T-4855-77
L'Association des consommateurs du Canada
(Demanderesse)
c.
Le procureur général du Canada (Défendeur)
Division de première instance, le juge Gibson —
Ottawa, le 17 mars et le 6 avril 1978.
Brefs de prérogative — Redressement par déclaration —
Décision du CRTC réformée par le gouverneur en conseil qui y
substitue sa propre décision en invoquant l'exercice de son
pouvoir de modification — Le gouverneur en conseil est-il
habilité à imposer une mesure qui, à son avis, eût dû figurer à
la décision initiale? — Loi nationale sur les transports, S.R.C.
1970, c. N-17, art. 64(1) — Décret C.P. 1977-3152.
Par décret, le gouverneur en conseil, exerçant le pouvoir qu'il
tient de l'article 64(1) de la Loi nationale sur les transports de
modifier une décision du CRTC, a substitué sa propre décision
à une décision du Conseil en invoquant l'exercice de son pouvoir
de modification. La demanderesse fait valoir que le pouvoir de
modification ne comprend pas celui de substituer une autre
décision à celle du CRTC et ainsi réformer la décision rendue
par le CRTC. Le litige porte sur la question de savoir s'il y a
lieu à jugement statuant que le gouverneur en conseil «n'est pas
habilité à imposer une mesure qui, à son avis, eût dû figurer à
la décision initiale du Conseil».
Arrêt: l'action est rejetée. A la lumière de la formulation
explicite de l'article 64(1) de la Loi nationale sur les trans
ports, à la lumière de la définition donnée par les dictionnaires
qui attribuent au mot «modifier» un sens très large et à la
lumière du raisonnement qui ressort des décisions judiciaires
interprétant le sens que prend le pouvoir de «modifier» à
l'article 64(1) et consacrant le pouvoir légal de «modifier» dans
le cas des autres lois visées aux précédents cités, la Cour statue
que le gouverneur en conseil, en réformant la décision du
CRTC à laquelle il a substitué la sienne propre, ce qui a donné
un résultat tout différent, n'a fait qu'exercer son pouvoir légal
de modifier qu'il tient de l'article 64(1) de la Loi nationale sur
les transports.
Arrêts examinés: CSP Foods Ltd. c. La Commission cana-
dienne des transports [1979] 1 C.F. 3; Re Davisville
Investment Co. Ltd. c. Ville de Toronto (1977) 15 O.R.
(2») 553; Inuit Tapirisat of Canada c. Le très honorable
Jules Léger [1979] 1 C.F. 213; Labour Relations Board of
the Province of British Columbia c. Oliver Co -Operative
Growers Exchange [1963] R.C.S. 7.
ACTION.
AVOCATS:
T. Gregory Kane pour la demanderesse.
G. W. Ainslie, c.r. et E. A. Bowie pour le
défendeur.
PROCUREURS:
L'Association des consommateurs du
Canada, Ottawa, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour le
défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE GIBSON: Il s'agit en l'espèce d'une
action intentée en vue d'un redressement par
déclaration.
La demanderesse, en l'espèce l'Association des
consommateurs du Canada, est une association
juridiquement constituée qui, selon ses plaidoiries,
[TRADUCTION] «se fait la voix des consommateurs
devant les services publics, dont les tribunaux, les
assemblées législatives et les tribunaux administra-
tifs.» Dans les conclusions déposées pour le compte
du défendeur, procureur général du Canada, le
sous-procureur général du Canada a fait valoir que
la demanderesse n'avait pas qualité pour agir mais
cette réfutation n'a pas été développée à l'audition.
Le litige porte sur la question de savoir si le fait
de réformer une décision participe de l'exercice
légal du pouvoir de la modifier.
Par décret C.P. 1977-3152 en date du 3 novem-
bre 1977, le gouverneur en conseil, exerçant le
pouvoir qu'il tient de l'article 64(1) de la Loi
nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c. N-17,
de modifier une décision du Conseil de la radiodif-
fusion et des télécommunications canadiennes
(CRTC), a substitué sa propre décision à une
décision du Conseil en invoquant l'exercice de son
pouvoir de modification.
La demanderesse fait valoir que le pouvoir de
modification ne comprend pas celui de substituer
une autre décision à celle du CRTC (la nouvelle
décision consiste en l'espèce à réformer la décision
du CRTC) et qu'en conséquence, il y a lieu à
jugement accordant le recours visé à la déclaration
et portant que le gouverneur en conseil [TRADUC-
TION] «n'est pas habilité à imposer une mesure
qui, à son avis, eût dû figurer à la décision initiale
du Conseil».
Voici le texte du décret attaqué:
Attendu que, le 24 août 1977, le Conseil de la radiodiffusion
et des télécommunications canadiennes a, à la suite d'audiences
publiques, rendu la décision Télécom. C.R.T.C. n° 77-10 par
laquelle il rejetait l'accord projeté entre Télésat Canada et le
Réseau téléphonique transcanadien en date du 31 décembre
1976;
Attendu que le gouverneur en conseil a reçu des pétitions en
vertu du paragraphe 64(1) de la Loi nationale sur les transports
et qu'il a examiné les pétitions et les opinions des intéressés,
ainsi que les vues exprimées par le Conseil de la radiodiffusion
et des télécommunications canadiennes dans la décision
susmentionnée;
Attendu que le gouverneur en conseil convient qu'il est dans
l'intérêt public d'approuver l'accord projeté par Télésat
Canada;
Attendu que, de l'avis du gouverneur en conseil, l'approba-
tion dudit accord n'altérera pas le droit du Conseil de la
radiodiffusion et des télécommunications canadiennes d'ap-
prouver ou de rejeter, en vertu du paragraphe 320(2) de la Loi
sur les chemins de fer, les tarifs exigés par Télésat Canada ni
son droit d'ordonner à Télésat Canada, en vertu du paragraphe
320(7) de la Loi sur les chemins de fer, de donner accès à ses
installations à des conditions que le Conseil estime justes et
convenables;
Attendu que, selon le gouverneur en conseil, l'approbation
dudit accord n'altérera pas les pouvoirs conférés au ministre des
Communications au sujet de l'exploitation des stations terrien-
nes et des installations de relais hertziens de terre, en vertu de
la Loi sur la radio; et
Attendu que l'accord prévoit qu'aucune des dispositions qu'il
renferme ne peut avoir préséance sur une loi du Parlement du
Canada ou d'une province du Canada ni entrer en conflit avec
l'une de ces lois;
Son Excellence le gouverneur général en conseil, en vertu du
paragraphe 64(1) de la Loi nationale sur les transports, modifie
de son propre chef, par les présentes, la décision Télécom.
