T-1908-72
Davie Shipbuilding Limited et Canada Steamship
Lines Limited (Demanderesses)
c.
La Reine (Défenderesse)
et
Robert Morse Corporation Limited et Colt Indus
tries (Canada) Ltd. (Tierces parties)
Division de première instance, le juge Gibson—
Ottawa, le 20 juin et le 17 juillet 1978.
Droit maritime — Compétence — Contrat de construction
de navire — Le constructeur a conclu un autre contrat avec la
tierce partie en vue de la construction, de la fourniture et de
l'installation des moteurs et autres équipements — Dans sa
demande reconventionnelle, le propriétaire du navire poursuit
le constructeur pour inexécution du contrat — Si la demande
reconventionnelle est accueillie, il faudra examiner la récla-
mation fondée sur une allégation d'inexécution du contrat
intervenu entre le constructeur et la tierce partie — La ques
tion se pose de savoir si la demande reconventionnelle et les
procédures relatives à tierce partie relèvent du «droit maritime
canadien» et de la compétence de la Cour — Règle 474 de la
Cour fédérale.
Il s'agit en l'espèce d'une requête fondée sur la Règle 474 et
visant à une décision préliminaire sur une question de droit. La
demanderesse Davie Shipbuilding Limited a conclu un contrat
avec la Couronne pour lui construire un navire. Aux fins
d'exécution du contrat, la demanderesse Davie a conclu un
autre contrat avec la tierce partie Robert Morse pour cons-
truire, fournir et installer les moteurs et autres installations
dans le navire. Dans sa demande reconventionnelle, la Cou-
ronne poursuit, en sa qualité de propriétaire du navire, Davie en
tant que constructeur du navire, pour inexécution de contrat. Si
cette demande reconventionnelle est accueillie, il faudra exami
ner une réclamation que comporte la déclaration dans les
procédures relatives à tierce partie, fondée sur une allégation
d'inexécution du contrat intervenu entre la demanderesse Davie
et la tierce partie Robert Morse. La question de droit à
trancher consiste à déterminer si la demande reconventionnelle
et les procédures relatives à tierce partie relèvent de la compé-
tence de la Cour et, plus spécifiquement, si elles relèvent du
«droit maritime canadien».
Arrêt: la Cour fédérale est compétente pour entendre et
trancher les points litigieux soulevés dans la demande reconven-
tionnelle et dans les procédures relatives à tierce partie. Il ne
faut pas appliquer le critère auquel renvoie le juge Collier dans
Alda Enterprises Limited c. La Reine [1978] 2 C.F. 106, à la
page 110. La Cour devrait plutôt déterminer sa compétence en
statuant que celle-ci fait partie de la compétence subsidiaire de
la Cour ou en appliquant le principe de compétence subsidiaire.
Ce dernier principe serait alors applicable à l'objet de la
demande reconventionnelle et à celui des procédures relatives à
tierce partie en l'espèce.
Arrêts appliqués: Benson Bros. Shipbuilding Co. (1960)
Ltd. c. Mark Fishing Co. Ltd. (1978) 21 N.R. 260;
Hawker Industries Ltd. c. Santa Maria Shipowning and
Trading Company, S.A. [1979] 1 C.F. 183. Distinction
faite avec l'arrêt: Alda Enterprises Ltd. c. La Reine [1978]
2 C.F. 106. Arrêts examinés: McNamara Construction
(Western) Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654; Le
»Sparrows Point» c. Greater Vancouver Water District
[1951] R.C.S. 396; Bow, McLachlan & Co., Ltd. c. Le
»Camosun» [1909] A.C. 597.
DEMANDE.
AVOCATS:
G. B. Maughan pour les demanderesses.
D. T. Sgayias pour la défenderesse.
G. P. Barry pour les tierces parties.
PROCUREURS:
Ogilvy, Montgomery, Renault, Clarke, Kirk-
patrick, Hannon & Howard, Montréal, pour
les demanderesses.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
McMaster, Meighen, Montréal, pour les tier-
ces parties.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE GIBSON: Cette requête vise à obtenir
une décision préliminaire sur une question de droit
en vertu de la Règle 474, savoir si cette cour est
compétente pour se prononcer sur la demande
reconventionnelle et les procédures relatives à
tierce partie en l'espèce.
La demande reconventionnelle découle de trois
allégations essentielles de la défense, à savoir les
paragraphes 1 c),d) et e) dont voici le libellé:
[TRADUCTION] c) Le 18 décembre 1969 ou vers cette date,
la demanderesse Davie a livré ledit navire à la défenderesse et
celle-ci lui a versé le montant entier convenu dans le contrat
pour ce navire.
d) Le 29 juin 1970 ou vers cette date, alors que ledit navire
effectuait une mission désignée, dans des conditions normales
de croisière, le moteur principal bâbord intérieur (n° 2) est
tombé entièrement en panne, par suite de quoi un incendie a
éclaté à bord.
e) La panne du moteur principal mentionnée à l'alinéa d)
ci-dessus était entièrement due à une malfaçon antérieure à la
livraison dudit navire à la défenderesse par la demanderesse
Davie. En application de la clause 9 du contrat, cette dernière
était obligée de réparer ou de remplacer le moteur entièrement
à ses frais.
C'est la demanderesse qui a entamé les procédu-
res relatives à tierce partie. Le paragraphe 14 de la
déclaration sur ce point invoque les clauses de
garantie et d'indemnisation du contrat conclu
entre la demanderesse et la tierce partie, dont voici
le libellé:
[TRADUCTION] 14. Ladite commande n° 663-5231-1 de la
demanderesse Davie Shipbuilding Limited a renvoyé au cahier
des charges y attaché pour l'achat des moteurs et équipements,
pour la spécification, inter alfa, de la clause de garantie dont
voici le libellé:
6. GARANTIE
Toutes installations fournies par le vendeur, que celui-ci les
ait ou non fabriquées, sont garanties contre tout défaut de
conception et contre toute malfaçon, pour une période de
douze (12) mois à compter de la date de réception du navire
par le propriétaire.
et ladite commande spécifiait également que les «conditions
d'achat» de Davie Shipbuilding Limited qui y étaient jointes
étaient applicables à la commande, lesquelles conditions com-
prenaient une clause de «garantie» ainsi rédigée:
7. GARANTIE
Le fournisseur garantit que les fournitures livrées et dési-
gnées ci-après:
a) ne comportent aucune défectuosité dans la conception et
l'exécution, ni dans les matériaux utilisés,
b) sont neuves et de la qualité qui convient le plus, chacune
dans son genre, à leurs fins respectives,
c) sont conformes aux spécifications, dessins, échantillons ou
autres descriptions applicables,
d) conviennent aux fins auxquelles elles sont destinées,
e) sont en état d'être livrées au commerce.
