement pour être des cultivateurs;
l'agriculture est, de nos jours, l'activité commer-
ciale la plus compatible avec le style de vie prescrit
par leur foi et par leur doctrine religieuses. Dans le
passé, d'autres activités commerciales, telle la
petite industrie, étaient compatibles, mais elles ne
le sont plus aujourd'hui. Je conviens également
qu'aucune des demanderesses ne peut être considé-
rée comme une entreprise commerciale au sens
qu'aucun de ses membres aurait un droit de parti-
ciper aux bénéfices. Ceci étant dit, chacune d'elle
est une entreprise agricole à caractère commercial,
employant du matériel et des techniques agricoles
modernes et achetant et vendant sur le marché en
[1975] 2 C.F. 162, la p.166.
vue de maximiser les bénéfices. De même, le sur
plus financier est réinvesti.
Rien ne prouve que les cotisations portent
atteinte de quelque manière que ce soit au droit de
la demanderesse de jouir de la liberté de religion.
Dans la mesure où cet argument se réfère au
traitement fiscal moins favorable de la branche de
Darius-Leut par rapport aux branches de Lehrer-
Leut et de Schmeid-Leut, cette question a déjà été
tranchée. C'est la branche de Darius-Leut qui a
librement opté pour cela. Certes, il lui reste, en
conséquence de cette option, moins de fonds qu'elle
en aurait autrement pour consacrer aux buts
«ecclésiastiques». Le revenu d'une église n'est pas
en soi exempt d'impôt sur le revenu. Évidemment,
le revenu de certaines oeuvres de charité l'est et
une église peut être une telle oeuvre et bénéficier
de l'exemption.
Les demanderesses ne sont pas des personnes
physiques et absolument rien ne prouve que les
cotisations entravent de quelque manière que ce
soit la capacité d'un membre de pratiquer sa reli
gion comme il l'entend. Deux des témoins, l'évêque
John K. Wurz et le révérend John K. Hofer, ont
déclaré que la seule objection qu'ils avaient contre
le paiement de l'impôt sur le revenu était que cela
était contraire à leur conscience: une partie de cet
impôt (86 p. 100 selon le révérend Hofer) est
destinée à la guerre et à la préparation de la
guerre. L'obligation qui incombe à une corpora
tion, dont il est membre, de payer l'impôt, lequel
peut être utilisé dans un but contraire à sa cons
cience, ne peut en aucune manière être considérée
comme une entrave à sa liberté de religion.
Pour revenir à la question de savoir si les
demanderesses sont des oeuvres de charité et si
leurs revenus, à ce titre, sont exempts d'impôt, la
disposition applicable, à l'époque en cause, est
l'alinéa 149(1)f) de la Loi.
149. (1) Aucun impôt n'est payable en vertu de la présente
Partie, sur le revenu imposable d'une personne, pour la période
où cette personne était
J) une oeuvre de charité constituée ou non en corporation,
dont toutes les ressources étaient consacrées à des activités de
bienfaisance exercées par l'oeuvre elle-même, et dont aucun
revenu n'était payable à un propriétaire, membre ou action-
naire de cette oeuvre, ou ne pouvait par ailleurs être disponi-
ble pour servir au profit personnel de ceux-ci;
Quoique aucune partie des revenus des demande-
resses n'ait été payable à leurs membres, il est
certain qu'une partie a servi au profit personnel de
ceux-ci. En effet, le concept fondamental qui unit
mutuellement la colonie et ses membres exige du
membre un serment de pauvreté et la donation de
tous ses biens matériels et de son travail à la
colonie en échange de l'engagement par celle-ci de
pourvoir désormais à tous ses besoins matériels. Ce
seul aspect suffit à démolir l'argument des
demanderesses.
Le mémoire des conventions de chacune des
demanderesses énonce, quoique sous des formes
différentes, des buts religieux ainsi que commer-
ciaux, notamment agricoles. Il est établi qu'elles
poursuivent ces buts concurremment. Ii est en
outre établi que leurs activités religieuses, à la
différence de leurs activités commerciales, sont
presque exclusivement des activités internes. Leurs
activités externes à caractère non commercial ne
dépassent pas les obligations minimales de bon
voisinage. Leurs activités non commerciales, même
si l'on fait abstraction de tout le reste, ne peuvent
être considérées comme des activités de charité au
sens légal du terme parce que l'élément d'avantage
public y est absent. 8
Quant à l'allégation selon laquelle certaines, au
moins, des cotisations sont illégales, les dispositions
applicables de la Loi sont les paragraphes (1),(3)
et (4) de l'article 152.
152. (1) Le Ministre doit, avec toute la diligence possible,
examiner chaque déclaration de revenu et fixer l'impôt pour
l'année d'imposition et l'intérêt et les pénalités payables, s'il y a
lieu.
(3) Le fait qu'une cotisation est inexacte ou incomplète ou
qu'aucune cotisation n'a été faite n'a pas d'effet sur les respon-
sabilités du contribuable à l'égard de l'impôt prévu par la
présente Partie.