C.R.T.C. n° 77-10 du conseil de la radiodiffusion et des télé-
communications canadiennes en date du 24 août 1977, afin
d'approuver l'accord entre Télésat Canada et le Réseau télé-
phonique transcanadien. La décision se lira donc maintenant
comme suit:
«L'accord, en date du 31 décembre 1976, entre Télésat
Canada et le Réseau téléphonique transcanadien étant dans
l'intérêt public, il est approuvé par la présente.»
La nature du pouvoir légal que le gouverneur
général en conseil tient de l'article 64(1) de la Loi
nationale sur les transports et d'autres pouvoirs
plus ou moins semblables a été analysée dans les
causes suivantes:
Dans CSP Foods Ltd. c. La Commission cana-
dienne des transports', le juge Urie s'est prononcé
en ces termes aux pages 9 et 10:
1 [1979] 1 C.F. 3.
Avec égards, je ne considère pas que l'exercice, par le gouver-
neur en conseil, des pouvoirs conférés par l'article 64(1) soit de
la nature d'un appel judiciaire. C'est un moyen permettant à
l'Exécutif d'exercer un certain contrôle sur la Commission
canadienne des transports pour s'assurer que les vues du gou-
vernement concernant l'intérêt public dans une situation
donnée, fondées sur les faits établis par ce tribunal, peuvent
être exprimées par l'Exécutif et qu'elles sont appliquées par des
directives que ce dernier peut juger à propos de donner au
tribunal par l'intermédiaire du gouverneur en conseil. Si je
comprends bien, il s'agit d'un rôle de surveillance et non de
tribunal d'appel. Le gouverneur en conseil ne s'occupe pas des
questions de droit ou de compétence, lesquelles incombent aux
tribunaux. Toutefois, contrairement à ceux-ci, il peut substituer
ses vues concernant l'intérêt public à celles de la Commission.
Dans Re Davisville Investment Co. Ltd. c. Ville
de Toronto 2 , la Cour d'appel de l'Ontario, par la
bouche du juge Lacourciere, s'est prononcée en ces
termes à propos de l'article 94 de The Ontario
Municipal Board Act et des pouvoirs du lieute-
nant-gouverneur en conseil:
[TRADUCTION] L'ordonnance, différée pour des motifs légiti-
mes jusqu'en juin 1975, a été approuvée par Son Honneur le
lieutenant-gouverneur; elle accueille la requête de l'Oriole Park
Association et porte ce qui suit:
Par ces motifs, l'honorable John White, membre du Con-
seil exécutif et président du Comité législatif du Cabinet,
après instruction de cette requête, recommande, en applica
tion des dispositions de l'article 94 de The Ontario Municipal
Board Act, S.R.O. 1970, chapitre 323, que la décision sus-
mentionnée en date du 24 mai 1972 du Conseil des municipa-
lités de l'Ontario soit modifiée ou annulée et qu'il soit
procédé à une audition publique conformément à l'article 35
de la loi dite The Planning Act, S.R.O. 1970, chapitre 349
afin de s'assurer du bien-fondé de la demande faite par la
ville de Toronto en vue de l'approbation des arrêtés 152-68 et
253-68 et afin d'entendre toutes objections formulées contre
cette demande.
Voici le texte de l'article 94(1) de The Ontario Municipal
Board Act:
94(1) Dans le cas où une partie ou personne intéressée
dépose auprès du greffier du Conseil exécutif une requête
dans les vingt-huit jours de l'ordonnance ou de la décision
prise par le Conseil, le lieutenant-gouverneur en conseil peut:
a) confirmer, modifier ou annuler tout ou partie de cette
ordonnance ou décision; ou
b) ordonner au Conseil de tenir une nouvelle audition
publique à propos de l'ensemble ou de la partie de la
demande sur laquelle le Conseil a fondé son ordonnance ou
décision,
et la décision prise par le Conseil à la suite de l'audition
publique visée à l'alinéa b) ne peut faire l'objet d'une requête
visée au présent article.
La décision prise en 1972 par le Conseil des municipalités de
l'Ontario peut être contestée de deux manières: (1) par voie
2 (1977) 15 O.R. (2e) 553, aux pp. 555 et 556.
d'appel judiciaire prévu à l'art. 95 et portant sur une question
de droit ou de compétence, ce qui peut mener, sous réserve de
permission, jusqu'à la division de la Haute Cour, ou (2) par
voie de requête administrative auprès du lieutenant-gouverneur
en conseil, conformément à l'art. 94.
L'association intimée, après une certaine hésitation quant à
la procédure à adopter, a finalement opté pour la deuxième
méthode. Le lieutenant-gouverneur en conseil, comptable à
l'assemblée législative, exerce un pouvoir discrétionnaire de
contrôle sur le Conseil des municipalités; ce pouvoir n'est limité
ni à l'instruction des questions soulevées dans la requête ni à
celle du dossier instruit par le Conseil. La requête ne constitue
ni une intimation d'appel ni une demande de contrôle judi-
ciaire. Elle ne fait que mettre en marche le mécanisme de
contrôle de l'Exécutif qui applique sa vision de l'intérêt public
aux faits établis devant le Conseil et aux éléments complémen-
taires d'information soumis à son propre examen. Le lieute-
nant-gouverneur en conseil ne connaît pas des questions de
droit et de compétence, lesquelles relèvent du contrôle judi-
ciaire. Cependant il peut faire quelque chose qui échappe à la
compétence des tribunaux: faire valoir son propre avis sur une
question d'utilité et d'ordre publics et ce, dans l'intérêt public.
