T-3586-75
Newfoundland Steamships Limited, Clarke Trans
port Canada Ltée, et les ayants droit à la cargai-
son chargée à bord du navire Fort St. Louis
(Demandeurs)
c.
Canada Steamship Lines, Limited, et W. F. Walsh
Limited (Défenderesses)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 19 juin; Ottawa, les 22 et 26 juin
1978.
Pratique — Demande pour modifier la déclaration en vue
d'y ajouter une liste définitive des demandeurs — L'intitulé de
la cause comprenait «les ayants droit à la cargaison ...' , et la
mention que ces personnes figuraient à l'appendice — Délai de
la prescription — Est-il trop tard pour ajouter les noms
d'autres ayants droit à la cargaison? — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 38 — Code civil
du Québec, article 2261 — Règles 424 et 425 de la Cour
fédérale.
Les demandeurs, dans une action complexe en dommages-
intérêts résultant de la perte de la cargaison par suite d'une
prétendue négligence, demandent l'autorisation de modifier
leur déclaration pour remplacer l'appendice A, joint à leur
première déclaration par une liste définitive des demandeurs
annexée à la requête. Ces derniers, visés par la présente
requête, ne sont désignés dans l'intitulé de la cause que par
l'expression «les ayants droit à une cargaison chargée à bord du
navire Fort St. Louis quand il a été la proie des flammes dans
le port de Montréal ...»; expression accompagnée de la
déclaration portant entre parenthèses qu'»une liste détaillée de
ces parties intéressées est annexée aux présentes». Les deman-
des des demandeurs sont fondées avant tout sur un délit civil à
l'égard duquel le délai de prescription est de deux ans en vertu
de l'article 2261 du Code civil de la province de Québec. Selon
l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale, les règles de droit
relatives à la prescription des actions en vigueur entre sujets
dans une province s'appliquent à toute procédure devant la
Cour relativement à une cause d'action qui prend naissance
dans cette province. Les défenderesses prétendent donc qu'il est
maintenant trop tard pour ajouter les noms d'ayants droit à la
cargaison en produisant un appendice A modifié et annexé à la
déclaration.
Arrêt: la demande est accueillie. En l'espèce les nouvelles
parties dont le nom figure dans l'appendice que l'on veut
substituer au précédent appendice ne sont pas de nouveaux
demandeurs dont les demandes sont prescrites mais plutôt
qu'elles sont comprises dans la désignation des ayants droit à la
cargaison à bord du navire. Il s'agit simplement de la substitu
tion de nouvelles précisions aux précisions antérieures et, de
plus, il s'agit avant tout de l'addition du nom du chargeur et du
consignataire ou vice versa et les défenderesses peuvent ainsi
mieux vérifier les demandes d'indemnité.
Arrêts mentionnés: Leeson Corp. e. Consolidated Tex
tiles Mills Ltd. [1975] C.F. 258 et [1978] 2 R.C.S. 2;
Couture c. La Reine [1972] C.F. 1137.
DEMANDE.
AVOCATS:
David Angus et Pierre Côté pour les
demandeurs.
R. Chauvin, c.r. pour la défenderesse W. F.
Walsh Limited.
G. Barry pour la défenderesse Canada Steam
ship Lines, Limited.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb,
Montréal, pour les demandeurs.
Chauvin, Marler & Baudry, Montréal, pour
la défenderesse W. F. Walsh Limited.
McMaster, Meighen, Montréal, pour la
défenderesse Canada Steamship Lines, Lim
ited.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Les demandeurs demandent
l'autorisation de modifier leur déclaration pour
remplacer l'appendice A qui était joint à leur
première déclaration et qui était mentionné dans
l'intitulé de la cause et au paragraphe 3 de la
déclaration par la liste annexée à la requête. L'ac-
tion est complexe. La demanderesse Newfound-
land Steamships Limited, qui faisait le transport
du fret par colis entre le port de Montréal et les
ports de Corner Brook et de St-Jean de Terre-
Neuve, exploitait le navire Fort St. Louis sous
contrat d'affrètement à temps. Ce navire apparte-
nait à la défenderesse Canada Steamship Lines,
Limited et la demanderesse Clarke Transport
Canada Ltée gérait l'entreprise de Newfoundland
Steamships Limited en plus d'être arrimeur et
exploitant de terminal dans le port de Montréal.