Le fournisseur garantit aussi que les fournitures seront fabri-
quées ou construites de façon à fonctionner de manière
satisfaisante suivant les spécifications.
La présente garantie s'appliquera à l'acheteur, à ses succes-
seurs et cessionnaires, à ses clients, et aux utilisateurs des
fournitures couvertes par cette commande.
Toute garantie doit s'interpréter comme conditions et garan-
ties de la commande et ne doit pas avoir de caractère
exclusif.
Le fournisseur convient de remplacer ou réparer prompte-
ment, à ses propres frais, toute fourniture ne répondant pas
aux exigences précitées, sur avis de l'acheteur donné dans les
12 mois qui suivent l'acceptation définitive de la fourniture
par le client de l'acheteur. Si le fournisseur, avisé des défauts,
ne répare pas ou ne remplace pas les fournitures suivant les
exigences susmentionnées, l'acheteur peut, sans autre avis,
faire réparer ou remplacer lesdites fournitures, et le fournis-
seur convient de rembourser l'acheteur de tous frais ainsi
encourus.
Aucun contrôle, aucun test, aucune approbation de quel
genre que ce soit, y compris l'approbation de la conception
par l'acheteur, ne modifie l'obligation du fournisseur, en
vertu du présent article, de livrer des fournitures répondant à
toutes les exigences de rendement de fragilité et à d'autres
qualités de fonctionnement.
Aucune fourniture rejetée ne doit être subséquemment pré-
sentée pour acceptation, sauf lorsqu'une indemnisation a été
versée pour le rejet antérieur et lorsque réparation a été faite,
et lesdites fournitures ainsi réparées ou remplacées seront
assujetties aux dispositions du présent article dans la même
mesure que les fournitures originales, et la période de garan-
tie commencera à courir à partir de la date de livraison la
plus récente.
La demanderesse Davie a conclu un contrat avec
la défenderesse, la Couronne du chef du Canada,
pour lui construire un navire. Aux fins d'exécution
de ce contrat, elle a conclu un autre contrat avec la
tierce partie Robert Morse pour construire, fournir
et installer des moteurs et autres installations dans
le navire.
Dans sa demande reconventionnelle, la défende-
resse, la Couronne, poursuit, en sa qualité de
propriétaire du navire, la demanderesse Davie en
tant que constructeur du navire, pour inexécution
de contrat. Si cette demande reconventionnelle est
accueillie il faudra examiner une réclamation que
comporte la déclaration dans les procédures relati
ves à tierce partie, fondée sur une _ allégation
d'inexécution du contrat intervenu entre la deman-
deresse Davie et la tierce partie Robert Morse.
La demande reconventionnelle est donc essen-
tiellement une action intentée par un propriétaire
de navire contre un constructeur de navire relative-
ment à la construction de ce. navire, et la réclama-
tion concernant la tierce partie est aussi une action
relativement à la construction d'un navire intentée
par un constructeur de navire contre un sous-trai-
tant.
Un exposé conjoint des faits a été déposé en
vertu d'une ordonnance de cette cour en date du 30
mai 1978 pour l'inscription de la requête.
La question de droit à trancher relativement à
cette requête consiste à déterminer si la demande
reconventionnelle et les procédures relatives à
tierce partie relèvent de la compétence de cette
cour et, plus spécifiquement, si elles tombent dans
le domaine du «droit maritime canadien» suivant la
définition donnée à l'article 2 de la Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, qui, en
vertu de l'article 42, constitue la compétence de
cette cour en droit maritime canadien.
Suivant la définition de l'article 2, cette cour a
«compétence illimitée en matière maritime et
d'amirauté».
Récemment, plusieurs affaires se sont présentées
relativement à des objets différents, qui •consis-
taient à déterminer s'il s'agissait de matières mari
time et d'amirauté relevant de la compétence de
cette cour.
Dans la présente requête, les avocats ont pré-
senté des plaidoiries exhaustives avec des citations
de jurisprudence et de doctrine qui ont beaucoup
aidé à la détermination de la compétence de façon
générale, et tout particulièrement dans la présente
affaire. La plaidoirie de M. Barry, avocat de la
tierce partie, a été très utile. Une partie de sa
plaidoirie et des autorités citées est reproduite en
annexe aux présents motifs.
En ce qui concerne l'objet de la demande recon-
ventionnelle et des procédures relatives à tierce
partie dans la présente action, cette cour est, à
mon avis, compétente pour les entendre et les
juger, sur le fondement des décisions rendues par
la Division d'appel de cette cour dans Benson Bros.
Shipbuilding Co. (1960) Ltd. c. Mark Fishing Co.
Ltd.' et Hawker Industries Limited c. Santa
Maria Shipowning and Trading Company, S.A. 2
Il ressort de la jurisprudence précitée que le
contenu et la source du droit substantif canadien
en matière maritime ne se trouvent pas dans la
common law. Il faut plutôt les chercher dans le
droit appliqué par les cours d'amirauté de l'Europe
occidentale, dont la Cour d'Amirauté de Grande-
Bretagne. Dans Hawker Industries Limited
(supra) le juge en chef Jackett s'est ainsi prononcé
aux pages 187 et 188:
a) il existait„ au début, un ensemble de droit maritime ou «droit
de la mer» qui régissait les questions de navigation, de marine
marchande et de commerce international, et qui faisait partie
du droit en vigueur dans la plupart des nations maritimes, dont
l'Angleterre,
b) les premiers textes législatifs qui interdisaient à la Court of
Admiralty d'Angleterre d'exercer sa compétence en certaines
matières n'abolissaient aucune partie de ce droit, bien que,
pendant l'application de ces interdictions, certaines parties
dudit droit n'aient pas eu l'occasion d'être appliquées,
c) au fur et à mesure que les interdictions étaient levées, et
dans la mesure où elles l'étaient, ces parties du droit .d'ami-
rauté, dans leur forme modifiée par une législation de fond,
sont de nouveau entrées en vigueur,
d) ce droit d'amirauté a été introduit au Canada en tant
qu'élément du droit anglais et de fait, on y a eu recours, dans sa
forme modifiée par une législation de fond, dans la mesure où
' (1978) 21 N.R. 260.