C'est ce qui a été fait au moyen du décret: si celui-ci n'est
entaché d'aucune erreur de droit ni d'aucun vice de compé-
tence, la division de la Haute Cour n'avait pas à intervenir et
c'est avec raison qu'elle a débouté la demanderesse.
Dans Inuit Tapirisat of Canada c. Le très hono
rable Jules Léger', le juge Marceau de la Cour
fédérale s'est prononcé en ces termes:
... l'action demande un redressement subsidiaire, un jugement
déclaratoire, et, dans les circonstances de l'espèce, on ne peut
pas écarter de la même manière la compétence de la Cour à
accorder un tel redressement. Un jugement déclaratoire n'im-
plique aucun commandement. Il est bien établi qu'un tribunal,
sans pouvoir réviser une décision rendue par le gouverneur
général en conseil en vertu d'une prérogative royale per se, peut
certainement réviser un acte accompli par le gouverneur géné-
ral en conseil dans l'exercice d'un pouvoir que lui accorde la loi.
(Voir p. ex. Border Cities Press Club c. Le procureur général
de l'Ontario [1955] 1 D.L.R. 404; Re Doctors Hospital and
Minister of Health (1976) 68 D.L.R. (3 0 ) 220; Re Davisville
Investment Co. Ltd. c. La ville de Toronto (1977) 15 O.R. (2e)
553.) Point n'est besoin de répéter que le gouverneur en conseil
n'est pas au-dessus de la loi et que les pouvoirs que lui accorde
la loi doivent s'exercer dans les limites imposées par celle-ci,
aux fins qu'elle détermine et conformément à ses dispositions.
A mon avis, en rendant des décisions en vertu de l'article 64(1),
le gouverneur général en conseil agit sur la base de sa responsa-
bilité politique et non suivant un processus judiciaire ou quasi
judiciaire. L'organisation générale de la législation relative aux
télécommunications est à l'effet que les décisions mettant en jeu
des questions économiques générales sont confiées au CRTC,
qui a le devoir strict de tenir une audition et de donner aux
parties l'occasion voulue de se faire entendre. La Commission
elle-même peut, à tout moment, réviser, rescinder, changer ou
modifier ses ordonnances ou décisions (article 63 de la Loi
3 [1979] 1 C.F. 213, aux pp. 218 et 221.
nationale sur les transports), et telles ordonnances ou décisions
sont en outre susceptibles d'appel et de révision devant les cours
de justice (article 64(2) à (7) de la Loi). Le pouvoir de
«modifier ou rescinder» conféré au gouverneur général en con-
seil par l'article 64(1) est, suivant mon interprétation, de nature
tout à fait différente: il s'agit d'un pouvoir politique dans
l'exercice duquel le cabinet doit se laisser guider par ses
conceptions propres quant aux principes directeurs à appliquer,
dans les circonstances, eu égard à l'intérêt public. L'exercice de
ce pouvoir n'a aucun rapport avec le processus judiciaire ou
quasi judiciaire.
Dans Labour Relations Board of the Province
of British Columbia c. Oliver Co -Operative
Growers Exchange 4 , le juge Judson a conclu que
la substitution d'un syndicat à un autre syndicat
sur un certificat d'accréditation participait de
l'exercice légal du pouvoir légal de modification.
Voici ce qu'il dit à ce sujet à la page 11:
[TRADUCTION] Le litige porte sur la question de savoir si la
Commission y était habilitée par l'art. 65(2) de la Loi, lequel
porte:
65. (2) De son propre chef ou à la demande de l'em-
ployeur, de l'association patronale, du syndicat ou de toute
autre personne, la Commission peut reconsidérer toute déci-
sion ou ordonnance qu'elle a rendue sous le régime de la
présente loi, et elle peut modifier ou révoquer cette décision
ou ordonnance.
Selon la majorité de la Cour d'appel, la Commission ne tient
de l'art. 65(2) de la Loi et de l'art. 9a) du Règlement que le
pouvoir de substituer un nouveau nom à l'ancien, et le terme
«modifier» figurant à l'art. 65(2) ne permet pas de substituer un
autre syndicat à celui qui est nommé dans le certificat d'accré-
ditation. Cette substitution équivaut à une nouvelle accrédita-
tion, différente de la première, au remplacement d'un syndicat
par un autre, qui ne peut être réalisé que selon les formalités
prévues aux art. 10 et 12. La Cour d'appel a conclu que la
section locale 1572, étant un nouveau syndicat, aurait dû faire
une demande d'accréditation et non pas de modification d'un
certificat existant et qu'en l'espèce, la Commission n'avait le
pouvoir de modifier un certificat. Le savant juge de première
instance et le juge d'appel Davey de la Cour d'appel soute-
naient le contraire pour conclure que la Commission y était
habilitée par l'art. 65(2). A mon avis, c'est en ce sens qu'il faut
interpréter la Loi.
Dans la cause Bakery and Confectionery Work
ers International Union of America Local No. 468
c. White Lunch Limited 5 , la Commission des rela
tions de travail de la Colombie-Britannique, se
prévalant apparemment du pouvoir qu'elle avait de
«modifier», a substitué une autre partie à l'em-
ployeur nommé, en l'espèce C Ltd., après liquida
tion volontaire de ce dernier. Le juge Hall s'est
prononcé en ces termes, à la page 295:
4 [1963] R.C.S. 7, à la p. 11.
5 [1966] R.C.S. 282.
[TRADUCTION] Le juge d'appel Bull de la Cour d'appel a
reconnu l'étendue du champ d'application de l'art. 65(3) en ces
termes:
Il est évident que l'article 65(3) confère le pouvoir de
modifier ou d'abroger une ancienne ordonnance ou décision
dans certains cas, que ce pouvoir s'applique aux cas qui ne
sont pas expressément prévus par la loi, et que l'instruction
de la Commission n'est nullement limitée aux faits tels qu'ils
existaient à la date de l'ancienne ordonnance ou décision: In
re Hotel and Restaurant Employees' International Union,
Local 28 et al (1954) 11 W.W.R. (N.S.) 11; Regina c.
