A-263-78
Le procureur général du Canada (Appelant)
c.
Kenneth Walford (Intimé)
Cour d'appel, les juges Pratte, Urie et Le Dain—
Vancouver, le 28 novembre et le 5 décembre 1978.
Examen judiciaire — Assurance-chômage — Somme
perçue à titre de règlement hors cour par suite d'une action
intentée pour renvoi injustifié — Arbitre statuant que cette
somme ne constitue pas un revenu au sens de l'art. 172 des
Règlements — Cette somme constitue-t-elle une «rémunéra-
tion» pour le prestataire? — Le paiement a-t-il été reçu pour
une période comprise dans une semaine de chômage du presta-
taire? — Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-
71-72, c. 48, art. 26(2), 58q) — Règlements sur l'assurance-
chômage, DORS/71-324, art. 172, 173, — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28.
Cette demande présentée en vertu de l'article 28 vise l'exa-
men et l'annulation d'une décision d'un juge-arbitre accueillant
un appel d'une décision d'un conseil arbitral. L'arbitre avait
déclaré que la somme perçue par l'intimé n'était pas un revenu
au sens de l'article 172 des Règlements. L'intimé a perçu la
somme à titre de règlement hors cour par suite d'une action
intentée contre son employeur pour renvoi injustifié.
Arrêt: la demande est accueillie. Les dommages-intérêts
versés à un ancien employé qui a été injustement renvoyé sans
préavis constituent un «revenu ... provenant ... [d'un] emploi»
au sens de l'article 172(2)a) des Règlements s'ils sont versés à
titre de compensation pour la perte de revenu que l'employé a
subie à la suite de son renvoi injustifié. Comme l'intimé devait
prouver qu'il était admissible aux prestations, il devait prouver
l'existence de circonstances spéciales afférentes à la perception
de cette somme. Sinon, la Commission avait droit de présumer
que le montant intégral s'appliquait au revenu perdu. Si l'in-
timé avait établi des faits dont on aurait raisonnablement pu
conclure qu'il avait été indemnisé d'autre chose que d'une perte
de salaire, la Commission aurait eu à évaluer, de la façon la
plus équitable possible dans les circonstances, la partie du
montant à attribuer à la perte de salaire. Cependant, ce n'est
pas le cas en l'espace, car le dossier ne révèle rien qui laisse
entendre que la perte subie par l'intimé, par suite de son renvoi
injustifié, ne se limitait pas à une perte de salaire.
DEMANDE.
AVOCATS:
Yvon Brisson pour l'appelant.
J. G. Dives pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelant.
McAlpine, Roberts & Poulus, Vancouver,
pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE PRATTE: Cette demande présentée en
vertu de l'article 28 vise l'examen et l'annulation
d'une décision d'un juge-arbitre rendue en vertu de
la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C.
1970-71-72, c. 48, qui a accueilli un appel d'une
décision d'un conseil arbitral. L'arbitre a déclaré
effectivement que la somme de $4,550 perçue par
l'intimé alors qu'il était en chômage n'était pas un
«revenu» au sens de l'article 172 des Règlements
sur l'assurance-chômage, DORS/71-324, et qu'en
conséquence, l'intimé était admissible aux presta-
tions pour les semaines sur lesquelles cette somme
devait être répartie en vertu des Règlements.
L'intimé est un ingénieur qui a été renvoyé sans
préavis le 4 février 1977, de l'entreprise pour
laquelle il travaillait depuis le 19 octobre 1976. Il
estimait que son employeur aurait dû lui donner
un préavis raisonnable de son intention de mettre
fin à son emploi. Il a intenté une poursuite pour
renvoi injustifié, réclamant des dommages-intérêts
généraux d'un montant non spécifié. Cette action a
été réglée hors cour pour la somme de $4,550 que
l'ancien employeur lui a versée. C'est cette somme
que le juge-arbitre a déclaré ne pas être un revenu
au sens de l'article 172 des Règlements.
L'article 26(2) de la Loi prévoit qu'en détermi-
nant les prestations devant être servies à un presta-
taire autrement admissible, il faut tenir compte de
la rémunération qu'il a pu recevoir alors qu'il était
en chômage. Cette disposition de la Loi dit
notamment:
26. ...