2 [1979] 1 C.F. 183.
les tribunaux maritimes canadiens étaient compétents en la
matière, au cours des différentes périodes de l'histoire du
Canada,
e) ce droit maritime ou droit de la mer ressortit d'une loi
«fédérale» et non provinciale et le Parlement, en vertu de
l'article 101, peut donner à une cour compétence relativement à
ce droit,
f) ce droit maritime, (Je ne veux pas laisser entendre qu'indé-
pendamment des modifications de fond apportées par des textes
de loi, le droit maritime n'a pas évolué au rythme des événe-
ments et du temps, à l'instar de la common law anglaise.) dans
sa forme modifiée par une législation de fond, fait partie du
droit que l'article 42 de la Loi sur la Cour fédérale a maintenu
en vigueur (édicté) en 1971.
L'objet de la demande reconventionnelle et des
procédures relatives à tierce partie peut aussi rele-
ver de la compétence de cette cour à un autre titre:
l'action principale en l'espèce relève de la compé-
tence de cette cour. Comme la demande reconven-
tionnelle et les procédures relatives à tierce partie
sont en réalité subordonnées à l'objet de l'action
principale, cette cour est donc compétente. Le juge
en chef Laskin s'est ainsi exprimé dans McNama-
ra Construction (Western) Limited c. La Reine' à
la page 664:
Je tiens toutefois à souligner que si la Cour fédérale avait eu
compétence, il est assez vraisemblable que les demandes de
contributions ou d'indemnités auraient été recevables, du moins
entre les parties, dans la mesure où la législation fédérale
pertinente s'appliquait aux questions soulevées en l'espèce.
Dans Le «Sparrows Point» c. Greater Vancou-
ver Water District', le juge Kellock, aux pages 402
à 404, et le juge Rand, à la page 411, se sont ainsi
prononcés:
[TRADUCTION] Dans la plaidoirie, on a soulevé la question
de savoir si la Cour d'Amirauté était compétente pour connaî-
tre d'une action que le Water District intentait contre le
Conseil des ports. Il est clair, je pense, que la compétence de la
Cour ne peut pas dépasser celle qui lui est conférée par la loi; c.
31 des statuts de 1934; Bow McLachlan and Co. c. Le navire
«Camosun» ([1909] A.C. 597). La loi a depuis été modifiée
mais le principe reste applicable. La réponse dépend du sens
donné aux mots «dommages causés par un navire» qui figurent
à l'art. 22(1)(iv) de l'annexe A à la loi de 1934 qui reprend
l'art. 22 du Supreme Court of Judicature Consolidation Act
(1925) c. 49; il se lit ainsi: «réclamations pour dommage causé
par un navire». Un certain nombre de décisions ont été rendues
depuis l'adoption de la loi de 1861, 24 Vic. c. 10, art. 7.
Dans les arrêts «Uhla», ((1867) Asp. M.C. 148) et «Excel-
sior», ((1868) L.R. 2 A. & E. 268), la Cour se déclara
compétente pour juger du dommage qu'un navire avait causé à
3 [1977] 2 R.C.S. 654.
4 [1951] R.C.S. 396.
un quai, ainsi que dans l'arrêt Mayor of Colchester c. Brooke
((1845) 7 Q.B. 339), où la Cour se déclara compétente dans
une affaire de dommage causé à des parcs à huîtres.
Dans l'affaire «Bien» ((1911) P. 40), le demandeur, locataire
d'un parc à huîtres, poursuivait les conservateurs de la rivière
Medway et le propriétaire d'un navire pour les dommages
qu'un navire répondant aux ordres d'un capitaine de port avait
causés à son parc à huîtres. Cette affaire fut, bien sûr, jugée
après les Judicature Acts alors que la compétence de la Division
d'amirauté ne se limitait plus à celle antérieurement détenue
par la Cour d'Amirauté. Les circonstances de la présente
affaire sont analogues. Si l'action contre le Conseil des ports ne
peut pas être instruite par la Cour d'Amirauté, il s'ensuit que le
Water District aurait dû intenter deux poursuites: la première
contre le navire en la juridiction d'amirauté de la Cour de
l'Échiquier; la seconde devant une autre juridiction.
A mon avis, dans un cas de ce genre, la loi qui, à première
vue, a attribué compétence à la Cour d'Amirauté, devrait aussi
être interprétée comme confirmant sa juridiction au moins dans
un cas où le navire est partie au procès. On ne nous a cité
aucune jurisprudence contraire et je n'ai pas pu en trouver; les
considérations pratiques militent dans le sens de l'existence
d'une telle compétence.
Dans l'arrêt «Zeta» ([1893] A.C. 468), lord Herschell, se
référant à l'art. 7 de la Loi de 1861, s'est ainsi exprimé à la
page 478:
Il suffit de dire que la proposition selon laquelle la Loi de
1861 s'applique aux dommages causés par un navire à des
personnes ou à des choses autres que des navires a été bien
établie par une jurisprudence abondante dont je n'ai aucun
motif pour douter de la sagesse.
En ce qui concerne la Loi de 1840 (dommages à un navire), il
s'est ainsi exprimé à la page 485:
Même si elle a pour effet, lorsqu'on donne aux mots leur
sens habituel, d'élargir la compétence de la Cour d'Amirauté
en cas de dommages causés à un navire en haute mer, rien
dans le texte législatif n'indique que telle n'a pas été l'inten-
tion de la législature, quoique, certainement, son principal
but ait pu être d'élargir la compétence, déjà existante en cas
de dommages aux navires en haute mer, aux dommages
occasionnés dans le ressort d'un comté. Elle ne prévoit pas en
termes précis une extension de la compétence sur les domma-
ges causés en haute mer à ceux causés dans le ressort d'un
comté; mais elle accorde compétence dans certains cas, «que
le navire ait été dans le ressort d'un comté ou en haute mer».
Il est vrai qu'on a statuç que l'art. 7 de la Loi initiale ne
permet pas de poursuivre un pilote devant la Cour d'Amirauté,
mais il s'agit de décisions issues du jugement du Dr Lushington
dans l'affaire «Urania» ((1861) 10 W.R. 97), où aucune expli
cation n'a été donnée pour une interprétation semblable. Dans
l'arrêt subséquent «Alexandria» ((1872) L.R. 3 A & E 574),
Sir Robert Philimore, tout en s'estimant lié par la décision
antérieure, a dit que, si la question avait été res integra, il
aurait considéré une action contre un pilote comme relevant de
la loi. La Cour d'appel a suivi ces décisions dans La Reine c.