Ontario Lab. Rel. Bd.; Ex parte Genaire Ltd. (1958) O.R.
637, confirmé en appel (1959) 18 D.L.R. (2°) 588.
De même, c'est un principe de droit bien établi qu'en cas
de disposition restrictive comme l'article 65(1), le rôle de la
Cour saisie d'un recours en certiorari se limite à établir si le
tribunal administratif, en l'espèce la Commission des rela
tions de travail, est resté dans les limites de sa compétence,
ce qui comprend les questions de déni de justice, de partia-
lité, de fraude, etc., ou s'il y a erreur évidente ressortant du
dossier. Lorsque la Commission statue sur les questions qui
relèvent de sa compétence, ses décisions, y compris les déci-
sions en matière d'accréditation syndicale, ne sont pas sus-
ceptibles de contrôle judiciaire à moins que de l'avis de la
Cour, l'erreur de la Commission ne porte sur sa compétence
même et non pas sur une question qui relève de sa compé-
tence. La décision prise par la Commission pour indiquer qui
sont les employés et qui sont les employeurs. relève exclusive-
ment de sa compétence, elle constitue une «conclusion en
dernier ressort» et n'est pas susceptible de contrôle judiciaire:
Labour Relations Board et al c. Traders' Service Ltd. (1958)
R.C.S. 672.
Cependant, il a limité le champ de l'art. 65(3) en concluant
que le terme «modifier» qui y figure «ne saurait servir d'excuse
pour la création rétroactive d'une nouvelle unité d'employés
dont le syndicat est l'agent accrédité ...». A mon avis, cet
article ne peut être interprété comme restreignant l'acception
générale du mot «modifier». Voici la définition qu'en donne le
Shorter Oxford Dictionary: «faire changer; adapter à certaines
conditions ou à certains besoins au moyen de modifications
appropriées». Par ailleurs, je ne saurais souscrire à la thèse
selon laquelle le mot «modifier» ne peut s'appliquer de façon
rétroactive. Ce mot ne souffre pas d'une telle restriction de sens
et nombre de cas se produiront où il doit avoir un effet
rétroactif. L'affaire en instance en est un exemple classique.
Dans Canadian Pacifie Railway Co. c. Manito-
ba Pool Elevators 6 , le juge d'appel Freedman a
analysé en ces termes le pouvoir qu'avait le gouver-
neur en conseil de modifier ou de rescinder une
ordonnance de la Commission des transports, con-
formément à l'article 53(1) de la Loi sur les
chemins de fer, S.R.C. 1952, c. 234 [à la page 20]:
[TRADUCTION] Je ne saurais non plus souscrire à la thèse selon
laquelle le gouverneur en conseil, en faisant figurer dans son
arrêté l'ordre donné à la Commission de suspendre l'application
des tarifs en cause, a reconnu par là le pouvoir souverain de
cette dernière en ce qui concerne l'exécution même de cet
6 (1963) 43 W.W.R. 18.
arrêté. On conçoit mal un tel pouvoir souverain eu égard à la
formulation explicite de l'art. 53(1) aux termes duquel l'arrêté
du gouverneur en conseil lie la Commission. En analysant
l'arrêté à la lumière de l'art. 53(1), je n'y ai vu nulle consécra-
tion du pouvoir souverain de la Commission ainsi qu'on l'a
prétendu. Par contre, le libellé même de l'arrêté revêt la forme
d'un ordre donné par une instance supérieure à un organisme
subordonné. Il va de soi que ce dernier, c'est-à-dire la Commis
sion, est tenu d'obtempérer.
Dans Rowley c. Petroleum and Natural Gas
Conservation Board', le juge Macdonald a conclu
à la page 476, propos du pouvoir de «modifier»
prévu dans un accord adopté et ratifié par le
Parlement fédéral et par les provinces: [TRADUC-
TION] «Le mot `modifier', dans son acception com
mune tout comme dans le langage juridique, a un
sens très large et je ne vois rien qui justifie une
restriction de sa signification ou de l'étendue de
l'article 24 susmentionné, telle qu'on l'a fait
valoir.»
Dans Regina c. Travers and McGuire 5 , le juge
Ouimet de la Cour du Banc de la Reine du Québec
a conclu qu'en révoquant une ordonnance de
liberté sous caution rendue par un juge de comté
ou de district ou par un magistrat en application
du paragraphe (3) de l'article 463 du Code crimi-
nel ou en réformant une ordonnance rendue à ce
sujet, lui, en sa qualité de juge d'une cour supé-
rieure de juridiction criminelle, n'avait fait
qu'exercer légalement le pouvoir qu'il tenait de
l'article 465 pour «modifier une ordonnance de
libération».
A la lumière de la formulation explicite de
l'article 64(1) de la Loi nationale sur les trans
ports, à la lumière de la définition donnée par les
dictionnaires qui attribuent au mot «modifier» un
sens très large et à la lumière du raisonnement qui
ressort des décisions judiciaires interprétant le sens
que prend le pouvoir de «modifier» à l'article 64(1)
et consacrant le pouvoir légal de «modifier» dans le
cas des autres lois visées aux précédents cités,
j'estime qu'en l'espèce, le gouverneur en conseil, en
réformant la décision du CRTC à laquelle il a
substitué la sienne propre, ce qui a donné un
résultat tout différent, n'a fait qu'exercer son pou-
voir légal de modifier qu'il tient de l'article 64(1)
de la Loi nationale sur les transports; et qu'en
conséquence, le décret C.P. 1977-3152 en date du
7 (1943) 1 W.W.R. 470.
8 (1963) 42 C.R. 32.
T-4855-77
L'Association des consommateurs du Canada
(Demanderesse)
c.