(2) Si un prestataire reçoit une rémunération pour une
partie d'une semaine de chômage ... la fraction de cette
rémunération qui dépasse vingt-cinq pour cent du taux des
prestations hebdomadaires du prestataire doit être déduite des
prestations devant être servies au prestataire au cours de cette
semaine.
La règle a trait seulement à la rémunération qu'un
prestataire a reçue pour une partie d'une semaine
de chômage. Afin de déterminer si elle s'applique à
un paiement reçu par un prestataire, on doit donc
répondre à deux questions:
a) Est-ce que ce paiement constituait «une
rémunération» pour le prestataire?
b) Est-ce que ce paiement a été reçu pour une
période comprise dans une semaine de chômage
du prestataire?
On doit répondre à ces questions à la lumière des
articles 172 et 173 des Règlements sur l'assu-
rance-chômage qui ont été adoptés en application
de l'article 58q) de la Loi. Celui-ci permet à la
Commission, avec l'approbation du gouverneur en
conseil, d'établir des règlements.
58. ...
q) définissant et déterminant la rémunération aux fins du
bénéfice des prestations, déterminant le montant de cette
rémunération, prévoyant sa répartition par semaines et déter-
minant la moyenne des rémunérations hebdomadaires assu-
rables au cours des semaines de référence des prestataires;
[c'est moi qui souligne).
L'article 172 détermine ce qui doit être considéré
comme «rémunération» aux fins des prestations.
Les seuls passages de ces dispositions qui s'appli-
quent en l'espèce sont les suivants:
172. (1) Dans le présent article,
a) «revenu» s'entend de tout revenu en espèces ou non que le
prestataire reçoit ou recevra d'un employeur ou d'une autre
personne .. .
(2) Sous réserve du présent article, la rémunération dont il
faut tenir compte pour déterminer ... le montant à déduire des
prestations payables, en vertu de l'article 26 ... de la Loi,
comprend
a) le revenu intégral du prestataire provenant de tout
emploi,
b) les indemnités temporaires partielles pour un accident de
travail reçues ou à recevoir par un prestataire et
c) les indemnités de maladie ou d'invalidité qu'un prestataire
a reçues ou a le droit de recevoir, sur demande, en vertu d'un
régime collectif d'assurance-salaire ou d'un régime de congés
de maladie payés.
173. (1) La rémunération d'un prestataire, déterminée en
conformité avec l'article 172, doit être répartie sur un certain
nombre de semaines, de la manière prévue par le présent article
et, aux fins mentionnées au paragraphe 172(2), est la rémuné-
ration du prestataire pour ces semaines.
(3) La rémunération payable à un prestataire en échange de
ses services doit être répartie sur la période pendant laquelle ces
services ont été fournis.
(5) Les versements rétroactifs de salaire, d'un montant ou
d'autre rémunération tenant lieu de salaire à un employé
congédié, qu'il soit ou non réintégré dans son emploi, doivent
être répartis sur la totalité ou une partie des semaines pour
lesquelles les versements rétroactifs sont accordés, à partir de la
semaine du congédiement, de telle manière que la rémunération
du prestataire pour chacune de ces semaines, à l'exception de la
dernière, soit égale au taux de sa rémunération normale prove-
nant de son employeur actuel ou de son ancien employeur.
(9) La rémunération payée ou payable à titre de ... salaire
au lieu d'un préavis de licenciement ou de cessation d'emploi
d'un prestataire, ou avant en prévision de ce licenciement ou de
cette cessation d'emploi, doit, sous réserve du présent article,
être répartie sur la période pour laquelle elle est payable.
(16) Lorsque la rémunération visée aux paragraphes (9) ...
est payée après le licenciement ou la cessation d'emploi d'un
prestataire et n'a pas été répartie conformément aux paragra-
phes (9) ... elle doit être répartie sur un nombre de semaines
consécutives de façon que la rémunération du prestataire pour
chacune de ces semaines, sauf la dernière, reçue de son
employeur ou de son ancien employeur, soit égale au taux de la
rémunération hebdomadaire normale reçue de cet employeur
ou de cet ancien employeur, la première de ces semaines étant
celle au cours de laquelle cette rémunération est payée.
La question à trancher est celle de savoir si la
somme de $4,550 perçue par l'intimé était une
«rémunération» au sens de l'article 172 des Règle-
ments. On reconnaît que si la réponse à cette
question est affirmative, cette rémunération aurait
été touchée par l'intimé pour une période pendant
laquelle il était en chômage.
