A-666-76
Lawrence H. Mandel (Appelant)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, les juges Urie et Ryan et le juge
suppléant MacKay—Toronto, le 30 mai; Ottawa,
le 26 octobre 1978.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions
.Allocation du coût en capital — Une société a acheté un film
pour un prix d'achat égal au coût de production vérifié — Le
prix d'achat était payable en un acompte de $150,000, le solde
devant être payé sur les bénéfices — L'appelant était-il en
droit de réclamer, à titre d'allocation du coût en capital, sa
part du prix total stipulé ou seulement sa part de l'acompte?
L'appelant a formé avec onze autres associés une société
ainsi qu'une compagnie à cet effet. La société a acheté en 1971
un film ayant atteint un stade avancé de production. Le prix
d'achat du film était égal au coût de production vérifié à la date
d'achat et était payable en un acompte de $150,000, le solde
devant être payé sur les bénéfices. Il s'agit de savoir si l'appe-
lant était en droit de réclamer, à titre d'allocation du coût en
capital pour 1971, sa part du prix total stipulé ou seulement sa
part de l'acompte, compte tenu du fait que le solde ne devait
être acquitté que sur les bénéfices éventuels. La solution dépend
de la question de savoir s'il fallait voir dans l'obligation de
payer le solde du prix un passif «réel» ou un passif éventuel.
Arrêt: l'appel est rejeté. Les acquéreurs ont contracté l'obli-
gation de payer et l'acompte et le solde. Toutefois, l'obligation
de paiement du solde n'était pas une obligation qui deviendrait
exigible simplement à l'expiration d'un délai déterminé ou à la
survenance d'un événement certain ou voire vraisemblable.
Cette deuxième obligation des acquéreurs (dont ils ne pou-
vaient certes pas se libérer unilatéralement) dépendait d'un
événement qui n'était pas du tout certain. Il s'agissait donc
d'une obligation éventuelle. Le coût en capital du film est le
prix de revient du film pour les contribuables et non les
dépenses engagées par les vendeurs pour le produire ou les
obligations qu'ils ont contractées en vue d'obtenir le finance-
ment. La méthode appropriée pour déterminer le coût en
capital pour les contribuables consiste à inclure l'acompte et à
exclure le passif éventuel, les paiements ultérieurs, le cas
échéant, étant comptés quand ils auront été effectués.
Distinction faite avec l'arrêt: Winter and Others (Execu-
tors of Sir Arthur Munro Sutherland (deceased)) c.
Inland Revenue Commissioners [1963] A.C. 235.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
D. K. Laidlaw, c.r. et P. H. Harris pour
l'appelant.
G. W. Ainslie, c.r. et W. Lefebvre pour
l'intimée.
PROCUREURS:
Perry, Farley & Onyschuk, Toronto, pour
l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: Il s'agit d'un appel d'un juge-
ment rendu le 9 août 1976 par la Division de
première instance [[1977] 1 C.F. 673] qui a
débouté l'appelant de son recours contre une nou-
velle cotisation d'impôt sur le revenu pour l'année
d'imposition 1971. En première instance, ce
recours a été entendu conjointement avec onze
autres sur preuve commune, les points de droit en
cause étant identiques dans chaque cas, et naturel-
lement les onze autres recours ont été également
rejetés. Pourvoi en appel est aussi formé dans les
onze autres causes et, les questions en litige étant
de nouveau identiques, tous les appels seront jugés
sur la base des arguments présentés dans la pré-
sente espèce et un exemplaire des présents motifs
sera versé au dossier d'appel des autres causes'.
Le litige porte sur une allocation du coût en
capital. L'appelant a formé avec onze autres asso-
ciés une société ainsi qu'une compagnie à cet effet.
La société a acheté en 1971 un film ayant atteint
un stade avancé de production. Le prix d'achat du
film était égal au coût de production vérifié à la
date d'achat, soit $577,892, payable en un
acompte de $150,000, le solde devant être payé sur
les bénéfices.