Le procureur général du Canada (Défendeur)
Division de première instance, le juge Gibson —
Ottawa, le 17 mars et le 6 avril 1978.
Brefs de prérogative — Redressement par déclaration —
Décision du CRTC réformée par le gouverneur en conseil qui y
substitue sa propre décision en invoquant l'exercice de son
pouvoir de modification — Le gouverneur en conseil est-il
habilité à imposer une mesure qui, à son avis, eût dû figurer à
la décision initiale? — Loi nationale sur les transports, S.R.C.
1970, c. N-17, art. 64(1) — Décret C.P. 1977-3152.
Par décret, le gouverneur en conseil, exerçant le pouvoir qu'il
tient de l'article 64(1) de la Loi nationale sur les transports de
modifier une décision du CRTC, a substitué sa propre décision
à une décision du Conseil en invoquant l'exercice de son pouvoir
de modification. La demanderesse fait valoir que le pouvoir de
modification ne comprend pas celui de substituer une autre
décision à celle du CRTC et ainsi réformer la décision rendue
par le CRTC. Le litige porte sur la question de savoir s'il y a
lieu à jugement statuant que le gouverneur en conseil «n'est pas
habilité à imposer une mesure qui, à son avis, eût dû figurer à
la décision initiale du Conseil».
Arrêt: l'action est rejetée. A la lumière de la formulation
explicite de l'article 64(1) de la Loi nationale sur les trans
ports, à la lumière de la définition donnée par les dictionnaires
qui attribuent au mot «modifier» un sens très large et à la
lumière du raisonnement qui ressort des décisions judiciaires
interprétant le sens que prend le pouvoir de «modifier» à
l'article 64(1) et consacrant le pouvoir légal de «modifier» dans
le cas des autres lois visées aux précédents cités, la Cour statue
que le gouverneur en conseil, en réformant la décision du
CRTC à laquelle il a substitué la sienne propre, ce qui a donné
un résultat tout différent, n'a fait qu'exercer son pouvoir légal
de modifier qu'il tient de l'article 64(1) de la Loi nationale sur
les transports.
Arrêts examinés: CSP Foods Ltd. c. La Commission cana-
dienne des transports [1979] 1 C.F. 3; Re Davisville
Investment Co. Ltd. c. Ville de Toronto (1977) 15 O.R.
(2») 553; Inuit Tapirisat of Canada c. Le très honorable
Jules Léger [1979] 1 C.F. 213; Labour Relations Board of
the Province of British Columbia c. Oliver Co -Operative
Growers Exchange [1963] R.C.S. 7.
ACTION.
AVOCATS:
T. Gregory Kane pour la demanderesse.
G. W. Ainslie, c.r. et E. A. Bowie pour le
défendeur.
PROCUREURS:
L'Association des consommateurs du
Canada, Ottawa, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour le
défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE GIBSON: Il s'agit en l'espèce d'une
action intentée en vue d'un redressement par
déclaration.
La demanderesse, en l'espèce l'Association des
consommateurs du Canada, est une association
juridiquement constituée qui, selon ses plaidoiries,
[TRADUCTION] «se fait la voix des consommateurs
devant les services publics, dont les tribunaux, les
assemblées législatives et les tribunaux administra-
tifs.» Dans les conclusions déposées pour le compte
du défendeur, procureur général du Canada, le
sous-procureur général du Canada a fait valoir que
la demanderesse n'avait pas qualité pour agir mais
cette réfutation n'a pas été développée à l'audition.
Le litige porte sur la question de savoir si le fait
de réformer une décision participe de l'exercice
légal du pouvoir de la modifier.
Par décret C.P. 1977-3152 en date du 3 novem-
bre 1977, le gouverneur en conseil, exerçant le
pouvoir qu'il tient de l'article 64(1) de la Loi
nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c. N-17,
de modifier une décision du Conseil de la radiodif-
fusion et des télécommunications canadiennes
(CRTC), a substitué sa propre décision à une
décision du Conseil en invoquant l'exercice de son
pouvoir de modification.
La demanderesse fait valoir que le pouvoir de
modification ne comprend pas celui de substituer
une autre décision à celle du CRTC (la nouvelle
décision consiste en l'espèce à réformer la décision
du CRTC) et qu'en conséquence, il y a lieu à
jugement accordant le recours visé à la déclaration
et portant que le gouverneur en conseil [TRADUC-
TION] «n'est pas habilité à imposer une mesure
qui, à son avis, eût dû figurer à la décision initiale
du Conseil».
Voici le texte du décret attaqué:
Attendu que, le 24 août 1977, le Conseil de la radiodiffusion
et des télécommunications canadiennes a, à la suite d'audiences
publiques, rendu la décision Télécom. C.R.T.C. n° 77-10 par
laquelle il rejetait l'accord projeté entre Télésat Canada et le
Réseau téléphonique transcanadien en date du 31 décembre
1976;
Attendu que le gouverneur en conseil a reçu des pétitions en
vertu du paragraphe 64(1) de la Loi nationale sur les transports
et qu'il a examiné les pétitions et les opinions des intéressés,
ainsi que les vues exprimées par le Conseil de la radiodiffusion
et des télécommunications canadiennes dans la décision
susmentionnée;
Attendu que le gouverneur en conseil convient qu'il est dans
l'intérêt public d'approuver l'accord projeté par Télésat
Canada;
Attendu que, de l'avis du gouverneur en conseil, l'approba-
tion dudit accord n'altérera pas le droit du Conseil de la
radiodiffusion et des télécommunications canadiennes d'ap-
prouver ou de rejeter, en vertu du paragraphe 320(2) de la Loi
sur les chemins de fer, les tarifs exigés par Télésat Canada ni
son droit d'ordonner à Télésat Canada, en vertu du paragraphe
320(7) de la Loi sur les chemins de fer, de donner accès à ses
installations à des conditions que le Conseil estime justes et
convenables;
Attendu que, selon le gouverneur en conseil, l'approbation
dudit accord n'altérera pas les pouvoirs conférés au ministre des
Communications au sujet de l'exploitation des stations terrien-
nes et des installations de relais hertziens de terre, en vertu de
la Loi sur la radio; et
Attendu que l'accord prévoit qu'aucune des dispositions qu'il
renferme ne peut avoir préséance sur une loi du Parlement du
Canada ou d'une province du Canada ni entrer en conflit avec
l'une de ces lois;
Son Excellence le gouverneur général en conseil, en vertu du
paragraphe 64(1) de la Loi nationale sur les transports, modifie
de son propre chef, par les présentes, la décision Télécom.