Un grand nombre de propriétaires, de chargeurs
et de consignataires ayants droit à la cargaison
perdue ont subi un préjudice par suite d'un incen-
die qui a éclaté à bord du navire Fort St. Louis à
Montréal, le 15 octobre 1974. Selon les alléga-
tions, la défenderesse Canada Steamship Lines,
Limited est propriétaire du navire et emnloveur de
tous les membres de l'équipage ainsi que le trans-
porteur et le gardien légal de la cargaison chargée
à bord. La défenderesse W. F. Walsh Limited est
un entrepreneur en construction navale qui fournit
notamment à Montréal, des services de réparation
et de soudure de la coque et des ponts. Le 15
octobre 1974, après le chargement dans la cale
d'une cargaison considérable consignée à New-
foundland, l'équipe de soudeurs de Walsh, préten-
dument à la demande de la défenderesse Canada
Steamship Lines CSL), a entrepris des répara-
tions aux tôles d'acier du pont et causé par son fait
un incendie qui a occasionné aux demandeurs des
dommages importants. Une somme de $492,-
943.28 est demandée au titre de la perte de la
cargaison et des dommages causés à celle-ci. La
défenderesse CSL a déclaré une avarie commune
en temps utile à la suite de l'incendie et le rapport
à ce sujet est maintenant prêt. D'après les alléga-
tions, la défenderesse CSL avait le soin, la garde et
la disposition de la cargaison et ne s'est pas assurée
que cette dernière fût en sûreté et transportée à sa
destination en bon état. La défenderesse est accu
sée de négligence, en plus de cette faute tandis que
W. F. Walsh Limited, elle, est seulement accusée
de négligence. Toutefois, chaque demandeur peut
faire valoir une demande distincte de dommages-
intérêts et la demande globale des ayants droit à la
cargaison s'élève à $509,443.28 par suite de l'addi-
tion des honoraires des visiteurs et des répartiteurs,
soit $16,500, au montant de la perte et de la
détérioration de la cargaison. Que les ayants droit
à la cargaison puissent ou non faire valoir un droit
de nature contractuel contre Newfoundland
Steamships Limited ou contre Clarke Transport
Canada Ltée, codemandeurs, il y a lieu de noter
que les codemandeurs n'ont pas réglé ces deman-
des et qu'ils ne poursuivent donc pas les défende-
resses en vertu d'une subrogation ou de la cession
d'un droit sur la cargaison mais seulement pour
réparer un préjudice personnel. Il y a également
lieu de remarquer qu'aucun contrat n'a été conclu
entre l'un des ayants droit à la cargaison et
Canada Steamship Lines, Limited ou, bien sûr W.
F. Walsh Limited. Il ne s'agit pas, par la présente
requête, de décider si une action peut être accueil-
lie contre la défenderesse Canada Steamship
Lines, Limited en raison du fait que la garde de la
cargaison chargée à bord du navire lui incombait
au moment où l'incendie a éclaté, mais il semble
que les demandes des demandeurs sont fondées
avant tout sur un délit civil à l'égard duquel le
délai de prescription est de deux ans en vertu de
l'article 2261 du Code civil de la province de
Québec.
Selon l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale,
les règles de droit relatives à la prescription des
actions en vigueur entre sujets dans une province
s'appliquent à toute procédure devant la Cour
relativement à une cause d'action qui prend nais-
sance dans cette province. Les défenderesses pré-
tendent donc qu'il est maintenant trop tard pour
ajouter les noms d'ayants droit à la cargaison
chargée à bord du navire en produisant un appen-
dice A modifié et annexé à la déclaration puisque
l'action a été intentée le 14 octobre 1975, un an
après la naissance de la cause d'action.
Pour apporter cette modification, les deman-
deurs invoquent la Règle 424 des Règles de la
Cour fédérale dont voici le libellé:
Règle 424. Lorsque permission de faire un amendement men-
tionné aux Règles 425, 426 ou 427 est demandée à la Cour
après l'expiration de tout délai de prescription applicable mais
qui courait à la date du début de l'action, la Cour pourra
néanmoins, accorder cette permission dans les circonstances
mentionnées dans la Règle applicable s'il semble juste de le
faire.