The Judge of the City of London Court ((1892) L.R. 1 Q.B.
273). A son tour, cette décision a été approuvée par lord
Macnaghten dans l'arrêt «Zeta» ([1893] A.C. 468), mais, dans
cet arrêt, la majorité de leurs Seigneuries n'a pas exprimé
d'avis sur ce point, ainsi que l'a dit lord Herschell à la page
486:
Dans cette affaire comme dans d'autres affaires relatives à
des poursuites instituées par suite de la négligence des pilo-
tes, l'accent a été mis sur certaines considérations qui n'ont
rien à voir avec les circonstances examinées par vos
Seigneuries.
Ces considérations, comme l'a dit le Maître des rôles ((1892)
L.R. 1 Q.B. 273) dans (1892) 1 Q.B. à la page 298, sont qu'un
pilote, poursuivi devant cette cour d'amirauté relativement à un
abordage occasionné par sa négligence, ne pourrait pas invo-
quer la négligence contributive comme moyen de défense
permis en common law, et qu'à l'origine, la responsabilité du
pilote devant la Cour d'Amirauté était illimitée alors même que
les propriétaires du navire n'avaient qu'une responsabilité
limitée.
Ces considérations nes'appliquent pas en l'espèce. Quant à
l'effet de la constatation d'une négligence contributive, le lord
Chancelier Herschell a fait ressortir, dans l'arrêt «Zeta», que la
règle relative au partage des dommages-intérêts en matière
d'amirauté s'applique seulement en cas d'abordage entre navi-
res. En l'espèce, si le Conseil des ports nationaux était poursuivi
devant des tribunaux ordinaires, il semble que la négligence
contributive du demandeur pourrait être invoquée comme
moyen de défense. En vertu de sa loi constitutive, 1 Ed. VIII c.
42, art. 3(2), le Conseil est une corporation et, à, toutes fins de
la Loi un mandataire de Sa Majesté. En vertu du paragraphe
(3), il est habilité à contracter et à ester en justice en son
propre nom. En vertu de l'art. 10, tous biens acquis ou détenus
par le Conseil sont dévolus à Sa Majesté. Tenant compte de ces
dispositions, je pense que l'existence d'une action en responsabi-
lité délictuelle doit être régie par les mêmes principes que ceux
applicables en cas d'action en responsabilité délictuelle contre
la Couronne. Un pont dévolu à la Couronne et exploité par un
de ses mandataires est un «ouvrage public» au sens de l'art. 19c)
de la Loi sur la Cour de l'Échiquier et, comme une cause
d'action pour négligence d'un préposé de la Couronne exploi-
tant un ouvrage public est et a été susceptible d'être écartée
pour motif de négligence contributive, bien avant l'adoption en
1925 du British Columbia Contributory Negligence Act, l'issue
devant les tribunaux provinciaux serait la même en l'espèce. La
considération relative à la responsabilité limitée des pilotes n'est
pas pertinente.
Par contre, toutes les demandes déposées à la suite des
dommages causés par un naviredevraient être réglées par une
seule action afin d'éviter le scandale possible de jugements
différents rendus pour une même affaire. Je considère donc
qu'il faut interpréter cette loi comme conférant à la Cour de
l'Échiquier, en sa juridiction d'amirauté, la compétence
nécessaire.
Dans ce genre d'affaire, la compétence de la Cour de l'Échi-
quier est la même que la compétence d'amirauté de la Haute
Cour d'Angleterre. Si l'action avait été intentée contre le
Conseil des ports pour un acte délictuel à titre personnel, les
conséquences auraient pu être redoutables; mais, comme dans
l'affaire Le «Koursk» ([1924] P. 140); l'action est seulement
intentée contre les coauteurs d'un dommage. En effet, les
responsables du navire et le Conseil participaient ensemble à la
direction et au contrôle des manoeuvres du navire dans le port;
ce n'était qu'un seul acte avec des coauteurs. Dans une telle
affaire, une décision rendue contre une des parties réunit la
cause d'action et tranche en même temps l'action intentée
contre l'autre partie devant un autre tribunal.
La Water Authority a un recours en amirauté à la fois contre
le navire, in rem, et contre les propriétaires du navire, in
personam; le droit applicable serait la législation d'amirauté.
Limiter l'étendue du recours afin d'interdire l'adjonction du
Conseil des ports reviendrait à priver la Water Authority d'un
de ses recours dans l'hypothèse où elle voudrait aussi intenter
une action contre le Conseil. Des considérations pratiques
autant que la justice même militent en faveur d'un système où
une seule cause d'action doit être réglée sous une seule branche
du droit et par une procédure au cours de laquelle le deman-
deur peut invoquer tous les recours auxquels il a droit: toute
autre solution irait à l'encontre du but des dispositions législati-
ves. La demande porte sur le dommage causé «par un navire»;
les recours in personam sont contre les responsables du fait du
navire. Selon mon interprétation des dispositions législatives, les
coauteurs d'un dommage peuvent être adjoints dans une action
régulièrement intentée.
Cette dernière affaire a été tranchée avant que
ne soit soulevé le litige constitutionnel dans
McNamara (supra); mais en substance ces juge-
ments abordent la question de compétence de la
même manière.
Il ressort de la décision rendue dans «Sparrows
Point» (supra), que Bow, McLachlan & ,Co., Lim
ited c. Le «Camosun» 5 n'a aucune application
pratique en l'espèce.
En ce qui concerne ce fondement de la compé-
tence, il ne faut pas, à mon humble avis appliquer
le critère auquel renvoie le juge Collier dans Aida
Enterprises Limited c. La Reine 6 :
Un critère parfois utile pour trancher une question de compé-
tence consiste à se demander si la Cour serait compétente si
l'action était intentée contre un seul des défendeurs au lieu
d'être greffée à une action contre d'autres défendeurs qui sont à
bon droit soumis à la compétence de la Cour. (Voir McGregor
c. La Reine [1977] 2 C.F. 520, à la p. 522.)
A mon avis, la Cour devrait plutôt déterminer sa
compétence sur ce fondement en statuant qu'elle
fait partie de la compétence subsidiaire de la Cour
ou en appliquant le principe de compétence subsi-
diaire. A mon avis, ce dernier principe serait alors
applicable à l'objet de la demande reconvention-
nelle et à celui des procédures relatives à tierce
partie en l'espèce.