C.R.T.C. n° 77-10 du conseil de la radiodiffusion et des télé-
communications canadiennes en date du 24 août 1977, afin
d'approuver l'accord entre Télésat Canada et le Réseau télé-
phonique transcanadien. La décision se lira donc maintenant
comme suit:
«L'accord, en date du 31 décembre 1976, entre Télésat
Canada et le Réseau téléphonique transcanadien étant dans
l'intérêt public, il est approuvé par la présente.»
La nature du pouvoir légal que le gouverneur
général en conseil tient de l'article 64(1) de la Loi
nationale sur les transports et d'autres pouvoirs
plus ou moins semblables a été analysée dans les
causes suivantes:
Dans CSP Foods Ltd. c. La Commission cana-
dienne des transports', le juge Urie s'est prononcé
en ces termes aux pages 9 et 10:
1 [1979] 1 C.F. 3.
Avec égards, je ne considère pas que l'exercice, par le gouver-
neur en conseil, des pouvoirs conférés par l'article 64(1) soit de
la nature d'un appel judiciaire. C'est un moyen permettant à
l'Exécutif d'exercer un certain contrôle sur la Commission
canadienne des transports pour s'assurer que les vues du gou-
vernement concernant l'intérêt public dans une situation
donnée, fondées sur les faits établis par ce tribunal, peuvent
être exprimées par l'Exécutif et qu'elles sont appliquées par des
directives que ce dernier peut juger à propos de donner au
tribunal par l'intermédiaire du gouverneur en conseil. Si je
comprends bien, il s'agit d'un rôle de surveillance et non de
tribunal d'appel. Le gouverneur en conseil ne s'occupe pas des
questions de droit ou de compétence, lesquelles incombent aux
tribunaux. Toutefois, contrairement à ceux-ci, il peut substituer
ses vues concernant l'intérêt public à celles de la Commission.
Dans Re Davisville Investment Co. Ltd. c. Ville
de Toronto 2 , la Cour d'appel de l'Ontario, par la
bouche du juge Lacourciere, s'est prononcée en ces
termes à propos de l'article 94 de The Ontario
Municipal Board Act et des pouvoirs du lieute-
nant-gouverneur en conseil:
[TRADUCTION] L'ordonnance, différée pour des motifs légiti-
mes jusqu'en juin 1975, a été approuvée par Son Honneur le
lieutenant-gouverneur; elle accueille la requête de l'Oriole Park
Association et porte ce qui suit:
Par ces motifs, l'honorable John White, membre du Con-
seil exécutif et président du Comité législatif du Cabinet,
après instruction de cette requête, recommande, en applica
tion des dispositions de l'article 94 de The Ontario Municipal
Board Act, S.R.O. 1970, chapitre 323, que la décision sus-
mentionnée en date du 24 mai 1972 du Conseil des municipa-
lités de l'Ontario soit modifiée ou annulée et qu'il soit
procédé à une audition publique conformément à l'article 35
de la loi dite The Planning Act, S.R.O. 1970, chapitre 349
afin de s'assurer du bien-fondé de la demande faite par la
ville de Toronto en vue de l'approbation des arrêtés 152-68 et
253-68 et afin d'entendre toutes objections formulées contre
cette demande.
Voici le texte de l'article 94(1) de The Ontario Municipal
Board Act:
94(1) Dans le cas où une partie ou personne intéressée
dépose auprès du greffier du Conseil exécutif une requête
dans les vingt-huit jours de l'ordonnance ou de la décision
prise par le Conseil, le lieutenant-gouverneur en conseil peut:
a) confirmer, modifier ou annuler tout ou partie de cette
ordonnance ou décision; ou
b) ordonner au Conseil de tenir une nouvelle audition
publique à propos de l'ensemble ou de la partie de la
demande sur laquelle le Conseil a fondé son ordonnance ou
décision,
et la décision prise par le Conseil à la suite de l'audition
publique visée à l'alinéa b) ne peut faire l'objet d'une requête
visée au présent article.
La décision prise en 1972 par le Conseil des municipalités de
l'Ontario peut être contestée de deux manières: (1) par voie
2 (1977) 15 O.R. (2e) 553, aux pp. 555 et 556.
d'appel judiciaire prévu à l'art. 95 et portant sur une question
de droit ou de compétence, ce qui peut mener, sous réserve de
permission, jusqu'à la division de la Haute Cour, ou (2) par
voie de requête administrative auprès du lieutenant-gouverneur
en conseil, conformément à l'art. 94.
L'association intimée, après une certaine hésitation quant à
la procédure à adopter, a finalement opté pour la deuxième
méthode. Le lieutenant-gouverneur en conseil, comptable à
l'assemblée législative, exerce un pouvoir discrétionnaire de
contrôle sur le Conseil des municipalités; ce pouvoir n'est limité
ni à l'instruction des questions soulevées dans la requête ni à
celle du dossier instruit par le Conseil. La requête ne constitue
ni une intimation d'appel ni une demande de contrôle judi-
ciaire. Elle ne fait que mettre en marche le mécanisme de
contrôle de l'Exécutif qui applique sa vision de l'intérêt public
aux faits établis devant le Conseil et aux éléments complémen-
taires d'information soumis à son propre examen. Le lieute-
nant-gouverneur en conseil ne connaît pas des questions de
droit et de compétence, lesquelles relèvent du contrôle judi-
ciaire. Cependant il peut faire quelque chose qui échappe à la
compétence des tribunaux: faire valoir son propre avis sur une
question d'utilité et d'ordre publics et ce, dans l'intérêt public.