Les Règles 426 et 427 ne s'appliquent pas puis-
qu'elles portent sur le changement de qualité et sur
les nouvelles causes d'action respectivement, mais
voici le texte de la Règle 425 qui porte sur la
correction de nom:
Règle 425. Un amendement aux fins de corriger le nom d'une
partie peut être permise en vertu de la Règle 424, même s'il est
allégué que l'amendement aura pour effet de substituer une
nouvelle partie à l'ancienne, pourvu que la Cour soit convaincue
que l'erreur dont la correction est demandée était véritablement
une erreur et n'était ni de nature à tromper ni susceptible
d'engendrer un doute raisonnable sur l'identité de la partie qui
avait l'intention de poursuivre, ou, selon le cas, qu'on avait
l'intention de poursuivre.
Toutefois, la jurisprudence a clairement établi
(voir Leesona Corporation c. Consolidated Tex
tiles Mills Ltd.' et Couture c. La Reine 2 ) que
puisque les règles du droit québécois relatives aux
courtes prescriptions ne sont pas des règles de
procédure mais des règles de droit positif, elles ne
' [1975] C.F. 258.
2 [1972] C.F. 1137.
peuvent être modifiées par la Règle 424 lorsqu'el-
les s'appliquent en vertu de l'article 38 de la Loi
sur la Cour fédérale, de façon à permettre une
modification lorsqu'il y a prescription. Toutefois, il
faut souligner que dans l'affaire Couture (préci-
tée), le juge Pratte a permis la modification parce
que le requérant avait interrompu la prescription
en intentant une action et qu'il n'avait pas voulu
amender sa pétition de droit de façon à faire valoir
un autre droit que celui dont la prescription avait
été interrompue mais seulement pour alléguer de
nouveaux faits établissant l'existence de ce même
droit. Dans l'affaire Leesona (précitée), il y avait
eu erreur sur la personne de la défenderesse pour-
suivie en raison de la similitude de nom des deux
compagnies et en dépit du fait que la défenderesse
eût induit la demanderesse en erreur dans la cor-
respondance antérieure la Cour a néanmoins dit
qu'il n'y avait pas lieu à substitution de partie par
une modification s'il y avait prescription du droit
d'action. 3
En l'espèce, la situation est inhabituelle. Si
toutes les parties qui ont été lésées par la perte ou
la détérioration de la cargaison avaient été dési-
gnées dans l'intitulé de la cause et que leurs
demandes aient été énoncées séparément dans le
corps et dans la conclusion de la déclaration, il
serait clair qu'aucune autre partie n'aurait pu être
ajoutée sur le document et qu'aucune demande
n'aurait pu être formulée en son nom au moyen
d'une modification après l'expiration du délai de
prescription. Toutefois, en l'espèce, les demandeurs
visés par la présente requête ne sont désignés dans
l'intitulé de la cause que par l'expression [TRA-
DUCTION] «les ayants droit à une cargaison char
gée à bord du navire Fort St. Louis quand il a été
la proie des flammes dans le port de Montréal
pendant qu'il était accosté le long du hangar 68, le
15 octobre 1974.» Puis, entre parenthèses, la décla-
ration précise: [TRADUCTION] «une liste détaillée
de ces parties intéressées est annexée aux présen-
tes». Voici le texte du paragraphe 3:
[TRADUCTION] Les demandeurs ayants droit à la cargaison
chargée à bord du navire «Fort St. Louis» (ci-après appelés «les
3 Ce jugement de la Cour d'appel auquel m'a référé l'avocat
a depuis été infirmé par la Cour suprême le 16 novembre 1977
[[1978] 2 R.C.S. 2]. (Voir l'addendum à la fin des motifs.)
ayants droit à la cargaison») étaient à l'époque en cause, les
propriétaires, les chargeurs ou les consignataires de cette car-
gaison et, de toute façon, ils avaient des droits sur celle-ci et
pouvaient demander un dédommagement pour la perte, la
détérioration ou la destruction de cette cargaison par suite d'un
incendie qui a éclaté à bord du navire «FORT ST. LOUIS» le 15
octobre 1974. Lesdits demandeurs ainsi que les numéros des
lettres de transport maritime en vertu desquelles leur cargaison
perdue, endommagée ou détruite a été mise à bord sont tous
énumérés dans l'appendice joint à la présente déclaration.
L'emploi des mots «tous énumérés» est malheu-
reux puisque, comme le prétendent les défenderes-
ses, ils peuvent signifier que la liste est complète et
que l'intitulé de cause, qui renvoie à la liste détail-
lée des parties intéressées en annexe, a pour effet
de les inclure en qualité de codemandeurs de sorte
que l'on ne peut plus en allonger la liste après
l'expiration du délai de prescription.