Il s'agit de savoir si l'appelant était en droit de
réclamer, à titre d'allocation du coût en capital
pour 1971, sa part du prix total stipulé ou seule-
ment, comme le soutient le Ministre, sa part de
' Les autres appels sont:
Ralph O. Howie c. La Reine, A-667-76
Sigmund J. Vaile c. La Reine, A-668-76
Robert W. Macaulay c. La Reine, A-669-76
Kenneth E. Howie c. La Reine, A-670-76
Keith Munro Gibson c. La Reine, A-671-76
Donald Lilly c. La Reine, A-672-76
Ian W. Outerbridge c. La Reine, A-673-76
William P. Rogers c. La Reine, A-674-76
Frank A. Rush c. La Reine, A-675-76
James M. Farley c. La Reine, A-676-76
V. R. E. Perry c. La Reine, A-677-76
l'acompte, compte tenu du fait que le solde ne
devait être acquitté que sur les bénéfices éventuels.
Il ressort des témoignages des experts en compta-
bilité que tout dépend de la question de savoir s'il
fallait voir dans l'obligation de payer le solde du
prix un passif «réel» ou un passif éventuel.
La loi et les règlements de l'impôt sur le revenu
applicables en l'espèce sont ceux en vigueur pour
l'année d'imposition 1971.
Les faits ne sont pratiquement pas contestés. Ils
sont clairement énoncés dans le mémoire soumis
par l'appelant. Je vais donc en citer en entier les
paragraphes 4 à 18, à l'exception des paragraphes
13 et 16 qui sont réfutés par l'intimée. J'omets les
numéros des paragraphes ainsi que les renvois aux
pages des pièces du dossier, en apportant, pour
cette raison, quelques petits changements de
ponctuation.
[TRADUCTION] Le 14 septembre 1971, Topaz Production
Limited, Niagara Television Limited, Robert Lawrence Pro
ductions (Canada) Limited et John T. Ross ont passé un
contrat en vue de la production d'un film intitulé «Mahoney's
Estate» pour lequel était prévu un budget de $653,000. La
production devait être terminée le 31 décembre 1971.
Topaz a vendu à Niagara 25 p. 100 de tous ses droits sur le
film, ne gardant plus ainsi qu'une participation de 75 p. 100.
Aux termes du contrat, Topaz devait recevoir $20,000 comme
indemnité différée et 25 p. 100 des bénéfices. Robert Lawrence
Productions devait recevoir $15,000 comme indemnité différée
et 8 p. 100 des bénéfices et était chargée de pourvoir au
financement de tous les frais de production en excédent de
$375,000, l'exclusion des frais différés. Niagara a avancé
$125,000 remboursables sur les recettes. Une fois le film ter-
miné, la firme de comptables agréés Deloitte, Haskins & Sells
devait procéder à une vérification des comptes pour déterminer
le coût total de production. Les bénéfices nets en excédent des
dépenses devaient être répartis de la façon suivante: 20 p. 100 à
la Société de développement de l'industrie cinématographique
canadienne, 22 p. 100 Niagara, 8 p. 100 Robert Lawrence
Productions, 25 p. 100 Topaz, 7 p. 100 Harvey Hart, 1.5 p.
100 Harvey Hart, 1.5 p. 100 Maud Adams, 1.5 p. 100 à
Sam Waterston, et les 15 p. 100 restants aux personnes dési-
gnées conjointement par Topaz et Robert Lawrence Produc
tions ou, à défaut de désignation, partagés à égalité entre ces
deux compagnies.
Aux termes d'un second contrat daté du 14 septembre 1971,
la Société de développement de l'industrie cinématographique
canadienne a convenu avec Topaz et Niagara en tant que
propriétaires, avec Topaz en tant que producteur et avec John
T. Ross en tant que producteur délégué, d'avancer $250,000
moyennant une participation de 20 p. 100 aux bénéfices nets.
Aux termes d'un contrat conclu le 31 août 1971 entre Topaz
et Niagara en tant que concédants d'une part, et International
Film Distributors Limited, en tant que distributeurs d'autre
part, la distribution du film se ferait moyennant un pourcentage
des recettes brutes.