(4) Le Ministre peut, à une date quelconque, fixer des
impôts, intérêts ou pénalités en vertu de la présente Partie, ou
donner avis par écrit, à toute personne qui a produit une
déclaration de revenu pour une année d'imposition, qu'aucun
impôt n'est payable pour l'année d'imposition, et peut,
a) à une date quelconque, si le contribuable ou la personne
produisant la déclaration
(i) a fait une présentation erronée des faits, par négli-
gence, inattention ou omission volontaire, ou a commis
quelque fraude en produisant la déclaration ou fournissant
quelque renseignement sous le régime de la présente loi, ou
8 Cocks c. Manners (1871) L.R. XII Eq. 574.
(ii) a adressé au Ministre une renonciation, en la forme
prescrite, dans un délai de 4 ans à compter du jour de
l'expédition par la poste d'un avis de première cotisation
ou d'une notification portant qu'aucun impôt n'est payable
pour une année d'imposition, et
(b) dans un délai de 4 ans à compter du jour mentionné au
sous-alinéa a)(ii) en tout autre cas,
procéder à de nouvelles cotisations ou en établir de supplémen-
taires, ou fixer des impôts, intérêts ou pénalités en vertu de la
présente Partie, selon que les circonstances l'exigent.
Les demanderesses soutiennent tout d'abord que
plusieurs des cotisations n'ont pas été établies
«avec toute la diligence possible» comme l'exige le
paragraphe 152(1).
Il est convenu que [TRADUCTION] «durant
toutes les années 1967 1975 incluse, les deman-
deresses ont fait des déclarations d'impôt sur le
revenu des corporations». Les copies de ces décla-
rations, transmises par le Ministre conformément
au paragraphe 176(2), sont, dans plusieurs cas,
trop floues pour être lisibles. Toutefois, aucune
cotisation n'ayant fait allusion à une pénalité, je
présume que les déclarations ont été déposées dans
le délai prescrit et que, par conséquent, il se peut
qu'un avis de cotisation ait été émis avec jusqu'à
huit ans de retard à compter de la date de dépôt de
la déclaration à laquelle il se rapporte.
La défenderesse rétorque qu'il est tout à fait
raisonnable de la part du Ministre de déférer
l'établissement de la cotisation se rapportant à une
déclaration d'impôt d'une corporation jusqu'à l'is-
sue du processus d'appel des cotisations d'impôt
sur les particuliers et qu'il n'aurait pas été vrai-
ment raisonnable de sa part s'il avait agi autre-
ment. Selon elle, le délai qu'il faut considérer dans
le contexte de l'expression «avec toute la diligence
possible» est la durée qui commence avec l'arrêt du
11 février 1976 de la Cour suprême du Canada. Je
souscris à son argument. En l'espèce, •les déclara-
tions ont été examinées en vue de la fixation de la
cotisation avec toute la diligence possible et il ne
m'est pas nécessaire de considérer les effets qui en
découleraient s'il en avait été autrement compte
tenu surtout du paragraphe 152(3).
Les demanderesses ont ensuite invoqué le délai
de quatre ans visé au paragraphe 152(4). Il est
admis qu'aucune renonciation, omission volontaire
ou fraude n'a été établie. La Hutterian Brethren of
Lakeside Colony a fait des déclarations sur formu-
les T-2 pour les corporations à l'égard des années
d'imposition pendant lesquelles elle aurait dû faire
des déclarations sur formules T-3 pour les succes
sions, fiducies ou organismes. Il s'ensuit nécessai-
rement un certain nombre de renseignements
inexacts.
Les cotisations en l'espèce sont toutes des cotisa-
tions premières et non des cotisations nouvelles ou
supplémentaires. Les mots «ou fixer des impôts,
intérêts ou pénalités en vertu de la présente Partie,
selon que les circonstances l'exigent» ont été ajou-
tés à la fin du paragraphe 152(4) lors de la même
modification qui a ajouté les mots «une notification
portant qu'aucun impôt n'est payable pour une
année d'imposition» au sous-alinéa 152(4)a)(ii). 9
Ces mots imposent le délai de quatre ans à l'émis-
sion d'un avis de première cotisation comme à
l'émission d'un avis de nouvelle cotisation ou de
cotisation supplémentaire. Ce délai de quatre ans
doit, selon la Loi, courir «du jour de l'expédition
par la poste d'un avis de première cotisation ou
d'une notification portant qu'aucun impôt n'est
payable». Le jour de dépôt de la déclaration n'y est
pas mentionné.
Dans le cas d'une première cotisation, comme
c'est le cas en l'espèce, le délai de quatre ans
commence à courir du jour de l'expédition par la
poste de la notification portant qu'aucun impôt
n'est payable. Aucune notification semblable n'a
été expédiée à l'une quelconque des demanderes-
ses. Les cotisations ne sont pas interdites par la loi
et il n'est par conséquent pas nécessaire d'exami-
ner les inexactitudes mentionnées précédemment.
L'action de la demanderesse échoue. Il en est de
même des autres causes types. Une copie de ces
motifs sera insérée au dossier de chacune de ces
autres actions.
Aucune conclusion n'a été formulée sur la ques
tion des dépens. L'action de la demanderesse est
rejetée avec dépens.
9 S.C. 1960, c. 43, art. 15(1).
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.