C'est ce qui a été fait au moyen du décret: si celui-ci n'est
entaché d'aucune erreur de droit ni d'aucun vice de compé-
tence, la division de la Haute Cour n'avait pas à intervenir et
c'est avec raison qu'elle a débouté la demanderesse.
Dans Inuit Tapirisat of Canada c. Le très hono
rable Jules Léger', le juge Marceau de la Cour
fédérale s'est prononcé en ces termes:
... l'action demande un redressement subsidiaire, un jugement
déclaratoire, et, dans les circonstances de l'espèce, on ne peut
pas écarter de la même manière la compétence de la Cour à
accorder un tel redressement. Un jugement déclaratoire n'im-
plique aucun commandement. Il est bien établi qu'un tribunal,
sans pouvoir réviser une décision rendue par le gouverneur
général en conseil en vertu d'une prérogative royale per se, peut
certainement réviser un acte accompli par le gouverneur géné-
ral en conseil dans l'exercice d'un pouvoir que lui accorde la loi.
(Voir p. ex. Border Cities Press Club c. Le procureur général
de l'Ontario [1955] 1 D.L.R. 404; Re Doctors Hospital and
Minister of Health (1976) 68 D.L.R. (3 0 ) 220; Re Davisville
Investment Co. Ltd. c. La ville de Toronto (1977) 15 O.R. (2e)
553.) Point n'est besoin de répéter que le gouverneur en conseil
n'est pas au-dessus de la loi et que les pouvoirs que lui accorde
la loi doivent s'exercer dans les limites imposées par celle-ci,
aux fins qu'elle détermine et conformément à ses dispositions.
A mon avis, en rendant des décisions en vertu de l'article 64(1),
le gouverneur général en conseil agit sur la base de sa responsa-
bilité politique et non suivant un processus judiciaire ou quasi
judiciaire. L'organisation générale de la législation relative aux
télécommunications est à l'effet que les décisions mettant en jeu
des questions économiques générales sont confiées au CRTC,
qui a le devoir strict de tenir une audition et de donner aux
parties l'occasion voulue de se faire entendre. La Commission
elle-même peut, à tout moment, réviser, rescinder, changer ou
modifier ses ordonnances ou décisions (article 63 de la Loi
3 [1979] 1 C.F. 213, aux pp. 218 et 221.
nationale sur les transports), et telles ordonnances ou décisions
sont en outre susceptibles d'appel et de révision devant les cours
de justice (article 64(2) à (7) de la Loi). Le pouvoir de
«modifier ou rescinder» conféré au gouverneur général en con-
seil par l'article 64(1) est, suivant mon interprétation, de nature
tout à fait différente: il s'agit d'un pouvoir politique dans
l'exercice duquel le cabinet doit se laisser guider par ses
conceptions propres quant aux principes directeurs à appliquer,
dans les circonstances, eu égard à l'intérêt public. L'exercice de
ce pouvoir n'a aucun rapport avec le processus judiciaire ou
quasi judiciaire.
Dans Labour Relations Board of the Province
of British Columbia c. Oliver Co -Operative
Growers Exchange 4 , le juge Judson a conclu que
la substitution d'un syndicat à un autre syndicat
sur un certificat d'accréditation participait de
l'exercice légal du pouvoir légal de modification.
Voici ce qu'il dit à ce sujet à la page 11:
[TRADUCTION] Le litige porte sur la question de savoir si la
Commission y était habilitée par l'art. 65(2) de la Loi, lequel
porte:
65. (2) De son propre chef ou à la demande de l'em-
ployeur, de l'association patronale, du syndicat ou de toute
autre personne, la Commission peut reconsidérer toute déci-
sion ou ordonnance qu'elle a rendue sous le régime de la
présente loi, et elle peut modifier ou révoquer cette décision
ou ordonnance.
Selon la majorité de la Cour d'appel, la Commission ne tient
de l'art. 65(2) de la Loi et de l'art. 9a) du Règlement que le
pouvoir de substituer un nouveau nom à l'ancien, et le terme
«modifier» figurant à l'art. 65(2) ne permet pas de substituer un
autre syndicat à celui qui est nommé dans le certificat d'accré-
ditation. Cette substitution équivaut à une nouvelle accrédita-
tion, différente de la première, au remplacement d'un syndicat
par un autre, qui ne peut être réalisé que selon les formalités
prévues aux art. 10 et 12. La Cour d'appel a conclu que la
section locale 1572, étant un nouveau syndicat, aurait dû faire
une demande d'accréditation et non pas de modification d'un
certificat existant et qu'en l'espèce, la Commission n'avait le
pouvoir de modifier un certificat. Le savant juge de première
instance et le juge d'appel Davey de la Cour d'appel soute-
naient le contraire pour conclure que la Commission y était
habilitée par l'art. 65(2). A mon avis, c'est en ce sens qu'il faut
interpréter la Loi.
Dans la cause Bakery and Confectionery Work
ers International Union of America Local No. 468
c. White Lunch Limited 5 , la Commission des rela
tions de travail de la Colombie-Britannique, se
prévalant apparemment du pouvoir qu'elle avait de
«modifier», a substitué une autre partie à l'em-
ployeur nommé, en l'espèce C Ltd., après liquida
tion volontaire de ce dernier. Le juge Hall s'est
prononcé en ces termes, à la page 295:
4 [1963] R.C.S. 7, à la p. 11.
5 [1966] R.C.S. 282.
[TRADUCTION] Le juge d'appel Bull de la Cour d'appel a
reconnu l'étendue du champ d'application de l'art. 65(3) en ces
termes:
Il est évident que l'article 65(3) confère le pouvoir de
modifier ou d'abroger une ancienne ordonnance ou décision
dans certains cas, que ce pouvoir s'applique aux cas qui ne
sont pas expressément prévus par la loi, et que l'instruction
de la Commission n'est nullement limitée aux faits tels qu'ils
existaient à la date de l'ancienne ordonnance ou décision: In
re Hotel and Restaurant Employees' International Union,
Local 28 et al (1954) 11 W.W.R. (N.S.) 11; Regina c.