Le 9 décembre 1971, la Banque de Montréal a consenti un
prêt de $100,000, moyennant une participation de 2.5 p. 100
aux bénéfices nets. Ce prêt a été fait à un taux d'intérêt de 2.5
p. 100 supérieur au taux préférentiel et le remboursement
devait commencer trois mois après l'achèvement de la
production.
Les arrangements financiers susmentionnés étaient considé-
rés en 1971 comme des contrats normaux de financement dans
l'industrie du cinéma.
Le 22 décembre 1971, l'étude d'avocats Thomson, Rogers
(dont faisaient partie onze des demandeurs) a écrit à Topaz et à
Niagara, propriétaires du film, pour confirmer qu'elle avait
réuni $150,000 en vue d'acquérir le film le 31 décembre 1971
pour le compte d'une société en commandite, à condition que
Niagara avance $125,000 exempts d'intérêts et remboursables
aux mêmes conditions que les $250,000 avancés par la Société
de développement de l'industrie cinématographique canadienne.
Le solde du prix d'achat devait être réglé par la prise en charge
de toutes les obligations du producteur concernant le paiement
notamment des sommes que celui-ci s'était engagé à payer aux
termes de tous les accords, contrats et arrangements existants
ou à conclure en vue de terminer le film, ou le remboursement
notamment de toutes les sommes avancées par la Société de
développement de l'industrie cinématographique canadienne et
par Niagara. Les remboursements seraient effectués avec les
fonds provenant des recettes.
Dans le but d'acquérir le film en question, les intéressés
avaient décidé de former et ont formé une société en comman-
dite ainsi qu'une compagnie à constituer, celle-ci devant être le
gérant et eux-mêmes les commanditaires. La compagnie a été
constituée sous le nom de «One Flag Under Ontario Invest
ments Limited» tandis que la société en commandite était
désignée sous le nom de «One Flag Under Ontario Investments
Limited and Film Associates». La participation de chaque
associé était en fonction de son apport.
Le 30 décembre 1971, l'accord définitif a été conclu entre
Topaz, Niagara, la Société de développement de l'industrie
cinématographique canadienne, Robert Lawrence Productions,
John T. Ross et One Flag, cette dernière étant représentée par
son gérant. Les 15 p. 100 des bénéfices nets, dont il était prévu
qu'ils reviendraient aux personnes désignées par Topaz et
Robert Lawrence, iraient dans la proportion de 12.5 p. 100 aux
acheteurs et 2.5 p. 100 la banque, les pourcentages des autres
parties demeurant inchangés.
Par ailleurs, il a été prévu que la firme Deloitte, Haskins &
Sells procéderait à une vérification des comptes pour détermi-
ner le coût total de production au 31 décembre 1971. A la suite
de cette vérification, il a été établi que les frais de production et
d'acquisition s'élevaient à $577,892 cette date.
La même firme devait aussi déterminer le montant définitif
des frais de production, mais aux fins de l'année d'imposition
1971 et du prix d'achat, les comptes à vérifier étaient arrêtés au
31 décembre 1971 et les frais certifiés comme ci-dessus.
Sur ce chiffre de $577,892, les demandeurs ont versé $150,-
000, le solde devant être acquitté sur les recettes conformément
au contrat susmentionné.
A la date d'achat, le film était pratiquement achevé, restait
seulement le montage.
Il ressort d'un contrat conclu le le' février 1973 entre la
Société de développement de l'industrie cinématographique
canadienne, Amaho Limited (désignée comme le cessionnaire),
Topaz Productions Limited, Niagara Television Limited,
Robert Lawrence Productions Limited, John T. Ross, One Flag
Under Ontario Investments Limited & Film Associates et
Alexis Kanner, que Niagara, qui a contribué pour $125,000 au
financement du film et pour quelque $10,000 son achève-
ment, cède tous ses droits à Amaho Limited (le cessionnaire), à
l'exclusion de ses droits sur les $10,000. Quant à la Société de
développement de l'industrie cinématographique canadienne,
elle cède, moyennant $1.00, tous ses droits au remboursement,
à prélever sur une partie des bénéfices réalisés par le film, des
sommes qu'elle a avancées et les parties renoncent à toute
réclamation contre elle concernant le solde non versé ($3,420)
des $250,000 qu'elle s'était engagée à avancer.