5 [1909] A.C. 597.
6 [1978] 2 C.F. 106, à la page 110.
De toute façon, ma conclusion sur la question de
droit soulevée en l'espèce est donc que la Cour
fédérale du Canada est compétente pour entendre
et trancher les points litigieux soulevés dans la
demande reconventionnelle et dans les procédures
relatives à tierce partie.
Les dépens suivront l'issue de la cause.
ANNEXE des MOTIFS DU JUGEMENT
DAVIE SHIPBUILDING LIMITED et al. c. LA
REINE et ROBERT MORSE CORPORATION
LIMITED et al., Tierces parties (T-1908-72)
PLAIDOIRIES ET AUTORITÉS DES TIERCES PARTIES
I. Les articles 22(1) et 22(2)n) de la Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10,
confèrent à la Cour compétence sur l'objet des
deux procédures:
A. concernant la demande reconventionnelle:
1. L'intention du Parlement à déduire de la
différence entre le libellé de l'art. 22(2)n)
mentionnant «toute demande née d'un contrat
relatif à la construction» et le libellé de l'an-
nexe A de la Loi d'amirauté, 1934, S.C. 1934,
c. 31, art. 22(1)a)(x) mentionnant des «Récla-
mations pour construction»
Voir La Reine c. Canadian Vickers Ltd.
[1978] 2 C.F. 675, le juge en chef adjoint
Thurlow aux pages 686 688.
2. L'art. 22(2)e) «avarie ... d'un navire».
B. concernant les procédures relatives à tierce
partie:
1. L'intention du Parlement est identique à
celle susmentionnée:
Voir La Reine c. Canadian Vickers Ltd.
[1976] 1 C.F. 77, le juge Addy aux pages
82 et 83.
2. L'art. 22(2)e) comme susmentionné.
C. en vertu de l'art. 22(1)b) de la Loi d'ami-
rauté, 1934, annexe A, la compétence de la
Cour est devenue illimitée en matières d'ami-
rauté (et est confirmée par l'art. 2b) de la Loi
sur la Cour fédérale).
Voir MacMillan Bloedel Limited c.
Canadian Stevedoring Co. Ltd. [1969] 2
R.C.E 375, aux pages 382à 384.
Voir plus bas en ce qui concerne la compé-
tence illimitée en matière d'amirauté.
H. Pour «alimenter» cette compétence, l'art. 2b)
de la Loi sur la Cour fédérale constitue certaine-
ment «une adoption par renvoi» du droit positif
mentionné dans Quebec North Shore Paper Com
pany c. Canadien Pacifique Limitée [1977] 2
R.C.S. 1054, aux pages 1058 et 1065 et dans
l'ouvrage de Laskin, Canadian Constitutional Law
(4° éd. rév.). (Comparer art. 3(1) de la Loi sur la
responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, c.
C-38, «si elle était un particulier», ce qui indique
une loi provinciale (comparer MacGregor c. La
Reine [1977] 2 C.F. 520).)
A. On peut trouver d'autres adoptions par
renvoi du même genre dans:
1. l'Acte des Cours coloniales d'Amirauté,
1890, 53 & 54 Vict., c. 27, art. 2(2) et dans
l'Acte de l'Amirauté, 1891, S.C. 1891, c. 29,
art. 4.
2. la Loi d'amirauté, 1934, S.C. 1934, c. 31,
art. 18(1): la juridiction qui «s'exercera» est
celle qui, en vertu de l'art. 22(1)b) du
Administration of Justice Act 1925, est
«actuellement possédée» (en 1934) par la
Haute Cour de Justice en Angleterre, y com-
pris toute juridiction d'amirauté antérieure,
pour laquelle voir infra.
3. quant aux affaires qui surviennent au
Québec, le par. 2 de l'art. 2388 du Code civil
du Québec, une loi de la province du Canada
(S.C. 1865, c. 41) antérieure à la confédéra-
tion, cette disposition ayant été reprise dans
l'art. 129 de l'A.A.N.B., à titre de loi fédérale,
et confirmant l'uniformité du droit maritime
canadien:
a) Voir l'opinion dissidente du juge Ritchie
dans National Gypsum Company Inc. c.
Northern Sales Limited [1964] R.C.S. 144;
b) Voir Circle Sales c. Le (fTarantel»
[1978] 1 C.F. 269, le juge Walsh à la p.
293.
c) Quoique l'art. 2388 figure dans le chapi-
tre relatif au privilège ou gage maritime,
son paragraphe second est d'application
générale:
(1) 7 e Rapport des codificateurs, vol. 3,
pages 230, 232 art. 34, page 299 (en
supplément) et les sources citées:
A la différence des débats parlemen-
taires, on fait fréquemment renvoi au
rapport pour interpréter le Code: voir
Shawinigan Carbide c. Doucet (1910)
42 R.C.S. 281, à la page 347;
Le «Mary Jane» 1 Stuarts' V.A.R. 267
et Commission présidée par H. Black,
juge à la Cour de vice-amirauté, ibid.
page 367.
d) Cet article n'est pas nul en vertu de la
Loi de 1865 relative à la validité des lois
des colonies parce qu'il n'est certainement
pas incompatible avec la loi anglaise. En
rendant applicable le droit civil anglais en
matière d'amirauté, il peut bien aller au-
delà du droit anglais—et au-delà des inten
tions des codificateurs: Shawinigan, ibid.
citant Trust & Loan c. Gauthier [1904]
A.C. 94. Quels qu'en aient été les effets
avant l'adoption du Statut de Westminster,
1931, il est en vigueur depuis cette date à
titre de législation fédérale valide.
e) Par application des principes généraux,
le renvoi au rapport de la Cour de vice-ami-
rauté reste valable pour les tribunaux qui
l'ont remplacée, comme le prévoit l'art.
2(3) de l'Acte des Cours coloniales d'Ami-
rauté, 1890.
B. Devant les cours d'instance supérieure, les
tierces parties se réservent le droit d'alléguer, le
cas échéant, que le droit maritime et le droit
civil général applicables par suite d'une adoption
par renvoi suite à l'effet combiné des articles
précités, dans une action en dommages-intérêts
pour inexécution de garantie contre un construc-
teur de navire, sont ceux en vigueur en Angle-
terre en 1925 ou 1931. En outre, elles allèguent
l'existence de droit positif ancien (ayant des
effets identiques) applicable en vertu des princi-
pes énoncés dans Hawker Industries c. Santa
Maria Trading (non publié, aux pages 6 et 7).