Ontario Lab. Rel. Bd.; Ex parte Genaire Ltd. (1958) O.R.
637, confirmé en appel (1959) 18 D.L.R. (2°) 588.
De même, c'est un principe de droit bien établi qu'en cas
de disposition restrictive comme l'article 65(1), le rôle de la
Cour saisie d'un recours en certiorari se limite à établir si le
tribunal administratif, en l'espèce la Commission des rela
tions de travail, est resté dans les limites de sa compétence,
ce qui comprend les questions de déni de justice, de partia-
lité, de fraude, etc., ou s'il y a erreur évidente ressortant du
dossier. Lorsque la Commission statue sur les questions qui
relèvent de sa compétence, ses décisions, y compris les déci-
sions en matière d'accréditation syndicale, ne sont pas sus-
ceptibles de contrôle judiciaire à moins que de l'avis de la
Cour, l'erreur de la Commission ne porte sur sa compétence
même et non pas sur une question qui relève de sa compé-
tence. La décision prise par la Commission pour indiquer qui
sont les employés et qui sont les employeurs. relève exclusive-
ment de sa compétence, elle constitue une «conclusion en
dernier ressort» et n'est pas susceptible de contrôle judiciaire:
Labour Relations Board et al c. Traders' Service Ltd. (1958)
R.C.S. 672.
Cependant, il a limité le champ de l'art. 65(3) en concluant
que le terme «modifier» qui y figure «ne saurait servir d'excuse
pour la création rétroactive d'une nouvelle unité d'employés
dont le syndicat est l'agent accrédité ...». A mon avis, cet
article ne peut être interprété comme restreignant l'acception
générale du mot «modifier». Voici la définition qu'en donne le
Shorter Oxford Dictionary: «faire changer; adapter à certaines
conditions ou à certains besoins au moyen de modifications
appropriées». Par ailleurs, je ne saurais souscrire à la thèse
selon laquelle le mot «modifier» ne peut s'appliquer de façon
rétroactive. Ce mot ne souffre pas d'une telle restriction de sens
et nombre de cas se produiront où il doit avoir un effet
rétroactif. L'affaire en instance en est un exemple classique.
Dans Canadian Pacifie Railway Co. c. Manito-
ba Pool Elevators 6 , le juge d'appel Freedman a
analysé en ces termes le pouvoir qu'avait le gouver-
neur en conseil de modifier ou de rescinder une
ordonnance de la Commission des transports, con-
formément à l'article 53(1) de la Loi sur les
chemins de fer, S.R.C. 1952, c. 234 [à la page 20]:
[TRADUCTION] Je ne saurais non plus souscrire à la thèse selon
laquelle le gouverneur en conseil, en faisant figurer dans son
arrêté l'ordre donné à la Commission de suspendre l'application
des tarifs en cause, a reconnu par là le pouvoir souverain de
cette dernière en ce qui concerne l'exécution même de cet
6 (1963) 43 W.W.R. 18.
arrêté. On conçoit mal un tel pouvoir souverain eu égard à la
formulation explicite de l'art. 53(1) aux termes duquel l'arrêté
du gouverneur en conseil lie la Commission. En analysant
l'arrêté à la lumière de l'art. 53(1), je n'y ai vu nulle consécra-
tion du pouvoir souverain de la Commission ainsi qu'on l'a
prétendu. Par contre, le libellé même de l'arrêté revêt la forme
d'un ordre donné par une instance supérieure à un organisme
subordonné. Il va de soi que ce dernier, c'est-à-dire la Commis
sion, est tenu d'obtempérer.
Dans Rowley c. Petroleum and Natural Gas
Conservation Board', le juge Macdonald a conclu
à la page 476, propos du pouvoir de «modifier»
prévu dans un accord adopté et ratifié par le
Parlement fédéral et par les provinces: [TRADUC-
TION] «Le mot `modifier', dans son acception com
mune tout comme dans le langage juridique, a un
sens très large et je ne vois rien qui justifie une
restriction de sa signification ou de l'étendue de
l'article 24 susmentionné, telle qu'on l'a fait
valoir.»
Dans Regina c. Travers and McGuire 5 , le juge
Ouimet de la Cour du Banc de la Reine du Québec
a conclu qu'en révoquant une ordonnance de
liberté sous caution rendue par un juge de comté
ou de district ou par un magistrat en application
du paragraphe (3) de l'article 463 du Code crimi-
nel ou en réformant une ordonnance rendue à ce
sujet, lui, en sa qualité de juge d'une cour supé-
rieure de juridiction criminelle, n'avait fait
qu'exercer légalement le pouvoir qu'il tenait de
l'article 465 pour «modifier une ordonnance de
libération».
A la lumière de la formulation explicite de
l'article 64(1) de la Loi nationale sur les trans
ports, à la lumière de la définition donnée par les
dictionnaires qui attribuent au mot «modifier» un
sens très large et à la lumière du raisonnement qui
ressort des décisions judiciaires interprétant le sens
que prend le pouvoir de «modifier» à l'article 64(1)
et consacrant le pouvoir légal de «modifier» dans le
cas des autres lois visées aux précédents cités,
j'estime qu'en l'espèce, le gouverneur en conseil, en
réformant la décision du CRTC à laquelle il a
substitué la sienne propre, ce qui a donné un
résultat tout différent, n'a fait qu'exercer son pou-
voir légal de modifier qu'il tient de l'article 64(1)
de la Loi nationale sur les transports; et qu'en
conséquence, le décret C.P. 1977-3152 en date du
7 (1943) 1 W.W.R. 470.
8 (1963) 42 C.R. 32.
3 novembre 1977 n'est entaché d'aucun vice de
compétence et relève bien des pouvoirs du gouver-
neur en conseil.
Par ces motifs, la demande est rejetée avec
dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.