Le 11 février 1974, Topaz Productions Limited et British
Lion Films Limited ont conclu un contrat aux termes duquel les
deux parties conviennent que les prises de vues du film sont
terminées, mais qu'un financement complémentaire est néces-
saire pour terminer la production et pour apprêter le film aux
fins de projection, financement que Lion a accepté d'assurer
contre les droits de distribution internationale.
L'appelant a revendiqué une allocation du coût
en capital pour l'année d'imposition 1971, basée
sur sa part du prix stipulé du film, y compris le
montant total du solde à acquitter sur les bénéfices
éventuels. Le Ministre a établi une nouvelle cotisa-
tion pour l'appelant en soutenant que le coût en
capital se limitait en 1971 pour les acquéreurs du
film à l'acompte de $150,000. L'appelant a inter-
jeté appel devant la Cour fédérale. Le juge de
première instance l'a débouté en statuant que le
coût en capital du film en 1971 pour les acqué-
reurs était l'acompte et ne saurait recouvrir le
solde du prix dont l'obligation d'acquitter consti-
tuait, à son avis, un passif éventuel.
L'appelant soutient que le savant juge de pre-
mière instance a commis une erreur en concluant
que son allocation du coût en capital ne pouvait se
calculer sur la base du prix total établi par les
vérificateurs comptables, soit $577,892, et, en par-
ticulier, en statuant que l'excédent sur l'acompte
de $150,000 constituait un passif éventuel.
En première instance, l'appelant a cité comme
expert-comptable, M. Robert Fraser. De son côté,
l'intimée a cité M. Bonham, un autre expert-comp-
table. De l'avis du juge de première instance, ces
deux témoins étaient des «... experts hautement
qualifiés ...».
Il y avait certainement lieu en l'espèce de
rechercher l'avis des experts en comptabilité pour
déterminer si, eu égard aux circonstances, le solde
non acquitté du prix pouvait, à juste titre, être
compté dans le coût en capital du film dans l'année
d'achat. Rien dans la loi ni dans les règlements
applicables ne limite la portée normale de tels
témoignages.
Si je ne me trompe, les deux experts ont reconnu
que le solde non acquitté devait être compté s'il
s'agissait d'un passif «réel», mais exclu s'il s'agis-
sait d'un passif éventuel. De toute évidence, c'était
également l'avis du juge de première instance.
Selon l'expert Fraser, l'obligation des acqué-
reurs d'acquitter le solde constituait un passif
«réel» et non, aux fins qui nous intéressent, un
passif éventuel. Le paiement était certes condition-
nel, mais à son avis, l'obligation contractuelle de
verser le montant précis était, à proprement parler,
«réelle».
M. Bonham n'était pas de cet avis. Il faut noter
ici qu'au moment de lui demander son opinion
avant l'ouverture du procès, l'intimée a formulé
certaines hypothèses sur lesquelles son opinion
devait se baser. Ainsi donc, son affidavit reçu en
preuve était fondé sur ces hypothèses dont en voici
une:
[TRADUCTION] Dans l'acquisition du film en question, les
obligations contractées par One Flag [la société en commandite
acquéreuse] étaient:
a) inconditionnelles en ce qui concerne le versement des
$150,000, et
b) conditionnelles ou éventuelles en ce qui concerne le paie-
ment de toutes autres sommes jusqu'à concurrence du maxi
mum de $427,892 établi au 31 décembre 1971 (ce qui donne
un prix total maximum de $577,892 cette date), la condi
tion étant l'existence préalable de recettes provenant de
l'exploitation du film conformément aux contrats y afférents.
A l'interrogatoire tout comme lors du contre-
interrogatoire, M. Bonham a déclaré sans équivo-
que qu'à son avis, cette condition a pour effet, aux
fins des considérations de comptabilité qui nous
intéressent, de rendre éventuelle l'obligation d'ac-
quitter le solde du prix 2 .