III. A. En plus de toute loi adoptée, par renvoi
suivant la méthode susmentionnée, la Cour, en
vertu [TRADUCTION] «du principe des textes légis-
latifs accessoires», applique la loi provinciale pour
compléter la loi autrement applicable et souvent la
modifier ou en tempérer la rigueur:
Toronto Transport Commission c. Le Roi
[1949] 3 D.L.R. 161 (C.S.C.), aux pages 165
et 166, 170 et 171: redressement partiel
permis en vertu de The Negligence Act de
l'Ontario, dans des cas où la common law
aurait rejeté complètement tout redressement;
Gartland Steamship Co. c. La Reine (1960)
22 D.L.R. (2 ° ) 385 (C.S.C.), aux pages 408 et
409: mêmes conclusions;
La Reine c. Murray [1965] 2 R.C.E. 663, le
président Jackett, [1967] R.C.S. 262, aux
pages 266 à 268: mêmes conclusions;
Stein c. Le «Kathy K» (1972) 2 Lloyd's Rep.
36, [1972] C.F. 585: même doctrine appliquée
à une action entre sujets;
Resolute Shipping c. Jasmin Construction
[1978] 1 R.C.S. 907.
Du fait que la plus grande partie du droit
maritime n'a pas de fondement dans un texte
législatif, la Cour peut mettre à jour les par
ties jugées inadmissibles, par exemple par lord
Esher, Maître des rôles, dans Le «Whitton»
(1895) 8 Aspinall M.L.C. 110.
B. Il est évident que l'issue d'une cause peut en
fait dépendre d'une loi «accessoire» alors que
celle-ci n'a qu'un rôle «accessoire». Le critère à
appliquer consiste à se demander «quelle est la
nature fondamentale de la cause d'action?» par
exemple quand il s'agit d'une action en domma-
ges-intérêts fondée sur un contrat d'affrètement.
Le concept de «contrat distinct» appliqué dans
Le «Camosun» [1909] A.C. 597 montre qu'une
défense peut être invoquée en amirauté en vertu
du même contrat, même si celui-ci ne concerne
pas une matière de droit maritime.
C. Sous réserve de l'art. 101, la compétence
exclusive des provinces concernant l'établisse-
ment des tribunaux en vertu de l'art. 92(14) de
l'A.A.N.B. crée l'obligation constitutionnelle
absolue de limiter la compétence de la Cour
fédérale à «l'exécution des lois du Canada».
Cependant, dans l'exécution de ces lois, il y a
aussi l'obligation constitutionnelle absolue de ne
pas oublier d'appliquer la loi provinciale autre-
ment applicable «parce qu'elle est en elle-même
valide», Quebec North Shore Paper Company c.
Canadien Pacifique Limitée [1977] 2 R.C.S.
1054, la page 1065. Il est virtuellement impos
sible qu'une affaire, même essentiellement
fondée sur une cause d'action relevant d'une loi
fédérale, n'ait pas quelques aspects qui relèvent
d'une loi provinciale «accessoire» dont peut
dépendre son issue, par exemple, l'état ou la
capacité juridique d'une partie autre que la
Couronne fédérale.
D. L'article 4 de la Manitoba Supplementary
Provisions Act (plus tard codifiée dans S.R.C.
1927, c. 124) semble indiquer, en passant, que
toutes les dispositions de la common law (incluse
dans l'expression «lois d'Angleterre» relatives
aux objets de compétence fédérale) sont en prin-
cipe la common law fédérale.
E. Le «principe des textes législatifs accessoi-
res» a été appliqué depuis longtemps en matière
d'amirauté:
3 Blackstone's Commentaries (1809) p. 109
citant:
Co Rep 53 76 E.R. 1462
Spark c. Stafford 2 Hardres 183 145 E.R.
442
Ridly c. Egglesfield 2 Levinz 25 83 E.R.
436
—Smart c. Wolfe 3 T.R. 323, 343, le juge
Ashurst
—L'Haidee (1860) 2 Stuarts' V.A.R. 25, 31
—Le Farewell (1881) 1 Cook. V.A.R. 282,
284
—Howell Admiralty Practice in Canada, p.
209.
F. Les décisions précitées ont fait l'objet de
critiques (Laskin: Canadian Constitutional Law,
4° éd., p. 796), mais nous alléguons que, quelle
que puisse être l'interprétation antérieure à
1970, l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, renvoyant à la Loi
sur l'amirauté et, par là, à l'exercice de la
compétence en Angleterre, constitue une confir
mation législative de cette pratique (par le
moyen d'une adoption, par renvoi, de la loi,
interne ou étrangère, applicable en vertu du
principe des textes législatifs accessoires).
IV. Domaine couvert par les lois adoptées par
renvoi en vertu de l'art. 2 attribuant à la Cour
«compétence illimitée en matière maritime et
d'amirauté»:
A. Comme «les matières maritimes et d'ami-
rauté» sont définies par une liste des domaines
de compétence, il suffit qu'il s'agisse de matières
maritimes ou de matières d'amirauté.
B. «Matières d'amirauté»:
1. Toute définition de cette expression
anglaise, dans un dictionnaire ou dans un
texte de loi datant de moins de 600 ans,
comporte vraisemblablement des nuances de
limitation restreinte. La définition donnée par
Story (dans De Lovio c. Boit (1817) 2 Gall.
398, (Gallison's Reports) 475) basée sur celles
données par les commentateurs anglais et par
ceux qui, sur le continent, appliquent le prin-
cipe de compétence illimitée en matière
d'amirauté, peut confondre la définition elle-
même et ses effets.
2. Nous soutenons qu'en principe le vrai cri-
tère doit consister à déterminer s'il s'agit de
«matières valablement confiées à la compé-
tence d'une cour d'amirauté» en tant que
Cour d'Amirauté. Comparer «matières des
cours municipales», etc.
3. Ainsi, dans l'exercice du pouvoir relatif à
la navigation ou à la marine marchande ou à
d'autres matières semblables, lorsque le Parle-
ment confère à la Cour d'Amirauté comme
telle une nouvelle compétence plus étendue
relative à toute matière, en vertu de toute
disposition de l'art. 22s) cette matière devient
par là matière d'amirauté, et, par application
de l'art. 2b), une loi adoptée par renvoi
devient applicable pour «alimenter la compé-
tence».