Il est évident que la somme perçue par l'intimé
n'était pas un revenu de la catégorie décrite aux
alinéas b) et c) du paragraphe 172(2). On peut
donc formuler la question de façon plus précise: le
paiement en cause était-il une «rémunération» fai-
sant partie du revenu de l'intimé provenant d'un
emploi au sens de l'alinéa 172(2)a)?
Le savant juge-arbitre a répondu de façon néga-
tive à cette question, en dépit de nombreuses déci-
sions antérieures de juges-arbitres selon lesquelles
les sommes accordées à titre de dommages-intérêts
par suite de renvoi injustifié de la part d'un
employeur, constituaient une rémunération au sens
de l'article 172 des Règlements. Le savant juge-
arbitre a jugé bon de ne pas tenir compte de ces
décisions pour deux motifs. Premièrement, il s'est
cru lié par le jugement rendu par cette cour dans
La Reine c. Atkins.' Dans cette affaire, où juge-
ment a été rendu en vertu de la Loi de l'impôt sur
le revenu, un contribuable avait été injustement
' 76 DTC 6258.
renvoyé sans préavis et avait reçu, par suite d'une
entente conclue après son renvoi, une somme d'ar-
gent tenant «lieu de préavis»; la Cour a décidé que
cette somme ne constituait pas un revenu au sens
de la Loi de l'impôt sur le revenu. En ce qui
concerne le deuxième motif du juge-arbitre, il s'est
exprimé ainsi:
... les dommages-intérêts accordés ou obtenus pour un congé-
diement illicite ne sont pas nécessairement limités à une somme
calculée en fonction de tant de jours, de semaines ou de mois, le
temps calculé équivalant à un délai raisonnable d'avis de
congédiement. La somme ainsi accordée ou obtenue, compre-
nant des dommages autres qu'une rémunération perdue, et se
présentant comme une somme forfaitaire non ventilée suivant
ses diverses bases, ne peut pas être divisée de façon à couvrir les
divers motifs du dommage par un juge-arbitre, et ainsi aucune
somme ne peut en aucun cas être considérée comme étant des
gains au sens des Règlements précités.
J'estime, en toute déférence, que la décision du
juge-arbitre n'est pas fondée et qu'elle devrait être
rejetée.
Le jugement de cette cour dans La Reine c.
Atkins a été rendu en vertu de la Loi de l'impôt
sur le revenu. A mon avis, on ne peut l'invoquer à
titre de jurisprudence pour interpréter les Règle-
ments sur l'assurance-chômage, à moins qu'il ne
soit évident que le mot «revenu» ait la même
signification dans les deux textes législatifs.
La Loi de 1971 sur l'assurance-chômage établit
un régime d'assurance en vertu duquel on accorde
une protection aux prestataires contre la perte de
revenu par suite du chômage. Ce régime a évidem-
ment pour objet d'indemniser les chômeurs d'une
perte; il n'a pas pour objet de verser des prestations
à ceux qui n'ont subi aucune perte. Or, à mon avis,
on ne peut pas dire que le chômeur que son ancien
employeur a indemnisé de la perte de son salaire, a
subi une perte. Une perte dont on a été indemnisé
n'existe plus. La Loi et les Règlements doivent
donc être interprétés, dans la mesure du possible,
de manière à empêcher ceux qui n'ont subi aucune
perte de revenu de réclamer des prestations en
vertu de la Loi.
L'expression «revenu ... provenant de tout
emploi» de l'article 172(2)a) doit être interprété à
la lumière des autres dispositions des Règlements
et en particulier de l'article 173. Une lecture atten
tive de cet article indique à mon avis, que ces mots,
à l'article 172, ne sont pas employés selon le sens
formaliste qu'ils ont habituellement, et qui, d'après
la décision de cette cour dans Atkins, exclurait les
dommages-intérêts versés en compensation pour
perte de salaire. Le paragraphe 173(5) prévoit que
les versements d'un montant tenant lieu de salaire
accordé à un employé congédié seront répartis sur
une certaine période postérieure à son congédie-
ment. A mon avis, les montants que mentionne ce
paragraphe sont des dommages-intérêts, néan-
moins, ce paragraphe prévoit leur répartition à
titre de «revenu provenant de tout emploi». On
peut dire la même chose des paragraphes 173(9) et
173(16) qui prévoient la répartition de «La rému-
nération payée ... à titre de ... salaire au lieu
d'un préavis», et ce, qu'elle soit versée au moment
de la cessation d'emploi du prestataire ou après.