Après avoir soigneusement analysé les témoi-
gnages des experts, le juge de première instance a
conclu que l'obligation d'acquitter le solde du prix
était, en l'espèce, une obligation éventuelle. Je suis
du même avis. Il s'ensuit donc que ce solde ne
devait pas, à juste titre, être compté dans le coût
en capital du contribuable pour l'année d'imposi-
tion en cause. Par la suite, si jamais des sommes
étaient réellement versées à même les bénéfices
éventuels, elles pourraient être comptées dans le
coût en capital au titre des années où elles seraient
versées.
Comme l'a souligné le juge de première ins
tance, il est évident que les acquéreurs, en s'enga-
geant à acheter le film aux conditions stipulées,
ont contracté l'obligation de payer et l'acompte et
le solde. Toutefois, l'obligation de paiement du
solde n'était pas une obligation qui deviendrait
exigible simplement à l'expiration d'un délai déter-
miné ou à la survenance d'un événement certain ou
voire vraisemblable 3 . Cette deuxième obligation
des acquéreurs (dont ils ne pouvaient certes pas se
libérer unilatéralement) dépendait d'un événement
qui n'était pas du tout certain. Il s'agissait donc
d'une obligation éventuelle.
Cette conclusion m'a été inspirée par le juge-
ment de lord Reid dans Winter and Others
(Executors of Sir Arthur Munro Sutherland
(deceased)) c. Inland Revenue Commissioners 4 . Il
s'agissait d'une affaire de taxe successorale dans
laquelle il fallait statuer si l'obligation d'une corn-
2 Il faut ajouter que M. Bonham devait, à la demande de
l'intimée, tenir compte d'une autre hypothèse, à savoir:
... [TRADUCTION] «qu'à la fin de l'année financière 1971,
aucun fondement raisonnable ne permettait de prédire que
les perspectives commerciales de l'exploitation du film
seraient telles que l'obligation conditionnelle, dont on vient
de parler, deviendrait presque certainement payable. En
d'autres termes, l'achat du film par One Flag a nettement été
une entreprise spéculative».
Voici ce qu'a dit à ce sujet le savant juge de première
instance [à la page 687]:
En réalité, les acheteurs ont investi $150,000 dans une
entreprise commerciale fortement hasardeuse en sachant que
même si elle échouait, ils bénéficieraient d'avantages fiscaux
importants et que, si par hasard elle réussissait, ils bénéficie-
raient de ses profits.
4 [1963] A.C. 235.
pagnie de payer un impôt sur la récupération
possible du coût en capital à la cession non encore
réalisée d'un actif constituait ou non un passif
éventuel au sens du paragraphe 50(1) de la loi dite
Finance Act de 1940. La compagnie dans laquelle
le de cujus détenait une participation majoritaire,
s'était prévalue, de son vivant, d'une allocation du
coût en capital des navires dont elle était proprié-
taire, cette déduction étant récupérable et imposa-
ble si jamais le produit de la vente de ces navires
excéderait leur coût non amorti. D'après la loi en
question, la valeur, aux fins de la taxe successo-
rale, des actions détenues par le de cujus serait
calculée à partir de la valeur de l'actif de la
compagnie. Dans leur évaluation de cet actif, les
commissaires du fisc [TRADUCTION] «... accorde-
ront une allocation sur la valeur principale de ces
biens pour tous les éléments de passif de la compa-
gnie (calculée pour le passif qui n'est pas échu à la
date du décès en fonction de sa valeur à cette date
et, pour le passif éventuel, en fonction de l'estima-
tion que les commissaires jugeront raisonna-
ble) ....»
Dans l'affaire Winter, il s'agissait de savoir si la
dette en cause constituait, aux fins de cette évalua-
tion, un passif éventuel ou si elle devait être exclue
du passif. Je me propose de citer un long extrait du
jugement de lord Reid. Le problème qui se posait
était évidemment l'interprétation de l'expression
«passif éventuel» figurant dans la loi en question.