4. D'une façon plus générale, en vertu de
l'art. 22(1), l'adoption par la loi du principe
de la compétence illimitée d'une cour ayant
naturellement une compétence limitée (rela-
tive d'une manière quelconque à la mer ou
aux eaux navigables) oblige à utiliser «l'expé-
rience et non la logique» dans son interpréta-
tion. Quelle que soit l'opinion du juge Holmes
sur la loi de Henry V, l'examen du contexte
historique des limitations imposées par la loi à
la compétence d'amirauté est inévitable, et
fascinant. Voir Twiss 3 Black Book lxxxi-ii.
Les présentes observations et celles contenues
dans II B ci-dessus signifient qu'il faut exami
ner le contexte historique du champ d'applica-
tion de la compétence en matière de droit
maritime, mais pas nécessairement le contenu.
5. L'expression «compétence illimitée en
matière maritime» renvoie nécessairement à la
définition large du mot maritime: «relatif à la
mer» (et par extension en vertu de l'art. 22(3)
également aux autres eaux); ainsi, «navigation
et marine marchande» constituent seulement
une partie de ces matières maritimes.
Ainsi, selon la signification évidente de ces
mots, il faut conclure que la présomption
contre les allégations superfétatoires est réfu-
tée et que l'expression «navigation et marine
marchande» à l'art. 22(1) a été ajoutée ex
abundi cautela. La thèse inverse conduirait à
une absurdité: le mot «autre» dans l'art. 22(1)
signifie que tout le droit maritime canadien
fait partie des lois relatives à la navigation et
à la marine marchande, et non l'inverse. Si
une autre interprétation prévaut: (1) seront
exclues toutes lois adoptées en vertu des art.
92(10) et 91(13) et (9) de l'A.A.N.B., et (2)
elle irait à l'encontre de la définition donnée à
l'art. 2b).
C. Selon IV B 2 ci-dessus, l'étendue de la
compétence illimitée en matière d'amirauté cou-
vrait toutes causes maritimes de façon générale:
1. Pouvoirs des amiraux avant 1389:
a. John Pavely 1361 (capitaneus et ductor
de la flotte, équivalent au grade d'amiral):
Brown A Compendious View of the Civil
Law, (1802) page 25, (en supplément) con-
férant le pouvoir d'entendre et de juger
[TRADUCTION] «toute chose relative à la
flotte, et de prononcer des peines d'empri-
sonnement ou de privation contre des con-
trevenants et de les punir, et de faire toute
chose relevant naturellement du capitaneus
et ductor comme elle doit être faite de droit
et selon le droit maritime» (Marsden: Select
Pleas in the Court of Admiralty, p. xii).
b. Sir John de Beauchamp, Sir Robert
Herle (1361), Earl of Arundel (1386) ibid.:
[TRADUCTION] «pouvoir ... d'entendre des
plaintes de tout un chacun relatives à des
matières se rapportant à la fonction de
l'amiral et d'entendre des procès mariti-
mes».
2. The Black Book of the Admiralty:
a. No A 11: [TRADUCTION] «... comme
l'amiral est le gouverneur des marins et doit
leur interdire de causer préjudice à toute
personne ...». Rolls Series, éd. Sir Travers
Twiss, 1871, (6 vol.) vol. 1, p. 13.
b. N° C 35 (ibid. p. 83): [TRADUCTION]
«De plus, il faut ouvrir une enquête relative
à toute poursuite dirigée contre tout com-
merçant, marin ou toute personne en vertu
de la common law du pays au titre de tout
droit ancien découlant du droit maritime
...». On peut rapprocher le libellé similaire
du N° C 51 du supplément à l'Inquisition
of Queensborough (ibid. p. 163). Ce sup-
plément peut avoir été ajouté sous le règne
de Henry IV ou de Henry V (Twiss, vol. 1,
p. lxxi), mais l'ensemble de la Partie C,
bien que son présent libellé ne soit pas
antérieur à 1360 (ibid. p. xlvi), date néan-
moins du règne d'Edward III (ibid., vol.
III, p. xii).
D. Ce «droit maritime» et ces «affaires mariti-
mes» réfèrent à l'ensemble du droit maritime en
vigueur en Europe occidentale à l'époque (lequel
droit maritime faisait alors partie du ius
gentium)
1. De façon générale Santa Maria Trading,
aux pages 6 et 7.
2. Au titre du ius gentium: 1 Holdsworth: A
History of English Law, 1922, la page 26
citant:
Luke c. Lyde (1759) 2 Burr 882, la page
887, lord Mansfield;
3. En Angleterre, la common law n'était pas
applicable:
a) Préambule de 13 Rich. II, c. 5: [TRA-
DUCTION] «aux dépens de notre maître le
Roi et de la common law du royaume»;
b) Rappel de la Commission of Oyer and
Terminer de 1361 constituée pour entendre
et juger une affaire de vol et de meurtre en
mer parce que [TRADUCTION] «les crimes,
actes illicites ou lésions corporelles survenus
en haute mer ne doivent pas être jugés par
nos juges de common law mais plutôt par
nos amiraux conformément au droit mari
time». (Marsden: Law and Custom of the
Sea, aux pages 85 89 (1915));
c) Serment de l'amiral d'appliquer une
procédure complète et rapide «selon loy
marisme et anciennes coustumes de la mer»,
1 Black Book, p. 168, N° D 71.
4. En Europe occidentale:
a) Scrutton: «Roman Law in the Admiral
ty», 1 Select Essays in Anglo-American
Legal History, 230 à 233;
b) 3 Kent's Commentaries (1892), pages
42 et 43;
c) Williams and Bruce Admiralty Juris
diction, page 4.
E. Détermination des restrictions du droit
maritime médiéval:
1. [TRADUCTION] «Et il convient ici de se
garder de l'erreur consistant à penser que les
détails énumérés dans ces différents règle-
ments et ordonnances englobent et limitent
tout le domaine de compétence de l'amirauté.
Juridiquement, on ne peut pas les considérer
autrement que comme des directives données
de temps en temps à un tribunal déjà établi et
investi de pouvoirs généraux, pour écarter
tout doute ou pour appliquer de façon plus
exacte un droit ou une obligation existants.»
Le juge Story dans De Lovio c. Boit, page
405.
2. L'article 2b) ne mentionne pas «une com-
pétence illimitée restreinte aux cas où survit
un précédent médiéval spécifique». Nous sou-
tenons que le véritable critère consiste à se
demander si le droit maritime indique qu'en
principe le sujet était régi par le droit mari
time et relevait donc de la compétence de
l'amiral.