Ces dispositions renvoient de toute évidence aux
montants payés «au lieu d'un préavis» à un
employé congédié sans préavis. Ces montants sont
des dommages-intérêts, et le fait que ceux-ci ont
pu être évalués avant plutôt qu'après le congédie-
ment n'a, à mon sens, aucun effet sur leur nature.
Je suis donc d'avis que les dommages-intérêts
versés à un ancien employé qui a été injustement
renvoyé sans préavis constituent un «revenu ...
provenant ... [d'un] emploi» au sens de l'article
172(2)a) des Règlements s'ils sont versés à titre de
compensation pour la perte de revenu que l'em-
ployé a subie à la suite de son renvoi injustifié.
Cependant, cela ne résout pas le problème, car
le savant juge-arbitre a également invoqué comme
motif de sa décision, la possibilité que les montants
touchés par l'intimé aient pu être versés pour
l'indemniser non seulement de la perte de revenu,
mais aussi d'autres pertes qu'il aurait subies. Selon
le juge-arbitre il était impossible d'établir quelle
partie du montant de $4,550 il fallait attribuer à la
perte de rémunération, d'où l'impossibilité de sta-
tuer que le montant en question était un revenu.
A mon avis, ce raisonnement est inacceptable. Il
ne tient pas compte de l'article 54(1) de la Loi qui
prévoit notamment que:
54. (1) Aucune personne n'est admissible au bénéfice des
prestations pour une semaine de chômage ... avant d'avoir ...
prouvé
a) qu'elle remplit les conditions requises pour recevoir des
prestations; et
b) qu'il n'existe aucune circonstance ou condition ayant pour
effet de l'exclure du bénéfice des prestations ou de la rendre
inadmissible au bénéfice de ces dernières.
L'intimé a reçu un montant qui, en l'absence de
circonstances spéciales, lui était uniquement des-
tiné à titre de compensation pour perte de revenu.
(Je ne commente pas pour le moment le fait que le
montant de $4,550 comprenait, selon toute appa-
rence, des frais judiciaires.) Comme l'intimé devait
prouver qu'il était admissible aux prestations, il
devait prouver l'existence de ces circonstances spé-
ciales. Sinon, la Commission avait droit de présu-
mer que le montant intégral s'appliquait au revenu
perdu. Si l'intimé avait établi des faits dont on
aurait raisonnablement pu conclure qu'il avait été
indemnisé d'autre chose que d'une perte de salaire,
la Commission aurait eu à évaluer, de la façon la
plus équitable possible dans les circonstances, la
partie du montant de $4,550 attribuer à la perte
de salaire. Cependant, ce n'est pas le cas en l'es-
pèce, car le dossier ne révèle rien qui laisse enten-
dre que la perte subie par l'intimé, par suite de son
renvoi injustifié, ne se limitait pas à une perte de
salaire.
Je le répète, le dossier semble indiquer qu'une
partie du montant de $4,550 a été versée en vue de
permettre à l'intimé de couvrir ses frais judiciaires
dont il n'a jamais voulu divulguer le montant à la
Commission. Celle-ci, vu les circonstances, à moins
qu'elle n'ait des motifs de croire que le montant
versé à l'intimé ne comprenait pas de frais judiciai-
res, avait l'obligation d'évaluer de façon aussi équi-
table que possible le montant de ces frais pour
ensuite ne considérer que le solde des $4,550
comme un revenu.
Pour ces motifs, j'annulerais la décision du juge-
arbitre et lui renverrais l'affaire pour qu'il rende
une décision sur le fondement que
a) les dommages-intérêts touchés par un ancien
employé qui a été injustement renvoyé sans
préavis constituent un «revenu provenant de tout
emploi» au sens de l'article 172(2)a) des Règle-
ments sur l'assurance-chômage, s'ils sont versés
à titre de compensation pour la perte de revenu
subie par l'employé par suite de son renvoi
injustifié, et
b) en vertu de l'article 54(1) de la Loi de 1971
sur l'assurance-chômage, l'intimé . n'est pas
admissible au bénéfice de prestations pour une
semaine de chômage à moins d'avoir prouvé
qu'il n'existe aucune circonstance ou condition
ayant pour effet de l'exclure du bénéfice des
prestations.
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