Je pense cependant que ses observations ont une
portée qui dépasse le cadre de cette loi. Voici ce
qu'il a dit aux pages 247 249:
[TRADUCTION] Il ne fait aucun doute que les termes «passif»
et «passif éventuel» sont plus souvent utilisés à propos des
obligations contractuelles que de celles découlant de la loi.
Mais je suis certain que si une loi déclare qu'une personne qui a
fait quelque chose doit payer un impôt, cet impôt est un «passif»
de ladite personne. Si le montant de l'impôt a été fixé et est
exigible immédiatement, il constitue clairement un passif. S'il
n'est exigible qu'à une certaine date ultérieure, il doit être
considéré comme un passif qui «n'est pas échu à la date du
`décès'» au sens où l'entend l'article 50(1). Si l'on n'est pas
encore certain de l'exigibilité de l'impôt ou de la date à laquelle
il deviendra exigible ou du montant qui sera exigible, pourquoi
alors ne s'agirait-il pas d'un passif éventuel en vertu du même
article?
On dit que lorsqu'il y a un contrat, il y a une obligation,
même si on doit attendre la survenance de certains événements
pour voir si quelque chose devient exigible, mais dans le cas qui
nous occupe, il n'y a pas d'obligation comparable. Il m'apparaît
toutefois qu'il y a une grande similitude. Pour prendre la
première phase, si je vois une montre dans une vitrine et songe
à l'acheter, je ne suis pas soumis à un passif éventuel face à son
prix. De même, si une loi dit que je dois payer un impôt lorsque
je commerce et réalise un profit, je ne suis pas soumis à un
passif éventuel avant de commencer mes activités. Dans aucun
des deux cas, je ne me suis engagé à quoi que ce soit. Mais, si je
conviens par contrat d'accepter des allocations étant entendu
que je paierai une somme si je vends plus tard quelque chose
au-dessus d'un certain prix, je me suis engagé et je suis soumis
à un passif éventuel face au paiement dans ce cas. C'est
exactement le cas de la compagnie en question, sauf que son
obligation de paiement n'est pas issue d'un contrat mais d'une
loi. Je ne vois pas en quoi ce détail changerait les choses.
Il semblerait que l'expression «passif éventuel» n'ait pas de
sens défini en droit anglais attendu qu'en l'espèce, le juge
Danckwerts a jugé utile de recourir à un dictionnaire et que
dans l'arrêt In re Duffy, (abondamment invoqué par les inti-
més), la Cour d'appel estime que le sens de cette expression
demeure une question ouverte à la discussion. Mais les Finance
Acts sont des lois du Royaume-Uni et il existe au moins une
forte présomption de signification équivalente en Écosse et en
Angleterre. Une affaire exactement semblable à l'affaire pré-
sente aurait pu nous venir d'Écosse et leurs Seigneuries
auraient alors examiné le sens de cette expression en droit
écossais. Je demande à leurs Seigneuries de m'excuser si je leur
rappelle son sens en ce cas. La définition sans doute la plus
claire du droit écossais se trouve dans le traité d'Erskine intitulé
Institute, 3e éd. vol. 2, Livre III, titre 1, article 6, p. 586, où il
est écrit: «Les obligations peuvent être simples, à terme ou
conditionnelles .... Les obligations à terme ... sont des obliga
tions dont l'exécution est reportée à une date certaine. Dans ce
genre d'obligations ... la dette existe véritablement à la date de
l'obligation parce que la survenance du terme est chose cer-
taine, seul l'effet ou l'exécution de l'obligation est suspendu
jusqu'à l'arrivée de ce terme. Une obligation conditionnelle ou
une obligation acceptée sous condition, dont l'existence est
incertaine, n'a pas force obligatoire tant que la condition n'est
pas réalisée; puisque la partie déclare n'avoir l'intention d'être
liée par cette obligation qu'au cas où cet événement survien-
drait, elle n'est redevable de rien tant que cette condition
n'existe pas effectivement; ainsi la condition, c'est-à-dire, l'évé-
nement incertain, suspend non seulement l'exécution de l'obli-
gation, mais l'obligation elle-même .... On dit d'une telle
obligation, en droit romain, qu'elle crée seulement une espé-
rance de dette. Le débiteur est cependant lié dans la mesure où
il n'a pas le droit de révoquer ou de retirer au créancier cette
espérance après la lui avoir donnée.»