F. Le travail des constructeurs de navire relève
de la compétence de l'amiral:
1. Black Book: N° C 38 (vol. 1, page 87)
Supplément au Queensborough Inquisition,
N° D 66 (ibid., p. 167)
2. Consolato del Mar, œuvre d'application
générale en droit maritime (à la différence,
par exemple, de celle de Pise et Jerusalem:
Twiss, vol. 2 Black Book, p. xlvii), vol. 3, p.
lxxxvi-ii.
3 Kent's Commentaries (1892) Pt. V. Lec.
XLII, p. 42, Twiss (ibid.), vol. 3, p. xxvi-vii,
lxxxi, vol. 4, p. xcv. Cité comme autorité dans:
Luke c. Lyde (supra), p. 289
L'Aquila 1 C. Rob. 44
Le Ceylon 1 Dods 110
Story: De Lovio c. Boit passim
Benedict: Admiralty, 5 éd., p. 94
a) Partie 1 de Consolato: Compétence des
cours d'amirauté concernant les ordonnan-
ces consulaires:
(1) Armement des navires, chapitre
XXII, cité par Story, pages 400, 475;
(2) Contrats conclus suivant les coutu-
mes de la mer (ibid.) CXXII et chap.
XXXI (annexe Black Book, vol. 4, pages
473 à 475, 483).
b) Partie 2 de Consolato: Coutumes de la
mer:
(1) Les contrats concernant les construc-
teurs de navire sont susceptibles de rési-
liation, et ces charpentiers sont responsa-
bles, en cas d'exécution défectueuse, pour
les conséquences de celle-ci:
Chapitre 8 vol. 3, pages 63 à 69
Chapitre 9 (exceptions) page 73 in fine
Chapitre 227, pages 525 et 526
(2) Le libellé de ces passages montre que
ces derniers s'appliquent aussi à la cons
truction (voir chapitre 7, vol. 3, page 63)
et à la réparation: atout travail».
3. Il existe ainsi un corps important de droit
positif (qu'on n'a pas signalé au juge en chef
adjoint Thurlow dans Canadian Vickers Ltd.)
traitant du litige faisant l'objet de la demande
reconventionnelle et des procédures relatives à
tierce partie en l'espèce, ainsi qu'une jurispru
dence abondante statuant que les contrats
concernant les constructeurs de navire sont de
nature maritime. Il faut en déduire que sur
ces deux points, et sur ces deux points seule-
ment, son jugement, ainsi que celui rendu
dans Skaarup Shipping [1978] 2 C.F. 361 et
dans Delta Hydraulic ont été infirmés par
Santa Maria Trading et Benson Bros. c. Le
«Nemesis» (9 juin 1978) C.A.F. No
A-126-77.
4. Les décisions des tribunaux américains
excluant les contrats relatifs à la construction
de navires:
(1) résultent d'une interprétation restric
tive de la compétence d'amirauté (seuls les
cas dont pouvaient connaître les cours
d'amirauté en 1789); The People's Ferry
Company of Boston c. Beers 20 How 393
U.S. Sup. Ct. 1857, à la page 401; cette
interprétation restrictive est inapplicable
devant les tribunaux canadiens. Cette inter-
prétation a été en outre écartée en principe:
Le Thomas Barium (1934) A.M.C. 1417,
1434: les hypothèques, autrefois exclues,
relèvent de la compétence d'amirauté en
vertu de la loi;
(2) ne sont pas pertinentes en l'espèce car
les cours d'amirauté américaines seront
compétentes en cas d'actes délictuels, ou
d'inexécution de garantie implicite, ou sur
la base d'innavigabilité: décisions rappor-
tées dans (1973) 47 Tulane L.R. 540 et 541
(de bonnes sources appuient l'opinion qu'en
droit anglais également, l'action en garantie
ne s'applique pas nécessairement en matière
contractuelle: Waddams Products Liabi
lity, pages 1 à 9);
5. Même si un contrat de construction de
navire doit être considéré comme un acte de
vente (British Shipping Laws, vol. 13, par.
138 142 et les décisions y citées):
a. il s'agit d'une catégorie spéciale de vente,
régie en particulier par les dispositions pré-
citées du Black Book et du Consolato;
b. la vente de navires, prise dans son ensem
ble, relève de la compétence d'amirauté:
Consolato (Ordonnances consulaires):
(1) Chapitre XXII Black Book,
annexe, vol. 4, page 473 (ainsi que l'a
fait ressortir Twiss (vol. 3, page lxxv)
dans ce passage cité dans De Lovio c.
Boit, page 400, l'expression [TRADUC-
TION] «répartition des navires» pro-
vient d'une variante italienne défec-
tueuse du Consolato);
(2) La vente de navires, ou de partici
pation dans un navire, (comparer la
Loi sur la marine marchande du
Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, art.
10a)) est traitée en détail dans Cus
toms of the Sea (Black Book Supple
ment, vol. 3):
Chapitre 2, page 50
Chapitre 10, page 75
Chapitre 11, pages 77 81
Chapitre 200, pages 409 à 413
c. même pendant une certaine période après
l'adoption des lois de Richard II, les ventes
continuaient à relever de la compétence de
la Cour d'Amirauté:
2 Marsden: Select Pleas LX: appel en
cas de vente, garantie du titre et
réparations;
1 Marsden (ibid.) p. lxxiii, par. 1 et 4
résumant d'anciens procès en diffamation
devant les cours d'amirauté au 16e siècle.
6. Enfin nous soutenons que le critère défini
relativement aux pouvoirs de l'amiral dans
1525 Duke of Richmond (1 Marsden: Select
Pleas LXXXIII) et dans G. O. Stuart (2
Stuarts' V.A.R. 377), attribuant compétence
pour des litiges entre des propriétaires de
navires (en l'espèce, Davie et la Reine à des
périodes différentes)—bien entendu en leur
qualité de propriétaires du navire—est appli
cable en l'espèce, en même temps que d'autres
critères. Les modalités de ces pouvoirs, qui
couvrent aussi les constructeurs de navire,
pourraient paraître «extravagantes» lorsqu'on
les compare aux lois de Richard II, telles que
les tribunaux de common law les interprètent,
à leur propre avantage, mais, en fait, ces
modalités paraissent suivre de près les matiè-
res énoncées dans le Black Book.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.