Les demandeurs prétendent, en revanche, que la
liste n'avait que le caractère d'un moyen de preuve
et ne visait qu'à éviter la nécessité d'une requête
pour obtenir des précisions. Selon eux, bien que la
liste ait été aussi complète que possible à ce
moment-là vu les documents accessibles, soit seule-
ment les lettres de transport maritime, il a été
établi depuis lors à l'aide des documents fournis à
l'occasion du règlement des avaries, de la présenta-
tion des demandes et des rapports des répartiteurs
que des renseignements plus complets peuvent être
donnés dans un nouvel appendice. Cet appendice
que l'on veut maintenant produire et qui précise
dans chaque cas le nom du consignataire et du
chargeur, ajoute peu de nouveaux demandeurs à la
première liste et, c'est à souligner, ne modifie
aucunement le montant total de $492,943.28
demandé à titre d'indemnité. Selon les prétentions
des demandeurs, la désignation générale «les
ayants droit à la cargaison chargée à bord du
navire Fort St. Louis» s'étendait à tous les ayants
droit et peu importe si les noms de certains d'entre
eux n'apparaissaient pas sur la première liste. En
outre, d'après ces prétentions, les défenderesses
étaient au courant du progrès des discussions avec
les assureurs, les répartiteurs et les avocats sur les
détails des demandes relatives à la cargaison et
elles ne sont pas du tout prises par surprise ou
lésées par le fait de recevoir une liste définitive au
lieu de la liste fournie au moment de l'introduction
de l'action et elles ne subiront donc aucun préju-
dice si la modification est autorisée. En revanche,
plusieurs personnes dont la cargaison a été perdue
ou endommagée par l'incendie sur le navire subi-
ront un grave préjudice si on dit que leur demande
est prescrite simplement parce que leur nom ne
figurait pas sur une liste annexée à la déclaration.
Les demandeurs prétendent qu'ils ne cherchent pas
à substituer de nouvelles parties aux parties nom-
mées. En outre, il n'y a pas de «doute raisonnable
sur l'identité de la partie qui avait l'intention de
poursuivre» aux termes de la Règle 425, puisque
les défenderesses ont toujours su que les parties qui
avaient l'intention de les poursuivre étaient les
ayants droit à la cargaison chargée à bord du
navire, que ce soit en qualité de [TRADUCTION]
«propriétaires, chargeurs ou consignataires de cette
cargaison et, de toute façon, qui avaient des droits
sur celle-ci et pouvaient demander un dédommage-
ment pour la perte, la détérioration ou la destruc
tion de cette cargaison».
Je suis donc d'avis pour tous ces motifs qu'en
l'espèce les nouvelles parties dont le nom figure
dans l'appendice que l'on veut substituer au précé-
dent appendice ne sont pas de nouveaux deman-
deurs dont les demandes sont prescrites mais
plutôt qu'elles sont comprises dans la désignation
des ayants droit à la cargaison à bord du navire. Il
s'agit simplement de la substitution de nouvelles
précisions aux précisions antérieures et, de plus, il
s'agit avant tout de l'addition du nom du chargeur
et du consignataire ou vice versa et les défenderes-
ses peuvent ainsi mieux vérifier les demandes d'in-
demnité. Il n'est pas nécessaire de décider dès
maintenant si le demandeur doit être le chargeur
ou le consignataire mais pour que justice soit faite
la partie qui a subi la perte doit être indemnisée,
pourvu que le montant total de la demande ne
dépasse pas $509,443.28 (y compris les honoraires
des visiteurs et des répartiteurs), soit la somme
demandée pour les [TRADUCTION] «demandeurs
ayants droit à la cargaison, à répartir au prorata
de leur droit», aux termes de la conclusion de la
première déclaration.
L'autorisation de modifier est donc accordée,
mais les demandeurs doivent payer les dépens
quelle que soit l'issue de la cause.
Addendum
Lorsque j'ai dicté les présents motifs, j'ai fait
référence par erreur à la décision de la Cour
d'appel dans l'affaire Leesona. En. infirmant cette
décision, la Cour suprême a autorisé la modifica
tion et le jugement [[1978] 2 R.C.S. 2, à la page
4] rendu par l'honorable juge Pigeon étaye solide-
ment ma conclusion en l'espèce selon laquelle la
modification doit être permise parce que les défen-
deresses ne sont pas du tout prises par surprise.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.