Autant que je sache, cette déclaration n'a jamais été mise en
question depuis qu'elle a été écrite il y a deux siècles, et la
jurisprudence postérieure à cette déclaration démontre claire-
ment qu'obligation conditionnelle et obligation éventuelle ont le
même sens. Il est donc impossible de décider qu'en droit
écossais, une obligation éventuelle constitue simplement un
genre particulier d'obligation existante. Il s'agit d'une obliga
tion qui, en raison d'un acte du débiteur, naîtra nécessairement
si un ou plusieurs événements se produisent ou ne se produisent
pas. Si le droit anglais est différent—et je n'exprimerais aucune
opinion à cet égard—la différence tient probablement plus à la
terminologie qu'au fond même.
Je reviens maintenant aux dispositions de l'article 50(1) de la
Finance Act de 1940. Aux termes de cet article, les commissai-
res doivent déduire tout le passif de la compagnie, passif qui se
divise, ainsi qu'on pourrait s'y attendre, en trois catégories.
Tout d'abord, lorsque la dette consiste en une somme immédia-
tement exigible, nul n'est besoin de la calculer et la somme est
déduite telle quelle. Dans la deuxième catégorie, la dette n'est
pas encore échue: cela s'entend d'une somme qui sera exigible à
une date ultérieure ou à la survenance certaine d'un événement
futur, comme par exemple à la mort de A. Pour cette catégorie,
les commissaires doivent prendre la valeur actualisée de la
dette. La troisième catégorie correspond au «passif éventuel»,
c'est-à-dire certaines sommes, dont le paiement dépend d'un
événement incertain, savoir, des sommes qui ne deviendront
exigibles que si certaines choses arrivent et ne le seront jamais
dans le cas contraire. On ne peut donc les déterminer avec
certitude et les commissaires doivent faire une estimation qui
leur semble raisonnable.
La dernière catégorie me semble couvrir exactement l'obliga-
tion conditionnelle dont traitait Erskine dans l'extrait cité. Je
souscris à la théorie des intimés lorsqu'ils affirment que cette
catégorie ne peut inclure que des obligations qui, en droit,
dépendent de la réalisation d'une ou plusieurs choses, et qu'elle
ne peut s'appliquer à toutes les choses contre lesquelles un
homme d'affaires prudent estimerait approprié de se prémunir.
Cette distinction, j'ai essayé de la souligner plus haut. Je ne
peux toutefois souscrire à une autre thèse présentée par les
intimés selon laquelle il faut une obligation existante, une telle
thèse ayant pour conséquence d'exclure au moins toutes les
obligations conditionnelles du droit écossais.
J'ai souligné les passages que j'ai trouvés particu-
lièrement utiles.
J'ai également trouvé utile la définition de l'ex-
pression «passif éventuel» donnée par lord Guest
dans la même affaire, à la page 262:
[TRADUCTION] Le passif éventuel diffère donc du passif à
terme qui lie la compagnie mais qui n'est exigible qu'à une date
ultérieure. Je définirais l'éventualité comme un événement qui
peut se produire ou non, et le passif éventuel comme un passif
dont l'existence dépend d'un événement qui peut se produire ou
non. [C'est moi qui souligne.]
Il est intéressant de noter que lord Guest a lui
aussi consulté le droit écossais des obligations con-
ditionnelles et s'est référé en particulier à une
partie du passage tiré par lord Reid du traité
Erskine's Institute of the Law of Scotland et à
l'ouvrage Gloag on Contract. Parlant de ce droit, il
a déclaré à la page 263: [TRADUCTION] «Je ne vois
pas pourquoi ces principes ne s'appliqueraient pas
à une loi du Royaume-Uni. Aucune jurisprudence
n'a été invoquée pour montrer qu'il en est diffé-
remment dans le droit anglais.»
Avant de terminer, je me propose de me pencher
sur un argument de l'avocat de l'appelant. Il s'agit
du même argument qui a été présenté au juge de
première instance qui l'a repris en ces termes [à la
page 701]:
... puisque les acheteurs ont assumé toutes les obligations de
Topaz, en plus de verser les $150,000 comptants, ils viennent en
lieu et place des vendeurs et que le coût en capital du film
supporté par eux est le même que ce qu'il aurait été pour les
vendeurs.
Le juge de première instance s'est reporté à
plusieurs précédents, notamment à l'arrêt Ottawa
Valley Power Company c. M.R.N. 5 , invoqué par
l'avocat, et à l'arrêt D'auteuil Lumber Co. Ltd. c.
M.R.N. 6 , où le président Jackett (maintenant juge
en chef) a explicité les observations qu'il avait
faites en rendant le premier arrêt. Le juge de
première instance a alors déclaré ceci [aux pages
700 et 701]:
En procédant à l'achat, ils ont contracté l'obligation de payer le
solde, mais seulement sur les recettes du film, en sorte que tant
la date que l'existence du paiement étaient éventuelles et que
ces montants ne devaient être réclamés que lorsqu'ils seraient
payés et s'ils l'étaient. Certainement, pour employer les termes
du juge en chef Jackett dans D'auteuil Lumber, «il est facile
d'évaluer l'objet reçu, mais presque impossible d'évaluer la
contrepartie». Toutefois, il poursuit: «Lorsque la valeur de la
chose donnée en échange du bien en capital peut être détermi-
née sans plus de difficulté que celle du bien en capital lui-
même, je suis porté à penser que la Cour n'accepterait pas
facilement que l'on recoure à l'évaluation du bien en capital
lui-même plutôt qu'à celle de sa contrepartie, ou en supplément
à cette dernière évaluation.» En l'espèce, il me semble que la
valeur de la contrepartie pourra être déterminée avec une
parfaite exactitude lorsqu'on aura finalement touché les recet-
tes nettes du film et aucun texte législatif ou autre n'exige que
ces recettes soient évaluées à la fin de l'année d'imposition
1971, ce que d'ailleurs il aurait été impossible de faire.
En toute déférence, j'estime que l'argument a
été judicieusement tranché. Je ferais cependant
une réserve quant à la facilité avec laquelle il
serait possible d'évaluer le film avant la vente. Il
est évident que le coût en capital en question est le
prix de revient du film pour les contribuables et
non les dépenses engagées par les vendeurs pour le
produire ou les obligations qu'ils ont contractées en
vue d'obtenir le financement. Il ressort des témoi-
gnages des experts-comptables, témoignages qui
ont été à juste titre admis par le juge de première
instance, que la méthode appropriée pour détermi-
ner le coût en capital pour les contribuables con-
siste à inclure l'acompte et à exclure le passif
éventuel, les paiements ultérieurs, le cas échéant,
étant comptés quand ils auront été effectués. Du
moment que l'avis des experts-comptables est
5 [1969] 2 R.C.E. 64.
6 [1970] R.C.E. 415.
admis, rien n'empêche de déterminer le prix de
revient du film pour les contribuables, ce qui éli-
mine toute nécessité d'avoir recours à une pré-
somption quelconque basée sur les frais subis par
des tiers ou sur quelque autre élément. En fait,
j'estime qu'il serait probablement plus facile de
calculer les frais subis par les vendeurs que d'éta-
blir la «valeur» du film avant la vente.
En statuant sur cet appel, il n'est évidemment
pas besoin d'examiner les arguments présentés à la
Cour et basés sur l'hypothèse selon laquelle l'obli-
gation de payer le solde du prix était une obliga
tion réelle et non éventuelle.
Il n'y a pas d'appel incident.
L'appel est rejeté avec dépens. Il n'y aura cepen-
dant qu'un seul décompte des frais pour tous les
appels, à savoir celui-ci et ceux qui sont énumérés
à la note de renvoi 1.
* * *
LE JUGE URIE: J'y souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: J'y souscris.
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